Michel Chasles

J. Bertrand, La Revue Scientifique - 24 décembre 1892
Jeudi 26 avril 2012 — Dernier ajout vendredi 9 décembre 2016
Mémoire lu dans la Séance publique annuelle de l’Académie des sciences le lundi 19 décembre 1892.

Michel Chasles, malgré le nombre et l’éclat de ses découvertes, promptement et universellement admirées, est entré tardivement à l’Académie des sciences. Né en 1793, il a été élu dans la section de géométrie en 1851, âgé alors de cinquante-huit ans. A l’influence du talent et à l’autorité de la renommée se joignit bientôt pour lui la déférence accordée à l’âge.

Chasles appartenait à une ancienne et excellente famille du pays chartrain, Son grand-père faisait à Bpernon le commerce des bois de construction, son père y joignit, avec beaucoup d’intelligence et de succès, des entreprises de travaux publics. La famille Chasles, tout en acquérant la richesse, avait su mériter la reconnaissance de ses concitoyens ; le nom de boulevard Chasles, donné à l’une des voies importantes de la ville de Chartres, est, à la fois, un hommage au grand géomètre Michel Chasles, à son frère Adolphe Chasles, longtemps maire de la ville et député du département, à leur père, qui, pendant quarante ans, joua un rôle important dans le Conseil municipal, à leur oncle enfin, curé de la cathédrale, qui, plus d’une fois impliqué dans de graves démêlés, savait s’affranchir, avec une douce et habile fermeté, de toute considération humaine.

Au collège de Chartres où ils commencèrent leurs études, puis à Paris, au Lycée impérial, les deux frères Chasles étaient cités comme des modèles. Dans un bulletin trimestriel de l’année 1811, le proviseur, M. Champagne, après avoir loué l’application et énuméré les succès d’Adolphe, ajoute : « Chasles aîné est, comme son frère, un excellent élève. » Chasles aîné, notre futur confrère, était plus qu’un bon élève, mais quelques-uns de ses maîtres lui reprochaient de trop aimer la géométrie et d’en inspirer le goût à ses camarades. Les problèmes avaient pour lui tant d’attrait que, sans se contenter d’épuiser le répertoire fort abondant de son maître M. Landry, il trouva moyen d’organiser, avec les meilleurs élèves des lycées de Paris, une petite académie d’écoliers, pour l’échange des exercices et la comparaison des solutions. Avide d’énoncés nouveaux, Chasles frappait à toutes les portes. Un de ses camarades était cousin du géomètre Poisson, dont la réputation alors était au comble. Chasles obtint de lui qu’un dimanche il le menât chez son parent, auquel, sans embarras, il demanda des problèmes à résoudre. Poisson, sans abaisser ses regards vers la géométrie des écoliers, conseilla au jeune collégien d’apprendre le calcul différentiel, de s’appliquer au calcul intégral, et d’aller par lui jusqu’à la mécanique. Chasles devait longtemps encore, pour tout encouragement, entendre ainsi des maîtres illustres lui répéter avec une dédaigneuse bienveillance : cc Il faut monter pour approcher de nous ! » Il quitta Poisson, fort peu satisfait, emportant, pour tout butin, l’énoncé d’un problème d’hydrostatique, sans difficulté et sans intérêt, le même précisément que Poisson, vingt ans plus tard, invité à choisir les sujets de composition pour le concours général, proposa aux élèves de mathématiques spéciales.

Chasles avait au lycée, pour voisin d’étude, un jeune Florentin, Gaëtan Giorgini, qui pensait beaucoup et étudiait peu. M. Champagne ne le proposait pas pour modèle, mais ses camarades l’admiraient et l’aimaient. Se contentant des livres de Bezout, il regardait avec indifférence les cahiers de Chasles couverts de polygones, de cercles et d’ellipses : « Pourquoi, lui disait-il, tant d’efforts et tant d’affaires ? Lorsque j’aurai trouvé un cercle tangent à trois autres, que veux-tu que j’en fasse ? » Chasles, cependant, ne s’ennuyait jamais, et Giorgini, quoique d’humeur très gaie, bâillait pendant les études. Chasles avait donc choisi la meilleure part ; Giorgini le comprit. Sans grande confiance d’abord, et sans grand effort, pour s’accommoder aux circonstances, il consentit à combattre l’ennui par la science. Chasles gagna sur lui de se laisser conduire. Aplani à l’excès, le chemin battu paraissait pour l’esprit impatient de Giorgini trop facile et trop droit ; il le suivait sans résistance, mais sans attrait. Chasles l’éleva par degrés jusqu’aux voies détournées où l’art embellit la science et la féconde. Avec une ambition pour lui nouvelle, Giorgini s’appliqua tout entier à ces ingénieux divertissements, et disputa le premier rang dans la classe. A la fin de l’année, à l’âge de dix-sept ans, il obtenait le prix d’honneur au concours général, et était classé le premier par les examinateurs d’admission à l’École polytechnique, dont la tournée s’étendait alors de Rome à Amsterdam. Chasles n’avait au concours que le second accessit, et à l’école le dix-neuvième rang. « 1\Ion pauvre Chasles, dit le proviseur, vous n’avez pas été heureux, mais vous aviez droit au premier accessit ; celui qui l’a obtenu, déjà nommé l’an dernier dans la même classé, ne pouvait concourir que pour un prix : je vais réclamer. » Ce vétéran était Olinde Rodrigues, membre très actif et très admiré de la petite académie de problèmes dont Chasles était l’âme.

