L’origine béarnaise de la famille de Lamarck

Lousi Batcave, Revue Scientifique - 9 Octobre 1909
Samedi 21 février 2009 — Dernier ajout mardi 15 juin 2010

« Y a-t-il des détails oiseux, s’ils ont pu influer sur la formation d’un aussi grand esprit que celui de Lamarck », écrivait ici-même ( [1]) M. Landrieu en racontant les origines de la famille du célèbre savant ?

Il a paru intéressant de reproduire le fragment relatif à ces origines de sa biographie écrite par un professeur américain ( [2]). Nous le ferons suivre de quelques courtes observations s’appliquant tant aux renseignements fournis par M. Packard qu’à l’étude de M. Landrieu, et ayant pour but de préciser que les ancêtres de Lamarck étaient Béarnais. Il sera loisible aux généalogistes et aux curieux de compléter des recherches sur lesquelles nous voulons seulement ici appeler l’attention.

I

Voici comment s’exprime M. Packard. « La famille de Lamarck, ainsi que le dit M. Masson ( [3]), malgré son nom septentrional et presque allemand de chevalier de Lamarck, était originaire du sud-ouest de la France. Quoique né à Bazentin, dans la vieille Picardie, il n’en est pas moins vrai qu’il descendait du côté paternel d’une ancienne maison de Béarn, dont le patrimoine était très modeste. Cette maison était celle de Monet. Un autre généalogiste, le baron G. de Cauna ( [4]), nous dit que, sans aucun doute, la famille de Monet en Bigorre était divisée. Un de ses représentants formait une branche en Picardie sous le règne de Louis XIV ou plus tard. Le grand-père de Lamarck, Philippe de Monet, « seigneur de Bazentin et autres lieux », était aussi « chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, commandant pour le roi en la ville et château de Dinan, pensionnaire de Sa Majesté ». Les descendants de Philippe de Lamarck étaient, ajoute M. de Canna, ainsi divisés en deux branches, ou du moins deux rejetons ( [5]) près de Péronne. Mais l’actuelle postérité des Monet de Picardie était réduite à une simple

famille, revendiquant, avec bonne raison, une origine mêridionale. Un de ses rejetons du côté maternel était un brillant officier de la marine militaire et aussi gendre d’un très distingué officier de marine.

« La famille de Monet était représentée, dans la noblesse française de 1789, par MM. de Monet de Caixon et de Monet de Saint-Martin. Par mariage, leur petit-fils fut apparenté avec une honorable famille de Montant près de Saint-Sever-Cap.

« Une autre autorité, l’abbé J. Dulac, a ajouté une lumière nouvelle sur la généalogie de la famille de Lamarck, qui, comme on peut le voir, fut au moins pendant trois cents ans une famille militaire ( [6]) . La famille de Monet, seigneurs de Saint-Martin et de Sombrun, fut maintenue famille noble par ordre du Conseil Royal de l’État du 20 juin 1678. Le descendant (I) de Bernard de Monet (l’écuyer), capitaine du château de Lourdes, qui avait comme fils (II) Étienne de Monet (écuyer) qui, par un contrat daté du 15 mit 1543, se maria avec Marguerite de Sacaze. Il était le père de (III) Pierre de Monet, châtelain « seigneur d’Ast, en Béarn, guidon des gendarmes de la compagnie du roi de Navarre ». De lui, descendait (IV) Étienne de Monet, châtelain, second du nom, « seigneur d’Ast et Lamarque, de Julos ». Il était capitaine par le rang et acheta la propriété de Saint-Martin en 1592. Il épousa, en 1612, Jeanne de Lamarque, fille de William de Lamarck, « seigneur de Lamarque et de Bretagne. » Ils avaient trois enfants dont le troisième était Philippe, « chevalier de Saint-Louis, commandant du château de Dinan, seigneur de Bazentin, en Picardie » qui, comme nous l’avons déjà vu, était le père du naturaliste Lamarck qui vécut de 1744 à 1829. L’abbé dit que Philippe, le père du naturaliste, était né à Saint-Martin, dans le centre du Bigorre, en pleine Bigorre, et il ajoute très nettement que les « Bigorrois ont le droit de revendiquer pour leur pays de fleurs une des gloires de la botanique » ( [7]).

Le nom fut d’abord écrit de façon différente, de Lamarque, de la Mark, de Lamarck. II signait lui-même son nom simplement Lamarck, quand il remplissait les fonctions de secrétaire à l’assemblée administrative du Musée d’histoire naturelle sous la première République.

