L’art pendant d’âge du renne d’après Piette

Édouard-Alfred Martel, La Nature N°1832 - 4 juillet 1908
Samedi 9 juin 2012 — Dernier ajout dimanche 19 février 2017

Les lecteurs de La Nature ont pu remarquer que, depuis plus de trois années, nous avons été fort sobres d’articles de préhistoire paléolithique : en dehors de la question des éolithes (1905, 2e trim., p. 218), des nouvelles fouilles des grottes Grimaldi ou Baoussé-Houssé (1907, 2e trim., p. 54), et de l’aperçu général résumant le livre de Sophus Müller (n° 1822, 25 avril 1908), nous nous sommes bornés à de brèves informations ou, dans les suppléments, à des analyses de congrès et d’ouvrages indispensables à faire connaître.

C’est que les études préhistoriques traversent en ce moment une réelle crise de controverses, de disputes, de fantaisies, particulièrement aiguë depuis la découverte (par Émile Rivière en 1895) des fameux dessins sur parois de la grotte de la Mouthe en Dordogne ; on trouvera un spécimen de cet état de choses dans les derniers bulletins de la Société Préhistorique de France et particulièrement aux pages 439-442 de celui de novembre 1907. Dans un récent ouvrage, j’ai consacré plusieurs chapitres à mettre très sommairement au point les principales questions dont s’occupe la préhistoire : je l’ai fait sans aucune indulgence de formes, mais avec le meilleur vouloir au fond pour ces sortes d’études qui devraient « constituer une des plus sérieuses et des plus importantes branches de la science générale », si elles n’étaient véritablement compromises et même discréditées par « des explications à outrance, et des théories fantaisistes, parfois inexcusables [1] ».

Il importe surtout de mettre en garde contre leurs propres auto-suggestions un certain nombre d’interprétateurs, en réalité moins découvreurs que critiques ou publicistes, qui cherchent avant tout à imposer leurs idées personnelles sur les trouvailles et travaux d’autrui !

Il ne faut pas qu’on laisse prendre le dessus à cette tendance, qui finirait par diminuer la valeur réelle, par fausser le sens véritable des objets recueillis dans les grottes par ces heureux, actifs et désintéressés fouilleurs que furent Lartet et Christy, Edouard Piette, Émile Rivière, Elie Massénat, François Daleau, Félix Regnault, Gustave Chauvet, etc. Si l’on ne parvient pas à mettre un frein à la débauche d’hypothèses où se perdent tant de préhistoriens, on transformera d’aphorisme en axiome ces récentes paroles du grand mathématicien Émile Picard : « Ce que nous pouvons présumer de la science « préhistorique se réduira toujours à peu de chose  [2] ».

C’est un des noms (prééminents entre tous) que je viens de citer, celui d’Édouard Piette qui motive le présent article.

Quelques lignes trop courtes ont apprécié son œuvre et loué son caractère au n° 1725 de La Nature (16 juin 1906).

La piété de sa famille vient de livrer à la curiosité publique et à l’instruction des fouilleurs la première partie des grandioses publications posthumes qui feront connaître tous les détails de 26 années de fouilles méthodiques et consciencieuses au premier chef (de 1871 à 1897).

L’art pendant l’âge du Renne [3] (auquel feront suite les Pyrénées pendant l’âge du Renne décrivant surtout des objets industriels) se classe au tout premier rang dans cette demi-douzaine de luxueux et coûteux ouvrages qui forment avec lui à l’heure actuelle la base documentaire de la préhistoire troglodytique, savoir :

Lartet et Christy, Reliquæ aquitanicæ, 1865-1875 ; É. Rivière, Antiquité de l’homme dans les Alpes-Maritimes, 1878-1887 ; Frédéric Moreau, Album Caranda, 1875-1898 ; P. Girod et E. Massénat, Les stations de l’âge du renne dans les vallées de la Vézère et de la Corrèze, 1900 et 1906 ; De Villeneuve, Boule, Verneau, Cartailhac, Les grottes de Grimaldi (Menton), 1906.

De 1871 à 1906, soixante-dix notes, articles et mémoires ont consigné les fouilles de Piette dans les recueils spéciaux à la préhistoire et à l’anthropologie. C’est leur condensation et leur synthèse que sa mort a interrompues ; mais l’auteur « a voulu que le texte fût publié tel qu’il l’a laissé, avec l’album » des planches par les soins de son gendre M. H. Fischer (maître de conférences adjoint à la Sorbonne) qui prépare la suite avec le concours de MM. Boule et l’abbé Breuil. L’album, du moins, était complet, ayant été exécuté au fur et à mesure des fouilles. C’est un musée portatif qui reproduit aussi, à titre comparatif, nombre d’objets recueillis par d’autres chercheurs (MM. Mascaraux, L. Nelli, Ladevèze, Maurelle, de Laporterie, etc.).

