Le mouvement perpétuel

Le musée des Science — 29 avril 1857
Samedi 27 juin 2020 — Dernier ajout jeudi 21 mars 2024

Le musée des Science — 29 avril 1857

I. — Du mouvement universel.

Le Musée des Sciences n’a pas craint d’aborder jusqu’ici la plupart des grands problèmes condamnés, dont la solution est cherchée en vain depuis l’époque la plus reculée ; avant de clore sa première année, il s’empresse de traiter la question, si pleine d’intérêt, du mouvement perpétuel depuis longtemps promise à ses lecteurs.

Le mouvement perpétuel est d’une éternelle application dans la nature. Lorsqu’on regarde le ciel, il nous est révélé par l’état permanent des astres toujours en mouvement. La Terre avec chacune des parties qui la composent, n’est pas moins que l’ensemble des sphères, soumise à l’action continue de ce mouvement. « Il n’y a peut-être pas dans l’univers, a dit M. Poinsot dans ses Éléments de Statique, une seule molécule qui jouisse d’un repos absolu, même dans un temps limité très court. » — Le mouvement est donc l’état normal de la matière, quel que soit le nom dont on désigne la cause de ce mouvement : gravitation, attraction universelle ou moléculaire, ou même électricité, magnétisme, etc.

À proprement parler et au point de vue absolu, il n’y a aucun repos dans la nature et aucune inertie dans la matière ; c’est par un vice de langage que nous lui appliquons l’expression de mouvement perpétuel ; ce serait plutôt mouvement universel qu’il faudrait l’appeler. Nos conceptions sont trop limitées pour s’élever jusqu’à la compréhension de l’universel ou infini ; le mot perpétuel, au contraire, paraît tout à fait relatif à l’homme ; il n’a rien d’incompatible avec des limites de durée que notre esprit puisse concevoir.

Réservons donc le mot universel pour toute action dont il ne nous est pas donné d’apprécier la durée et l’étendue, et contentons-nous du mot perpétuel pour qualifier l’action la plus durable dont l’homme puisse être l’auteur. — À mon avis, le terme de mouvement perpétuel, loin de signifier un mouvement qui ne doit pas finir, exprime seulement l’idée d’un mouvement qui se perpétue de lui-même, sans interruption, pendant un temps indéfini. Et, en effet, le mouvement perpétuels, tel qu’il a été rêvé par les mécaniciens n’est pas autre chose.

Si chaque molécule de la matière participe au mouvement général de l’univers, il ne s’ensuit pas que chacune d’elles jouisse d’un mouvement particulier par rapport à la molécule voisine. L’homme aussi, comme partie du grand tout universel, participe au mouvement général de l’univers, et toute partie de matière qui ne fait que suivre, comme lui, l’impulsion générale, sans jouir d’un mouvement particulier qui la distingue, paraît inerte à ses yeux.

C’est parce que la matière est inerte, par rapport à lui, que l’homme arrive à la mettre en mouvement ; et le mouvement qu’il lui communique, est un mouvement particulier, distinct du grand mouvement universel et qu’il fait servir à la satisfaction de ses besoins.

Pour mettre la matière en mouvement, l’homme a besoin d’une force morte ou vive qu’on appelle moteur [1]. D’ordinaire, un moteur ne fournit pas une force qui, une fois l’impulsion donnée, continue d’agir par elle-même sans interruption. Avec les frottements qui se produisent dans les machines et les résistances à vaincre qui se présentent sans cesse, il faut que l’impulsion du moteur soit sans cesse renouvelée pour qu’il coutinue de produire la force utilisée.

Mais un moteur, soit animé, soit inanimé, dans lequel il faut sans cesse renouveler l’impulsion, à peine de le voir tomber dans l’inertie, est d’une grande dépense, d’un grand entretien et d’un grand embarras, tels sont les hommes et les animaux employés comme moteurs, la chute d’un cours d’eau, le souffle du vent, la vapeur, l’électricité, le magnétisme, etc.