Pour Rodrigues, comme pour Chasles, l’accessit était un échec. Camarades et maîtres, pour chacun d’eux, croyaient le prix certain. « Je vous supplie, dit Chasles à son proviseur, de laisser les choses comme elles sont ; je serais peiné d’être l’occasion d’un désagrément pour un camarade qui, pendant toute l’année, s’est cordialement associé à mes études. »

Les camarades de Chasles, sans qu’il réclamât rien, lui faisaient honneur des succès de Giorgini. Vingt ans après, Chasles eut la fantaisie de se faire présenter dans les salons saint-simoniens de la rue Monsigny. Olinde Rodrigues y brillait alors, à côté d’Enfantin et de Bazard ; en voyant entrer son ancien condisciple, il s’écria gaiement : « Soyez le bienvenu, Chasles, quoiqu’en 1812 vous m’ayez enlevé le prix d’honneur 1 )) Chasles et Giorgini, pour lui, ne faisaient qu’un.

La santé de Chasles était excellente ; depuis son enfance, cependant, il ne buvait que de l’eau. Son père, en le soumettant, selon la règle, à l’inspection médicale de l’École polytechnique, voulut profiter de l’occasion. « Ce garçon-là, dit-il au célèbre docteur Chaussier, a une bonne constitution ; veuillez lui dire qu’en refusant de boire du vin, il s’expose à l’affaiblir et à la ruiner. - Pourquoi ? répondit Chaussier ; est-ce qu’un cheval boit du vin ? »

Souvent depuis on a pressé Chasles de changer de régime. Un géomètre illustre a trouvé plaisant de dire : « Si M. Chasles buvait du vin, il ferait peut-être du calcul intégral ! » Fidèle à la géométrie, Chasles a continué, en buvant de l’eau, à suivre dans la science la voie qui lui plaisait, et quand elle l’a conduit au calcul intégral, il y a rencontré, comme sur toutes les routes de la science, des vues ingénieuses et profondes.

Chasles, encore élève de l’École polytechnique, produisit trois notes de géométrie, dignes aujourd’hui encore de l’attention des maîtres, reçues par eux, alors, avec une prévention moins favorable. Entêtés du calcul intégral et dans l’attente de conquêtes plus hautes, ils n’acceptaient le commerce avec la géométrie que sous la bannière de l’infini… On abandonnait l’hyperboloïde aux écoliers. Confiants dans les orgueilleuses déclarations de Descartes, les géomètres avaient pris possession du monde nouveau dont il leur livrait l’entrée, sans daigner, plus que lui, s’y avancer d’un seul pas. La face de la géométrie pure était changée, mais il ne paraît pas que ce fût à son avantage, car on avait cessé de l’aimer pour elle-même. Poncelet et Chasles ont eu le mérite et le grand honneur de faire cesser cet injuste abandon, et ils ont repris la marche en avant, ralentie, - on pourrait dire arrêtée, - pendant deux siècles.

Les promotions de 1812 et de 1813, mobilisées par décret impérial et appelées, en 1814, sous les drapeaux avec la garde nationale, prirent part à la défense de Paris. Chasles servait, sur la route de Vincennes, une pièce opposée à la cavalerie prussienne. Sa batterie fut tournée par les Russes. Les jeunes artilleurs se réfugièrent dans les vignes voisines. Un cosaque s’élançant à leur poursuite, après avoir blessé d’un coup de lance leur camarade Dandelin, se trouva seul au milieu de la petite troupe. L’adjudant Clément, leur instructeur et leu !’ chef, remit à son fils, âgé de onze ans, un pistolet chargé, en lui disant : « Tue-le ! » L’enfant visa il la tête, et le cosaque tomba mortellement blessé. Lorsque Chasles, témoin de la scène, en rappelait le souvenir, le patriotisme, dans son cœur, luttait avec l’humanité et marquait son triomphe par un léger sourire. Il ne lui déplaisait pas d’avoir vu le feu de si près.

