L’éclairage électrique à Londres

L. Beauval, La Science illustrée N°105 - 30 décembre 1890
Vendredi 8 mai 2009

Dans un précédent article (Voir le n° 88 ) nous avons exposé à nos lecteurs les projets d’installation de la lumière électrique à Londres, sous la direction de M. de Ferranti, Bientôt Londres va être éclairé entièrement à I’électricité ; depuis un an déjà, dans les principales rues de la cité et sur les ponts, le nouvel éclairage avait été essayé ; malheureusement le prix de revient était trop élevé et les premières compagnies qui s’établirent éprouvèrent de grosses difficultés financières. Un acte récent du Parlement a levé les obstacles qui empêchaient Londres de posséder la lumière électrique. Plusieurs grandes compagnies ont été fondées, avec un capital de 3 millions de livres sterling (75 millions de francs environ) ; ces compagnies ne doivent pas se faire concurrence ; on a dévolu à chacune d’elles un certain nombre de quartiers auxquels elle devra distribuer l’électricité.

La « London Electric Supply Corporation » a installé son usine à Deptford, comme nous le disions dans le précédent article ; cet établissement est dirigé par M. de Ferranti, ingénieur en chef, qui a énormément contribué à l’amélioration des machines électriques destinées à fournir la lumière et s’est occupé des moyens de la distribuer facilement aux abonnés ; la compagnie alimentera deux millions de lampes.

La compagnie avait commencé par éclairer en novembre 1884 Grosvenor Gallery. Elle reçut alors différentes propositions des commerçants voisins qui lui demandaient de leur fournir la lumière ; elle accepta de prendre ces nouveaux abonnés et dut en conséquence augmenter son travail. Comme les demandes devenaient de plus en plus nombreuses, la compagnie s’étendit et changea de nom et de local.

La construction des grandes usines de Deptford, avec leurs puissantes machines, a commencé au mois d’avril 1888. Voici ce que dit à ce sujet le président de la compagnie :

« Depuis cette époque nous avons travaillé nuit et jour. Aujourd’hui nous avons élevé une immense galerie et nous possédons des machines et des dynamos de la force de 3 000 chevaux. Deux autres machines et dynamos en construction sont de la force de 5 000 chevaux chacune. Quand nous avons voulu construire ces machines, nous nous sommes adressés à la maison Krupp en Allemagne, au Creusot en France ; aucun de ces établissements ne pouvait nous les livrer avant trois ans. Comme nous ne pouvions attendre cette époque, nous nous sommes décidés à construire nous-mêmes les machines dont nous avions besoin, et dans un an nous avons terminé notre installation ; jamais on n’avait construit de dynamos aussi grandes. Le tour employé pour façonner le grand arbre de couche est de la taille de ceux qui servent à fabriquer les canons de 100 tonnes. Les arbres de couche ont 0m,90 de diamètre et pèsent 70 tonnes avant d’être tournés ; ce sont les fontes d’acier les plus importantes qu’y aient jamais été faites en Écosse. L’armature des dynamos mesure 4 mètres de diamètre. Actuellement, les dynamos actionnées à Deptford alimentent 25 000 lampes et les dynamos en construction alimenteront 100 000 lampes chacune.

Ces nouvelles dynamos sont arrangées de façon qu’au moment où les demandes arrivent nous puissions les accoupler à deux machines de 5 000 chevaux chacune ; de cette façon chacune d’elle pourra alimenter 200 000 lampes au lieu de 100 000. Nous n’employons pas de câbles pour distribuer l’électricité, mais un tube de cuivre entouré d’un enduit isolant. Un second tube de cuivre recouvre cet enduit ; ce tube est parcouru par le courant de retour ; il est lui-même recouvert d’une couche isolante et placé dans un tube de fer. De cette façon nos conducteurs peuvent échapper aux chances de rupture et nous n’aurons pas besoin de les enfermer dans des enduits spéciaux ; il nous suffira de les enterrer. Le tube extérieur est en fer, épais de 0m,005 environ ; il est suffisamment flexible pour se recourber à angle droit sans se briser et en même temps assez résistant pour supporter sans s’écraser une forte charge. Tous les 6 mètres, il y a un joint entre les tubes, et c’est à ces joints que l’on reliera les abonnés. Ce système de conducteurs ne présente aucun danger ; on peut toucher impunément le tube de cuivre extérieur qui est relié à la terre. Le courant primaire a une force électromotrice de 100 000 volts ; cette tension n’avait jamais été atteinte jusqu’ici dans les applications électriques. »

Le directeur donne ensuite des détails sur la distribution de l’électricité dans les maisons ; nous en avons déjà parlé dans l’article cité plus haut, nous n’y reviendrons pas.

La « Metropolitan Electric Supply Company » avec ses six stations (Sardinia street ; Rathbane place ; Whitehall ; Manchester square ; Waterloo wharf et Greenmore wharf) représente un capital de un demi-million de livres sterling. Les six stations alimenteront 300 000 lampes. Ensuite viennent d’autres compagnies chargées de distribuer l’électricité aux différents quartiers de Londres.

Quant au coût de cette lumière, il est fixé par un acte du Parlement et correspond environ à 0 fr. 20 le mètre cube de gaz. L’installation des conduites dans une maison en construction n’est pas plus dispendieuse que celle du gaz, et dans les maisons anciennes, la dépense à faire n’est pas énorme ; les compagnies comptent pouvoir installer les appareils pour 50 francs. Les avantages de cet éclairage sont incontestables : plus de fumée qui abime les étoffes, les peintures et les décorations des appartements, et au point de vue de l’hygiène, l’air n’est plus vicié par les produits de la combustion du gaz.

L. Beauval

Revenir en haut