II. — Du mouvement perpétuel et de son Impossibilité.

Les mécaniciens, depuis plus de deux mille ans, out rêvé antre chose : il s’agissait de construire une machine motrice qui, ayant reçu l’impulsion première, réalisât un mouvement se conservant et se renouvelant sans cesse de lui-même et sans l’intervention d’aucune force nouvelle. Pour être propre à satisfaire les besoins de l’homme, ce mouvement devait, en outre, produire un travail utile, jouissant de la même perpétuité que l’action de la machine.

Tel est le mouvement perpétuel, l’idéal de la mécanique, qui réaliserait le moteur gratuit, s’il était possible de le trouver. « L’auteur d’une pareille découverte, dit M. Delaunay, dans son Cours de mécanique, serait véritablement le bienfaiteur de l’Humanité. » Mais il ajoute, à la ligne suivante : « Malheureusement cette découverte est impossible ! »

D’Alembert écrit en termes assez réservés : « C’est plutôt une insulte qu’un éloge, de dire de quelqu’un qu’il cherche le mouvement perpétuel ; l’inutilité des efforts qu’on a faits Jusqu’ici pour le trouver, donne une idée peu favorable de ceux qui s’y appliquent. En effet, ajoute-t-il, il parait que nous ne devons guère espérer de le trouver. Parmi toutes les propriétés de la matière et du mouvement, nous n’en connaissons aucune qui paraisse pouvoir être le principe d’un tel effet. »

Il dit, ce qui équivaut à une impossibilité, que le mouvement perpétuel ne saurait être réalisé à moins que la force communiquée ne soit beaucoup plus considérable que la force génératrice, et qu’elle ne compense la diminution que toutes les autres causes y produisent. Mais comme rien ne donne ce qu’il n’a pas, la force génératrice ne peut donner à la machine un degré de mouvement plus grand que celui qu’elle a elle-même.

La Hire avait déjà dit que le problème du mouvement perpétuel consiste à trouver un corps qui soit en même temps plus pesant et plus léger ; D’Alembert, reprenant la même idée, conclut eu disant que cette question se réduit à trouver un poids plus pesant que lui-même, ou une force élastique plus grande qu’elle-même.

Cet obstacle barrant la route qui conduit à la conquête de cette nouvelle toison d’or, n’a pas paru insurmontable aux intrépides pionniers du mouvement perpétuel : ils ont inventé d’ingénieuses combinaisons mécaniques, dans lesquelles ils regagnent, au moyen de la différence de longueur des bras de leviers dans la puissance et dans la résistance, une force au moins équivalente à celle qui est perdue.

Mais ici un nouvel inconvénient se présente : dans l’équilibre du levier à l’état de mouvement, la quantité de force produite ne peut être évaluée, si l’on ne tient pas compte de la vitesse du moteur. En effet, le moteur, placé à l’extrémité d’un bras de levier double, est forcé de parcourir un espace double de celui que parcourt la résistance, et à ce cas s’applique le principe de mécanique, suivant lequel, ce qu’on gagne en force on le perd en vitesse, et réciproquement ; de sorte que la quantité de mouvement reste toujours la même et que le mouvement perpétuel n’a pu, au moins jusqu’à présent, être réalisé par cette ingénieuse combinaison.

La mécanique ne peut faire qu’une petite force soit égale à une plus grande, que, par exemple, 25 kg soient équivalents à 100. Lorsqu’on croit voir une force moindre faire équilibre à une force plus grande, on est tout simplement dans l’erreur. L’équilibre n’est pas entre 25 kg et 100 kg ; mais entre 100 kg qui se meuvent avec une certaine vitesse et 25 kg, qui se meuvent avec une vitesse quatre fois plus considérable.

