Euphorbiacées

Henri Baillon — Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales — 1888
Mardi 15 juin 2010 — Dernier ajout dimanche 20 septembre 2020

Famille de plantes Dicotylédones, placée jadis dans l’Apétalie, et, plus récemment, parmi les Dialypétales, dans le voisinage des Malvacées. L’idée générale qui, pour beaucoup de botanistes de diverses époques, caractérise cette famille, est qu’elle ne saurait contenir que des plantes à fleurs unisexuées. Ce n’est point là l’opinion de Linné, Mirbel, etc., pour qui les Euphorbes elles-mêmes, qui ont donné leur nom à la famille, ont des fleurs parfaitement hermaphrodites dans la plupart des cas, ou çà et là polygames. Ce n’est point non plus notre opinion personnelle, puisque, outre les Euphorbes, que les recherches organogéniques si remarquables de J .-B. Payer et les nôtres nous ont montrées construites comme celles d’un grand nombre de Malvacées hermaphrodites, nous avons encore attribué à une division de cette famille, voisine des Phyllanthées, les Dichapetalum et autres Chaillétiées des auteurs, dont les fleurs sont normalement hermaphrodites. Dans cet ordre d’idées, nous dirons donc que les Euphorbiacées ont des fleurs hermaphrodites ou unisexuées, régulières ou plus rarement irrégulières, à insertion hypogynique ou quelquefois périgynique. Le périanthe est simple ou double, et souvent, comme dans beaucoup de Croton, Jatropha, etc., il y a une corolle colorée et nettement pétaloïde. Parfois même, dans les Curcas, cette corolle est gamopétale. Le nombre des parties de la fleur varie extrêmement, et le périanthe peut avoir depuis une foliole jusqu’à un nombre indéfini. Cependant les nombres 3 et 5 y sont très fréquents. L’androcée est isostémoné, diplostémoné ou pléiostémoné, rarement réduit à 2, 5 étamines, alors que le périanthe est pentamère. Il y a souvent des staminodes dans les fleurs femelles. De même les fleurs mâles ont souvent au centre un rudiment de gynécée, dont la présence ou l’absence avait été jadis employée à distinguer des tribus dans cette famille. Il n’y a pas beaucoup de familles où les disques prennent un aussi grand développement que dans celle-ci, et on les trouve non-seulement à la hase de l’ovaire, mais aussi au niveau de divers verticilles floraux. Les glandes sont même très fréquentes dans les organes de végétation, notamment sur le pétiole des feuilles. La forme des étamines, surtout des anthères, leur mode de groupement et d’union, sont aussi très variables. Pendant longtemps les Euphorbiacées ont passé pour avoir constamment un gynécée trimère, et c’est de là que leur était venu leur nom de Tricoccées. On savait cependant bien chez nous que les Mercuriales ont souvent le pistil dimère. Aujourd’hui l’on connaît un assez grand nombre d’Euphorbiacées à ovaire uniloculaire, et d’autres à un nombre indéfini de loge ovariennes. Le nombre des branches stylaires est généralement en rapport avec celui de ces loges, mais son caractère, qui varie peu et a pris, par suite, une grande importance dans ce groupe, réside dans le nombre des ovules que contient chaque loge. Il n’est jamais supérieur à deux et se trouve réduit à un seul dans plus de la moitié de la famille. La direction de ces ovules est presque constamment la même : descendants et anatropes, avec le micropyle dirigé en haut et en dehors. Il y a, il est vrai, quelques rares exceptions ; elles répondent à ces cas où les loges de l’ovaire proéminent en haut au-dessus de la base d’insertion du style. Alors l’ovule peut devenir à peu près transversal, ou légèrement ascendant avec le raphé en bas et en dehors ; le micropyle en bas et en dedans. Quand les ovules sont géminés, ils descendent presque toujours collatéralement dans la loge. D’ailleurs les ovules des Euphorbiacées ont le micropylc coiffé d’un obturateur plus ou moins développé, parfois plus volumineux que l’ovule lui-même. Le fruit est ordinairement sec et formé de coques qui se détachent avec élasticité d’une columelle commune, chaque coque s’ouvrant élastiquement, en même temps ou postérieurement, en deux moitiés symétriques, et leur endocarpe se séparant souvent de l’exocarpe. Mais il y a aussi des Euphorbiacées à fruits charnus et qui sont le plus souvent des baies. On a longtemps cru les Euphorbiacées constamment pourvues de graines albuminées. L’albumen existe d’ordinaire, et il est charnu, huileux. Mais il peut aussi faire défaut, surtout dans des genres à loges biovulées, auquel cas l’embryon épais et charnu remplit tout l’intérieur de la graine. Alors les cotylédons sont plus convexes, hémisphériques ou à peu près. Quand au contraire l’albumen abonde. les cotylédons sont foliacés, nervés comme des feuilles. La radicule est généralement supère. Il y a tous les rapports possibles de dimensions entre les cotylédons et la radicule qui est courte, longue, grêle ou épaisse. Il y a aussi des embryons à cotylédons enroulés un grand nombre de fois sur eux-mêmes, dans un petit nombre d’Euphorbiacées. Les graines sont souvent arillées, et l’arille est le plus souvent limité à la région micropylaire. Mais il peut s’étendre aussi au hile et même à toute la surface de la graine. Ces arilles généralisés contiennent des substances variables : un suc acide, de la graisse ou de la cire, etc. Rien n’est plus variable que les organes de végétation. Les feuilles sont souvent alternes, souvent pourvues de stipules, de glandes, etc. Mais, dans un seul et même genre (Euphorbe, Excœcaria, etc., on trouvera des espèces à feuilles alternes et des espèces à feuilles opposées. Les inflorescences sont souvent des épis, des grappes, des épis ou des grappes de glomérules, mais ce sont aussi parfois des cymes, des inflorescences définies. Il y a beaucoup d’Euphorbiacées riches en latex, ce qui peut leur donner des propriétés très importantes. Ce latex est souvent abondant en caoutchouc, exploitable ou exploité.

