H.-A. Rowland (1848 — 1901)

La Revue Générale des sciences pures et appliquées — 30 mai 1901
Dimanche 13 mars 2011 — Dernier ajout mercredi 10 janvier 2024

Le savant éminent que la jeune école des physiciens américains considérait comme son chef vient de mourir à l’âge de 53 ans, alors que l’on pouvait attendre encore beaucoup de son esprit ingénieux et fécond et de sa remarquable activité. Dans la courte période de sa vie scientifique, embrassant moins de trente années, il a touché aux questions les plus diverses. apportant, dans tous ses travaux, une recherche rare de la perfection, un esprit fin et ingénieux, une hardiesse que n’arrêtaient pas les difficultés.

Rowland ne se mit aux études physiques qu’après être sorti de l’école, où son éducation avait été celle de l’ingénieur, et il semble que tous ses travaux, jusqu’aux derniers accomplis, aient gardé le reflet de la première voie qu’il avait suivie. C’est, en effet, un travers commun à toutes les écoles, d’envisager, dans une recherche de Physique, le résultat sans s’attacher suffisamment aux moyens, de construire, de pièces et de morceaux, un appareil de premier jet, que l’on modifie ensuite d’une façon continue, et dont on ne fait un plan d’ensemble que lorsqu’il s’agit d’en donner la description dans une publication définitive. Ce n’est point ainsi que procède l’ingénieur. Pour lui, le résultat théorique est secondaire ; l’objet principal est la construction, machine, pont, hangar, voie navigable ou carrossable. Il ne peut pas demander au public d’employer des trésors d’ingéniosité pour utiliser une route mal faite, comme le physicien s’impose à chaque instant des efforts qu’un peu plus de première préparation lui aurait souvent épargnés. Rowland avait importé dans la Physique des idées d’ingénieur, et c’est là. peut-être surtout que gît le secret de ses succès.

La première publication de Rowland date de 1872, et se rapporte au magnétisme du fer ; il la compléta ultérieurement par des recherches sur le magnétisme du cobalt et du nickel. Il était déjà tout à fait de la jeune École, et parlait de la perméabilité magnétique de ces métaux, expression très neuve, et que, dans les analyses qui parurent de ses travaux, on ne manquait pas de mettre entre guillemets. Nommé professeur à l’université Johns Hopkins, il obtint bientôt un de ces congés prolongés que la libérale organisation des universités américaines rend possibles, et qu’il vint passer dans le laboratoire de Helmholtz, récemment nommé à Berlin. L’illustre physicien était alors tourmenté par la vérification des idées de Weber sur le courant électrique, envisagé comme un transport réel de particules, ou comme une convection, ainsi qu’on désigne aujourd’hui ce phénomène. Les conséquences vérifiées des idées de Weber ne lui semblaient, en effet, pas suffisantes pour prouver l’exactitude du point de départ, car la même forme mathématique aurait Pou être interprétée de bien des façons diverses. Mais Ii pensait que cette idée pourrait être mise à l’épreuve par la mesure de l’action électro-magnétique d’une charge réelle animée mécaniquement d’un mouvement rapide. M. Schiller avait fait déjà, sous la direction de Helmholtz, une expérience dans ce sens ; mais le résultat avait été négatif. Le jeune professeur de Baltimore vint alors proposer un nouveau plan d’expériences, qui aboutirent, en 1876, au résultat classique connu sous le nom de phénomène de Rowland. Ce résultat eut une grande importance pour le développement ultérieur de la théorie des ions. On admit définitivement qu’une charge électrique en mouvement est assimilable à un courant, et ou partit de là pour expliquer, par le déplacement de charges entrainées par la matière, l’existence des rayons cathodiques, le phénomène de Leeman, certains phénomènes de l’aurore polaire, ceux que présentent les corps radioactifs, etc. Aujourd’hui, l’interprétation donnée par Rowland des déviations observées a été remise en question par les recherches de M. Crémieu ; déjà, on avait relevé quelques contradictions, par exemple dans l’expérience de Hertz, suivant laquelle les rayons cathodiques, dans un tube à vide plat, n’exercent aucune action électromagnétique appréciable sur l’extérieur, alors qu’on peut, à l’aide d’une boussole, dessiner les lignes de force telles qu’on les déduirait du calcul.

Il y a évidemment encore, dans les expériences de Rowland et dans celles de M. Crémieu, des conditions qui nous échappent ; mais, les premiers résultats dussent-ils être abandonnés, que le développement de théories aujourd’hui encore fructueuses ne leur serait pas moins redevable d’un progrès très grand.

Ses recherches sur les diélectriques eurent moins de retentissement, bien que partant d’une idée théorique fort intéressante. Rowland pensait que les résidus diélectriques sont dus à l’orientation diverse des cristaux, et il en concluait qu’un cristal unique devait être absolument dépourvu de résidus. Il pensa en trouver la preuve dans le fait que les résidus sont considérables dans le verre, beaucoup moins dans le quartz, et inappréciables dans le spath d’Islande. Il admettait ainsi que le verre est un corps formé d’une infinité de petits cristaux, le quartz un cristal souvent maclé ; enfin il admit qu’il avait opéré sur un cristal unique de spath. Aujourd’hui, les idées se sont un peu modifiées ; on possède une théorie satisfaisante des déformations résiduelles, et le résidu diélectrique se rattache si simplement à des modifications chimiques, à une électrolyse véritable, qu’il est il peine besoin d’y insister dans l’exposé de la théorie, Le quartz contient parfois des impuretés. de l’eau et de la soude notamment, et l’électrolyse n’y est pas invraisemblable. Cependant, il pourrait être intéressant de reprendre les expériences de Rowland avec du quartz fondu. Dans son idée, les résidus devraient être beaucoup plus importants, tandis que, dans celles qui prévalent aujourd’hui, ils devraient avoir à peu près disparu.

