La grande Lunette du Palais de l’Optique

Ferdinand Faideau, La Science Illustrée N°632 - (6 janvier 1900)
Mardi 16 février 2010 — Dernier ajout mardi 30 janvier 2018

La plupart des découvertes importantes en matière d’optique ont été faites avec les plus grands instruments en usage à l’époque. Alvan Clark, de Boston, découvrit, en 1862, le satellite de Sirius avec une lunette dont l’objectif avait 40 centimètres de diamètre.

Ce succès encouragea les astronomes et les dimensions des verres allèrent sans cesse en croissant. M. Newhall, de Gateshead (Angleterre), se fit construire un objectif de 65 centimètres pour son Observatoire de Newcastle. Vinrent ensuite le télescope de 75 centimètres établi pour un Observatoire de Russie, le 90 centimètres de l’Observatoire de Like, la grande lunette de Yerkes que l’on put voir à l’Exposition de Chicago, en 1893, et dont la lentille, fondue par M. Mantois, a 1,05m de diamêtre, enfin le grand équatorial de Grünwald, dont l’objectif de 1,10m de diamètre a figuré à la dernière Exposition de Berlin.

La lunette du Palais de l’Optique dépassera tout ce qui a été fait jusqu’ici. Avec ses objectifs de 1,25m de diamètre, ce sera un instrument d’une puissance exceptionnelle se prêtant aussi bien aux mesures de précision qu’aux observations physiques les plus délicates ; « il permettra aux astronomes, dit M.Gautier, de pénétrer plus avant dans les profondeurs des espaces célestes et de fournir des renseignements nouveaux sur la constitution physique de notre système planétaire. »

Pour obtenir un achromatisme aussi satisfaisant que possible, on a donné à l’instrument la distance focale considérable de 60 mètres. La distance focale de la lunette de l’Observatoire Yerkes est seulement de 20 mètres. Elle se meut autour d’un axe fixé en son milieu au centre d’une vaste coupole hémisphérique de 24 mètres de diamètre. Son poids est tel que le plancher installé primitivement a cédé, entraînant la chute de l’appareil.

Quelle coupole eût-il fallu pour la lunette de 1900, avec son tube de 60 mètres et un poids qui surpasse 20 000 kilogrammes ? Sans doute le dôme de Saint-Paul de Londres ou celui des Invalides.

Une coupole de 64 mètres, comme celle qu’elle exigeait, eût coûté plusieurs millions, c’est-à-dire bien plus cher que la lunette elle-même qui reviendra à 1200000 francs.

En dehors de la question d’argent, comment manœuvrer aisément une telle masse et lui assurer, en même temps, une stabilité suffisante ! Comment soustraire les tubes de ce gigantesque canon braqué vers le ciel aux flexions et aux déformations ? Comment en préserver les verres eux-mêmes ?

Autre point de vue tout aussi décourageant : la coupole aurait dû être constamment en mouvement pour maintenir son ouverture en regard de l’objectif marchant avec une vitesse de 16 mètres à l’heure, soit plus de 0,25m à la minute, et il aurait fallu placer à l’oculaire un astronome de première force en gymnastique.

L’emploi du sidérostat de Foucault supprime tous ces inconvénients. C’est, en somme, un miroir plan qu’un mouvement d’horlogerie déplace de telle sorte, que tous les rayons lumineux émanant d’un astre qui viennent se réfléchir sur ce miroir sont renvoyés dans une direction absolument fixe, qu’on fait coïncider avec l’axe de la lunette. Un observateur, regardant à travers l’oculaire, verra eonstamrnént l’image pendant tout le temps que l’astre restera au-dessus de l’horizon et pourra l’étudier à loisir ; il pourra en prendre des dessins, des photographies, etc.

Le grand télescope de 1900 se compose donc d’un miroir circulaire mobile de 2 mètres de diamètre, absolument plan, et d’une lunette de 60 mètres placée horizontalement suivant une ligne qui va du nord au sud. Les images du miroir transmises au foyer de l’objectif peuvent : 1° être examinées directement à l’aide d’un oculaire ; 2° impressionner une plaque sensible ; 3° être projetées sur un écran placé dans la salle de projection où plusieurs milliers de personnes pourront l’examiner à la fois.

Le tube de la lunette est en tôle d’acier de 2 millimètres d’épaisseur et, de 1,50m de diamètre. Il comprend 24 morceaux réunis par des boulons. Quand on les regarde dans l’atelier de M. Gautier, du sommet de l’échafaudage du sidérostat, on songe bien plutôt à une gigantesque canalisation, destinée à amener les eaux potables dans une grande ville, qu’à un instrument d’optique. Ce tube, une fois monté reposera, dans une galerie que nous avons décrite, sur des socles en fonte de fer portés par des colonnes en pierre. En prévision de son allongement par dilatation, les socles glissent sur des rails fixés aux colonnes.