Quand on considère les poids 25 et 100 à l’état de fixité et d’immobilité, on pourrait croire tout d’abord que 25 kg peuvent faire monter un poids beaucoup plus fort ; mais si l’on considère les deux poids eu mouvement, on voit que 25 kg ne peuvent élever les 100 kg qu’en parcourant dans le même temps un espace quatre fois plus grand. D’après ce principe, une force de 10 kg se mouvant avec dix fois plus de vitesse qu’une force de 100 kg, peut donc faire équilibre à cette dernière force. Les quantités virtuelles de mouvement de ces deux forces, étant les mêmes, les résultats de part et d’autre doivent toujours être 100 kg, de quelque manière qu’on s’y prenne : si l’on diminue la masse, il faut augmenter la vitesse en même raison.

III. — Théorie du pendule

Les mécaniciens modernes voyant la même impossibilité barrer sans cesse le passage à ceux qui cherchent la réalisation du mouvement perpétuel, quelle que soit d’ailleurs la route qu’ils prennent, ont fait de cette réalisation une pure conception idéale, une machine sans corps, et par suite exempte de frottement, agissant dans un milieu sans résistances, comme il n’en existe pas. Et encore, avec ce beau rêve, à quelle conclusion aboutissent-ils ? À imaginer une ombre dans laquelle la réaction sera égale à l’action, mais incapable de donner quelque chose de plus pour un travail utile.

Lisons plutôt : « Si l’on pouvait imaginer une machine idéale, c’est-à-dire dont les parties fussent construites avec une perfection absolue et qu’on pût la faire fonctionner dans le vide absolu, de telle sorte qu’il n’y eût ni frottement des pièces entre elles, ni communication avec les corps voisins, on conçoit que la quantité de mouvement reçue et transmise par la machine serait égale, en totalité, à la quantité de mouvement fournie par le moteur ; alors le travail moteur ne serait pas supérieur au travail utile… Cette machine idéale produirait bien le mouvement perpétuel, mais à la condition de se mouvoir dans le vide et de ne fournir aucun service [2]. »

Cette réalisation hypothétique du mouvement perpétuel nous reporte naturellement à la théorie du pendule simple. Or, le pendule simple est un appareil idéal qu’il est facile de concevoir, mais qu’il est impossible de construire. En mécanique rationnelle, on le suppose composé d’un fil inextensible et sans pesanteur, à l’extrémité duquel serait fixée une seule molécule de matière pesante.

Le pendule ordinaire, qu’on appelle par opposition pendule composé, consiste en une boule pesante, suspendue à l’extrémité d’un fil flexible. Une de ses principales propriétés est de faire des oscillations planes quand on l’écarte de la verticale et qu’on l’abandonne à lui-même sans lui donner aucune impulsion. Ce fil à plomb dérangé de la verticale, tendra à ramener le corps lourd (soit une balle) qui le termine vers la position où il était en équilibre.

La balle descendra vers ce point d’équilibre avec une vitesse de plus en plus grande ; arrivée à ce point, elle sera animée de la vitesse due à la hauteur verticale qu’elle a descendue et remontera, avec une vitesse de moins en moins grande, jusqu’à une hauteur égale au niveau du point d’où elle a pris son impulsion ; elle redescendra vers le point d’équilibre, puis remontera, et ainsi de suite.

Si l’oscillation du pendule s’accomplissait sans qu’il y eût de frottement à son point d’attache et sans qu’il y eût de résistances à vaincre, comme dans le vide absolu (chose qui ne serait possible qu’avec le pendule simple dont nous avons parlé), le pendule parcourrait toujours le même arc de cercle dans le même temps, c’est-à-dire que l’oscillation ne diminuerait jamais d’amplitude et que le fil n’aurait aucune tendance à s’arrêter.

