L’observatoire de Meudon

W. De Fonvielle, La Science Illustrée N°266- 31 décembre 1892
Mardi 10 mars 2009 — Dernier ajout samedi 30 mars 2024

W. De Fonvielle, La Science Illustrée N°266- 31 décembre 1892

En récompense des succès qu’il a obtenus et de l’intérêt qui s’attache à ses différentes entreprises, M. Janssen a été désigné par l’Académie des sciences pour faire la grande lecture publique à l’occasion de la séance de distribution des prix en 1892. Il est donc indispensable de donner à nos lecteurs une idée de l’importance des travaux du savant astronome, qui est considéré comme une des gloires de la France.

La plus longue, et sous certain point de vue la plus importante des entreprises auxquelles il préside avec une activité toute juvénile, est sans contredit la construction de l’Observatoire de Meudon, dont il est le créateur en même temps que le directeur ; double rôle que le grand Cassini a si bien joué lors de la fondation de l’Observatoire de Paris au temps de Louis XIV. Mais, organisé à une époque où les instruments modernes étaient à peine connus, l’édifice du grand roi est devenu rapidement insuffisant ; tandis que celui de notre République, construit surtout en vue des besoins de la science future, servira probablement pendant des siècles.

Il occupe une partie du château du prince Jérôme, qui avait échappé aux dévastations des Prussiens, et auquel on a ajouté deux tourelles latérales, ainsi qu’une partie à moitié souterraine.

Ce vaste édifice s’élève le long de la grande avenue, à main droite, en entrant par la grille d’honneur. Il se compose d’un rez-de-chaussée et d’un premier étage. Le rez-de-chaussée, consacré au logement du directeur, est creusé dans le sol de la terrasse supérieure. Le premier étage demeure réservé à la grande lunette, que le directeur aura sous sa main et qu’il pourra toujours braquer instantanément vers la partie du ciel où on lui aura signalé quelques objets curieux. Les autres instruments seront distribués sur la terrasse supérieure, ou à portée de l’Observatoire.

Le tube de la grande lunette sera un tube rectangulaire, long de1,40m sur 0,90m de hauteur. Il abritera à la fois deux instruments, longs tous deux de 17 mètres, mais dont l’un aura 0,83m de diamètre et l’autre 0,60m seulement. Le premier sera réservé à l’étude optique du ciel et se terminera par un oculaire astronomique ordinaire. Le second servira à la prise de clichés astronomiques et se terminera conséquemment par une pellicule sensibilisée ; l’objectif sera muni d’un obturateur à déclenchement rapide lorsque l’on photographiera le soleil.

L’instrument sera recouvert d’une coupole hémisphérique ayant un diamètre intérieur de 18 mètres et extérieur de 19 mètres, qui tournera sur un système de galets fort ingénieux amortissant les frottements de la façon la plus remarquable.

La lunette sera si parfaitement équilibrée autour de son pied monumental, d’une rigidité absolue, que l’on pourra la faire manœuvrer rien qu’en la touchant du bout du doigt ; mais si la pièce principale se ma­ nie facilement, il n’en est pas de même des organes accessoires, que l’on n’aurait pu remuer avec une précision suffisante si l’on n’avait eu recours à l’électricité, puissance d’une docilité merveilleuse à la­ quelle les astronomes devraient plus souvent s’adresser.

Cette force est fournie par une dynamo de 4 000 watts, mue par une machine à gaz, placée dans le laboratoire de M. Janssen. C’est là que le savant astronome a soumis, comme nous l’avons déjà rapporté, à l’analyse spectrale, des rayons de lumière auxquels il a fait traverser des tubes longs de 60 mètres, et chargés successivement de différents gaz foulés à une pression de plus de 100 atmosphères.

L’astronome devra faire mouvoir deux objets différents pour se servir de cette lunette, la plus puissante qui soit au monde, si on totalise les effets optiques et photographiques qu’elle peut à la fois produire. Il faut que l’opérateur déplace rapidement la coupole qui l’abrite et le balcon qui doit lui permettre de se transporter au bout de l’oculaire, lequel peut se trouver en un point quelconque d’un hémisphère de 18 mètres de diamètre, soit environ 300 mètres carrés de surface. Ces deux problèmes sont résolus l’un et l’autre de la façon la plus brillante à l’aide de deux dynamos réceptrices, gouvernées par des organes électriques réunis dans un tableau de distribution que l’on a toujours sous la main dans toutes les positions que le bout auquel on doit appliquer l’œil peut prendre.

La première réceptrice, qui est fixe et placée dans la tourelle de droite, est destinée à produire les mouvements de la coupole, dont le poids est de 120 tonnes, et qui roule sur des galets répartis le long d’un cercle parfaitement horizontal, dont le développement est de 70 mètres. La communication du mouvement de la réceptrice de la coupole à la coupole elle- même est produite d’une façon très originale à l’aide d’une corde solide en fer galvanisé, qui passe au­ tour de la coupole et vient s’appliquer autour d’un treuil que le moteur électrique met en rotation. L’adhérence entre la coupole et le câble est obtenue à l’aide d’un tendeur placé entre les deux brins verticaux qui aboutissent au treuil électrique. Ce système fonctionne à merveille, et en une minute la fente par laquelle la lunette doit regarder le ciel se trouve amenée dans la direction désirée.

Le mouvement de la plate-forme sur laquelle se trouve l’astronome est obtenu à l’aide d’une seconde réceptrice, fixée sur deux poutres recourbées en forme de quart de grands cercles, sur lesquels elle glisse. Ces deux poutres tournent elles-mêmes autour de l’axe commun de la coupole et de la lunette, entraînées par la première réceptrice en même temps que la fente dont elle est solidaire.

A l’aide du mouvement des rails autour du pied, et du mouvement ascensionnel de la plate­ forme, l’astronome parcourt l’hémisphère inférieur d’un globe d’environ 3 600 mètres cubes, c’est-à-dire beaucoup plus grand que le ballon le Volta, à bord duquel M. Janssen a exécuté sa grande ascension du 5 septembre, et dont les restes sont soigneusement conservés à l’Observatoire de Meudon.

Nous engageons les personnes qui ajoutent si légèrement créance aux contes débités par les opticiens, prétendant mettre la Lune à 1 mètre de la Terre, à se rendre à la Bourse du Travail et à regarder au-dessus de leur tête ; ils y verront l’ancienne coupole de la Halle aux blés de Paris, dont le cube était à peu près pareil à celui d’un hémisphère du ballon Giffard de 1878, de 42 000 mètres. Cet immense objet leur donnera une idée des dimensions colossales qu’il faudrait accorder à la coupole d’une lunette de 1m,50 seulement et non pas à celle de l’instrument apocalyptique dont certains mystificateurs bruyants prétendent faire usage lors de la grande Exposition universelle internationale de1900.

Si l’on totalise les crédits consacrés à l’instrument, on arrive au chiffre de 500 000 francs. La partie optique sort des ateliers de M. Gauthier, et les parties mécanique et électrique de la maison Cail.

Wilfrid de Fonvielle

Revenir en haut