Le Radar — 1e partie

Sir Robert WATSON-WATT C. B. F. R. S., Atomes N°1 - Mars 1946
Jeudi 28 mai 2009 — Dernier ajout dimanche 26 février 2017

Radar, « Radio Detection and Ranging », fut d’abord connu sous les initiales « R. D. F. » . On préféra le terme « Radiolocation » en 1941, lorsque l’on révéla au public que l’Angleterre utilisait cette nouvelle technique. Finalement, c’est le mot « Radar » qui l’a emporté. Les premiers essais pratiques pour localiser les avions par la radio furent effectués en 1935 par l’auteur de cet article qui est maintenant conseiller scientifique pour les télécommunications au ministère de l’Air et au ministère de la Production aéronautique britannique.

Au cours des opérations militaires, la difficulté consiste à localiser l’ennemi, à connaître de quelles forces il dispose et ce qu’il se prépare à faire à un moment donné. Ces différents renseignements doivent être connus suffisamment à temps pour qu’il soit possible de déjouer ses intentions.

Le problème est donc double :

1. Repérer les positions relatives des deux forces en présence. 2. Obtenir continuellement des renseignements sur la vitesse du changement de ces positions.

Le problème de la détection et de la localisation des avions ennemis, dans des délais suffisamment courts, n’était pas un problème nouveau lorsqu’en 1935 on lui porta une attention spéciale.

On connaissait à cette époque les difficultés éprouvées pour voir ou entendre les avions suffisamment vite pour que la défense anti-aérienne soit efficace. Grâce aux faisceaux lumineux, on arriva à réduire les incertitudes due !! à l’obscurité ; grâce au système de localisation acoustique, on obtint un moyen indépendant de la visibilité. Mais le repérage par les pinceaux lumineux n’était pas très efficace. On ne savait jamais si l’on manquait un avion parce qu’on le cherchait trop haut, trop bas, trop à droite ou trop à gauche, cela revenait à chercher une aiguille dans une botte de foin. Le système acoustique, lui aussi, avait une efficacité très limitée parce qu’il dépendait des conditions météorologiques, parce qu’il avait une portée trop courte, et enfin parce qu’il était difficile de distinguer le bruit d’un avion de celui des autres avions, ou du bruit des autos, ou du bruit du vent dans les arbres, ou, d’une façon générale, de tous les bruits qui forment le fond sonore ) que l’on entend perpétuellement. La première station terrestre de Radar pour le repérage des avions fut installée en 1935 sur la côte anglaise la plus proche de l’Allemagne. Les travaux d’études commencèrent le 13 mai. Le document ci-dessous (fig. B) montre les premiers résultats obtenus.

Cet enregistrement photographique montre le repérage d’un avion « Wallace » . L’avion est repéré à l’aller et au retour à des distances respectivement de 34 miles et 32 miles ½ . Une intrusion inattendue et intéressante eut lieu lors de l’expérience : Des « échos » venant de sources inconnues qui se trouvaient à 15 et 20 miles de la station, furent interceptés.

Les observateurs scientifiques les diagnostiquèrent comme provenant d’une formation de trois avions. Le Radar semblait montrer qu’un des trois avions avait quitté brusquement la formation pour poursuivre son chemin tout seul, les deux autres avions demeurant groupés.. Le diagnostic, le premier qui fut fait sur une formation d’avions, fut pleinement confirmé par le pilote du « Wallace » à son retour, il déclara avoir aperçu une formation de trois « Harts » dont l’un quitta le groupe tandis que les deux autres continuaient leur route ensemble.

La méthode grâce à laquelle une telle information a pu être obtenue par le Radar, peut s’expliquer facilement en se servant de l’analogie bien connue de l’ « écho » sonore. Une surface réfléchissante, une falaise par exemple, renvoie, comme un écho, un bref claquement de mains. La distance entre la personne qui a claqué des mains et la falaise peut être mesurée en comptant les secondes qui s’écoulent jusqu’à ce qu’on entende l’écho. Il faut dix secondes à une onde sonore pour aller jusqu’à une falaise située à un mile et pour en revenir. On peut ainsi, en connaissant cette valeur, convertir les secondes en miles.