« C’est que le mouvement du pendule, dit M. Pouillet dans ses Éléments de Physique, est le mouvement perpétuel ; car si en partant de a, il remonte à une hauteur b qui soit la même, il faut aussi qu’en partant de b il revienne exactement en a ; et ce qu’il a fait la première fois, il le fera la seconde, la troisième, et ainsi de suite perpétuellement. »

Parlant ensuite du pendule composé, agissant avec frottement et résistances, M. Pouillet ajoute : « Cette conclusion serait de toute rigueur, si en effet la hauteur du point b, où le pendule arrive, était exactement égale à la hauteur du point a, d’où il est parti ; mais les frottements du point de suspension, et la résistance de l’air que la boule doit pousser devant elle, empêchent que cette égalité ne soit absolue. La différence ne devient sensible qu’après un certain nombre d’oscillations, et loin de s’étonner que le mouvement ne soit pas perpétuel, on s’étonne qu’il puisse se continuer pendant si longtemps ; car un pendule peut, sans s’arrêter, faire des oscillations pendant des heures entières. »

Ce que M. Pouillet dit ici de la théorie du pendule, c’est ce que tous les physiciens, mathématiciens, mécaniciens et autres disent de la théorie du mouvement perpétuel. De même qu’il ne serait possible de réaliser un pendule marchant sans cesse avec une égale amplitude d’oscillations, à moins de faire passer, de l’état de pure hypothèse à l’état de réalité, le pendule simple sans pesanteur dont il a été question ; de même on ne pourrait réaliser le mouvement perpétuel, à moins d’imaginer un appareil qui ne fût soumis à aucun frottement et que n’entravât aucune résistance, c’est-à-dire un appareil qui n’eût rien de matériel ; encore, dans ce cas, serait-il un objet de pure curiosité, incapable de fournir aucun service.

Telles sont les raisons physiques, sur lesquelles on s’appuie pour rejeter le mouvement perpétuel, comme un problème insoluble, comme un projet irréalisable.

IV. — Essais de réalisation du mouvement perpétuel.

Si l’on fait, de la théorie du pendule, la théorie du mouvement perpétuel, elle est très décourageante pour ceux qui seraient tentés de réaliser ce dernier. Il paraît qu’il n’en a pas été ainsi pour tout le monde, tant est considérable le nombre des hommes qui, depuis les temps anciens, y ont consacré soit une partie de leur vie, soit leur vie entière.

À notre époque où le développement de l’industrie fait de plus en plus sentir le besoin d’un moteur à bon marché, la fièvre de mouvement perpétuel a repris accès, malgré toutes les déceptions auxquelles elle a donné lieu, et l’on voit, presque chaque semaine, arriver à l’Académie des Sciences de nouvelles solutions du fameux problème. Il est bien entendu que l’Académie ne traite pas mieux le mouvement perpétuel qu’elle ne traite la quadrature du cercle : elle repousse en bloc et de confiance toutes ces solutions qu’elle renvoie intactes à leurs auteurs.

Il y a quelque temps on a parlé à Paris d’une découverte du mouvement perpétuel réalisée à Lyon ; les journaux de cette ville en ont même apporté la nouvelle et annonçaient la chose comme un fait accompli et comme une invention réussie. On racontait presque des merveilles à ce sujet, et l’on disait, entre autres, qu’à l’aide de ce nouveau moteur on avait pu faire monter l’eau de la rivière au quatrième étage d’une maison ; mais, comme on n’en a plus entendu parler depuis, et que d’ailleurs une affaire de cette importance ne se garde pas en portefeuille, il est à croire que la machine est tombée dans l’eau et que le tout n’était qu’une mystification.

