Pour faire franchir l’océan aux sous-marins on les embarque comme de véritables colis

P. Herlaume, Sciences & Voyages N°104 — 25 août 1921
Vendredi 19 mars 2021 — Dernier ajout samedi 16 mars 2024

P. Herlaume, Sciences & Voyages N°104 — 25 août 1921

PENDANT la guerre, on a construit des sous-marins de plus en plus grands, capables d’effectuer par leurs propres moyens de très grands voyages, sans avoir besoin de se ravitailler en combustible. Les Allemands ont ainsi mis à flot un certain nombre de grands submersibles qui pouvaient, en partant de Kiel ou d’Héligoland, faire une croisière en Méditerranée et retourner à leur port d’attache sans avoir eu besoin de relâcher.

Mais les nations qui considèrent le sous-marin comme une arme défensive, et non pas comme un moyen de piraterie, et qui envisagent son emploi simplement pour la défense des côtes, n’ont pas besoin de bâtiments de fort tonnage. Tel est le cas, par exemple, des républiques sud-américaines. Ces nations utilisent des sous-marins de quelques centaines de tonnes de déplacement, très suffisants pour monter la garde le long de leurs côtes, et en écarter un ennemi éventuel.

Des navires de ce genre leur ont été fournis par diverses nations étrangères, et notamment par la France, que l’on peut considérer à juste titre comme la patrie du sous-marin. Mais, pour livrer ces navires, une grave difficulté se présentait : celle de leur faire traverser l’Atlantique, puisqu’ils ne peuvent emporter suffisamment de pétrole pour alimenter leurs moteurs pendant un voyage aussi long. Il était impossible de songer au remorquage, qui eût présenté trop d’aléas. Pour résoudre le problème, la maison Schneider (le Creusot) a imaginé une solution originale : celle de faire voyager les sous-marins à l’intérieur d’un autre navire, spécialement affecté à cet usage, et auquel on a donné nom caractéristique de Kanguroo. C’est en quelque sorte, dans le ventre de ce bateau que pénètre, en effet, le sous-marin à transporter, comme le montrent nos photographies.

Le Kanguroo est lui-même un grand navire ; Il a une longueur de 93 mètres, et un déplace ment de 5540 tonnes. Sa machine a une force de 850 HP, et il peut porter un poids utile de 3800 tonnes environ. La coque du navire présente trois parties principales bien différentes : 1° l’arrière, qui a la forme usuelle et qui contient la machinerie, les pompes, les logements, etc. ; 2° la partie centrale, qui est constituée comme un dock flottant, ou comme une sorte de berceau sur lequel repose le sous-marin ; 3° la partie avant, qui présente des dispositifs spéciaux, notamment la « porte » par laquelle entre le sous-marin et les appareils pour l’équilibrage du navire.

La cale intérieure ou berceau du sous-marin a une longueur de 58 mètres et un volume de 3300 mètres cubes ; on peut donc la comparer à une véritable cale de radoub. Elle peut être fermée à sa partie supérieure par des panneaux manœuvrés par un pont roulant, qui fait partie du navire.

Entre la cale et la coque extérieure du navire sont ménagés des compartiments constituant des « water-ballast », c’est-à-dire des caisses à eaux que l’on remplit ou vide plus ou moins pour faire enfoncer ou émerger au contraire le navire.

La cale peut communiquer avec la mer, soit par des vannes de fond, soit par l’avant du bateau. Cet avant comporte un tunnel limité par des parois étanches ; le tunnel est fermé à l’avant, d’abord par une porte d’acier à deux battants, ensuite par la partie avant de la coque elle-même comportant l’étrave. Cette partie avant est formée de tôles amovibles, boulonnées sur le reste de la coque.

Pour faire pénétrer le sous-marin à l’intérieur du Kanguroo, on procède aux manœuvres suivantes : on allège l’avant du bateau et on charge l’arrière à l’aide des water-ballasts, de façon à le faire sortir de l’eau ; on ouvre alors les vannes de fond, de manière à faire pénétrer l’eau dans la cale, puis on charge les water-ballasts de façon à faire enfoncer le navire, tout en le ramenant à la position horizontale.

Dans cette position, on peut ouvrir la porte de la cale et enlever la proue amovible. La cale communique donc avec la mer, et on peut y faire entrer le sous-marin, comme on l’introduirait dans une cale de radoub ou dans un dock flottant. Le sous-marin est amené au-dessus de pièces de bois de support ou « ventrières », sur lesquelles il demeurera calé pendant le voyage.

On fait remonter l’avant du bateau en épuisant les water-ballasts antérieurs, de manière à pouvoir remettre en place la proue amovible, puis on ferme les vannes de fond et on épuise l’eau contenue encore dans la cale, à l’aide de pompes. Le sous-marin est définitivement amarré sur ses pièces d’appui à l’aide de « ventrières », et l’ensemble est prêt pour le voyage.

Le premier sous-marin transporté dans le Kanguroo a été le Ferré, de 435 tonneaux, fabriqué aux chantiers Schneider de Chalon-sur-Saône, sur les plans de l’ingénieur Laubeuf. Le petit bâtiment a été amené à Toulon par la voie fluviale, et là on l’a chargé sur le Kanguroo qui l’a transporté sans incident à Callao, au Pérou.

Pendant la guerre, le Kanguroo, utilisé comme transport, a été torpillé en rade de Funchal (île Madère). Il n’en était pas moins intéressant de décrire ce bâtiment, sur le plan duquel d’autres navires pourraient être construits en cas de besoin.

P. Herlaume

Revenir en haut