De ce que le texte ait été laissé inachevé [4] , j’estime qu’il y a plutôt lieu de se féliciter : ainsi on a évité l’écueil d’avoir défiguré le fond de la pensée de l’auteur, forcé, dans un sens qu’elles n’auraient pas eu, celles de ses opinions qui n’étaient pas encore assez assises, selon lui-même, et surtout fixé faussement beaucoup d’attributions qu’il importe de laisser, quant à présent, tout à fait indécises.

Telle qu’elle est, la rédaction de Piette résume à merveille ce qu’on a fait avant lui, et elle précise la part qui doit lui être attribuée.

En rappelant les travaux de ses prédécesseurs il reconnaît en G. de Mortillet « le Saint Paul de la science nouvelle » (fondée par Boucher de Perthes) ; mais il attribue à ce « réel organisateur de l’archéologie préhistorique » quelques lapsus ou menues erreurs, que ses trop ardents disciples ont grand tort de ne pas confesser.

Lartet et Christy ont été, de 1862 à 1870, les premiers révélateurs (aux bords de la Vézère) de l’art préhistorique : « véritables et trop modestes auteurs de la classification basée sur l’industrie » ils ont, dans leur Reliquiæ aquitanicæ, élevé « à la science préhistorique le plus beau monument qui lui ait été consacré jusqu’à ce jour », ils subdivisèrent l’âge du renne (période frigoraire) en trois types industriels : du Moustier, de Laugerie-Haute, des Eyzies, et la Madelaine, dont G. de Mortillet fit en 1867 le Moustérien, le Solutréen [5], le Magdalénien.

Quant à Aurignac (dont l’abbé Breuil s’efforce actuellement, après Lartet, de faire un pré-solutréen, ou aurignacien), de Mortillet, en 1868, le plaçait entre Solutré et la Madelaine ; ultérieurement il l’a supprimé. Les flèches de ce niveau sont, pour Piette, de l’âge du renne, et on y a réalisé, plus tard, des sépultures néolithiques. « Sa position exacte est encore controversée [6]. »

La classification originaire zoologique de Lartet en âges de l’elephas antiquus, du grand ours, du mammouth, du renne, de l’aurochs n’a pas été conservée : car le grand ours et le mammouth ont vécu pendant tout le pléistocène et leur présence pas plus que celle de l’aurochs ne peut caractériser aucun étage. D’ailleurs « la faune d’une contrée varie suivant le relief du sol, son altitude, sa nature et sa distance de la mer », L’ours fréquentait les avant-monts pyrénéens en même temps que le mammouth se plaisait aux plaines boisées. Mais il y a vraiment un âge de l’elephas antiquus et un du renne.

Quant aux fameux éolithes et à l’homme tertiaire, Piette ne s’en montre, en réalité, nullement partisan et n’y fait que l’allusion suivante : même après l’invention des gros instruments quaternaires « les hommes des premiers temps pléistocènes … se sont servis… de ces petits silex éclatés et ébréchés sous l’action des forces naturelles, que l’on trouve en grande abondance dans les sédiments de ces époques lointaines !… » Les silex de Thenay ne sont pas, selon lui, taillés intentionnellement, pas plus que les autres silex tertiaires même ceux de Puy-Courny.

Pour l’étude des anciens glaciers, les Allemands seraient beaucoup mieux placés que nous entre ceux de la Scandinavie au nord et les Alpes au sud. Par contre, l’exploration des sédiments des cavernes est beaucoup plus facile et plus féconde en France qu’en Allemagne.

Voici les principales grottes où Piette a effectué ses inestimables récoltes :

Gourdan (Haute-Garonne, près Montréjeau, au confluent de la Neste et de la Garonne, 1871) ; — Lorthet (Hautes-Pyrénées, 1873) ; — Arudy (Basses-Pyrénées, 1873) ; — Mas d’Azil (Ariège, depuis 1885) ; — Brassempouy (fouillée aussi par M. de Laporterie), grotte du Pape (Landes, 1894-1897) ; (faune plus ancienne, rhinoceros trichorhinus, mammouth ; ivoires travaillés ; silex de type moustérien), début de l’âge glyptique (papaléen ou éburnéen), avec sculptures seulement, antérieures donc à la gravure. Il a tiré de ses fouilles une classification que nous reproduisons in extenso (voir le tableau au supplément). Cette classification n’a pas encore prévalu à cause des mots nouveaux, trop modifiés ou même bizarres, qu’elle renferme : mais deux de ses termes au moins, l’âge glyptique et l’époque asylienne, doivent être retenus : ils embrassent toute l’œuvre très personnelle de Piette.