Le moyen le plus ordinaire dont on se sert, dans les tentatives de tous les jours, pour produire le mouvement, est, ainsi que l’indique M. Delaunay, l’emploi d’un corps qui tombe d’une certaine hauteur. Ce corps doit être ensuite relevé par la machine même à la hauteur dont il est tombé, en même temps qu’elle effectuera du travail utile, en raison du mouvement qu’elle aura reçu. « En supposant, dit ce géomètre, qu’on ait pu disposer la machine de manière à obtenir ce résultat, on voit que le même corps pesant, en tombant et remontant ainsi successivement, entretiendrait le mouvement aussi longtemps qu’on voudrait, et donnerait lieu à la production d’une quantité indéfinie de travail utile. »

M. Delaunay examine trois essais de réalisation du mouvement perpétuel. Le premier consiste en une roue hydraulique mise en mouvement par l’eau qu’on a placée dans un réservoir supérieur ; la roue est employée à faire mouvoir des pompes, qui remontent dans le réservoir toute l’eau qui a agi sur la roue, et qui élèvent en outre une certaine quantité d’eau excédante, susceptible d’être utilisée. — Pour que cet appareil pût marcher, il faudrait, d’après les principes que nous avons établis plus haut, que les pompes fussent disposées de manière à n’élever dans le réservoir qu’une partie de l’eau qui fait tourner la roue.

Le second appareil de mouvement perpétuel consiste en une roue, taillée comme les roues à rochet des horloges et portant des tiges égales articulées dans les divers angles formés par les dents. Ces tiges se terminent par des boules de même poids. Suivant l’auteur, le mouvement devait s’entretenir de lui-même dans cette roue et vaincre en même temps une résistance appliquée à la machine, parce que les boules qui descendent sont plus éloignées que les autres de la verticale passant par l’axe de la roue, et que par suite elles agissent sur un plus grand bras de levier. — Ici les boules qui descendraient, si le mouvement se produisait, agissent bien à l’extrémité d’un plus grand bras de levier que les autres, mais celles qui sont placées du côté opposé sont plus nombreuses, ce qui établit une compensation.

Dans le troisième essai de mouvement perpétuel, il s’agit d’une caisse pouvant tourner autour d’un axe et contenant du mercure ; deux pièces fixes servent à arrêter la caisse dans son mouvement de rotation, en sorte qu’elle peut osciller, en venant s’appuyer alternativement sur l’une ou sur l’autre de ces deux pièces. La caisse penche-t-elle d’un côté ? le mercure coule et tend à l’incliner de plus en plus, jusqu’à ce qu’elle vienne buter contre l’un des deux arrêts. Le mouvement de la caisse se transmet, à l’aide d’engrenages, à un volant qui prend un mouvement de plus en plus rapide ; ce volant agit alors sur un levier qui remonte le mercure, en replaçant la caisse dans une position horizontale et en l’inclinant même un peu en sens contraire ; le mercure coule de l’autre côté, et le nouveau mouvement qu’il donne ainsi à la caisse entretient le mouvement du volant qui le relève encore, et ainsi de suite. Le mouvement de bascule que la caisse prend alternativement, dans un sens et dans l’autre, donne lieu ainsi à un mouvement continu du volant, qui doit pouvoir effectuer du travail utile. — Dans ce cas, la caisse en s’inclinant d’un côté, produit un mouvement qui peut bien la relever, mais pas assez pour qu’elle commence à s’incliner de l’autre côté et que la chute du mercure continue le mouvement.

Après un examen des appareils destinés à réaliser le mouvement perpétuel, M. Delaunay conclut : « Il est inutile d’ajouter qu’aucun des essais qui ont été faits d’après ces idées n’a réussi. Un corps qui tombe d’une certaine hauteur ne peut pas déterminer un mouvement capable de le remonter à son point de départ, et de produire en même temps un effet utile. S’il en était ainsi, le travail résistant serait plus grand que le travail moteur, puisqu’une portion seulement du travail résistant, celle qui correspond à l’élévation du corps qui est tombé, est déjà égale au travail moteur total. La machine ne serait-elle employée à produire aucun effet utile, qu’elle ne pourrait pas encore marcher, puisque si elle marchait, le travail résistant surpasserait encore le travail moteur, de tout le travail correspondant aux résistances passives, travail qu’on peut bien atténuer, mais qu’on ne peut pas détruire complètement. »

