« Les Fiancées du Soleil », roman préhistorique de Victor Forbin

Paris : Lemerre, 1923. 262pp
Samedi 3 octobre 2009 — Dernier ajout samedi 2 décembre 2017

Article non signé publié dans le N°200 de Science et Voyages daté du 28 juin 1923.

À noter, une erreur dans le titre. Il s’agit des Fiancées du Soleil et non des Fiancés du Soleil

Victor Forbin

Les fiancées de Soleil

Le premier homme qui se servit d’un arc a du être glorifié comme un dieu

Le principal personnage du roman de M. Forbin est un jeune homme, Minati, que la loi de la race avait condamné à mort dès sa naissance, par ce qu’il était d’apparence débile. Il fut sauvé par sa mère, Talamara (Rose d’églantier ) , qui s’enfuit du village avec le nouveau-né, et erra pendant vingt ans de tribu en tribu. S’il n’a pas la taille gigantesque des Yavanas, il est doué d’une intelligence supérieure, et il s’est déjà signalé par des inventions remarquables. Il venait d’inventer l’arc et la flèche, quand sa mère est reconnue par une députation du village natal. Le peuple réclame la mise à mort de la mère et du fils, malgré l’opposition d’un nain de force herculéenne, Kouah, chef de cette députation, et ami d’enfance de Talamara, qui voudrait démontrer que le jeune homme est animé du souffle des dieux. Minati a pu se soustraire aux fureurs de la foule, qui va se venger sur la mère.

… Des femmes enjambaient déjà les pierres blanchies pour se saisir de Talamara. Le chef les arrêta, d’un geste de sa crosse de commandement. Puis, dans la confusion qui régnait autour du cercle, quelqu’un cria que Minati s’était enfui, que des chasseurs l’avaient aperçu qui se cachait au fond des bois. Et ce fut une explosion de rage, que l’attitude de la mère exaspéra. Car un sourire illuminait maintenant son visage : elle savait qu’elle serait seule à mourir.

Soudain, des cris de joie féroce éclatèrent au delà du cercle : revenu sur ses pas après avoir attendu si longtemps sa mère, Minati sortait des buissons, et s’avançait, le front haut. Des hommes, qui se jetaient sur lui, reculèrent sous son regard. Mais Youlo le saisit par la nuque, et le poussa brutalement dans le cercle de pierres, en criant :

— Nous avons fait bonne chasse ! Voici le fuyard !

Sans l’intervention de Vissili-Rhôra (le chef), la populace exaspérée eût mis en pièces le jeune homme, malgré les supplications de Lilacété, qui implorait la pitié des femmes, et malgré les mains menaçantes que le nain balançait au bout de ses bras monstrueux. Dans le calme rétabli, la voix de Youlo cingla :

— Admirez l’avorton que les dieux ont animé de leur souffle !

Et le cri de la mère éclata par-dessus les rires :

— Vous allez tuer le plus grand des Yavanas, l’homme à qui les dieux ont donné le pouvoir de lancer l’éclair ! Et vous en serez maudits jusqu’à la fin des âges !

Comme elle prononçait les paroles énigmatiques, on vit l’artisan dénouer une sorte de lanière fine qui lui servait de ceinture, et l’attacher aux deux bouts d’une branche. La foule suivait ses gestes, précis et rapides, sans s’arrêter à la lueur cruelle de ses yeux, ni à la contraction de ses mâchoires. On le vit ensuite sortir, de dessous sa tunique de renne, une baguette à la pointe d’os, une javeline d’enfant, un jouet, qu’il coucha sur la branche. Et ce fut tout ce que l’on vit.

Mais quelque chose siffla soudain dans l’air,et un cri d’agonie glaça les cœurs, immédiatement suivi d’un sauvage cri de triomphe. Et les yeux se portèrent sur le point du cercle d’où le hurlement avait jailli. Et l’on aperçut le grandet beau Youlo qui battait l’air de ses deux bras, avec la baguette à la pointe blanche plantée entre ses yeux, et qui s’écroulait lourdement, l’écume rougeâtre aux lèvres. Personne ne remarqua dans l’instant que l’homme qui lançait les éclairs avait bondi hors du cercle, derrière l’écran des buissons.

Une religieuse terreur écrasait l’assistance, et le silence de la mort s’allongeait épouvantablement. Les oiseaux et les cigales avaient dû s’enfuir, puisque les herbes et le feuillage se taisaient ; mais les gigantesques Yavanas restaient cloués en place, la mâchoire pendante, les yeux démesurément ouverts dans la direction du guerrier que venait de coucher une force inconnue. Et quelques-uns commençaient à comprendre : en vérité, l’homme qui soufflait la mort à distance d’un jet de pierre était bien l’élu des dieux.

Un rire aigu, comme en poussent les magiciens et les possédés aux prises avec les génies, fouetta l’air. Soulevée par une crise de fureur, Talarnara traversait le cercle en dansant. Et elle chantait. Elle chantait sa vie misérable, et l’amour de son petit ; et sa chanson mélancolique et sauvage réglait le rythme de ses pieds nus, dont la cadence la guidait lentement vers la pierre blanche éclaboussée de rouge.

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