L’égalité à l’École polytechnique est une tradition, et la justice s’y impose à tous. Après le retour de l’île d’Elbe, l’empereur, mal renseigné sur cet esprit que rien ne saurait vaincre, envoya aux élèves, comme récompense de leur conduite dans la journée du 30 mars, une croix de sa Légion d’honneur ; ils refusèrent Où l’unanimité. C’était se permettre de juger le maître. Le général Dejean, qui commandait l’École, tint la réponse pour non avenue. Dès le lendemain, le Moniteur inscrivait sur sa liste des décorations le nom de Dandelin, élève de l’École polytechnique, blessé devant l’ennemi. On ne l’avait ni consulté ni prévenu. Ses camarades, cependant, le jugèrent sévèrement. Quoique né dans le département de la Seine, en optant peu de temps après pour la nationalité belge, il échappa aux conséquences très graves de leur réprobation. Chasles lui-même, si bienveillant pour tous, si judicieux et si sage, se montrait un des plus irrités contre Dandelin. On l’avait inscrit, sans qu’il le sût, sur les listes de la Légion d’honneur ; on ne pouvait lui en faire reproche, mais on ne lui pardonnait pas de porter le ruban rouge.

Chasles, au contraire, prenait la défense d’un camarade rejeté de l’École par le même tribunal. Lorsque les élèves de l’Ecole polytechnique, enfants des belliqueux lycées de l’Empire, roulaient leurs canons comme pour une fête, au-devant des troupes étrangères, un des sergents-majors de la promotion de 1813 sortit des rangs en s’écriant avec exaltation : « Ma conscience me défend, dût-on me fusiller, de combattre pour l’usurpateur ! » L’indignation fut vive. Déclaré déserteur devant l’ennemi, il ne remit plus les pieds à l’École. Huit ans après, le gouvernement de la Restauration l’admit sans examen à l’École des ponts et chaussées. Bravant toutes les protestations, il assista il toutes les leçons, subit brillamment toutes les épreuves, et fit partie du corps pendant plus de vingt ans.

Chasles le jugeait avec indulgence. « Lorsque Barré de Saint-Venant, disait-il, croyait sa conscience engagée, ou son droit certain, on l’aurait coupé en morceaux sans obtenir la moindre concession. L’accusation de lâcheté était absurde. Follement audacieux, au contraire, il avait montré, le 30 mars, cent fois plus de résolution et d’énergie pour affronter l’indignation de ses chefs et les huées de ses camarades, et pendant deux ans à l’École des ponts et chaussées leur injurieux silence, que pour s’exposer à la lance des cosaques. »

L’École polytechnique, après la capitulation de Paris, resta fermée pendant plusieurs semaines. Chasles, aussitôt, se rendit à la diligence de Chartres, retint toutes les places libres, et invita les plus embarrassés de ses camarades à passer chez son père ces jours difficiles.

Giqrgini fut du nombre. La correspondance avec l’Italie était alors très irrégulière et très lente. M. et Mme Chasles ne s’en plaignaient pas. Giorgini devint pour eux un fils de plus. On retarda tant qu’on put le jour du départ pour Florence. Les deux amis s’écrivirent souvent d’abord, puis plus rarement ; peu à peu la correspondance cessa. L’amitié demeura entière. Lorsque, longtemps après, Chasles visita l’Italie, il fit de longs séjours à Milan, à Home, à Naples et à Venise ; un plus long encore à Florence. Quand son ami lui parlait de géométrie et de problèmes, Giorgini se récusait. De son caprice pour la science, il ne lui restait que le souvenir. Recherché dans la plus haute société, ami du grand-duc, sans briguer ni charges ni faveurs, il trouvait à Florence, contre l’ennui, des ressources plus faciles et plus sûres. Lorsque, vers la fin de .sa vie, Chasles parlait de cette heureuse année de repos et de plaisir, dans laquelle il avait visité tant de savants, admiré tant de chefs-d’œuvre et satisfait tant de nobles curiosités, un souvenir surtout lui revenait au cœur ; il la nommait « l’année où j’ai revu Giorgini ».

Les élèves congédiés furent admis à subir leurs examens et placés dans les services publics, mais en petit nombre. Le corps du Génie militaire, qui l’année précédente avait demandé cinquante élèves, n’en reçut que dix. Chasles fut un des dix. Comme il préparait son départ, il reçut la visite du père de l’un de ses camarades. ( Vous avez annoncé, lui dit-il, l’intention de traverser seulement la carrière militaire, pour vivre à Metz un an ou deux encore près de vos camarades ; l’épaulette n’est pour vous qu’une distraction ; elle serait tout l’avenir de mon fils’ ; classé le premier de ceux qui n’ont pas obtenu d’emploi, il peut, si vous le voulez, recueillir le fruit des sacrifices que je ne puis plus continuer. Son sort est entre vos mains. i Chasles demanda trois jours pour réfléchir, partit pour Chartres consulter ses parents, et, approuvé par eux, revint tout joyeux prier son camarade Coignet, qui était de sa taille, d’accepter l’uniforme devenu inutile sous lequel sa mère, heureuse et fière de lui, avait voulu le voir’ pendant un jour.