Depuis une vingtaine d’années, les recherches de Rowland furent moins guidées par des idées théoriques que par le désir d’arriver au maximum de la perfection dans la mesure considérée elle-même comme un but, comme s’il avait vu de bonne heure que la théorie est souvent décevante, et qu’il est du devoir de tout physicien doté de grands moyens, de fournir à la Science des données précises et qui resteront, pour un temps, indiscutables. Son premier travail de Métrologie fut une détermination de l’équivalent mécanique de la calorie par une méthode directe de consommation de travail dans un calorimètre, recherche exécutée de main de maître, et qui est. aujourd’hui encore, le document le plus certain que nous ayons sur cette constante fondamentale, obtenue sans l’intermédiaire de l’énergie électrique. Pour la première fois, Rowland annonça que la chaleur spécifique de l’eau diminue, lorsque la température augmente, jusque vers 30°, passe par un minimum, et remonte ensuite, donnée précieuse pour la calorimétrie et la thermochimie, ainsi que pour la théorie des nombreuses anomalies auxquelles l’eau est soumise.

Le propre d’une détermination bien faite est souvent d’admettre ultérieurement des corrections certaines. Il en fut ainsi du travail de Rowland, dont on put, récemment, améliorer un peu le résultat li. la suite des progrès réalisés en Thermométrie, en rectifiant ses mesures de températures par une comparaison de ses thermomètres avec des étalons issus du Bureau international des Poids et Mesures. II est très remarquable que le résultat obtenu directement par Rowland présente un accord presque parfait avec celui des mesures exécutées par les procédés électriques. Cette concordance constitue une vérification précieuse pour l’ensemble de ces dernières, dont la précision a plus que décuplé depuis une vingtaine d’années.

La plus fondamentale des mesures électriques est celle de l’ohm ; Rowland y consacra aussi un important travail, avec M. Kimball, et le résultat qu’ils donnèrent passe pour l’un des meilleurs de ceux, très nombreux, qui se sont accumulés en vue de la Conférence des Électriciens, de 1884.

Dans la décade qui suivit, Rowland s’adonna aux travaux d’Optique, et, reprenant la question par l’origine, commença par perfectionner extraordinairement l’outillage des spectroscopistes, en confectionnant les merveilleux réseaux de très grande étendue, et d’une perfection inconnue jusque là, au moyen desquels toutes les bonnes mesures en Optique — à l’exception de celles mettant en jeu les procédés interférentiels directs — ont été exécutées dans ces dernières années. Par l’étude approfondie du métal des réseaux, par la construction d une vis très parfaite, d’un tracelet à longue marche rectiligne, par la réalisation d’un ensemble de précautions nécessaires li observer, Rowland arriva à couvrir des surfaces supérieures à un décimètre carré de lignes parallèles, il raison de cinq cents ou plus au millimètre, tracées sur des surfaces planes ou concaves, et donnant des spectres d’une pureté et d’un éclat incomparables.

Tout naturellement, il fut le premier à se servir d’un outillage aussi parfait, et détermina un très grand nombre de raies soit dans le spectre de l’arc, soit dans le spectre solaire, constituant ainsi un document de référence de premier ordre, auquel on rapporte aujourd’hui les longueurs d’onde inconnues. Avec les travaux classiques d’Angström et de M. Thalèn, le spectre de Rowland constitue le document métrologique le plus complet que l’on possède sur la distribution des raies identifiées. Il con vient de dire, cependant, que, en ce qui concerne les longueurs d’onde absolues, les nombres peuvent être déjà un peu améliorés en tenant compte des recherches exécutées au Bureau international par M. Michelson. La méthode plus directe employée dans ces mesures ne fait intervenir aucune difficulté théorique, et permet d’arriver par des procédés interférentiels jusqu’au mètre. tandis que la méthode des réseaux oblige à faire une détermination sur une longueur moindre pour connaître la constante de l’instrument, et laisse un peu plus d’incertitude sur le résultat. En fait, la divergence entre les nombres de Rowland et ceux de M. Michelson est un peu plus grande qu’on aurait pu s’y attendre, étant donné la grande habileté du physicien de Baltimore ; elle nous confirme dans l’idée que l’exécution d’une mesure de longueur est, en réalité, hérissée de plus de difficultés qu’on ne le croit communément. De plus, le rapport des longueurs d’onde mesurées du rouge au violet varie un peu, ce qui pourrait faire croire à une imperfection encore ignorée dans la théorie des réseaux. C’est là un point délicat, et auquel il conviendrait de consacrer une étude approfondie.

Cette vie si bien remplie, la perfection des travaux dans tous les domaines avaient donné à Rowland une situation importante aux États-Unis et dans le monde entier. Ayant appliqué une critique Serrée il. ses propres travaux, il avait pour ses résultats une estime très naturelle et très légitime, et les défendait, avec une certaine véhémence, du procédé des moyennes, ce qui l’a fait accuser de manquer de modestie. Lui, au contraire, après avoir considéré comme un premier devoir l’exécution irréprochable d’un travail, pensait que le second était d’en assurer le bénéfice à la science, en le gardant du mélange ; il y fallait sans doute plus de courage que de présomption, car Rowland ne pouvait ignorer que, si la seconde impression devait être l’admiration, le premier sentiment serait de sourire.

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