Si le claquement de mains est fort, l’écho dû à la falaise est proportionnellement fort. Si le claquement est continu, le faible écho pourra ne pas être distingué des bruits locaux et, s’il y a plusieurs falaises, chacune renvoyant un écho, l’écho de l’une quelconque des falaises peut difficilement être distingué dans la complexité des sons. Ainsi, la mesure sur une falaise donnée est plus aisée en émettant un coup très fort et très bref suivi d’un intervalle de silence pendant lequel l’écho apparaît clairement. Plus le coup est bref, moins il y a de chevauchements d’échos provenant d’obstacles rapprochés.

L’équivalent en radio du claquement de mains, ou du coup, s’appelle une pulsation. Pratiquement, tout Radar émet des pulsations très intenses et très brèves ; « très intenses » signifiant quelques centaines de kilowatts, et « très brèves »signifiant qu’elles durent quelques millionièmes, ou même quelques dix-millionièmes de seconde.

En radio, la vitesse des « échos » n’est plus de six secondes par mile pour un aller-retour, mais elle est de dix-millionièmes de seconde par mile.

Heureusement, la mesure de millionièmes de seconde est chose facile. On emploie pour cela le tube cathodique. Les usagers de la télévision le connaissent bien ; il repose sur le fait qu’un fin pinceau d’électrons produit un spot lumineux intense sur le fond du tube. Si l’on fait agir une force électrostatique ou magnétique sur le faisceau d’électrons, celui-ci sera dévié et le spot lumineux va se mouvoir sur le fond du tube servant d’écran. Par exemple, le spot ira en un nombre donné de microsecondes., uniformément de gauche à droite, restera à droite pendant un certain temps, reviendra très rapidement à son point de départ et ainsi de suite -tout ceci à la vitesse que l’on désire.

Un second couple de forces électrostatiques ou magnétiques peut être appliqué pour faire mouvoir le spot verticalement, et si ces forces viennent d’un récepteur de radio dans lequel les pulsations sont déclenchées par une antenne réceptrice, à chaque pulsation correspondra une encoche, en forme de V, sur la ligne horizontale tracée parle spot lumineux, encoche que l’on apercevra grâce à la fluorescence et à la persistance de la vision.

Nous sommes à même, maintenant, d’établir notre système de Radar terrestre. Nous envoyons des pulsations intenses à des intervalles de temps égaux (chaque vingt-cinquième de seconde si nous avons à mesurer de longues distances, chaque cinq millièmes de seconde pour de faibles distances), de telle façon que l’émetteur travaille avec une puissance de quelques centaines de kilowatts, ou plus, pendant une durée d’environ un millionième de seconde (une microseconde) , puis reste absolument inactif pendant le temps relativement long de 40.000 microsecondes, puis redevient actif pendant une microseconde, et ainsi de suite.

On dispose pour cela d’une grande antenne d’émission supportée par deux mâts de 100 mètres.. et installée de telle façon que les pulsations soient dirigées -sur un large secteur uniquement au-devant de la station et non vers l’arrière pour éviter les erreurs qui seraient dues aux avions de l’intérieur.

A trente mètres de là, nous disposons une antenne réceptrice -supportée par une tour de quatre-vingt mètres de haut, en bois -et nous lui faisons alimenter notre récepteur de radio branché à notre tube cathodique.

A chaque instant où une pulsation est envoyée par l’émetteur, nous laissons partir le spot sur le tube cathodique pour son voyage de gauche à droite. L’impulsion dans le récepteur, due à l’onde émise à trente mètres de là, fait une encoche au moment où le spot commence à se déplacer sur la ligne horizontale. Cette encoche est appelée un « blip » par l’opérateur de la R. A. F ., un « break » par l’opérateur de la batterie anti-aérienne, et un « pip » par l’opérateur américain.

Puisque la ligne est constamment parcourue par le spot, au même rythme exactement que celui des pulsations, les « blips » dus aux impulsions successives se superposent et dessinent une encoche immobile. Une pulsation écho, venant d’un avion, arrivera avec un retard de dix microsecondes pour chaque mile dont est éloigné l’avion de la station de Radar, et fera un « blip » qui commencera sur la ligne horizontale au point atteint par le spot lumineux au bout de ce nombre de microsecondes.