Chasles, pendant quelques années, associa à la vie facile d’un jeune homme riche de profondes études de géométrie ; il n ’étudiait ni Lagrange ni Laplace, mais lisait Apollonius, se nourrissait d’Archimède, et méditait sur l’interprétation des obscurs fragments de Pappus ; il faisait à Paris de fréquents voyages et de longs séjours. Son père, sans dédaigner la géométrie, qui, pour le cubage des bois, lui prêtait d’utiles secours, et quoique d’humeur indulgente pour les plaisirs de la jeunesse, voyait avec peine son fils, âgé de vingt-huit ans, prolonger ses études sans les utiliser pour accroître sa fortune et s’avancer dans le monde, comme le veulent la raison et la coutume.

Docile aux vues de son père, Michel accepta la profession d’agent de change ; il devint associé et, bientôt après, titulaire d’une charge à Paris. Avec son ardeur ordinaire, il s’élança dans ce monde nouveau, où le plaisir tient tant de place. Depuis longtemps excellent écuyer, il achetait les plus beaux chevaux et domptait les plus difficiles. C’était là sa moindre dépense. Quarante ans plus tard, après avoir visité Vienne, il descendait le Danube en bateau à vapeur, en compagnie de deux confrères, le physicien Despretz et le botaniste Moquin-Tandon, lorsqu’un seigneur hongrois leur demanda courtoisement des nouvelles de Paris. Heureux, disait-il, ceux qui y vivaient au temps de la Restauration ! Assidu alors aux représentations de l’Opéra, il aimait la musique, mais préférait la danse. Chasles, à la même époque, avait cherché les mêmes distractions et connu les mêmes enchantements. Au grand étonnement de ses savants confrères, il discutait avec l’aimable Hongrois sur le personne] du théâtre et le talent des artistes. Tous deux vantaient avec complaisance une incomparable danseuse, restée non moins célèbre par le sombre et tragique éclat de sa beauté que par la dignité de ses attitudes. Tous deux l’avaient vue sourire. S’ils ne s’étaient pas rencontrés chez elle, c’est que leurs jours d’audience n’étaient pas les mêmes. Mlle Bigottini, en évitant de les rapprocher, ne soupçonnait pas qu’elle serait un jour, pour ses deux admirateurs devenus plus sages, le lien d’une amitié passagère, mais cordiale. Chasles, en débarquant à Pesth, ne put se soustraire à la splendide hospitalité de son ancien rival.

En même temps que les limites de la sagesse, le jeune agent de change avait oublié celles de la prudence. Une liquidation désastreuse le rendit insolvable. Son père accourut ; fort entendu en affaires, il fit le nécessaire, transmit la charge à un successeur, et rendit Chasles à la géométrie. Elle fut sa consolation ; il alla à Bruxelles oublier, dans le travail et dans le commerce des savants, les émotions de cette rude et poignante épreuve, et laisser au temps le soin d’en éteindre le souvenir.

Les Annales de mathématiques de Gergonne, en 1827, rappelèrent aux géomètres le nom de Chasles, à peine connu d’eux. Trois mémoires sur les sections coniques les rendirent attentifs aux méthodes nouvelles, en faisant paraître la richesse et la fécondité des régions où elles conduisent. L’Académie des sciences et belles-lettres de Bruxelles, composée surtout de savants dispersés dans les Universités de Hollande et de Belgique, ne comptai t à Bruxelles que sept ou huit membres ; ils se réunissaient pour causer, presque toujours de géométrie. Les idées de Chasles apportèrent aux séances un agrément et un cours tout nouveau. Bruxelles avant Paris l’a connu pour ce qu’il était. L’admiration éclairée de l’Académie belge a, la première, rendu son nom fameux et donné le branle à l’opinion.

L’un des académiciens les plus en réputation, à Bruxelles était Dandelin, l’ancien camarade de Chasles à l’École polytechnique. Esprit étendu et élevé, Dandelin fut successivement soldat volontaire à seize ans, élève de l’École polytechnique, professeur de mathématiques, officier du génie, chargé du cours de métallurgie à l’Université de Liège et des cours de physique à Namur. Brillant causeur, de plus, quand il secouait l’ennui, et auteur dramatique à ses heures de loisirs, Dandelin fut applaudi pendant deux soirées au théâtre de Gand ; mais, cassant le jugement du parterre, il retira sa pièce .avant la troisième représentation.

Dans toutes les voies où l’a conduit son esprit inquiet, on l’a jugé supérieur à son œuvre, trop promptement abandonnée. Parmi ses essais de géométrie, quelques-uns sont encore renommés aujourd’hui. Esprit droit et loyal, Dandelin savait admirer Chasles ; mais, pour les raisons que nous avons dites, leurs relations furent toujours très froides.