L’âge glyptique (de γλυπτοζ, ciselé, sculpté, gravé) fut, a-t-il dit, celui des beaux-arts : « l’homme des cavernes, loin d’être un sauvage, fut un pionnier de l’humanité, un être progressif, qui posa les premiers fondements de notre civilisation » …. Il cisela l’os, la corne, l’ivoire ou la pierre (à Gourdan, surtout) à l’aide du silex, le sculpta ou le couvrit de gravures. Le mot glyptique n’est pas synonyme de magdalénien. Il s’applique de Solutré à l’extinction du renne et se partage ainsi, selon notre auteur :

Les temps équidiens comprennent deux subdivisions : l’époque éléphantienne ou éburnéenne (sculptant l’ivoire en ronde bosse, fig. 1 et 2) et l’époque hippiquienne, sculptant le bois de renne en bas-relief ou en contours découpés.

Les temps cervidiens en comprennent deux également : l’époque rangiférienne (gravant le bois de renne) et l’époque élaphienne (ou élapho-tarandienne), (Gourdan, Lorthet), gravant, faute de renne, la ramure du cerf, la pierre, l’os (fig. 3, 4 et 5). L’art éburnéen pratiqua la ronde bosse (statuettes de femmes de Brassempouy), parce que l’ivoire s’y prêtait ; l’art tarandieu, au contraire, fit du bas-relief, parce que le bois de renne était plat et spongieux, puis il aboutit à la gravure.

L’éléphant, hôte des vallées, doit, on l’a dit plus haut, se rencontrer (et par conséquent les objets d’ivoire aussi) en plaines, plutôt que dans les régions montagneuses.

C’est pourquoi, très commun à Brassempouy, il fut en nombre bien moindre à Solutré où le renne abondait sous le climat rigoureux du Mâconnais. D’ailleurs, ces deux gisements sont complexes et leurs assises sont loin d’être synchroniques.

Avec l’époque élaphienne (dont la faune fut à peu près celle de l’époque actuelle) disparut le renne et aussi les arts qui employaient son bois. De nouvelles races humaines envahirent la terre de Gaule, races grossières et utilitaires, qui n’empruntèrent à la civilisation glyptique que les outils et les instruments qui pouvaient leur servir, Les familles d’artistes furent noyées dans le flot des envahisseurs, au moment où elles étaient dévoyées par la perte de la matière première de leurs instruments. Peut-être même les hommes furent-ils menacés ; la sculpture et la gravure tombèrent avec eux dans la tourmente. L’un des principaux résultats acquis par Piette est la découverte de l’étage asylien (grotte du Mas d’Azil, sur la rire gauche de l’Arize à l’entrée de la perte de la rivière sous le grandiose tunnel naturel de cette grotte) ; la trouvaille est due au procédé d’observation stratigraphique, à la méthode géologique expresse, suivie dans toutes ses fouilles, et tant négligée par les fouilleurs de grottes, inconnue même de la plupart d’entre eux. Elle seule donne des dates relatives. C’est là que Piette exhuma une industrie lithique d’aspect magdalénien mais en pleine décadence, accompagnée d’une faune d’où le renne avait disparu, d’où le bison semblait absent (mais où le cerf élaphe et le sanglier formaient la presque totalité des débris de cuisine), des harpons plats perforés en bois de cerf aplatis, et des quantités de galets peints à la sanguine, marqués de points, de barres, de croix, de caractères alphabétiformes. Cette industrie comblait l’hiatus si discuté entre le paléolithique et le néolithique : conclusion d’autant plus formelle qu’en dessous on retrouvait encore une assise glyptique avec renne en décroissance et cerf élaphe en augmentation ! Gourdan, Lorthet, etc., avaient déjà fourni cette couche du Lorthétien.

A la plupart des assertions, opinions, hypothèses de Piette, très réfléchies, très mesurées, très bien échafaudées, il semble qu’on puisse souscrire sans réserves, par exemple :

Le souci et les préoccupations de l’art aux temps glyptiques, où les populations du pays de Gaule et des régions voisines avaient sans cesse à l’esprit la recherche et le culte du beau.

Les synchronismes (dont on abuse tant maintenant) n’ont rien d’absolu. La civilisation ne brille pas partout en même temps. Les différences d’aptitudes se répercutent dans les outillages. De là des dissemblances souvent considérables dans les sédiments synchroniques : beaucoup de tribus n’eurent d’autre désir que de satisfaire à la vie animale et leur industrie reste attardée et grossière.