Les Euphorbiacées ont été divisées de façon très variable, suivant les auteurs. M. Müller d’Argovie, qui a rédigé cette famille pour le Prodromus, les a d’abord partagées en deux catégories, suivant que leur embryon a les cotylédons épais ou minces (Slenolubeæ et Platylobeæ). La distinction n’est pas toujours facile dans la pratique, parce que les graines mûres manquent souvent . Bentham (Genera, III, 242) a divisé la famille en six tribus : Euphorbieæ, Stenolobieæ, Buxeæ, Phyllantheæœ, Galcariceæœ, Crotoneæœ, ce qui prouve suffisamment qu’il a peu analysé ces plantes et qu’il se rendait mal compte de leurs différences. Après avoir multiplié davantage les divisions dans notre premier travail sur cette famille, nous avons, à la suite de recherches plus approfondies, réduit à huit le nombre des séries que nous y conservons et nous avons groupé ces séries en deux catégories, suivant que les loges ovariennes sont uniovulées ou biovulées.

A. Euphorbiacées uniovulées.

1. Euphorbiées.

Fleurs généralement hermaphrodites (çà et là polygames), régulières ou irrégulières, à calice involucriforme, pourvu de glandes alternes avec ses divisions. Étamines en nombre indéfini, à filet articulé, insérées autour d’un gynécée stipité, dont l’ovaire est accompagné ou non, à sa base, d’un disque hypogyne. Glandes ou bractéales disposées, en dedans du périanthe, en faisceaux alternes avec les faisceaux staminaux.

A cette série appartiennent seulement les Euphorbes et les Pedilanthus, plantes à latex qui a des propriétés médicinales, de même que des graines très oléagineuses.

2. Ricinées. Fleurs unisexuées et apétales. Étamines en nombre indéfini, polyadelptes, centrales ou périphériques. — Le genre Ricin est le seul de cette série qui intéresse la médecine.

3. Jatrophées. Fleurs unisexuées, avec ou sans corolle. Calice valvaire ou imbriqué, avec ou sans disque glanduleux. Étamines en nombre défini (5-15) indéfini, insérées au centre de la fleur ou autour d’un rudiment central de gynécée. Filets staminaux rectilignes, dressés ou peu incurvés, parfois plissés dans le bouton.

Cette série renferme les Médiciniers (Jatropha), les Aleurites et Johannesia, la Maurelle, type du genre Tournesolia, les Hevea à caoutchouc, les Mareya, Gavarretia, Bocquillonia ; les Codiœum si souvent cultivés sous le nom de Croton ;l’Echinus philippinensis, la plante au Kamala ; le Fontainea Pancheri, puissant évacuant, de la Nouvelle-Calédonie ; les Macaranga ou Bois-violon, des îles africaines orientales ; les Mercuriales, les Ricinelles (Acalypha) ; le Ramelia, dédié au propagateur en France des Eucalyptus ; les Tragia, dont les piqûres sont comparables à celles des Orties ; les Plukenetia et Dalechampia, les Pera, type jadis d’une famille des Prosopidoclinées, et dont quelques-uns sont, en Colombie, des sources de caoutchouc.

