Le jardin japonais à l’exposition universelle de 1889

J. Dybowski, La Nature N°849 - 7 septembre 1889
Samedi 9 janvier 2010 — Dernier ajout vendredi 20 février 2015

Dans cette Exposition splendide, qui offre à. nos yeux ravis tant de séductions diverses ; il est plus d’un coin qui non seulement nous charme pour le moment, mais aussi laisse en nous une impression durable. Et ce sont notamment toutes ces installations faites par des peuples des régions lointaines dont l’histoire, par ce don d’attraction qu’a sur chacun de nous l’inconnu, nous intéresse d’abord et nous captive ensuite. Mais cet effet d’attraction, quelque vif qu’il soit, nous amène rarement à entreprendre de lointains voyages. On est trop bien en France, a-t-on dit, pour consentir à s’en éloigner et à chercher mieux.

Aussi cet amour de l’inconnu, tempéré seulement par la sensation de bien-être qui nous rend casaniers, nous fait-il rechercher avec avidité toutes les occasions qui se présentent à nous d’entrevoir, par un coin du voile soulevé, les curiosités d’un monde lointain et de concilier ainsi ces deux sentiments contraires, de curiosité que nous possédons à un si haut point et qui nous pousse à nous instruire, et d’amour du foyer qui nous retient captifs chez nous.

Dans ce beau parc du Trocadéro, couvert d’épais ombrages, une visite au jardin japonais donne au plus haut point l’illusion d’un voyage aux pays lointains. Si, les yeux bandés, nous étions amenés dans ce jardin où l’on nous rendrait subitement la vue, nous nous croirions transportés sur quelque tapis magique des contes orientaux, là-bas, bien au delà des mers, en extrême-Orient.

L’aspect particulier nous frappe d’abord ; nous gravissons les quelques marches faites, irrégulières, de troncs d’arbres sciés en rondelles posées à plat sur le sol et nous pénétrons par une élégante porte en bambous dans un jardin limité par une haie en bambous également qui, sont reliés, tressés en cordons noirs, par des fibres du palmier-chanvre, formant des houppes et des glands symétriquement disposés.

Ce jardin nous donne l’aspect de tout un paysage japonais. Il se relie sans transition à une habitation coquette, toute pleine de potiches garnies de fleurs et de plantes diverses. Pour les Japonais, le jardin est le salon du dehors comme le salon est le jardin du dedans. Aussi, quand les intempéries les obligent à renoncer à la vie en plein air, retrouvent-ils encore dans l’habitation comme l’illusion du splendide paysage qui les entoure.

Avec de tels modèles sous les yeux, avec cette prodigalité qu’a mise la nature à embellir les sites montueux et à semer les fleurs merveilleuses dans la plaine sillonnée de cours d’eau, rapides, mouvementés, bordés d’une végétation abondante, les Japonais, doués d’un esprit fin et observateur, devaient être un peuple d’artistes. Ils nous le prouvent jusque dans les moindres détails. Ils joignent à ce bon goût qui leur fait si bien choisir leurs modèles, un talent d’imitation qui se retrouve dans toutes les branches des arts si diverses qui sont chez eux en honneur.

Chez eux, un jardinier est un artiste et son talent ne consiste pas seulement à faire brutalement pousser de belles fleurs. Il veut plus : ses arbres, cultivés dans ces belles potiches de faïence ou de bronze, doivent, par leur aspect, rappeler ceux qui croissent à l’état spontané accrochés aux flancs de leurs montagnes ou aux bords de leurs ravins.

Les conifères croissent chez eux en nombreuses espèces ; ils les cultivent dans leurs jardins, dans leurs potiches, mais il ne leur viendrait jamais à l’esprit de leur imposer, par une taille barbare,ces formes d’animaux, chiens, dragons, canards, que leur donnent les Chinois, ou de cônes, de sphères et de pyramides que nous leur donnions autrefois. Leurs petits arbres de jardinières doivent rappeler par leur aspect ceux qui, vieillis par les ans, tourmentés par le vent, ont pris des formes irrégulières, bizarres souvent, artistiques et élégantes toujours.