La disposition donnée aux verres de la lunette et au sidérostat rendait, en somme, ce tube inutile. Il n’a, bien entendu, aucun rôle dans la formation des images et il ne sert pas davantage à supporter les objectifs et l’oculaire. Sa présence est une satisfaction donnée au public qui n’eût pas compris une lunette sans tube, Il empêche aussi les poussières de s’interposer entre les deux parties essentielles de l’appareil.

D’après une note publiée dans Annuaire du Bureau des longitudes pour 1899, par M. Gautier, le constructeur de l’instrument, voici quelle sera la disposition des objectifs et de l’oculaire :

L’un des objectifs est destiné aux observations visuelles, l’autre affecté aux travaux photographiques ; ils sont montés tous deux sur un même chariot, roulant sur rails, de manière à les placer facilement, l’un ou l’autre, devant la lunette ; le poids de chacun de ces objectifs, sans leur barillet, est de 600 kilogrammes environ et, avec le barillet, de 900 kilogrammes. Chaque lentille est ajustée dans un barillet spécial ; celui de chaque crown est porté par des roulettes afin de pouvoir l’éloigner du flint et rendre facile le nettoyage de chaque disque.

Le tube portant la partie oculaire est supporté par quatre roues roulant sur rails. Il est rattaché à la lunette par une vis de rappel de 1,50lm de long qui sert à la mise au foyer. A l’intérieur de ce tube, roule, sur des galets, un autre tube de 1,20m de diamètre, entraîné circulairement à l’aide d’un mouvement d’horlogerie, par l’intermédiaire d’une vis tangente s’emboîtant dans les dents d’un cercle fixé à son extrémité.

Dans ce premier cercle roule, sur quatre galets, un second cercle portant deux coulisses dans lesquelles glisse un chariot ayant une course égale à un peu plus de deux minutes de temps ; il est conduit par une vis que fait mouvoir un autre mouvement d’horlogerie. Ce chariot porte un système de cadres à mouvements rectilignes qui permet de faire prendre à l’oculaire des positions différentes.

Le cadre supérieur est disposé de manière à pouvoir recevoir soit un châssis pour la photographie, soit un micromètre, soit un spectroscope, soit un appareil de projection.

« En résumé, l’ensemble des dispositions nouvelles réalisées dans la partie oculaire permet de se rendre indépendant du mouvement apparent du ciel ; de photographier ou de mesurer les astres pendant leur passage dans le champ ; d’effectuer à l’oculaire les mouvements de rappel en ascension droite et en déclinaison. »

Quels résultats donnera un pareil instrument ? Il est difficile de le prévoir. Les calculs établissent qu’il fournira un grossissement de 6000 et parfois même de 10000, alors que les plus forts grossissements obtenus jusqu’ici ne dépassent pas 4000.

Sa destination ultérieure n’est pas encore déterminée, mais il survivra à l’Exposition, et les images qu’il donnera dans une atmosphère plus pure que celle de Paris auront une netteté merveilleuse, en raison des soins méticuleux apportés à la confection de ses verres.

C’est donc, avant tout, un appareil de haute précision et de recherches. Mais M. Deloncle y voit encore, à juste titre, un instrument de vulgarisation.

« Le nombre des personnes qui s’occupent d’astronomie, nous disait-il encore récemment, est malheureusement très faible en France. J’espère que notre instrument développera le goût de cette science si belle, qui fait tant penser, qui ouvre à l’esprit des horizons si vastes. J’ai la conviction que tout visiteur qui aura, dans la grande salle du Palais de l’Optique, contemplé sur l’écran une projection de la lune ou d’une partie quelconque de la voûte céleste, voudra les examiner de nouveau à l’aide d’une simple lunette. se renseignera dans les ouvrages d’astronomie et perdra bientôt son ignorance du ciel. »

Nous en sommes également convaincu.

Le public s’occupe beaucoup de la tentative. de M. Deloncle ; il s’y intéresse vivement, la discute. Son succès éclatant ne fait aucun doute : il sera bien mérité.

Nous parlerons prochainement des attractions diverses qui encadreront la grande lunette et feront que le Palais de l’Optique sera visité avec autant de plaisir par les enfants que par leurs parents.

F. FAIDEAU.

La grande Lunette du Palais de l'Optique - Les ateliers de M. Gautier pendant la construction de la grande lunette de 1900 La grande Lunette du Palais de l'Optique - Barillets des objectifs.

Vos témoignages

  • La grande Lunette du Palais de l’Optique 21 octobre 2012 11:57, par POCHOY

    Bonjour.

    Le Palais de l’optique de l’Exposition revient d’actualité car son architecte, Prosper Bobin, a aussi construit la Gare du Sud à Nice, et l’église Ste Anne du 13e arrondissement de Paris, dont on fête cette semaine le jubilé, soit les 100 ans depuis sa consécration le 23 octobre 1912.

    Ma question est la suivante : Qu’est devenue l’installation lunette + sidérostat à l’issue de l’Exposition ?

    Merci

Dans la même rubrique…

Mots-clés

Articles liés

Revenir en haut