A l’Académie de Bruxelles, la géométrie était en honneur. On proposa, pour sujet de prix, l’Examen philosophique des différentes méthodes employées dans la géométrie récente et, particulièrement, de la méthode des polaires réciproques, Ce programme semble étroit ; il ne l’est pas. Chasles, en y portant la lumière, l’a vu s’élargir en tous sens : il répondit par un chef-d’œuvre. L’Académie de Bruxelles, réussissant bien au delà de son attente, a eu la bonne fortune de provoquer la rédaction de l’Aperçu historique sur l’origine et le développement des méthodes en géométrie. Le volume des mémoires de l’Académie de Bruxelles, consacré tout entier au mémoire de Chasles, restera la gloire de là compagnie. C’est, peut-être, le plus consulté et le plus avidement recherché dans les collections académiques de tous les pays. A l’âge de quarante ans, Chasles avait mérité et acquis un grand nom. Tout est à admirer dans son beau livre. La modestie même du titre est remarquable. Mieux instruit de l’histoire de la science qu’aucun autre géomètre ne le fut et, peut-être, ne le sera jamais, Chasles, sans descendre dans le détail, donne, sur les points essentiels, beaucoup plus que des aperçus. Si la netteté de son exposition, la clarté de son style, l’ingénieuse profondeur de ses rapprochements peuvent charmer tout lecteur attentif et sagace, sans repousser cette heureuse rencontre, il ne veut rien y sacrifier ; il écrit pour les géomètres. Chaque page excite leur curiosité, et quand l’habile et consciencieux auteur la devine trop impatiente, il n’épargne rien pour développer ses assertions dans des notes savantes et précises.

L’ouvrage proprement dit contient 270 pages, les notes en occupent 272. L’histoire des méthodes s’y tourne en leçons et en promesses, toutes fidèlement tenues. Plusieurs de ces notes sont devenues de précieux volumes. Le beau mémoire qui termine le livre est précisément égal en étendue à chacune des deux premières parties. Le hasard a divisé l’Aperçu historique en trois livres distincts, d’étendue égale. Le premier sera lu avec un vif intérêt par quiconque, sans être ignorant de la géométrie, désire, sans grand travail, cesser de l’être sur l’histoire de ses progrès. Les notes s’adressent à ceux qui, sachant beaucoup déjà, comprennent les difficultés et, pour les faire disparaître, ne reculent devant aucun effort. Chasles, sans sortir de son sujet, s’applique, dans un beau dénouement, à élargir le fleuve dont il a montré les sources. On lit peu cette troisième partie, mais on l’étudie, et on s’en inspire.

Le succès fut éclatant, non universel. L’Aperçu historique, nous ne devons pas le taire, mécontenta le plus compétent et le plus illustre des juges, l’auteur du Traité des propriétés projectives. De grands géomètres, croyant se connaître en démonstrations, - Cauchy est du nombre, - tout en admirant le beau livre de Poncelet, y avaient contesté, à quelques assertions trop hardies, la complète rigueur dont la géométrie est fière. Défiant et inquiet, Poncelet ne pouvait souffrir aucune critique. Toute réserve pour lui était une agression, et toute réticence une perfidie. En faisant l’histoire de la géométrie, Chasles, en présence d’une si grande matière, veut la contempler d’une haute vue, et, sans complaisance pour personne, peser dans les mêmes balances les anciens et les modernes. Poncelet tient sa place, comme Desargues et Apollonius ; l’accent pour eux est le même. L’historien aurait pu, sans injustice, relever un peu davantage le rôle qu’a joué dans la science son illustre prédécesseur.

Chasles, en suivant l’ordre des dates, fait le dénombrement des méthodes de transformation ; celle de Poncelet est placée la neuvième ; il lui refuse l’avantage d’une entière nouveauté. « Cette belle théorie, dit-il, rentre dans celles de La Hire et de Le Poivre pour les figures planes, mais elle n’avait pas été connue pour les figures à trois dimensions. »

Chasles dit ailleurs, et il dit vrai : « La théorie des polaires réciproques que les élèves de Monge puisèrent dans les écrits de cet illustre professeur, dont il fut fait d’abord quelques usages particuliers, et sur laquelle le célèbre auteur du Traité des propriétés projectives a appelé toute l’attention des géomètres … » Pas un mot dans cette appréciation n’est contestable, mais pas un ne le deviendrait si l’émule de Poncelet, avec une bienveillance plus empressée, avait salué du titre d’illustre l’auteur d’un livre admirable, aujourd’hui encore éclatant et unique.

L’Aperçu historique fut publié en 1834. Dès l’année suivante, Chasles, dans toute la force de son génie, s’élevant, pour parler dans le style d’alors, vers les régions les plus hautes de la science, publiait plusieurs beaux mémoires sur la théorie de l’attraction.

Newton, Mac-Laurin, Lagrange, Legendre, Gauss, Poisson, Steiner, Jacobi, Dirichlet, et, plus tard, Cayley et Laguerre, ont marqué par leurs efforts tout l’intérêt et toute la difficulté du problème de l’attraction des ellipsoïdes. La solution de Chasles, très différente de toutes les autres, est celle que les maîtres adoptent aujourd’hui, quand ils ne veulent en enseigner qu’une.

