Grande absinthe

A. Truelle - Supplément à La Nature N° 2679 - 8 août 1925
Dimanche 15 février 2009 — Dernier ajout samedi 24 décembre 2022

Dans le groupe des absinthes, la principale espèce est la Grande Absinthe (Artemisia Absinthium) L. Synanthérées Sénécionidées, la seule dont il est question ici. Les plus importants de ces synonymes sont : Absinthe officinale, Absinthe commune, Absinthe amère, Armoise-absinthe, Aluine, Alvine, Herbe aux vers, etc. Son nom dérive de deux mots grecs, a, privatif et « psinthos », douceur, à cause de sa saveur amère.

Habitat. — Elle croît dans les lieux incultes et arides, le long des rochers et des murs, sur les talus des régions centrales et méridionales de l’Europe Elle est assez abondante en France.

Description sommaire. — Plante rustique et vivace de 0m.60 à 1 m. 50 de hauteur, à tiges herbacées, cylindriques, cannelées dans leur longueur, à rejets stériles. Feuilles alternes, longuement pétiolées, très découpées, soyeuses, d’un gris-blanchâtre en dessous. Fleurs, de juin à septembre, en petits capitules formant une grande panicule feuillée ; les fleurs femelles à la circonférence et les hermaphrodites au centre. Akènes très petits, obovés, sans aigrette. Toute la plante exhale une odeur aromatique pénétrante.

Culture. — On la cultive depuis bien longtemps dans les jardins et elle occupait de grands espaces dans l’Est avant l’interdiction de la fabrication, de la vente en gros et au détail ainsi que de la circulation de la liqueur, par le décret du 7 janvier 1915 et la loi du 16 mars 1915.

Multiplication. — Elle se fait de deux façons : a) par graines ; b) par éclats de touffes, mais la première est la plus employée. Les graines de la grande absinthe sont très fines et au nombre d’environ 1l 500 dans un gramme. Le litre pèse de 620 à 650gr. Leur faculté germinative est de deux à quatre ans, leur germination est parfois difficile.

L’absinthe étant peu exigeante se plaît à peu près dans tout terrain qui n’est pas trop humide, trop léger ou trop argileux, mais elle réussit mieux sur un terrain sec, profond, argilo-calcaire, notamment sur les coteaux perméables et pierreux à une exposition sud ou sud-est. La préparation du terrain comporte, selon l’endroit, bêchage ou labour de 0m.20 de profondeur et l’enlèvement des mauvaises herbes, puis une fumure au fumier de ferme additionné de superphosphate et de sulfate de potasse.

a) Semis. — On l’effectue en pépinière de mars à mai sur une terre bien préparée, profonde et fraîche, absolument nivelée, ce qui est facile à faire au râteau dans le Jardin familial, et à la herse sur les champs. Quand il en est ainsi, on sème à la volée les graines qui, en raison de leur finesse, n’ont pas besoin d’être enterrées. On se contente de les faire adhérer au sol par un plombage au moyen d’un léger coup de batte. On laisse les plants un an dans la pépinière où on les éclaircit en cas de besoin, puis on les arrache et, après l’habillage ayant pour but de raccourcir leurs longuet racines, on les repique dans un terrain bien préparé et fortement fumé, en choisissant pour cela un temps humide.

On les dispose en quinconce à 0m.4o de distance sur Iles lignes préalablement tirées au cordeau et espacées de 0m.50 à 0m.60 Deux précautions sont à prendre lorsqu’on opère en grand : a) n’arracher les plantes de la pépinière qu’au fur et à mesure de leur repiquage pour éviter tout flétrissage ; b) mettre trois pieds dans chaque trou, afin que la touffe prenne le plus grand développement possible pendant l’année qui suit la transplantation.

Les soins culturaux au printemps et à l’été consistent en plusieurs binages et sarclages pour que le sol soit toujours propre. Les binages sont faits à la main dans le Jardin familial et à la houe à cheval dans les grandes plantations. Il est bon, dans la deuxième et la troisième année, de faire en mars quelques arrosages de purin étendu d’eau, ou d’enfouir par un léger binage une petite quantité de sulfate d’ammoniaque ou de nitrate de soude. En cas de gelée, il est utile, à cause de la susceptibilité de l’absinthe, de recouvrir les plantes avec des feuilles, de la paille ou du fumier.

La durée d’une plantation, pour être très rémunératrice, est de trois années, niais on peut la prolonger avec des soins culturaux bien appropriés. Dans le Doubs, pays de très grande culture avant la guerre, la durée était de six ans.

b) Par éclats de touffes. — L’opération a lieu à la fin de la troisième année. On plante de suite après division des souches mères (A. G. et J. D.). Les distances de plantation et les soins consécutifs sont les mêmes que ceux décrits plus haut.

Récolte. — Elle commence la deuxième année dès l’apparition des bourgeons floraux. Dans le Jardin familial, on coupe les tiges à 5 à 6 cm du sol avec un sécateur ou une serpette ; sur les champs on -recourt à la faucheuse mécanique.

Rendement en vert. — D’après MM. Goris et Demilly, dans une culture bien faite, le rendement par hectare est d’environ 12 000 kg de plantes fraîches la première année, 20 000 kg la deuxième année et 25 000 kg la troisième année.

