Émile Roux

La Nature n°2918 — 1er décembre 1933
Mardi 18 août 2015 — Dernier ajout mardi 16 avril 2024

La Nature n°2918 — 1er décembre 1933

Après Painlevé, après Calmette, la science française vient de perdre encore une de ses grandes figures : Pierre- Émile Roux, directeur de l’Institut Pasteur.

Né à Confolens en 1853, il fit ses études au lycée de Clermont où Duclaux qui professait le remarqua. C’est ainsi qu’étudiant en médecine il entra à l’École Normale, dans le laboratoire de Pasteur. Le maître fit son disciple de ce jeune chercheur ardent, patient et laborieux et l’associa à ses découvertes. Bientôt Roux et Chamberland furent mêlés aux études sur le charbon et à la fameuse expérience de vaccination des moutons qui eut lieu en Beauce, à Pouilly-le-Fort.

M. Charles Richet, président de l’Académie des Sciences, vient de rappeler ses principaux titres de gloire.

« L’expérience de Pouilly-Fort justement célèbre établit deux faits de souveraine importance qui dominent toute la bactériologie actuelle : c’est d’abord qu’on peut atténuer la bactéridie charbonneuse et ensuite que cette bactéridie charbonneuse atténuée confère l’immunité. Cette expérience décisive (31 mai-2 juin 1881) établit donc ce grand fait dominateur qu’un bacille très virulent peut s’atténuer, et alors, étant atténué, qu’il peut conférer l’immunité (immunité active).

« Une autre expérience aussi importante est due à Roux et à Yersin. En 1883, des bactériologistes allemands Klebs et Lœffler avaient découvert le bacille de la diphtérie. Des lapins, des pigeons, des cobayes meurent quand on leur injecte ce bacille, fait qui est d’une portée immense. Or ce n’est pas le bacille qui produit la mort, mais les toxines qu’il sécrète. Voilà ce que Roux et Yersin ont démontré . Chez les lapins, les cobayes et les pigeons, l’injection du liquide où ont poussé les bacilles, privé de bacilles, mais riche en toxines, provoque exactement les mêmes symptômes mortels que lorsqu’on a injecté les bacilles eux-mêmes (immunisation passive). Ce sont les toxines des microbes et non les microbes qui font la maladie.

« Un autre travail de Roux a donné à son nom une célébrité incomparable. Il s’agit de la sérothérapie antidiphtérique,

« Behring et Kitasato, appliquant à la diphtérie un principe de physiologie pathologique que j’avais deux ans auparavant établi (sérothérapie d’immunisation), avaient montré, qu’on peut guérir des cobayes injectés de diphtérie par des injections d’un sérum provenant d’animaux immunisés. Tout se passe comme si 1 e sérum des animaux immunisés contenait une antitoxine qui neutralise la toxine diphtérique, Mais Roux a étendu énormément à la thérapeutique humaine ces données de la pathologie expérimentale. Il a pu, en effet, dans une communication retentissante faite à Budapest en septembre 1894, prouver : d’abord qu’on peut obtenir des quantités considérables de sérum immunisateur en immunisant des chevaux contre la diphtérie : ensuite que l’injection de quelques centimètres cubes de ce sérum protecteur guérit la plupart des cas de diphtérie, La mortalité par la diphtérie était de 50 % et après les injections de sérum faites à temps, elle n’est plus que de 10 %.

« On s’imagine difficilement l’enthousiasme universel que provoqua la communication de Roux. On proposa alors dans les journaux, et notamment dans Figaro, une souscription publique pour élever un édifice où serait préparé le sérum. On réunit rapidement des sommes importantes. Le service de sérothérapie de l’Institut Pasteur était fondé.

« Est-il besoin de dire que ce qui avait. été fait pour la diphtérie a été fait aussi par Roux et Vaillard pour le tétanos, et pour d’autres maladies encore ?

« De cette magnifique institution qu’est l’Institut Pasteur, après Duclaux, Roux fut le directeur, et en habile et zélé administrateur il lui donna tous ses soins. Il présida à la fondation d’autres Instituts Pasteur en divers pays.

« Il organisa merveilleusement la préparation des sérums, car la sérothérapie prenait chaque jour une extension de plus en plus grande. Il dirigea quantité de travaux mémorables entrepris par ses élèves, travaux qui, s’ils n’ont pas tous été signés par lui, ont été tous inspirés par lui, par son enseignement, par ses conseils ingénieux et judicieux.

« Il a rendu autant de services à l’humanité qu’à la science. Toutes les mères dont les enfants ont été et seront sauvés de l’affreuse diphtérie conserveront le souvenir de cet homme généreux et pur. Il s’est oublié pour elles. »

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