Chasles, en même temps, osait aborder l’étude des théorèmes applicables à tous les corps, quelle qu’en soit la forme. L’idée nouvelle et féconde était préparée, il faut le dire, par les travaux de Lamé sur la théorie de la chaleur, mais sans que Lamé lui-même eût fait le rapprochement.

Sous le nom de surfaces isothermes, il avait, sans le savoir, posé les bases de la théorie des surfaces de niveau.

Si son attention s’était portée un seul instant sur l’analogie des deux problèmes, révélée par l’identité des équations fondamentales, il aurait pu, presque sans travail, énoncer, au moins comme probables, quelques-uns des plus beaux théorèmes de Chasles. La démonstration ne se serait pas fait attendre.

Lamé, cependant, ne revendiquait rien. « Facile ou non, disait-il souvent, le rapprochement m’avait échappé. » Si d’ailleurs les résultats pour lui étaient depuis longtemps aisés à découvrir, la route suivie par Chasles n’en révèle pas moins un admirable génie d’invention.

L’étude de l’attraction a conduit Chasles il l’un des théorèmes les plus admirés de la physique mathématique. L’histoire en est singulière.

L’Académie des sciences en reçut l’énoncé dans la séance du 11 février 1839.

Tous les géomètres l’admirèrent. Le théorème n’était pas nouveau. Un géomètre, illustre aujourd’hui, fort ignoré alors, G. Green, l’avait publié depuis dix : ans ; mais son mémoire, imprimé dans une petite ville d’Angleterre, était resté presque inaperçu. Les exemplaires, très peu nombreux : sans doute, introuvables aujourd’hui parce que leur importance est connue, l’étaient alors par une raison opposée.

Gauss, d’un autre côté, présenta le même théorème à la Société de Güttingue quelques mois après la communication de Chasles, comme corollaire d’un admirable ensemble, sans daigner, dans sa riche moisson, signaler cet épisode isolé à l’admiration de ses lecteurs. Les trois découvertes ont été indépendantes. Personne n’en a jamais douté. La publication de Green a précédé les deux autres. Mais Gauss, on le sait, gardait souvent pendant quinze ou vingt ans les plus beaux résultats de ses travaux, quoique, dans ses leçons, il les présentât sans réticences il ses élèves. Mais il suffit de lire le mémoire de Green, pour être absolument certain qu’il n’a rien connu des leçons de Gauss. La question est traitée de toute autre sorte.

Quant à Chasles, le mérite d’avoir trouvé seul le beau théorème ne saurait lui être contesté. Sa publication a précédé celle de Gauss, et aucun exemplaire du mémoire de Green n’avait alors pénétré en France. Chasles, d’ailleurs, lisait fort peu, et, lors même qu’une brochure intitulée : Essai sur la théorie de l’électricité et du magnétisme, aurait passé sous ses yeux, il n’en aurait pas coupé les feuillets. Je lui ai entendu dire dans un cas analogue, tout simplement et sans songer qu’on pût s’en étonner : « Qu’est-ce que vous voulez que j’y comprenne ? » Chasles s’élevait très haut dans la science et aimait qu’on le suive, mais il ne suivait personne.

Chasles avait pris rang, sans contestation, parmi les géomètres les plus illustres. L’Académie des sciences, en le nommant, en 1839, correspondant de la section de géométrie, ne s’était pas acquittée envers lui. Il habitait Chartres ; c’était une excuse. Ajoutons, pour ne rien déguiser 1 que les maîtres de la science refusaient alors leur attention à ses études, à leurs yeux trop élémentaires ; ils hésitaient à mettre ses découvertes en balance avec des travaux d’analyse transcendante.

La chaire de géodésie et de machines à l’École polytechnique vint à vaquer par la mort de Savary ; les membres les plus influents des conseils pressèrent Chasles de poser sa candidature. C’était une grave détermination. « J’ai cinquante ans, répondit Chasles, jamais je n’ai été professeur, je ne veux point l’être, ni surtout enseigner ce que moi-même il me faudrait apprendre. Insouciant des choses inconnues,je poursuis à Chartres, heureux et content, les études de toute ma vie. Vous me demandez l’impossible ! » On insista pourtant. Tout en se persuadant, sans aucun doute, que la géométrie, si fortement empreinte en son esprit, lui rendrait la tâche très légère ; on espérait surtout, pourquoi dissimuler ces faiblesses ? - en écartant un concurrent non moins illustre et très désireux du titre de professeur, satisfaire de nombreuses inimitiés ; c’était là le véritable motif. Le séjour de Chasles à Paris rendait possible la réalisation de la seule ambition qu’il ait jamais eue, son entrée à l’Académie. Chasles se résigna. L’Académie, pourtant, lorsque cette objection fut écartée, ne le nomma qu’après deux échecs ; elle lui préféra Lamé d’abord, puis un savant de moindre renommée, dédaigneux cependant d’un concurrent qu’il n’avait jamais rencontré dans les hautes régions de la science et se déclarant humilié par une telle lutte. Le genre de travaux de Chasles déconcertait la tradition. Le nom spécieux de mathématiques transcendantes semblait justifier alors un préjugé, aujourd’hui complètement aboli. En voyant Chasles, sur sa modeste route, forcer l’admiration et associer son nom aux plus illustres du siècle, on a compris enfin que si l’homme quelquefois, comme l’a dit Pascal, passe infiniment l’homme, la science elle-même, dans la variété infinie de ses branches, ignore les hiérarchies et les inégalités.