Piette affirme que l’homme glyptique semi domestiqua le cheval (en inventant et lui appliquant le chevêtre) et l’éleva pour sa chair. Devant les réels enchevêtrements de traits dessinés sur les sculptures ou gravures de chevaux (fig. 7 et 8), il est difficile de ne pas admettre cette proposition. Le renne n’aurait été domestiqué que plus tard : il succéda au cheval quand le refroidissement du climat et la couche de neige empêchèrent celui-ci de brouter. Le renne, à son tour, disparut devant un réchauffement qui ramena les pluies. L’homme glyptique était chasseur et pêcheur et commerçait avec des pays lointains, par l’intermédiaire de nomades : on a trouvé une mandibule de phoque à Raymonden (Dordogne) loin de la mer ; mais ces importations étaient fort rares quoique les gravures de phoques soient fréquentes. Notre auteur ajoute :

« Les artistes glyptiques figuraient surtout les objets qui leur étaient familiers et par conséquent les animaux et les poissons (fig. 9) qui leur ’servaient de nourriture. Il n’y a pas à chercher d’autres motifs de leurs préférences … »

Les rhinocéros, dangereux et difficiles à capturer, sont rarement gravés, de même pour les grands félins dont « on n’a guère de représentation certaine » : renard, loup, hyène, serpent, non comestibles, sont peu figurés ; assez cependant pour contredire la récente thèse de l’envoûtement ou attirance magique des animaux désirables » (qui est une des fâcheuses fantaisies de la préhistoire). « Si les artistes glyptiques avaient pensé qu’en dessinant des animaux ils les attiraient et contribuaient à leur multiplication, jamais ils n’en auraient figuré de nuisibles. »

Depuis le congrès archéologique et préhistorique de 1900 à Paris (c’est-à-dire postérieurement à l’impression des explications des planches de l’art pendant l’âge du Renne), le Dr Schœtensack a considéré les soi-disant bâtons de commandement (fig. 10 et 11) comme des fibules ou agrafes de vêlements : cela est admissible « pour ceux de taille moyenne qui n’ont qu’un seul trou ».

L’homme glyptique ne se borna pas à figurer des animaux et (assez mal) des types humains : il inventa l’ornement, la volute, )es cercles à relief central, la torsade, les lignes ponctuées, peut-être même l’écriture (fig. 12, 13, 14 et 15).

Piette reproduit (ses fig. 113 et 114) deux réelles inscriptions sur os de la grotte du Placard à Rochebertier (fig. 15) et de la Madeleine ; et il cherche dans leurs signes des similitudes avec certaines lettres phéniciennes, cypriotes, grecques anciennes, crétoises : il est capital qu’il ait retrouvé ces signes sur les galets peints asyliens de l’époque de transition. Il faut aussi faire ce rapprochement qu’en 1906, M. A. Viré a trouvé une fort belle inscription sur bois de renne [7] semblable à celle du Placard, dans la grotte de Combe-Cullier ou Crozo-de-Gentil près de la grotte Jouclas à Lacave (Lot, vallée de la Dordogne), qui lui avait déjà fourni (1904-1906) un très important gisement solutréo-magdalénien. A côté des œuvres d’art véritable, on trouve les essais faits par les enfants et les inhabiles et aussi les études à sujets superposés et inachevés (fig. 119). En revanche, pour laisser à la critique ses imprescriptibles droits, il y aurait, selon moi, certaines réserves à faire sur les opinions suivantes de Piette :

Entretien des feux avec de la chair, sous prétexte que la cendre est noire, comme celle du noir animal ! D’ailleurs, dans le tableau chronologique publié dans le volume les mots « feux de chair » ont été remplacés par « feux entretenus par des matières animales ».

La pratique de l’hospitalité au Mas d’Azil, à cause de la présence d’une aiguille en bois de renne, pareille à celle de Bruniquel (Tarn) !

L’aurochs n’est pas le bison europœus (V. à ce sujet les notes, p. 282, de notre numéro 1766 du 50 mars 1907).

L ’hypothèse des tourbillons de poussière remplissant les grottes paraît vraiment hasardée. Le calme absolu qui règne toujours dans les cavernes, même les plus largement ouvertes et même par les grands vents actuels, m’empêche d’admettre les idées que Piette a formulées à ce sujet.

