Le Dr Calmette et M. C. Guérin ont obtenu des résultats concluants avec un vaccin contre la tuberculose des bovidés

Excelsior — 13 novembre 1920
Jeudi 24 décembre 2020
GRANDE DÉCOUVERTE DE DEUX SAVANTS

LE Dr CALMETTE ET M. C. GUÉRIN

ONT OBTENU DES RÉSULTATS

CONCLUANTS AVEC UN VACCIN

CONTRE LA TUBERCULOSE DES BOVIDÉS

Le sous-directeur et le chef du service vétérinaire de l’Institut Pasteur poursuivent leurs recherches en vue de l’application de ce vaccin à l’homme et se proposent de l’expérimenter en Guinée sur des chimpanzés.

Sans vouloir faire naître des espoirs trop grands, le docteur Calmette déclare avoir vu les bovidés préservés de la tuberculose par le vaccin.

« Si nous arrivons au bout de nos recherches, ajoute-t-il, il sera possible de garantir le lait des vaches vaccinées. »

Dr Calmette

Dans les annales de l’Institut Pasteur vient de paraître un mémoire dont la lecture est singulièrement passionnante. M. le docteur A. Calmette, sous-directeur de l’Institut Pasteur, et M. C. Guérin. chef du service vétérinaire de ce même Institut, y traitent des patientes et fructueuses recherches auxquelles ils se livrent depuis de longues années sur la vaccination des bovidés contre la tuberculose. La découverte du moyen de guérir la tuberculose pouvant se faire attendre longtemps encore, les deux savants se sont attaqués à un problème qui n’est pas d’une moindre importance : trouver le moyen de prévenir le mal. Bien que leur tâche soit loin d’être achevée, les résultats qu’ils ont déjà obtenus font le plus grand honneur à la science française et méritent d’être connus.

Premières expériences, premiers résultats

MM. Calmette et Guérin commencèrent leurs expériences à Lille, en 1908. Ayant à leur disposition dix génisses bretonnes, âgées de neuf à dix mois, ils en choisirent quatre pour leur servir de témoins et soumirent les six autres à des essais de vaccination. Puis ces dernières furent placées, ainsi que les quatre témoins, dans une étable spécialement aménagée, pour favoriser la contamination naturelle et déjà habitée par cinq vaches adultes tuberculeuses.

Les expériences se poursuivaient dans les meilleures conditions, lorsqu’elles furent brutalement interrompues. Dans les premiers jours d’août 1915, l’autorité allemande ordonna, sous les peines les plus sévères, de déclarer tous les bovidés existant sur le territoire de la commune, afin de les réquisitionner pour l’armée. Il fallait éviter cette déclaration. Les deux savants décidèrent de mettre fin à l’expérience et de procéder à l’abatage de leurs animaux. Mais, quand ils eurent accompli leur sacrifice, ils avaient eu le temps de faire des constatations de la plus haute importance.

Ils savaient que le vaccin trouvé par eux était parfaitement toléré par l’organisme des bovidés et par celui d’autres animaux sensibles au virus tuberculeux. Après dix-huit mois de cohabitation infectante les six génisses vaccinées, même celles qui ne l’avaient été qu’une fois tout au début, étaient indemnes, bien portantes et d’une croissance normale, tandis que trois des témoins sur quatre étaient manifestement infectés. MM. Calmette et Cuérin avaient donc désormais la certitude qu’inoculé à une dose convenable dans les veines des bovidés, ce vaccin conférait à ces animaux la force de supporter, non seulement l’inoculation de la tuberculose, mais encore la contamination par cohabitation étroite dans les établis infectées.

La mortalité infantile diminuée

En résumé, les deux savants avaient réellement trouvé un vaccin antituberculeux pour les bovidés. La valeur d’une telle découverte saute aux yeux et l’on aperçoit tout de suite les heureuses conséquences qu’elle est appelée à avoir sur la santé publique, notamment au point de vue de la diminution de la mortalité infantile.