L’enseignement de la géodésie et de la théorie des machines détournait Chasles de la géométrie. Une chaire crée pour lui à la Faculté des sciences l’y ramena. Il se proposa de rechercher jusqu’à l’origine, et de porter à la dernière perfection l’exposition et le classement de ses méthodes. Trois ouvrages ont résumé son enseignement ; leur succès fut immense.

Chasles connaissait le prix du temps, mais le croyait fort bien employé à remplir les devoirs de société.

Le premier de tous, pour lui, était d’aimer ses confrères et de se faire aimer d’eux. Sa maison devint le centre préféré des réunions académiques. Les plus rebelles aux distractions mondaines se faisaient un devoir, et bientôt un plaisir, d’accepter ses invitations affectueuses et pressantes. La bonté de Chasles était pour tous franche et sereine, et sa cordialité communicative. Tous étaient appelés. Quelle que fût l’ardeur d’une lutte académique, Chasles tenait chez lui la balance complètement égale. S’il invitait un des concurrents, il était rare que, le même jour, ou la semaine suivante, on ne trouvât pas l’autre à sa table.

L’Académie des sciences, pour Chasles, était une famille, chacun s’y devait à tous, et il donnait l’exemple. Il serait difficile de révéler, en entrant dans le détail, sa bienveillance vigilante et active, son empressement à éviter à un confrère toute blessure d’amour-propre. Un sourire, un serrement de main, une exclamation émue, ne peuvent ni se mesurer ni se décrire. Je veux cependant citer un exemple. J’avais traduit en français quelques beaux mémoires de Gauss ; le grand géomètre, en me remerciant, termina sa lettre en jugeant avec un injurieux dédain, comme indignes de réponse, les critiques récentes d’un savant français. Je communiquai à Chasles cette condamnation venue de si haut : « A qui avez-vous fait voir cette lettre ? » me demanda-t-il aussitôt. Un seul ami l’avait vue, c’était Alfred Serret ; il en avait ri. Chasles s’en attrista : « Je vous en supplie, me dit-il, que cette phrase cruelle reste entre nous ! Celui qui y est nommé ne s’en consolerait pas. » Pour toute réponse, je tendis la lettre à M. Chasles. « Acceptez-la, lui dis-je, pour votre collection ; vous serez juge du jour où on pourra la montrer. » Chasles aimait mieux faire des cadeaux que d’en recevoir ; il n’hésita pas cependant, enferma la lettre dans son tiroir, et, sans dire une parole, me pressa la main avec émotion. Dès le lendemain, il m’apportait en échange, et me forçait d’accepter, un précieux autographe de Gauss. C’était le résumé inédit, écrit pour La Place, du beau mémoire sur l’attraction des ellipsoïdes. La démonstration est réduite au plus petit nombre de lignes qu’il soit possible ; il semble que Gauss ait voulu, à l’avance, vaincre en simplicité le mémoire tant admiré de Chasles sur le même sujet. Ce petit chef-d’œuvre, calligraphié par son illustre auteur avec une sorte de coquetterie, se trouve aujourd’hui à Stockholm, parmi les papiers laissés par Mme de Kovalevsky, qui l’avait admiré, et à qui j’en avais fait don.

La politique n’avait pas accès chez M. Chasles. On rencontrait chez lui des personnages haut placés dans l’État, d’autres aussi, et souvent le même jour, notoirement hostiles au gouvernement ; tous recevaient le même accueil. M. Chasles ne recherchait ni ne fuyait les réunions officielles ; il se montrait aux Tuileries quand on l’y invitait. En répondant poliment il une politesse qui lui était faite, il ne croyait s’engager à rien. Chasles un jour invita ses confrères dans la grande et belle habitation de Chartres où s’était écoulée sa jeunesse, transformée aujourd’hui en collège de jeunes filles. C’était peu de jours avant une élection politique. Le préfet du département, informé, j’ignore par quelle voie, des préparatifs d’une réunion nombreuse, - nous étions beaucoup plus de vingt, il saisit l’occasion de montrer son zèle. Au moment de l’arrivée du train, il se promenait sur le quai de la gare ; il salua M. Chasles, et, tout en observant les physionomies, reconnut un camarade de collège : c’était Henri Sainte-Claire-Deville, qui, confident de ses alarmes, eut la malice de les accroître par ses mystérieuses réticences. Dans l’après-midi, inquiet et curieux, le préfet, affrontant un accueil un peu froid, vint demander à M. Chasles la permission de saluer les personnages éminents dont la présence honorait la ville de Chartres. Les personnages éminents, séparés en petits groupes, se promenaient dans le jardin où Chasles à chaque pas racontait un souvenir d’enfance. Il s’interrompit pour recevoir le préfet, et lui fit faire un tour de jardin pendant lequel il put entendre Mangon parler de machines agricoles ; M. Mathieu, d’additions à la Connaissance des temps ; Henri Sainte-Claire-Deville, des minerais de platine ; Decaisne, de la culture de la garance, et Jamin, de la machine de Ruhmkorff.

