Expériences sur le vol mécanique par M. V. Tatin

Dr François-Franck, La Nature N°192 - 4 Février 1877
Jeudi 13 janvier 2011 — Dernier ajout mercredi 12 janvier 2011

M. Tatin a continué, l’année dernière, dans le laboratoire et avec les conseils éclairés du professeur Marey, les expériences qu’il avait entreprises dès 1874, sur la reproduction mécanique du vol de l’oiseau. Ses principaux résultats ont été développés dans le mémoire qu’il a publié dans les Comptes rendus des travaux du laboratoire du professeur Marey (G. Masson, 1876) ; nous en ferons ici un résumé succinct, forcé de laisser de côté la narration si intéressante des phases qu’a traversées depuis deux ans, et grâce surtout aux études expérimentales de notre ingénieux et persévérant ami, la question de l’aviation. Nos lecteurs pourront du reste se reporter, pour suppléer à l’absence de détails du présent résumé, à un article important signé du nom autorisé de M. A. Pénaud, et inséré dans la Nature (24 avril 1875).

Les efforts de M. Tatin ont sans cesse tendu à la reproduction du vol de l’oiseau sur des schémas plus ou moins compliqués ; il a recherché, sur de petits appareils mis en mouvement par le ressort de caoutchouc qu’avaient employé avant lui MM. Pénaud et Bureau de Villeneuve, quelles étaient les meilleures formes d’ailes afin de les adapter à un grand appareil fonctionnant par l’air comprimé. Après plusieurs essais, il s’est arrêté à l’emploi d’ailes longues et étroites. Wenham avait montré qu’une aile peut avoir une aussi bonne fonction quand elle est étroite que lorsqu’elle est large, et M. Marey avait signalé ce fait, que les oiseaux dont l’amplitude des battements est faible, ont toujours l’aile très longue. Avec ces ailes étroites et longues (fig. 1), M. Tatin a rendu aussi court que possible le temps pendant lequel le voile prend la position convenable pour agir sur l’air pendant l’abaissée.

Étant donné ce fait depuis longtemps établi, qu’un oiseau vole plus facilement s’il peut appuyer son aile sur une grande masse d’air en peu de temps, on comprend que la vitesse de translation maxima sera l’allure la plus avantageuse au point de vue de la réduction de la dépense de force. L’auteur, ne pouvant empêcher que ses oiseaux mécaniques dépensent précisément des forces considérables pour obtenir la vitesse utile, a remédié à cet inconvénient en portant en avant le centre de gravité. Dès lors l’oiseau en plein vol conserve le même équilibre que l’oiseau qui plane, et sa vitesse est en quelque sorte passive, de nouvelles couches d’air inertes venant se placer comme d’elles-mêmes sous ses ailes : toute la dépense de force peut alors être utilisée pour la suspension. C’est ainsi que M. Tatin a pu augmenter le poids de ses appareils sans en augmenter la force motrice, et obtenir un parcours double.

Le mouvement que fait l’aile autour d’un axe longitudinal, et qui lui permet de présenter toujours la face inférieure en avant pendant la relevée, a été obtenu par un organe de l’appareil schématique (fig. 2 et 3).

Cet appareil vu latéralement et par derrière se compose d’un bâti en bois léger, à l’avant duquel sont implantés deux petits supports traversés par un arbre coudé et contre-coudé, de façon à former deux manivelles en vilebrequin, à 90° l’une de l’autre, Cet arbre reçoit un mouvement circulaire d’un ressort de caoutchouc. La manivelle placée sur le plan le plus avancé produit l’élévation et l’abaissée des ailes, qui sont mobiles autour d’un axe commun. Ce même axe est fortement incliné en bas et en arrière par la seconde manivelle, lorsque la première passe au point mort et que les ailes sont au bas de leur course.

Mais l’aile ne doit pas seulement changer de place dans son ensemble ; chaque point de l’aile doit avoir, surtout pendant la relevée, une inclinaison d’autant plus marquée qu’il est plus voisin de l’extrémité ; la partie voisine du corps doit seule conserver sensiblement la même obliquité. M. Tatin a pensé que c’était par le carpe qu’il fallait commander le mouvement de torsion venant s’éteindre graduellement près du corps, et pour l’obtenir avec toute ses transitions, il avait substitué aux ailes de soie qui se plissent, des ailes entièrement construites en plumes très fortes, disposées de telle façon qu’elles arrivassent à glisser un peu l’une sur l’autre pendant les mouvements de torsion : la fonction de cette nouvelle voilure était parfaite ; mais, adaptée au grand oiseau, ces ailes ne donnèrent que des résultats médiocres. L’auteur a donc dû revenir aux ailes de soie, qu’il semble avoir définitivement adoptées.

Grâce à certaines modifications qu’il a fait récemment subir à son grand appareil (léger changement de forme des ailes, variation de l’amplitude des battements, renouvellement de quelques organes de la machine), M. Tatin a pu réaliser un grand progrès. L’oiseau à air comprimé, qui, attelé à un manège, ne soulevait, il y a quelques mois, que les trois quarts de son poids, soulève aujourd’hui son poids entier. Et il faut remarquer que l’appareil doit lutter contre l’inertie du bras du manège, dont le poids est environ de 4 kg ; En outre, les réactions verticales du corps de l’oiseau pendant le vol sont annihilées, aussi bien que ses réactions horizontales par le bras du manège, qui remplit constamment l’office de volant régulateur. Il faudra sous peu débarrasser cet appareil des entraves du manège et le lancer à l’air libre. Il soulève aujourd’hui son poids tout entier. Les expériences présentent donc de grandes chances de succès ; la seule difficulté sera probablement de forcer l’appareil à suivre une route à peu près horizontale ; mais cette question d’équilibre sera sans doute tranchée par une position convenable donnée à la queue.

La fonction des ailes actuelles semble laisser bien peu à désirer, car, en inscrivant leurs mouvements avec les appareils enregistreurs du professeur Marey, M. Tatin a obtenu des graphiques dont la presque identité avec les tracés des ailes normales paraîtra évidente si l’on jette les yeux sur les tracés 1 et 3 de la figure 4. Si ces expériences fournissent l’heureux résultat que tout semble leur promettre, notre patient chercheur se verra enfin en mesure de déterminer la formule qu’il poursuit : il faut tant de kilogrammètres par seconde pour faire voler un poids de tant de kilogrammes.

Nous rappellerons en terminant quelques-unes des conclusions présentées par M. Tatin dans son mémoire : « Pour que l’oiseau puisse se soulever par ses coups d’aile, il faut théoriquement, d’après M. Marey, que le moment de la force motrice soit un peu supérieur à celui de la résistance de l’air, ce dernier ayant pour valeur sous chaque aile, la moitié du poids de l’oiseau multipliée par la distance qui sépare le centre de pression de l’air sur l’aile du centre de l’articulation scapulo-humérale, Mes expériences montrent que, pour les appareils mécaniques, il faut un plus grand excès de la force motrice sur la résistance de l’air.

« Peut-être cet écart entre la force théorique et la force pratiquement nécessaire existe- t-il également chez l’oiseau, dont on n’a pu encore mesurer la dépense de travail pendant le vol.

« J’ai essayé de donner la mesure expérimentale du travail dépensé par une machine qui vole. J’insiste pour rappeler que de pareilles mesures ne représentent pas le minimum de force nécessaire, mais la dépense actuellement faite par mes appareils. »

Dr François-Franck

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