L’enquête a pour but de savoir comment, étant le onzième enfant, il acquit le titre de chevalier qui, naturellement, eût été éteint par la mort du fils aîné. L’abbé Dulac insinue que les dix enfants plus âgés étaient morts ou bien que, par quelque arrangement de famille, il lui fut. permis d’ajouter le nom domanial à son nom patronymique. Certainement, il ne déshonora jamais le nom de sa famille qui, sans lui, serait resté dans l’obscurité.

II

A vrai dire, il importe de se méfier de la généalogie de Don Caffiaux, de l’antiquité des barons de Lamarque, de ce désir des Lamarque du Sud-Ouest de se rattacher à une ancienne famille de ce nom. Que dire de l’arrêté du roi d’Aragon, reconnaissant la nobilité de la maison de Monet à Pontacq (Béarn), après enquête confiée à l’official de Tarbes ! Dans quel titre authentique figure le capitaine du château de Lourdes ? Ce sont là fantaisies généalogiques — habituelles cependant — pour se constituer des aïeux. La vérité est plus simple, plus modeste aussi.

Esteben de Monet, qu’on appellera Étienne, en français, était un bon marchand de Nay, en Béarn, qui, le 19 mai 1580, achetait à Bernard de Fossa une propriété à Pontacq ; de plus riche, puisque nous le voyons donner, le 6 septembre, 50 écus aux pauvres de cette paroisse, et que, le 11 novembre 1592, les consuls de la petite ville de Saint-Pé (Hautes-Pyrénées), désireux de réparer et fortifier la coupole de l’église abbatiale et toutes ses dépendances, à l’approche des troupes du Roi et de celles de la Ligue, lui empruntaient 100 écus. Sa femme, non point Marguerite de Béarn de la Caze, mais simplement Marguerite de Sacaze, avait acquis, le 23 avril 1581, une pièce de terre à Pontacq, pour 269 écus environ. Elle dut devenir veuve en 1593, et n’abandonna point le domaine patrimonial de Nay, qu’elle arrondissait en 1594.

Pierre de Monet, issu de cette union, est qualifié à tort, par certaines généalogies, de seigneur d’Aast, puisque la dîme de cette paroisse fut acquise par Jeanne de Caussade, sa veuve, le 15 mars 1600. Son fils, Etienne de Monet, était reçu aux Etats de Béarn, le 25 juin 1610. Dans une transaction du 11 septembre 1611 sur procès pendant au Conseil du Roi, est qualifié « sieur d’Aast, Saint-Martin et autres lieux, de Pontacq » ; il assiste sa mère, Jeanne de Caussade, en face de noble Pierre de Latorte, sieur de Caussade, dans un règlement de famille. Les Monet réclamaient 1.000 écus petits de principal légués par feu noble de Latorte, sieur de Caussade, leur père et grand-père : Le sieur de Caussade s’engagea à payer 2.400 livres tournois, outre l’octroi de certains avantages. A la date du 10 septembre Etienne de Monet, sieur d’Aast, Saint-Martin, avait, vendu à Samson, à Jean de Lacapère et à Suzanne de Lanusse, femme de ce dernier, « la grange, place et jardin, situés à Nay, parsan (quartier) du Mercadet, appelé de Monet », pour 400 francs Bordelais, y compris la somme de cent écus petits dont il avait fait donation à Suzanne, fille de sa mère nourrice.

Le fils d’Etienne de Monet, Joseph de Monet, est qualifié « sieur d’Ast » en 1624 et « noble, seigneur d’Ast, coseigneur de Sombrun en Bigorre, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi » dans la donnée en ferme de la boucherie de Sombrun. ll fut héritier de noble Raymond de Caussade, son oncle,’ seigneur de Sombrun, mort vers 1630 : il acquit, le 4 avril 1640, la haute justice de Sombrun pour 100 livres ( [8]).

C’est ainsi que nous voyons les Monet, marchands noyais du XVIe siècle, devenir de modeste noblesse bigourdane et béarnaise au XVIIe siècle. C’est ainsi que le savant LAMARCK descend d’une famille béarnaise qui alla s’établir en Bigorre ( [9]).

[1Revue Scientifique, n° du 21 décembre 1907, p. 781.