Séchage. — Pour la récolte du Jardin familial, il suffit d’étaler les feuilles mondées sur des claies placées dans un endroit ventilé, à l’ombre, et de les y retourner souvent ; quant aux sommités fleuries, on en fait des petits paquets assez lâches qu’on suspend dans le grenier. On prend les précautions nécessaires pour qu’elles conservent le plus de feuilles possibles et que le tout possède après dessiccation une couleur verte nuancée de jaune. A ce point, on coupe les tiges, en fragments de 8 à 10 cm, on les comprime dans des sacs en toile que l’on garde dans un local sec et aéré.

Dans la culture en grand, on suit un procédé dont les détails sont donnés dans Culture des plantes médicinales par MM. Rolet et Bouret.

Rendement. — On estime qu’un kilogramme de feuilles fraîches laisse 260gr.de feuilles sèches. D’autre part, on a évalué le rendement moyen d’un hectare dans les environs de Paris entre 2500 à 3000 kg de plantes sèches correspondant à 10 000 kg environ de plantes fraîches.

Composition chimique. — La grande absinthe contient huile volatile, deux matières amères, l’une azotée, l’autre résineuse, matière azotée insipide, chlorophylle, albumine, fécule particulière, tanin, des sels et entre autres de l’absinthate de potasse (Dr Héraud). Les deux principes les plus actifs sont l’huile essentielle ou essence d’absinthe et le principe extrêmement amer ou absinthine.

L’essence d’absinthe est plus légère que l’eau, d’abord brune elle. devient bleue ou verte après rectification. Elle contient de la thuyone, de l’alcool thuylique, soit à l’état libre, soit à l’état d’éthers acétique, isovalérianique et palmitique, du phellandrène, du pinène, du cadinène, de la céruléine. 100 kg de grande absinthe verte donnent 120 gr. d’essence brute.

Propriétés thérapeutiques. — Les parties de la plante usitées sont les feuilles et les sommités fleuries. Parmi les propriétés attribuées à cette absinthe : apéritives, stimulantes, toniques, fébrifuges, vermifuges, emménagogues, etc., les deux connues dès la plus haute antiquité sont les propriétés anthelmintiques ou vermifuges, et les propriétés toniques amères ou apéritives. D’après le Dr H. Leclerc, Soranus, Sylvius, Mérat et de Lens la prescrivaient sous des formes différentes contre les parasites intestinaux. Son action ascaricide est due à son huile essentielle de ,même que son action apéritive et tonique résulte de l’absinthine qui n’est pas toxique. L’Ecole de Salerne tenait une macération d’absinthe dans du vin comme un sùr préservatif contre le mal de mer, et son mélange avec du fiel de bœuf comme un remède contre les bourdonnements d’oreille. Trousseau la recommandait dans les cachexies et les lésions organiques diverses résultant des fièvres intermittentes. On l’utilise aussi avec succès contre cet-tains cas de chlorose, d’anémie, de neurasthénie et d’aménorrhée, mais on doit en faire un usage modéré.

Préparations pharmaceutiques. — Voici les principales avec leurs doses : alcoolat d’absinthe 10 à 20 gr., eau distillée 25 à 100gr., extrait aqueux 0gr.20 à 2 gr., poudre 1 à 2 gr. comme tonique, 4 à 16 gr., comme vermifuge, sirop 50 à 100 gr. Teinture 20 à 30 gouttes, tisane 5 gr. par litre en infusion, vin 30 à 125 gr., mais il ne faut pas dépasser cette dose. Le sel d’absinthe, obtenu par incinération, autrefois si usité, ne l’est plus aujourd’hui. La plante fraiche est toujours plus efficace que la plante sèche. Les feuilles d’absinthe entrent dans les espèces vermifuges avec la tanaisie, la camomille et le semen contra, ainsi que dans l’elixir tonique de Gendrin.

La grande absinthe est employée dans la fabrication de liqueurs très répandues : l’absinthe, le bitter, le vulnéraire, le vermouth, etc. La première est interdite comme je l’ai dit plus haut, à cause des accidents que produit son essence par un usage répété, accidents dont l’ensemble constitue ce qu’on appelle l’ « absinthisme », Les recherches qui ont été effectuées sur cette essence en vue de déterminer sa toxicité ont conduit à des résultats contradictoires [1]. Tandis que d’après certains savants l’essence d’absinthe est la moins toxique de toutes celles qui entrent dans cette liqueur ; pour d’autres, les propriétés épileptisantes de celle-ci sont dues uniquement à l’essence même d’Absinthe.

La plante a été quelquefois employée comme condiment. Quand elle est broutée, elle communique au lait des vaches une saveur amère et désagréable, ainsi d’ailleurs qu’à la chair de tous les animaux.

Observations commerciales. — Bien que la culture de. la grande absinthe ne soit plus ce qu’elle était avant l’interdiction de la vente de la liqueur en 1915, elle est encore assez importante pour répondre aux besoins de la thérapeutique, car la France en importait avant la guerre pour 80 000 francs Le prix des feuilles sèches mondées vaut, selon les années, 1 fr. à 1 fr. .25 le kilogramme ; il a varié l’an dernier dei fr. 4o à i fr. 60, tandis que celui des sommités fleuries n’a atteint que 0 fr.75 à 0 fr. 90.

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