V. — Description de l’appareil de notre gravure.

Parmi tous les appareils imaginés pour réaliser le mouvement perpétuel, nous n’en connaissons pas de plus ingénieux que celui dont notre première gravure offre le dessin. L’auteur de ce système encore inédit. M. H. Lecornu, a pensé résoudre ce grand problème de mécanique en faisant agir simultanément deux corps pesants, comme puissance et comme résistance, mais de telle manière que la puissance, toujours agissante, fût multipliée, et la résistance amoindrie. Il est clair que si cette condition essentielle était remplie, le mouvement perpétuel serait possible. En attendant l’épreuve décisive de l’expérience, souvent plus sûre que les calculs, voici, d’après l’inventeur lui-même, la description sommaire de sa machine.

Le principe du mouvement dans cette machine est la pesanteur ; et les moyens mécaniques employés pour utiliser cette force sont le plan incliné et le levier, disposés d’une manière particulière.

La pièce principale consiste en une bande métallique M, d’épaisseur convenable, s’élevant en spirale tout autour d’un axe central, dont elle forme la circonférence. Cette hélice, fixée à des supports extérieurs, a une inclinaison du quart de l’angle droit, par rapport à l’horizon ; et elle est également inclinée clans le sens de l’axe central, afin de ramener vers l’intérieur de la circonférence le centre de gravité des corps qui circulent sur la spirale. Cette double inclinaison peut varier.

Sur la spirale montent, à égales distances, des boulets I qui sont chassés de bas en haut par une aile verticale G, fixée à l’axe central, lequel tourne sur un pivot ou sur des galets [3]. On a laissé entre l’axe et le bord intérieur de cette hélice un intervalle égal, ou à peu près, à la moitié du diamètre des boulets. Dans cet intervalle se meut l’aile de l’axe qui entraîne ceux-ci par son mouvement circulaire, Les boulets sont donc soutenus à la fois par la spirale, par l’axe et par son aile, sur lesquels ils glissent en montant. Un très petit espace est laissé entre l’aile de l’axe et le bord intérieur de l’hélice, pour empêcher le frottement.

Les boulets qui pèsent à la fois sur l’aile de l’axe central sont dans la gravure, au nombre de trois. Ce nombre doit varier avec la hauteur et l’inclinaison de la spirale. Le boulet supérieur, arrivé au bout de sa course, tombe par une échancrure dans un conduit, et de là dans une cage circulaire, divisée en seize compartiments égaux que séparent des anneaux destinés à soutenir les boulets. Ces compartiments sont disposés convenablement tout autour d’une grande roue A placée en travers et auprès de l’hélice. Cette grande roue est mise en rapport, par un système de rouages B, C, D, D’, E, avec un pignon F placé à la partie supérieure de l’axe central ; de sorte que la grande roue, en tournant, fait aussi tourner le pignon, et, par suite, l’axe, ainsi que les boulets qui tombant successivement de la grande roue se rendent par un conduit au bas de l’hélice, pour remonter encore. Le nombre de tours que fait cet axe, et ceux que fait cette roue sont dans le rapport du nombre des compartiments de la cage circulaire à l’unité. Si donc il y a 16 de ces compartiments, la roue ne fera qu’un tour pendant que l’axe en fera 16.

