Lavoisier et sa statue

Henri de Parville, La Nature N°1419 - 4 aout 1900
Lundi 13 avril 2009 — Dernier ajout mardi 27 décembre 2016

Un chimiste Américain en parcourant Paris, il y a quelques années, chercha vainement la statue de Lavoisier. Il en fit la remarque et plusieurs sociétés savantes avec lui. En effet, Paris ne possédait pas le plus petit monument en l’honneur de celui que l’on a appelé le « fondateur de la chimie ! » et on sait pourtant si les statues abondent dans la grande ville. L’Académie des sciences, sur l’initiative de M. Berthelot, décida d’ouvrir une souscription internationale pour élever enfin une statue à l’une des plus grandes gloires de la France. Le comité Lavoisier réunit cent mille francs en quelques années et les souscripteurs ne furent pas que français ; à l’étranger on n’avait pas oublié la grande œuvre de Lavoisier et ses immenses conséquences ; on s’est montré reconnaissant. Allemands, Américains , Anglais, Italiens, Belges, Russes, Autrichiens ont répondu à l’appel. Le Tsar avait bien voulu prendre sous son haut patronage la souscription du Comité. Les Écoles de Russie ont participé largement à la souscription. Le monument est fait de l’or de tout le monde civilisé. On l’a inauguré en grande pompe le 27 juillet sous la présidence de M. Leygues et en présence des membres du 4e Congrès international de Chimie.

La statue s’élève sur le terre-plein de l’église de la Madeleine en face la rue Tronchet, près de la maison qu’habita longtemps Lavoisier. L’emplacement a été bien choisi. La statue est en bronze sur un socle de granit. Des mains pieuses l’avaient ornée de couronnes de fleurs. Elle est de Barrias ; le socle est de Gerhardt ; elle a été coulée par Gruet. Lavoisier est représenté debout, le bras droit tendu vers l’espace, la main gauche reposant sur des cornues et des instruments. Le socle porte des bas-reliefs : sur l’un d’eux Lavoisier expose ses découvertes à ses collègues de l’Académie ; au premier plan se détache Monge assis et Lagrange, Condorcet, Berthollet, Vicq d’Azyr, Laplace, Lamarck et Guyton de Morveau. Sur l’autre, Lavoisier est dans son laboratoire et dicte des notes à sa femme, pendant qu’au deuxième plan un de ses élèves apporte sur la table une cloche à mercure. On peut dire que le monument est dans son ensemble d’une heureuse inspiration.

M. Berthelot qui a été l’âme du Comité et qui devait présider la cérémonie, indisposé depuis quelques jours, n’a pu y assister. C’est son collègue, M. Darhoux, qui a lu son discours, qu’il faudrait citer en son entier. Rappelons seulement ces lignes : « Les travaux de Lavoisier se rapportent à une découverte fondamentale dont ils dérivent tous, celle de la constitution chimique de la matière et de la distinction entre les corps pondérables et les agents impondérables : chaleur, lumière, électricité dont les corps pondérables subissent l’influence. La découverte de cette distinction a renversé les anciennes conceptions qui dataient de l’antiquité et qui s’étaient perpétuées jusqu’à la fin du siècle dernier. » Il fallut seulement dix ans à Lavoisier d’une énergie indomptable pour faire sortir nos connaissances sur la matière de l’obscurité où elles étaient plongées. Est-il besoin de rappeler ses découvertes sur la composition de l’air, de l’eau, des matières organiques, sur le rôle de la chaleur en chimie, sur la chaleur animale, sur la nature de la respiration en physiologie ? Conceptions et découvertes, qui ont rendu son nom immorte !. Pendant tout le dix-neuvième siècle, on peut avancer que tous les travaux des chimistes, des physiciens, des physiologistes ont été inspirés par les idées de Lavoisier.

M. Henri Moissan, secrétaire du Comité, a remis le monument à la Ville de Paris. après avoir remercié, dans un excellent discours, les membres souscripteurs qui sont venus de tous les pays apporter leur tribut d’admiration à Lavoisier. M. de Selves a reçu le monument : « La piété du monde savant l’a élevé, a-t-il dit, la piété de Paris saura le conserver ». M. G. Leygues à son tour, au nom du Gouvernement, a salué le grand créateur, « dont Ie nom vivra tant qu’il y aura une science et des hommes pour l’honorer ». Lavoisier était né à Paris en 1743. Dès 1768, il avait vingt-cinq ans, il fut associé, en qualité d’adjoint-chimiste, aux travaux de l’Académie. En 1769, il était académicien et ses travaux renouvelèrent la science européenne. Il fut aussi philosophe et philanthrope. Ses « réflexions sur l’instruction publique », présentées à la Convention, sont un chef-d’œuvre de clarté et de logique. Commissaire de la Trésorerie nationale, directeur des Poudres et Salpêtres, membre le plus actif de la grande Commission des poids et mesures, . (lui allait doter le monde du système métrique, il fut en quelque sorte le savant officiel de la Patrie. Mais il était fermier général au moment de la tourmente révolutionnaire, et fut impliqué dans le procès des fermiers généraux. On eut l’infamie de condamner à mort cet homme, l’honneur de son temps. Lavoisier fut décapité en 1794 comme ennemi du peuple.

Ironie de la fortune, qui fut jamais plus grand ami du peuple que Lavoisier ? Fermier général, il ne cessa de proclamer avec Turgot la nécessité des réformes. De sa propre initiative, il supprima les droits injustes, réclama la création des caisses de secours et fut l’adversaire des privilèges, « S’il est permis, dit-il, dans une société de faire des exceptions, en faveur de quelque ordre de citoyens, ce ne peut être qu’en faveur des pauvres. »

Les accusateurs et les juges de Lavoisier trahirent l’humanité et la patrie. Sa condamnation fut un crime.

M. le Ministre de l’instruction publique l’a rappelé, Lavoisier fut vaillant devant la mort. « J’ai obtenu, écrivait-il à Augez de Villers, une carrière passablement longue, surtout fort heureuse, et je crois que ma mémoire sera accompagnée de quelques regrets, peut-être même de quelque gloire. Qu’aurais-je pu désirer de plus ? Les évènements dans lesquels je me trouve enveloppé vont probablement m’éviter les inconvénients de la vieillesse. Je mourrai tout entier ; c’est encore un avantage que je dois compter au nombre de ceux dont j’ai joui. »

Non, Lavoisier n’est pas mort tout entier. Il vit et vivra éternellement dans le monde entier. Et lui, l’ « ennemi du peuple », il a enrichi et ne cesse d’enrichir par ses admirables découvertes l’industrie des peuples modernes et il n’a cessé de concourir à l’affranchissement intellectuel, moral et matériel des populations.

Comme Galilée, comme Newton, comme Leibniz. il a été un des plus grands bienfaiteurs de l’humanité. Aussi dans un sentiment de vénération et de patriotisme, aurons-nous raison de nous découvrir devant la statue de Lavoisier.

Henri de Parville

Vos témoignages

  • lajzerowicz joseph 8 mars 2010 14:59

    Cette statue a disparue pendant la seconde guerre mondiale ayant été fondue par l’occupant allemand*. Mais miraculeusement,le sculpteur,Darrias,avait fait ,vers 1900 ,dépôt au musée de Grenoble des deux bas reliefs décrits dans l’article de « la Nature » et ont peut, actuellement ,admirer ces deux œuvres, qui représentent Lavoisier en action ; elles sont à l’exposition dans la capitale du Dauphiné.Vaut le détour

    *Pourquoi pas une nouvelle statue ?

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