Les archéologues se sont imaginé que l’homme de l’âge du renne était venu occuper nos régions avec une industrie toute faite. « En réalité, la civilisation tarandienne est née sur le sol de l’Europe occidentale et surtout sur celui de la Gaule. » Cette conclusion est prématurée aussi ; nous ne savons rien de certain sur l’origine exacte de la population sur notre terroir. Mais il est permis de dire que la civilisation glyptique s’y est développée, puis y a décliné ; et l’hypothèse de l’origine orientale admise par Sophus Müller, demeure la plus vraisemblable.

« Quand ils étaient fiers de leur œuvre ils la signaient ou y gravaient leur marque de propriété » (en losanges, ou autres signes). C’est possible mais non prouvé.

« La spirale était un symbole. » Oh ! ceci nous l’ignorons totalement : pour les préhistoriens, le symbole est l’arthritisme ou le nervosisme des médecins ; il explique tout ce qu’on ne comprend pas et résout tous les embarras. Le symbolisme est la plus fâcheuse tare de la préhistoire actuelle ; ses abus sont tels qu’il faut en proscrire l’usage.

Il n’y a déjà que trop d’écueils dans la reproduction des sujets (traits, figures en relief) que la photographie ne peut pas toujours enregistrer.

Piette nous en fournit un éloquent exemple avec les deux dessins d’une tête de Rhinoceros tichorhinus gravée sur stalagmite (grotte de Gourdan) (fig. 84 et 85, p. 87) ; ils sont tout à fait différents : dans celui de M. Formont « la tête qui est un calque, est d’une exactitude parfaite ; mais la corne antérieure devrait être placée postérieurement sur la petite bosse du nez », comme l’a figurée l’abbé Breuil. mais en donnant d’autres traits à la tête ! (fig. 16 et 17).

Trop souvent l’imagination ajoute la ligne ou les lignes nécessaires pour donner à la silhouette reproduite l’aspect de la forme supposée !

Comment peut-on affirmer que la figure 89 représente une hyène tachée ? Aussi, Piette, prudent et pondéré, a-t-il mis là un point d’interrogation. Mais il s’avance trop en affirmant que les inscriptions de Gourdan et de la grotte du pape « sont incontestablement plus anciennes que les hiéroglyphes égyptiens ». On sait trop peu de chose encore de la préhistoire d’Égypte pour être aussi affirmatif, sans preuves.

D’ailleurs, une dernière proposition, quoique fort hardie, doit retenir vivement l’attention, quand on examine l’admirable et extraordinaire tête de femme en ivoire de la caverne du pape à Brassempouy (fig. 19-20) ; les « statuettes humaines de cette grotte (fig. 18) relient, par certains caractères, les temps quaternaires anciens au début des temps quaternaires modernes, pendant lesquels se développèrent les civilisations primitives de l’Égypte et des rivages de la mer Égée. »

Le rapprochement avec les Boschimans de l’Afrique du Sud, à cause du développement des parties postérieures du corps (stéatopygie), est peut-être moins heureuse (pl. LXXI et LXXIV).

En résumé, presque tout est à entériner de l’œuvre et des conclusions de Piette : il est certainement, avec MM. Chauvet, Daleau, Déchelette [8], celui de tous les préhistoriens qui a le mieux su raisonner ses trouvailles et synthétiser celles d’autrui avec le plus de sang-froid et le moins de parti pris.

C’est le plus bel éloge qu’on puisse faire d’un adepte de ces sortes d’études, où il est si difficile d’enrayer les entraînements de l’hypothèse à outrance, et de ne pas verser dans l’extravagance.

Quant à son album et à la beauté de ses planches, il faut les posséder à loisir et les étudier longuement, pour s’extasier comme il convient sur leur inestimable importance !

E.-A. MARTEL.

[1L’évolution souterraine, chap, XIV à XVIII, p. 290-369.

[2De la science (Revue du mois, 10 février 1908).

[3Par Édouard Piette ; 1 vol. in-fol., 112 p. de texte et 100 pl. en couleurs (avec feuilles d’explications). Masson, 1907 ; prix : 100 fr.

[4Et tel qu’il était en 1900, ce qui explique pourquoi il n’y est pas traité des travaux de M. Rutot sur les éolithes, — ni des peintures et dessins des cavernes.

[5Dès le 29 août 1867, Lortet assimilait à Langerie-Haute la station de Solutré (S,-et-L,) explorée par De Ferry et Arcelin.

[6Voy. abbé H. Breuil, La question aurignacienne (Revue préhistorique, n° 6 et 7 de 1907).

[7Qui serait de la fin du magdalénien (V. A. Vrié, Bull, Soc. d’études du Lot, 2e trim. 1907, p. 110-114).

[8J. Déchelette, Manuel d’ archéologie préhistorique, etc., t. I, Paris, Picard, 1908.

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