Ainsi, l’écho d’un avion en marche fait une encoche qui se déplace lentement. Pour avoir la distance de l’avion, il suffira de tracer une graduation sur le fond du tube, en prenant comme échelle une échelle telle qu’à ’dix microsecondes corresponde un mile ; cette graduation allant de gauche à droite, c’est le bord gauche de l’encoche qui indique la distance de l’avion.

fig. B

Nous voyons sur la figure B (5) que le spot a voyagé pendant 92 microsecondes (depuis son départ qui a eu lieu en même temps que l’impulsion initiale) avant que le premier écho n’arrive, 155 microsecondes avant que l’écho dû au premier « Hart » . n’arrive, et 200 microsecondes avant que celui dû au groupe des deux « Harts » n’arrive. Ceci se répétant vingt-cinq fois par seconde et chaque « blip » étant presque exactement superposé à son prédécesseur, il en résulte que chaque avion est représenté par un « blip » se déplaçant lentement le long de l’échelle des distances avec une vitesse correspondant à sa vitesse d’approche vers la station.

Nous avons trouvé la distance de l’avion, il nous faut maintenant connaître d’une part l’angle que fait avec le Nord le rayon qui joint l’avion au Radar et d’autre part la hauteur à laquelle vole l’avion. Nous serons alors en mesure de localiser l’avion dans l’espace. Pour trouver l’angle, nous utilisons une antenne réceptrice spéciale, constituée par deux groupes de fils horizontaux orientés respectivement nord-sud et est-ouest, et un radiogoniomètre dans lequel en tournant une manivelle nous tournons une bobine qui détermine les proportions dès signaux reçus par les fils N.-S. et E.-O.

Quand le plan de la bobine est dirigé vers l’avion, le « blip » est maximum, quand il est à angle droit de cette direction le « blip » disparaît et cette disparition donne une mesure très précise de la direction. Il faut noter que nous pouvons attribuer une direction à chaque « blip ", sans risque de la confondre avec une autre. La distance et la direction pour chaque écho donné sont associées sans erreur possible : Nous ne pouvons commettre l’erreur d’associer la distance de l’avion A, et la direction de l’avion B, ce qui nous donnerait un avion fantôme en C.

Il nous reste à mesurer la hauteur. L’écho dû à l’avion atteint l’antenne réceptrice élevée par deux chemins différents : l’un direct, l’autre étant réfléchi sur le sol qui se comporte comme un « radio-miroir » presque parfait. Mais, lors de la réflection, a lie\i un changement de phase de presque 180°, ce qui veut dire que chaque pointe dans l’onde directe est remplacée presque exactement par un creux dans l’onde réfléchie.

Fig. C. UNE STATION CH. DE RADAR (Chain Home : chaîne nationale)

Les ondes directes et réfléchies se combinent en une onde résultante dans laquelle elles tendent à s’annuler l’une l’autre, pour les incidences rasantes, et à se renforcer pour les très grandes angles. Ainsi, un avion qui vole bas, donne un signal extrêmement faible dans une antenne réceptrice basse, un signal meilleur dans une antenne plus haute, et, en fait, un signal, qui par les angles de faibles valeurs est proportionnel au carré du produit de la hauteur de l’antenne par la hauteur de l’avion. Nous pourrons donc mesurer la hauteur du vol en ayant deux antennes réceptrices à deux hauteurs différentes et en comparant les signaux qu’elles reçoivent au moyen du radiogoniomètre que nous avons utilisé pour mesurer les directions, et que nous connectons alternativement à ces deux antennes.

Arrêtons-nous maintenant un instant et remarquons que nous avons eu de la chance : nous avons « inondé de lumière » par le Radar un vaste volume d’air situé à l’avant de notre station. Un avion, volant à 3.000 mètres, à une distance de 100 miles, nous renverra peut-être le millième de la millionième partie du millionième de l’énergie contenue dans chacune des pulsations que nous avons envoyées. On nous dira que c’est parce que nous n’avions pas les moyens de faire un puissant « faisceau lumineux » radioélectrique que nous avons été obligés d’ « inonder de lumière » . C’est vrai, nous n’avions pas ces moyens (en 1935), et cependant nous avons conservé ce système après que les radio-faisceaux furent mis au point, le besoin primordial et vital étant de monter une garde continuelle tout le long de nos côtes : pendant que nous étions en train de localiser une formation particulière nous ne voulions pas manquer d’apercevoir d’autres formations d’avions évoluant aux alentours.