Si, en effet, on possède le moyen de prévenir la tuberculose chez les bovidés, que de vies humaines, hier encore condamnées, pourront être sauvées demain ! Qui ne le sait, innombrables sont les enfants ’morts d’avoir sucé le lait de vaches tuberculeuses. Le vaccin inoculé aux bovidés par MM. Calmette et Guérin va-t-il éloigner de mous ce redoutable et permanent danger ? À cette question, le docteur Calmette refusa tout d’abord de répondre. Il répugnait à parler d’expériences toujours en cours et pouvant durer longtemps encore. Mais nous fîmes valoir l’intérêt national que présentait le problème et l’immense soupir de bonheur que pousseraient les mères en apprenant que les enfants qu’elles ont le regret de ne pouvoir nourrir elles-mômes ne seraient au moins plus menacés par le lait meurtrier des animaux malades. Et, cédant à nos instances, le sous-directeur de l’Institut Pasteur voulut bien nous faire ces déclarations :

— Les recherches en question sont loin d’être terminées et il est difficile de prévoir le nombre d’années nouvelles qu’il nous faudra y consacrer. Il me semble donc un peu prématuré d’en entretenir le grand public. Il faut se garder de faire naître des espoirs qu’on n’est pas certain de réaliser. Nous avons déjà obtenu des résultats, c’est vrai. Nous avons vu des bovidés préservés de la tuberculose par notre vaccin et, si nous arrivons au bout de nos recherches, il sera possible de garantir le lait des vaches vaccinées.

Les expériences projetées

 » Mais le problème demande une expérimentation prolongée. Nous avons acquis la certitude que notre bacille bovin bilié vivant est inoffensif pour l’homme. même par inoculation intraveineuse à la dose d’au moins 44.000 bacilles. Mais, si nous voulons préciser la valeur pratique de notre méthode en vue de son application possible à l’espèce humaine, il nous faut étendre nos essais à un beaucoup plus grand nombre d’animaux et les poursuivre pendant un cycle d’années correspondant à la durée moyenne de la vie des bovidés. Dans ce but, nous voudrions tenter des expériences sur des chimpanzés. Mais, comme ces singes en France coûtent actuellement très cher — on ne peut s’en procurer un à moins de 2.400 francs — nous projetons de créer à Konakry, dans la Guinée, pays d’origine de ces animaux, un établissement où l’on puisse en élever en nombre suffisant pour répondre à nos besoins. Quoique le prix d’un Chimpanzé ne dépasse pas là-bas 25 francs, cela nécessitera de grosses dépenses. Nous sommes en train de chercher les ressources qui nous permettront de poursuivre notre œuvre.

 » Les essais de vaccination de l’homme contre la tuberculose ne peuvent être entrepris dans des conditions satisfaisantes qu’en milieu non infecté, c’est-à-dire dans des régions du globe où l’infection tuberculeuse n’existe pas. C’est pourquoi il faudrait les réaliser dans une île de la côte occidentale africaine où il n’y ait pas de population indigène, et où il soit possible d’élever et de conserver longtemps de grands singes dont la sensibilité à la tuberculose est au moins aussi grande que celle de l’homme.

 » Nous pensons, dit M. Calmette, pouvoir intéresser à cette question, de si capitale importance pour l’avenir de l’humanité, quelques grands esprits de notre temps qui sont préoccupés d’être utiles à la science et à la patrie.

 » Le centre de recherches, qu’il s’agit de créer en Guinée pour l’étude de la vaccination contre la tuberculose, pourrait d’ailleurs servir à bien d’autres recherches sur les grandes maladies qu’il n’est plus possible d’étudier avec les moyens dont on dispose actuellement dans les laboratoires, parce que les virus qui les produisent ne sont pas inoculables aux animaux domestiques d’Europe, et que, seuls, les singes anthropoïdes y sont sensibles. Tel est le cas de la lèpre, de la fièvre jaune, du typhus exanthématique, des fièvres éruptives (scarlatine, rougeole, variole), etc.

 » On pourrait aussi organiser, auprès du laboratoire biologique de l’Institut Pasteur tout un centre de recherches, de psychologie expérimentale, en utilisant les chimpanzés et les méthodes modernes de pédagogie appliquées aux animaux. »

On voit que la portée de l’œuvre à accomplir est immense. La science, le pays et l’humanité sont également intéressés à ce qu’elle aboutisse. Il semble impossible que ne lui viennent point les concours nécessaires.

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