Il est aisé maintenant d’expliquer le jeu des organes de cette machine. Par la disposition de l’hélice et la nature du plan incliné, les boulets qui montent ne pèsent sur l’aile de l’axe central que d’un poids égal an 1/4 de leur poids total, les trois autres quarts étant supportés par l’hélice. Si, par exemple, le poids total de chacun de ces boulets est de 100 kg, la résistance à vaincre, à part les frottements, sera de 3 fois 25 kg, ou, en somme, 75 kg. Sur la grande roue, qui représente la puissance, la pesanteur agit avec bien plus d’intensité, puisqu’il y a toujours 7 boulets pesant ensemble 700 kg, force presque décuple de la première. Il est vrai que les boulets qui montent le long de l’hélice ont une vitesse 4 fois plus grande que, ceux qui descendent par la grande roue. En effet, l’espace que parcourt un boulet en faisant le tour de l’axe équivaut, ou à peu près, au 1/4 de la circonférence de la roue ; et, pendant que celle-ci s’abaisse d’un quart de cette circonférence, l’aile de l’axe a fait quatre tours. Il faut donc, d’après la règle admise en mécanique, multiplier les 70 kg de la résistance par 4, nombre qui représente l’espace parcouru ; on obtient 300 kg. Il faut encore tenir compte des résistances passives dues au frottement qui se développeront pendant le travail de la machine. On sait que la résistance provenant du frottement d’un corps métallique qui glisse sur un autre est de 18%, quand ils ne sont pas recouverts d’un enduit ; elle se réduit à 12% au commencement de la course du corps, et à 7% seulement pendant la course, lorsqu’on emploie un enduit d’huile d’olive. Le frottement est toujours proportionnel à la pression, et indépendant de l’étendue des surfaces de contact et de la vitesse du mouvement : c’est ce qui résulte des expériences de Coulomb, reprises avec soin par M. Morin. Si l’on porte toutes les résistances passives accessoires à 300 kg, (ce qui serait sans doute énorme), en les ajoutant à la résistance principale, évaluée aussi à 300 kg, on obtient pour la résistance un total de 600 kg. Mais, comme le bras de levier de la puissance est environ 2 fois et 1/2 plus grand que celui de la résistance, il faut diviser par 2 et 1/2 les 600 kg, obtenus précédemment : 240 kg, le quotient de cette division, exprime donc, en définitive, la valeur de la résistance ; et celle-ci se trouve inférieure de 460 kg, aux 700 kg de la puissance. Ainsi, d’après ce calcul, on aurait au moins, au profit de celle-ci, un excédant de 460 kg qu’on pourrait utiliser. Au reste, si l’on admet qu’à un instant donné la machine puisse se mouvoir, on conçoit que dans un autre instant le mouvement ne sera pas nul, puisque, par la corrélation des parties de cette machine, les boulets de l’hélice et ceux de la grande roue sont toujours dans la même proportion, que les uns et tes autres se trouvent continuellement placés dans les mêmes conditions, et que sur la roue comme sur la spirale un boulet monte quand un autre descend, et réciproquement.

En dehors de la question du mouvement perpétuel, qu’il nous soit permis de faire remarquer cette hélice d’une disposition toute nouvelle en mécanique, et qui pourra être utilisée dans plus d’un cas. Outre qu’elle rendrait peut-être des services à l’horlogerie, nous pensons qu’elle remplacerait avec beaucoup d’avantage, tant sous le rapport de la précision que de l’économie, les diverses machines employées pour vérifier les lois de la pesanteur : voici comment. Il suffirait de donner à l’hélice une très petite inclinaison, et de placer dans le haut une petite boule qui, descendant aussi lentement qu’on voudrait, ferait tourner une aiguille, fixée à l’axe, sur un cadran perpendiculaire à cet axe. L’aiguille, en parcourant les divisions tracées sur le cadran, indiquerait Les vitesses ainsi que les espaces parcourus par la boule et en général par tous les corps qui tombent en glissant sur un plan incliné.

Cette machine paraît susceptible de plus d’une application utile en mécanique ; quant à la question de réalisation du mouvement perpétuel, nous lui souhaitons une chance que nous n’osons espérer.

Lecouturier

[1Voir le Musée des Sciences, n°37, p. 291.

[2Revue philos, et relig. — 1er avril 1857, p, 104.

[3On appelle ainsi des roulettes sur lesquelles on fait mouvoir les corps, afin de remplacer la résistance au glissement par la résistance au roulement qui est beaucoup plus faible que la première.

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