Aussi appliquent-ils à ces arbres un mode de culture très particulier que nous demandons la permission, à nos lecteurs, de leur retracer succinctement et dont ils trouveront de nombreux spécimens au jardin japonais. La gravure ci-jointe en reproduit quelques-uns.

Les Japonais arrivent à la nanisation de leurs arbres de jardinières par des procédés divers. Souvent ils cherchent dans les montagnes quelque échantillon rabougri, tourmenté, le rempotent en lui conservant son aspect pittoresque, sa forme penchée, et laissant quelques-unes des racines hors du pot. Puis ils taillent les branches, les rattachent pour leur donner un aspect élégant, et, les maintenant sans cesse dans des pots exigus, les conservent pendant de longues années dans leur forme restreinte.

D’autres fois ils sèment ces conifères, puis sitôt que la plante est levée, ils pratiquent un pincement au-dessus des cotylédons de façon à faire développer les bourgeons cotylédonaires , lesquels restèrent moins vigoureux que ceux qui se seraient normalement formés. Quand ensuite les rameaux vont s’allonger, ils les attachent en les courbant en S et le jeune arbre prendra dès le premier âge une forme tourmentée, inégale, souvent penchée hors du pot. Par un pincement fréquemment répété et des liens sévèrement appliqués, l’arbre conservera sa forme et s’élèvera peu. On a beaucoup exagéré l’âge de ces arbres cultivés en pots et dont il y a au jardin du Trocadéro de très beaux échantillons. On a dit qu’il, avaient des centaines d’années. Otez à ces chiffres un zéro et vous serez dans le vrai. Quelques-uns de ces arbres ont vingt ou trente ans, mais il ne faut pas croire qu’il faut autant d’années pour arriver à un beau résultat.

Un des procédés qui contribue à nanifier ces arbres, c’est celui qui consiste à en déchausser les racines pour leur donner un aspect, plus tourmenté, Et peu à peu ils enlèvent de la terre, au pied de la plante, si bien que, dans certains cas, l’arbuste est porté sur des racines émergeant de 10 ou 15 centimètres au-dessus de la potiche.

Ce sont, avons-nous, dit, surtout les plantes conifères qui sont soumises à ce mode de culture, notamment deux espèces de pin (Pinus parviflora et P. densiflora) et plusieurs variétés de thuya (Chamecyparis obtusa).

Souvent, pour augmenter l’aspect pittoresque de ces arbres nains, ils les plantent sur des troncs d’une fougère arborescente (Aristophylla) que l’on trouve dans le sud du Japon, ou bien encore sur un morceau, de pierre ponce.

Un autre genre de conifères, le podocarpe (Podocarpus macrophylla) ,est soumis à un procédé de culture différent. Il consiste à mettre en pot une plante déjà toute formée, ayant une tige de la grosseur du poignet ; puis à implanter sur ce tronc que l’on décapite à 0,40m environ au-dessus du pot, un certain nombre de greffes latérales d’une variété de podocarpe à feuilles panachées. On obtient ainsi en peu de temps de très jolies pyramides de forme plus ou moins irrégulière.

On voudra, c’est probable, essayer chez nous d’obtenir de ces arbres nains qui séduisent par leur aspect si particulier. Il n’est pas douteux qu’en suivant ces indications on arrive à des résultats heureux, mais je doute qu’il y ait chez nous grand intérêt à les produire. Au Japon, toute la vie se passe en plein air, pourrait-on dire, car les maisons dont les cloisons sont des cadres en papier, permettent une aération vive rendue possible par la douceur du climat. Aussi ces arbustes élevés avec tant de soin peuvent-ils, sans danger pour leur bonne venue, séjourner dans les demeures.

Chez nous, au contraire, il n’est pas douteux qu’ils ne résisteront pas longtemps aux bons soins que l’on inflige à nos plantes de salon. Et le manque de lumière, l’excès de poussière, l’air trop rare, la température trop élevée aux jours de réception auront bientôt fait de les détruire ; et ces pauvres arbres, élevés avec grand soin pendant des années, seront en quelques jours flétris, jaunis et desséchés.

J. DYBOWSKI

Revenir en haut