L’origine du chasselas de Fontainebleau

Gabriel Marcel, La Nature N°977 — 20 Février 1892
Vendredi 2 novembre 2012 — Dernier ajout mercredi 20 mars 2024

Gabriel Marcel, La Nature N°977 — 20 Février 1892

Les pièces comptables ont fourni aux historiens les renseignements les plus inattendus et les plus précieux sur la vie des artistes et des savants, sur les mœurs et les modes, sur les livres et les objets d’art, enfin sur mille incidents de la vie de chaque jour. C’est pour cela qu’on doit accueillir avec reconnaissance la publication de ces registres fastidieux ; ils ne prennent tout leur intérêt et leur valeur qu’au moyen des index et. des tables alphabétiques qui réunissent sous la même notation un grand nombre de pièces éparses qu’on n’aurait pas, sans cela, la patience d’aller quêter dans des milliers d’articles de comptes. La publication non encore terminée par l’Académie des sciences morales et politiques des Actes de François 1e, nous a fourni quelques pièces relatives à la plantation des vignes à Fontainebleau, à Thomery, à Samoreau et dans les environs. Nous les publions ici parce qu’il ne nous semble pas qu’on ait encore cherché à retrouver l’époque des premières plantations, leur étendue, la nature des plants employés et les frais de ces travaux de premier établissement.

Déjà, dans l’excellente préface dont. M. d’Héricault a enrichi l’édition de Marot (publiée en 1867 chez Garnier frères), nous avions vu que le poète avait accompagné en 1533 François 1e qui se rendait à Marseille, au-devant du pape ; il avait fait au roi les honneurs de sa ville natale, Cahors, et lui avait sans doute fait goûter quelques bouteilles de crus estimés qu’il était allé chercher derrière les fagots.

« En 1551, raconte M. d’Héricault, François 1e ayant trouvé le vin de Cahors excellent, avait, peut-être sur les suggestions de Marot, demandé aux consuls un bon vigneron. Le nommé Rivols fut choisi comme le meilleur travailleur ; on l’envoya à Fontainebleau d’où il revint à Cahors au mois de décembre avec trente mulets du roi qu’il fit charger des meilleurs plants pour Fontainebleau [1] »

Par malheur, M. d’Héricault ne nous a pas dit où il avait recueilli ces curieux renseignements ; il est probable que les pièces qui lui sont passées sous les yeux, renfermaient d’autres détails qu’il aura négligés, car ils importaient peu à son sujet, et ce n’est que par curiosité qu’il aura noté ceux que nous venons de reproduire.

Il faut croire que le roi tenait à implanter à Fontainebleau la culture de la vigne, car, le 20 décembre 1532, il était fait mandement au trésorier de l’épargne de payer 1105 livres 10 sous tournois pour le défrichement de 33 arpents de terre sis dans la paroisse de Champagne-en-Brie, afin d’y planter des vignes que le roi avait fait venir de Mireval, de Languedoc, de Cahors et de Chalosse.

Ces indications de provenance ont leur prix pour ceux qui tiennent à savoir ce que sont devenus ces plants d’origines si diverses, alors qu’ils ont été transplantés dans le même sol et soumis au même mode de culture. Non moins intéressants sont les détails qui suivent.

À la même date, nous relevons un mandement de payer 980 livres tournois à six vignerons qui sont venus planter des vignes de leur pays à Thomery dans la paroisse de Champagne-en-Brie et y ont séjourné quatorze mois, soit. 210 livres à Jean Maigné de Mireval près Montpellier, 210 livres à Pierre Cousinet, vigneron du Languedoc, 210 livres à Jehan Rivart de Cahors (c’est probablement le Rivols dont parle Jl, d’Héricault), 210 livres à Pierre de La Mothe de Chalosse et 70 livres chacun à Pierre Rivart et Jean de La Mothe qui ont aidé les autres dans leur travail.

Encore sous la même date, nous voyons que le sommelier ordinaire de l’échansonnerie , Johannot Le Bouthillier reçoit 300 livres tournois pour défricher et labourer quellques pièces de terre à Thomery afin d’y planter des vignes d’Espagne et de Guyenne. Il recevait encore, le 5 mars 1533, 600 livres pour le défrichement de terres près de Fontainebleau destinées à être plantées de vignes étrangères. Le même personnage touchait, le 2 février de l’année suivante, 1000 livres tournois destinées à l’achat de 160 milliers de ceps d’Espagne et d’Arbois destinés au clos de vigne dont il avait la surveillance. Enfin le 27 février 1535, il ne recevait pas moins de 1929 livres 14 sous tournois pour les frais de labourage et de culture des vignes plantées près de Fontainebleau au terroir des Andoches paroisse de Champmoreau (aujourd’hui Samoreau).

Comme on le verra par ces quelques Notes, c’est au seizième siècle qu’il faut faire remonter la culture de la vigne à Thomery, et c’est François 1e qui fut le promoteur de cette culture. Combien en est-il parmi nous qui pensent à remercier le roi chevaleresque lorsqu’ils savourent les grains ambrés des raisins de Fontainebleau ?

Gabriel Marcel

[1voy. Préface, p. 94.

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