Cours de chimie agricole, professé à l’École d’agriculture de Grignon, par P.-P. Dehérain

la Revue Scientifique — 1er Mars 1873
Jeudi 15 avril 2010 — Dernier ajout jeudi 24 avril 2014

La chimie agricole n’a commencé à former une science véritable qu’au commencement de ce siècle [1]. Les travaux publiés antérieurement ne constituaient qu’un ensemble de faits, sans liaison aucune entre eux. Les publications de Humphry Davy, de Saussure, d’Ingenhouz et de Priestley réunirent les découvertes antérieures et constituèrent la branche si vaste de la chimie agricole, au moment où la chimie générale était créée par Lavoisier et ses contemporains.

Les ouvrages de chimie agricole publiés depuis le commencement du siècle jusqu’à 1840, laissaient un grand nombre de faits, non seulement inexpliqués, mais le plus souvent mal interprétés. Entraînés par des expériences insuffisantes ou séduits par des conceptions formulées à priori, les chimistes et les physiologistes exposèrent des règles générales, qui devaient succomber devant une expérimentation plus sérieuse. Mais vers cette époque parurent les ouvrages de M. Liebig et de M. Boussingault, qui, en coordonnant les faits acquis, y ajoutant un grand nombre d’expériences nouvelles, jetant la lumière sur des points obscurs ou mal interprétés, donnèrent enfin des bases solides aux chercheurs et préparèrent l’immense développement scientifique de la dernière période. Depuis lors, en effet, les recherches ont été si nombreuses que les livres de chimie agricole se sont vus promptement débordés, et quelques années après leur apparition, ne représentaient plus l’état de la science. Quant à ceux qui ont été publiés tout récemment, les uns ne s’occupent que de l’agriculture spéciale d’une région, ou ne sont que d’utiles manuels, ne pouvant exposer d’une façon suffisante les travaux étrangers. Or, le mouvement amené en Angleterre et en Allemagne, par la création des stations agricoles, a fait naître un grand nombre de recherches importantes, qui n’ont encore trouvé place dans aucune publication française.

Il était donc urgent de posséder un traité complet de chimie agricole, écrit non en vue seulement de l’application immédiate, mais exposant avec des détails suffisants et avec une critique élevée et impartiale toutes les conquêtes actuelles de la science, en même temps que les points douteux et obscurs, qui appellent de nouvelles expérimentations. En outre, il était bon, au moment où se montre une tendance sérieuse à développer l’enseignement agricole en France, il était bon d’indiquer au public scientifique dans quel esprit est professé le Cours de chimie agricole de notre École de Grignon.

C’est à ce double but que tend l’ouvrage de M. Dehérain. L’auteur n’admet que les faits parfaitement connus, démontrés par l’expérience. Quant aux points malheureusement trop nombreux, qui restent encore inexpliqués, il se borne à indiquer les hypothèses admissibles, sans se faire le champion de telle ou telle école exclusive.

Une brève analyse du livre de M. Dehérain en fera mieux juger la haute importance.

L’auteur a divisé son livre en quatre parties : 1° développement des végétaux ; 2° la terre arable ; 3° les amendements ; 4° les engrais.

La première partie, Physiologie végétale, comprend l’étude de la germination, l’assimilation du carbone et la décomposition de l’acide carbonique, et renferme énumération des diverses hypothèses qui peuvent rendre compte de la production des hydrates de carbone. L’assimilation de l’azote sous ses différents états est exposée avec les plus grands développements. Tous les travaux sur l’absorption de l’azote libre y sont rapportés, et l’auteur conclut avec la plupart des chimistes agricoles que la fixation de l’azote libre est peu vraisemblable. Après avoir étudié la composition des cendres des végétaux, le mode d’assimilation des substances minérales, M. Dehérain fait connaître le dosage des principes immédiats renfermés dans les végétaux (glucose, cellulose, amidon, matières grasses), en indiquant les procédés d’analyse employés à Grignon, et il termine par un chapitre des plus intéressants sur la formation, les métamorphoses et la migration des principes immédiats dans les végétaux.

Qu’est-ce qu’une terre arable ? Comment se forme-t-elle ? Quelles sont ses propriétés physiques et ses propriétés absorbantes ? Comment fixe-t-elle de l’ammoniaque, de la potasse, de la soude, du phosphate de chaux, etc. ? Telles sont les questions qu’étudie M. Dehérain dans cette seconde partie ; puis il donne les procédés si délicats de l’analysé des terres arables, et termine par la description des causes qui influent sur la stérilité et la fertilité des terres.

Les pratiques agricoles qui ont pour but de favoriser l’assimilation par les végétaux des substances contenues dans les terres arables sont étudiées dans la troisième partie sous le nom d’amendements. Elles comprennent non seulement l’exposé de l’emploi des matières calcaires sous toutes ses formes, chaux, marne, tangue, plâtre, mais encore la jachère et l’écobuage, qui, sans exiger l’addition de matières étrangères, ont pour effet de modifier profondément la composition des principes contenus clans le sol ou même de changer ses propriétés physiques.

Enfin, la dernière partie est consacrée à la question si grave des engrais. L’auteur étudie successivement les engrais verts, les guanos, les matières fécales, les engrais de poissons, les eaux d’égout, dont l’utilisation promet de si brillants résultats, le fumier de ferme, et discute l’emploi et la valeur agricole de ces engrais.

Il arrive ensuite aux phosphates naturels, qui prennent chaque jour une plus grande importance dans l’agriculture française, indique les modes d’analyse, la fabrication des phosphates solubles, etc, Enfin, l’auteur expose la doctrine des engrais chimiques, émise, il y a trente ans, par Liebig et reprise récemment avec éclat par M. Georges Ville. M. Dehérain, par la discussion des résultats obtenus, arrive à cette conclusion qu’il est impossible de baser un système de culture sur l’emploi absolu des engrais chimiques, comme le veut M. Ville ; les engrais chimiques ne peuvent être que d’utiles auxiliaires du fumier de ferme, et jouer le rôle assigné depuis longtemps au guano, à la poudrette, au noir animal et aux phosphates fossiles.

L’étude des engrais est terminée par l’indication des procédés de dosage de l’azote et celle de l’acide phosphorique, et des bases qui servent à déterminer la valeur des engrais.

Cette analyse si rapide, qui n’est, pour ainsi dire, qu’une table abrégée des matières, suffit à indiquer au lecteur le haut intérêt du livre de M. Dehérain. Nous aurions voulu attirer l’attention sur certaines parties qui sont à nos yeux d’une importance spéciale, car elles ont trait à l’augmentation de la production de notre sol et de la richesse générale du pays : tels sont les chapitres consacrés aux irrigations à opérer dans le Midi, l’utilisation des eaux d’égout dans les environs des grandes villes, etc. Malheureusement, c’eût été dépasser les bornes d’un article de bibliographie ; nous aimons mieux renvoyer au livre de M. Dehérain, qui est destiné à recevoir le meilleur accueil du public scientifique.

Ouvrage consultable sur Gallica.bnf.fr

[1XIXe siecle bien sûr

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