Avec notre écho, qui n’est que le trillionième de l’écho émis, nous avons découvert la distance d’un avion se trouvant à deux ou trois cents miles, avec une précision d’environ un mile. Nous avons mesuré l’orientation de cet avion, avec une précision de peut-être ±2 degrés, et nous avons mesuré sa hauteur de vol lorsqu’il s’est rapproché de nous jusqu’à 60 miles avec une précision de peut-être ±500 mètres. Mais comment se fait-il alors que nous sachions qu’un écho peut être dû à une formation de deux ou trois « Harts D, et que pouvons-nous dire sur des formations plus importantes ?

Dans l’exemple précédent, nous savions qu’il y avait deux avions tout près l’un de l’autre parce que la taille du « blip D variait de façon relativement lente entre zéro, ce qui est à peu près atteint sur la figure B (5), et deux fois la moyenne [figure B (6)]. Nous savions qu’il y avait trois avions l’un à côté de l’autre, parce que cette variation entre les deux échos, quand ils passaient d’une phase à l’autre, était plutôt plus rapide et n’entraînait pas la diminution du « blip » jusqu’à zéro.

Au fur et à mesure du développement du Radar, nos observateurs,et en particulier les observateurs de la W.A.A.F. [1] qui pendant la bataille d’Angleterre ont eu le plus grand rôle dans la garde des côtes, devinrent capables d’estimer le nombre des avions d’une formation comprenant jusqu’à 100 et 150 avions avec une précision de l’ordre de 10 %. Ce résultat fut obtenu par une étude approfondie et une très grande expérience des schémas compliqués d’échos donnés par des formations nombreuses.

Tous les renseignements obtenus sur les formations devaient être transmis avec précision à un centre de filtrage qui recevait l’ensemble des informations de toutes les stations dispersées le long des côtes. Il est plus commode en effet de grouper ces renseignements sur une carte plutôt que de donner les distances et les orientations des avions repérés à partir de chacune des stations. De plus, la mesure de la hauteur de vol demande des corrections à cause des accidents du terrain qui se trouvent devant chaque station. Des vols d’étalonnages établissent ce que doivent être ces corrections. Pour cela on utilise une machine électrique spéciale, appelée sans grand respect bien qu’avec une grande affection « fruit machine » [2] par les opérateurs du Radar, qui fait automatiquement ces corrections et donne des chiffres transmis aussitôt par téléphone à la chambre de filtrage. Nous avons indiqué plus haut que l’intensité de « l’écho. est proportionnelle au carré du produit de la hauteur de l’antenne par la hauteur de l’avion, c’est pourquoi nous avons dit qu’un avion volant bas peut s’approcher tout près du rivage sans être repéré. Mais cette intensité de l’écho est aussi inversement proportionnelle au carré de la longueur d’onde (en négligeant d’autres effets relatifs à la longueur d’onde qui sont d’importance secondaire).

Pour repérer des avions volant bas, à longue distance, nous devons donc réduire nos longueurs d’ondes. Ce qui nous permet d’utiliser des antennes plus petites ; nous pourrons faire tourner ces antennes autour d’un axe vertical et obtenir ainsi une sorte de faisceau de lumière radio-électrique . cet équipement s’appelle l’équipement C. H. L. [3] (fig. C).ll fut introduit sur nos côtes durant les premiers mois de la guerre pour compléter la protection donnée par nos grandes stations C. H. [4], protection qui n’entrait enjeu que pour des avions volant haut (fig. B). La protection pour des hauteurs inférieures à 150 mètres est due, elle, aux stations C. H. L.

(A Suivre.)

[1Women Anti-Aircraft Forces (Forces féminines antiaériennes)

[2Machine à abattre du « boulot »

[3Chain Home Low (Chaîne nationale, basse)

[4Chain Home (Chaîne nationale)

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