4. Crotonées. Fleurs unisexuées, avec ou sans pétales, pourvues d’un disque glanduleux. Calice valvaire ou imbriqué. Étamines en nombre presque toujours indéfini, insérées sur des verticilles an centre du réceptacle floral saillant, à anthères introrses, infracto-incurvées dans le bouton par suite de la courbure du filet, de sorte que leur face regarde en dehors avant l’anthère. — Série importante en ce qu’elle renferme le genre Croton (voy. ce mot).

5. Exœcariée. Fleurs unisexuées, apétales, presque constamment trimères, généralement dépourvues de disque glanduleux, à calice ordinairement imbriqué. Étamines centrales, alternes avec les sépales quand elles sont (c’est l’ordinaire) en même nombre. Fleurs ordinairement disposées en épis simples ou formés de glomérules ; les bractées presque toujours latéralement glanduleuses à la base. Cette série renferme beaucoup de genres à latex actif, dangereux : les Exœcaria puis le Mancenillier (Hippomane), à fruits charnus ; les Carumbium, Omphalea et Hura (voy. ces mots : l’Ophthalmoblapton, du Brésil, à latex très âcre ; les Algernonia, Dalembertia, et l’Anthostema, à tort rapprochée des Euphorbes, dont une espèce du Gabon, l’A. Aubryanum, a les graines probablement les plus actives cmrne évacuant que l’on connaisse dans cette famille.

B. Euphorbiacées biovulées.

6. Dicapétalées.

Fleurs hermaphrodites ou polygames, à périanthe double (calice et corolle), régulier ou irrégulier, à pétales libres ou unis en corolle gamopétale, régulière ou irrégulière. Étamines fertiles en nombre égal à celui des pétales, ou moindre, hypogynes, périgynes ou épigynes. Fruit incomplètement déhiscent. Graines sans albumen.

Cette série renferme surtout les Dichapetalum (Chailletia), dont quelques espèces sent connues comme âcres, empoissonnant les animaux.

7. Phyllanthées.

Fleurs unisexuées, à périanthe simple ou double. régulier, à pétales libres ou nuls, hypogynas ou plus rarement périgynes ; à étamines en nombre défini ou indéfini, insérées au centre de la fleur ou autour d’un rudiment de gynécée. Fruit déhiscent ou indéhiscent. Graines avec ou sans albumen, à embryon droit, arqué ou convoluté.

Cette série renferme les Wielandia, à tons verticilles 5-mères ; les Savia et Actephila, Amanoa, Andrachne ; les Caletia ; les Securinega, à fruit parfois en baie ; les Antidesrna, à fruit souvent uniloculaire ; les Aporosa (Scepa) ; les Hymenocardia, à fruit ailé ; les Baccaurea, à fruit charnu, à graines arillées, acides ; les Putranjiva, Bureavia, Longetia ; l’Hyæmanche, du Cap, à fruit vénéneux ; les Phyllanthus, à fruit sec, ou charnu (Cicca), 5-5-mère ; les Agyneia et Breynia très analogues aux Phyllanthus.

8. Callitrichëes.

Herbes aquatiques, à fleurs unisexuées ou plus rarement polygames (rapportées par plusieurs auteurs aux Onagrariées), à périanthe (?) simple, 2-mère. Étamines 1,2. Gynécée 2-carpellé, à loges ovariennes subdivisées en deux compartiments uniovulés. Fruit séparable en quatre portions (demi-loges) sèches et monosperrnes. Graines albuminées, - Ne renferme que le genre Callitriche.

Les Buxées (et Stylocérées) ,attribuées par beaucoup d’auteurs à cette famille, sont pour nous des Célastracées, de la série des Buxées.

Henri Baillon

Bibliographie

  • L. Fragm. Method. natur. (Tricoccæ).
  • Adams, Fam. des pl., II,346. (1763).
  • AL-L. Juss., Gén., 384 (1789).
  • Adr.. Juss. De Euphorbiacearum generibus medicisque earum viribus Tentamen (1824).
  • Kl., in Erichs. Arch., I, 175. 250.
  • Kl. et Greke Tricocc, (1860)
  • E. Boiss. et J. Mull. arg., in DC. Prodr., XV.
  • Henri Baillon, Hist. des plant .V,165, fam, 46. fig. 143-258 ; Tr. Bot. méd. phanér. 916
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