M. Chasles, en le reconduisant, lui fit traverser la salle à manger, où il jeta un regard inquiet sur l’immense table autour de laquelle, il n’en doutait pas, devaient être prononcés de compromettants discours ; il avait aperçu, symptôme grave, dans cette réunion suspecte, de hauts dignitaires de l’Empire et, fait plus grave encore, des aspirants à ses faveurs. Le télégraphe les dénonça immédiatement.

Cette petite scène fut trouvée comique à Chartres et ridicule à Paris. Chasles lui-même, habituellement d’humeur peu médisante, en faisait volontiers le conte.

Les bibliothèques publiques de Bruxelles et de Chartres n’avaient pu être, pour la composition de l’Aperçu historique, des ressources suffisantes. Chasles, pour se procurer les livres utiles d’abord, et bientôt ’ pour accroître sa précieuse collection, ne reculait devant aucune dépense ; il avait réuni, jeune encore, une des plus belles bibliothèques mathématiques de l’Europe ; il l’accrut pendant toute sa vie. Chasles, en même temps que le goût des livres, avait celui des autographes. Les siens étaient curieusement choisis ; il les montrait volontiers, et les prêtait à quiconque pouvait en faire usage. Toute pièce portant sa marque était, sans qu’il fût besoin d’autre preuve, tenue pour authentique. On sait quelle tromperie l’a aveuglé, et de quelles fraudes il a été dupe. Sa mésaventure a fait plus de bruit qu’elle ne mérite.

Chasles portait dans l’histoire toute la géométrie de son esprit. Sur les pièces authentiques, son jugement était sûr et profond. Les ruses grossières d’un fripon l’ont livré sans défense à d’étranges illusions et à d’insupportables erreurs. Chasles parlait plus tard de ses mécomptes avec une spirituelle résignation. Le faussaire Vrain-Lucas, condamné à deux ans de prison, et redevenu libre à l’expiration de sa peine, réussit à faire de nouvelles dupes. On le condamna pour récidive à trois années de prison. « N’aurait-il pas mieux valu, disait Chasles avec bonne humeur, le condamner tout de suite à cinq ans ? »

Newton, directeur de la Monnaie de Londres, poussait la prudence plus loin encore. Consulté sur la peine à infliger à un faux monnayeur : « Mon humble avis, répondit-il, est qu’on le pende ; cela vaudra mieux que de lui laisser chance de s’échapper pour faire encore de la fausse monnaie. »

Si Chasles, après la publication de l’Aperçu historique, avait terminé sa carrière, il n’en aurait pas moins mérité cette louange souvent répétée, parce qu’elle est juste : « Tous les géomètres de l’Europe sont les disciples de M. Chasles. » Notre confrère, pendant un demi-siècle encore, devait planer sur son vaste domaine sans reposer un instant son aile. Comme aux jours de.son enfance au lycée impérial, il abordait des problèmes sans nombre et ne les quittait jamais sans les généraliser et les résoudre.

Je questionnais récemment, sur le détail de ses études, un des meilleurs élèves d’une classe préparatoire à nos grandes écoles scientifiques. Très souvent, je dois l’avouer, il me fallait, pour comprendre ses réponses, demander des explications. La coutume s’est introduite chez nos écoliers, comme aussi chez leurs maîtres, de mêler l’érudition à l’enseignement. La leur consiste à associer à chaque énoncé, si insignifiant qu’il soit, le nom d’un inventeur présumé. C’est par centaines que, pour abréger, dit-on, on rend aujourd’hui classiques des noms obscurs destinés, quoi qu’on fasse, à un complet oubli. Je demandai au jeune érudit : « A quel théorème associez - vous le nom de Chasles ? - A aucun, me répondit-il ; il y en aurait trop ! »

A ce mot très caractéristique d’un écolier.j’ajouterai le jugement d’un maître. En admirant le nombre et l’éclat de ses découvertes, un illustre géomètre anglais a pu s’écrier, longtemps avant la mort de notre confrère : « M. Chasles est l’empereur de la géométrie. »

J. Bertrand, de l’Institut.

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