[2Lamarck, le fondateur de l’évolution, sa vie et ses œuvres, avec la traduction de ses écrits sur l’évolution organique, par Alphonse S. PACKARD, M. D. L.L.D., professeur de zoologie et de géologie à l’Université de Brown Longurans, Greva et C°, 4I et 93, Firth Avenue, New-York, London et Bombay, 1901.

[3« Sur la maison de Vielle, les Mortier Trévise el les Montalembert en Gascogne et sur le naturaliste Lamarck » par Hyppolyte MASSON (Revue de Gascogne, XVII, p. 143, I876).

[4Ibid., p. 194.

[5Littéralement « brisures ».

[6Revue de Gascogne, pp. 264-269, 1876. (M. l’abbé Dulac reproduit une ébauche » de la généalogie des Monet, par l’abbé de Vergés.)

[7L’abbé essaie de répondre la question concernant l’origine du nom de Lamarck et dit : L’auteur de l’ Histoire de Béarn considérait le franc-alleu de Marra comme le berceau de la race, paroisse [commune) de Gon [ban (n. Une branche de la famille établie dans le Mognoac, changea son nom en celui de la Marque ». C’était M. d’Ossat qui fit ce changement, en adressant ses lettres M. de Marca (au temps qu’il était précepteur de son neveu), tantôt sous le nom de M. de Marca, tantôt de M. la Marque ou de M. de la Marca, mais plus souvent encore sous celui de M. de la Marque, avec l’intention, sans doute, de faire de lui un Français. Dans la vue, sans doute, de le franciser. » (Vie du Cardinal d’Ossal, t. I, p. 314).

« Pour rappeler leur origine, les branches de Magnoac écrivent aujourd’hui leur nom Marque-Marca. Le Marca de l’historien appartient au Béarn, le Lamarque du naturaliste, un nom dont l’orthographe, en principe, vient de Bigorre, actuellement désigné par Lamarque-Ponlacq ou Lamarque-près-Béarn. Que le Lamarque du botaniste du cabinet royal se distingue de tous les Lamarque de Béarn ou de Bigorre, nous avons de nombreuses prouves qu’il gise de nos jours dans les Hautes-Pyrénées, canton d’Ossun : C’est à quelque distance, Bouscat et Couet tout près de l’abbaque laïque, etc. (Le village ainsi déterminé est appelé tour à tour Marco, La Marque, Lamarque) nom pouvant désigner plusieurs destinations et étant à la merci d’un botaniste Lamarck, La Marck, Delamarque, de Lamarck, qui en déterminera jamais leur nombre ? Quant au dernier, je l’explique seulement par la fantaisie de l’homme qui voudrait se débigorriser afin de se germaniser dans l’espoir, apparemment, qu’à première vue de son nom on le croirait d’outre-Rhin, plutôt que des bords du Gave ou de l’Adour, conséquemment, cent fois plus instruit et cent fois plus digne d’un professorat dans le Musée, où Monet entrerait moins que Lamarque. On pourrait ajouter que le Béarn était une ancienne province du Sud-Ouest de la France presque correspondant au département des Basses-Pyrénées. Sa capitale était Pau. (La traduction de cet extrait de l’ouvrage de M. Packard est due à Mme Clémentine Robin.) L’hypothèse de l’abbé Dulac sur l’orthographe du nom de Lamarck me paraît téméraire. Je serais plus tenté d’y voir la prononciation spéciale de ce nom par des gosiers du Nord qui souvent déforment les noms du Midi, en ce sens qu’ils les ramènent à leur prononciation : Baïle, ba-ï-le en béarnais devient hèle en français ; Peyre, Pè-ï-re devient Père, etc. Ici, l’e de Lamarque s’est élidé.

[8J’ai pu établir ces faits grâce aux notes que M. Léopold Bauby, d’Orthez, a bien voulu me communiquer fort obli geamment. (Archives des Basses-Pyrénées, E 2091, f° 26 v0,56, 80, 123, 131, 159 ; C 705 f° 37 vo ; E 1754 fo 200, 201 ; E 2031, fo 109 vo — Bibliothèque de Tuiles, Glanages de Larcher, XII, p. 322.)

[9Un de ses membres, Jean-Jacques, fils de Henry de MONET, écuyer, seigneur de Salles, Saint-Martin, Lamarque, capitaine-major au régiment d’Herbouville, reviendra à Nay pour son mariage avec une demoiselle de Parage : Il fut le père de Pierre de Monet, capitaine, chevalier de saint-Louis, mort en 1762 (Abbé Dulac, Loc. cit. p. 265)

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