Les « Shinobu No Tamma » au Japon

Albert Maumené, La Nature N°1511, 10 Mai 1902
Samedi 25 avril 2009 — Dernier ajout samedi 27 juillet 2019

Les Shinobu no tamma se rangent parmi les curiosités végétales que l’imagination des Japonais se plaît à produire. Ces arrangements, encore peu connus en France, ainsi que les spécimens d’arbres nains que l’on a pu voir dans les jardins japonais des expositions universelles de 1889 et 1900, sont souvent l’objet de critiques de la part de beaucoup de personnes, qui trouvent que le goût des amateurs et des jardiniers japonais s’est égaré. On leur reproche notamment de vouloir maîtriser et contraindre la nature, au lieu de favoriser le développement normal des plantes. Il est évident que ces végétaux de formes diverses, qui paraissent momifiés, ne peuvent avoir aux yeux des Occidentaux la beauté de ceux qui se sont développés, librement et naturellement.

L’idéal des Japonais est d’une nature différente de celui formé chez nous par l’hahitude et l’observation journalière. Pour goûter ce qu’ils font, il faut, à défaut d’éducation, une accoutumance pour se faire aux lignes contournées, qui étonnent au premier chef. Par contre les Européens qui comprennent leurs idées, admirent aussi bien les produits qui sont l’objet de leurs soins assidus que les formes auxquelles les jardiniers japonais aspirent.

Les Japonais sont des imitateurs fort habiles ; c’est le trait caractéristique de la nation ; leur ambition, en toutes choses, est de reproduire ce qui leur en semble digne. La preuve existe dans leurs peintures et leurs sculptures et, à un degré moins élevé, dans le jardinage et notamment dans ces « Shinobu no tamma ». Ces objets de n’importe quelle forme, faits de fougères, les Japonais les aiment parce qu’ils représentent un peu de cette nature à laquelle ils sont attachées par les liens sacrés : l’histoire, les anciennes mœurs, et indirectement, par leur culte religieux. Depuis longtemps ils sont un ornement favori des auberges, des boutiques et des habitations. Les premiers voyageurs les ont admirés, et quelques-uns en ont rapporté en Europe et surtout en Amérique, comme curiosité japonaise.

C’est véritablement une curiosité que ces boules, cercles ou figurines, représentant des animaux et de préférence des singes, des oiseaux, des chevaux, ou bien encore de petites constructions : temples, maisons, lettres et enseignes de boutiques.

Je dois à l’obligeance de M. Théo. Eckardt, de la maison Louis Bœhmer à Yokohama, la plupart des renseignements contenus dans cet article et les gravures qui l’accompagnent. Ces gravures représentent . quelques-uns des types les plus simples du « Shinobu no tamma » parmi les milliers qui sont confectionnés pour l’exportation.

La figure 1 montre une simple boule semblable aux suspensions plantées de Davallia en forme de ballon que l’on voit assez souvent dans les serres en Europe. De formes plus compliquées sont les motifs de la figure 2. C’est d’abord une enseigne : celle de la maison Louis Bœhmer et au-dessous des figurines diverses, imitant des oiseaux, singes et un temple.

Les Américains font preuve d’un certain engouement pour ces objets de plantes vivantes. Leur exportation s’est tellement accrue pendant ces trois dernières années qu’il est à craindre que, dans un temps peu éloigné, les forêts japonaises se trouvent démunies de cette charmante fougère : le Davallia bullata. Les rhizomes qui atteignent 1,50m rampent sur le sol (comme dans nos bois indigènes le Polypode vulgaire, avec cette différence que ce dernier a de très courts rhizomes) et s’enroulent autour des troncs d’arbres.En septembre-octobre, cette fougère entre dans sa période de repos et perd ses feuilles, c’est-alors que ses longs rhizomes sont recueillis ; ceux-ci en se fanant deviennent souples et se prêtent à toutes les fantaisies. Les Japonais façonnent des formes variées, à l’aide de fil de fer, de fil de laiton et de rameaux de bambou, qu’ils entourent d’un bourrelet de la mousse blanche des marais : le Sphagnum. Les rhizomes sont alors fixés à l’aide de ficelles préparées avec des fibres de palmier qui ont l’avantage de ne pas pourrir avant trois ou quatre ans. A partir d’octobre commence l’expédition de ces objets, qui peuvent subir un très long voyage sans aucun inconvénient.

Au printemps les fougères entrent de nouveau en végétation et il n’y a qu’à bassiner journellement rhizomes et mousse pour obtenir une très jolie verdure.

J’ai encore vu de ces « Shinobu no tamma » dans le jardin japonais d’un amateur à Boulogne-sur-Seine, mais qui étaient confectionnés sur place. Le jardinier, japonais également, se fait expédier les rhizomes que l’on emballe dans une simple caisse, .quelque temps après leur récolte, et qui arrivent bien à l’état sec. Il confectionne des carcasses représentant des bicyclettes ; oiseaux, etc., en fil de fer entouré de bourrelets de mousse, ou d’autres objets : châteaux, voiturettes à l’aide de planchettes et de Sphagnum sur lesquels il fixe des rhizomes de Davallia. Tout cela est véritablement curieux lors de la végétation de ces fougères ; j’ai vu notamment une bicyclette ainsi confectionnée, qui était un modèle de patience.

Albert Maumené, Professeur d’horticulture.

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