De Paris à Rio de Janeiro en 42 minutes et 11 secondes

A. Redier, La Nature N°520 — 19 mai 1883
Samedi 7 mai 2011 — Dernier ajout vendredi 15 août 2014

Les lecteurs de La Nature savent que ce n’est point un journal de réclames financières, mais cela ne nous dispense point de les rassurer sur les entrainements de ce titre. Ce n’est point une amorce à un appel de fonds.

Il s’agit de monter en wagon à midi, de donner le signal et sans consommer ni vapeur, ni charbon, ni électricité, d’arriver il midi, quarante-deux minutes, onze secondes.

On irait aussi bien de Carpentras à Melbourne ou de Pontoise à Pékin et, ce qu’il y a de plus fort, c’est que le trajet se ferait toujours en 42 minutes 11 secondes.

Sans les frottements on mettrait le même temps pour. aller du Palais-Royal au Louvre ; pour les petites distances, l’omnibus triomphe sur le procédé que nous allons indiquer.

Ce procédé le voici. Il suffit de percer un tunnel parfaitement droit, comme la corde d’un arc du cercle terrestre, joignant les deux extrémités de la ligne.

Posez des rails, supprimez la locomotive, graissez les tourillons et laissez aller. C’est tout. Quels que soient les points du globe que vous joigniez ainsi par un tunnel vous irez d’une extrémité de la ligne à l’autre en 42 minutes 11 secondes.

Ce tunnel traverserait-il la sphère de part en part en passant par son centre, les choses marcheraient de même.

Percez-le, ce tunnel, le plus long qu’il soit possible de faire en ligne droite. Jetez-vous avec, confiance dans ce tube et vous arriverez sans secousse avec la lenteur du départ, au sud de la Nouvelle-Zélande, si l’embouchure est à Paris, et toujours en 42 minutes.

Il sera convenable de se jeter la tête la première pour ne pas arriver la tête en bas à la station terminale. Il sera bon aussi d’avoir un ami à l’arrivée pour vous y retenir …

Ces résultats absolument corrects reposent sur des théories analogues à celles qui régissent les oscillations d’un pendule, On sait, en effet, que si une masse attachée à l’extrémité d’un fil oscille dans l’espace, la durée de ces oscillations sera la même quelle que soit leur étendue, si les arcs ne dépassent point quelques degrés.

Les horlogers ont tiré grand parti de ce principe, et c’est ainsi qu’une horloge n’en demeure pas moins réglée, quoique la force motrice qui maintient le balancier en mouvement varie du double au simple.

S’il était possible d’attacher une balançoire assez haut pour qu’un arc décrit de Paris à Versailles ou de Paris à Saint-Cloud, ne différât point sensiblement de la forme cycloïdale, ou parcourait ces deux distances dans le même temps et l’impulsion une fois donnée, il ne suffirait que d’entretenir cet immense tic-tac dans son étendue.

Mais traçons la figure ci-contre dans laquelle le cercle ABC représente la circonférence de la terre, B Paris, A Rio-Janeiro et A B un tunnel qui les joint.

Un train est abandonné à lui-même en B ; il descend lentement vers I ; mais il ne tarde pas à acquérir une vitesse qui atteint son maximum en I. Cette vitesse dont le chiffre 42 minutes peut donner une idée, s’altère peu à peu et revient à zéro lorsque le train touche à l’extrémité du tunnel en A.

Il ne s’agit plus que de caler les roues à l’arrivée pour empêcher le tout de faire une seconde descente avant d’avoir déposé les voyageurs. Si on laissait le train sans l’arrêter à l’arrivée, il irait tout seul indéfiniment de A en B et de B en A, et toujours en 42 minutes 11 secondes.

De B en R les choses se passeraient de même, comme aussi de E en C.

Les lecteurs, nous allions dire les actionnaires, nous font quelques objections. Il y en a beaucoup il est vrai. Une surtout qui dispense de développer toutes les autres, c’est que si ce tunnel supposé exécuté, on s’engageait sur la voie on aurait à subir des pressions tellement considérables qu’il va falloir recourir à des expédients pour en exprimer l’énormité.

Ainsi supposons que le point I soit situé à la cinquième partie du rayon terrestre E 0, la pression y serait de 34547 atmosphères multipliées par 10 élevé à la 58° puissance ; 65 chiffres seraient nécessaires pour représenter ce nombre.

Si El est 1 et IO est 4 on aura pour pression en l, 168600 atmosphères multipliées par 10 élevé à la 71e puissance, nombre composé de 78 chiffres. Si I est au milieu du rayon de la Terre la pression sera 194240 atmosphères multipliées par 10 élevé à la 175e puissance (132 chiffres). Enfin au centre de la Terre la pression devient 32000 multiplié par 10 élevé à 10 169e puissance, soit 175 chiffres.

C’est formidable.

Si on réduit la question à une pression de 5 atmosphères la plus haute que l’homme puisse supporter, on ne pourrait guère aller que de Calais à Marseille par ce procédé si on ne tient pas compte bien entendu des résistances de l’air qui seraient d’ailleurs un empêchement à la réalisation de ce projet.

Mais pourquoi creuser des tunnels, nous dit un enthousiaste ? Qu’on fasse un pont tangent à la surface du globe dont les stations d’arrivée et de départ seraient à la même altitude et vous n’aurez plus à opposer ces énormes pressions. La durée du trajet serait plus longue, voilà tout. On irait ainsi du Canigou à la Yungfrau qui sont à peu près à la même altitude.

Ce perfectionnement, avons-nous répondu, peut faire monter les actions, mais feraient surtout monter les voyageurs à des altitudes désagréables, et les embarcadères ne seraient pas à la portée de tout le monde.

L’enthousiaste nous à quitté mécontent, et nous, nous nous sommes mis à recueillir ces notes qui sont extraites d’un travail extrêmement curieux et savant de M, Ed. Collignon, ingénieur en chef des ponts et chaussées. Ce travail avait été présenté au Congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences qui a eu lieu à La Rochelle.

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