Sécheresse et aridité causées par le déboisement

H. Lecouturier, Le Musée des sciences — 30 juillet 1856
Mercredi 18 mars 2020 — Dernier ajout samedi 13 août 2022

Nous avons dit que les arbres, au moyen du pouvoir réfrigérant dont ils sont doués [1], condensent les vapeurs répandues dans l’atmosphère et les font écouler en eau le long de leurs feuilles, jusqu’au sol où elles forment des sources. Nous avons dit que les arbres ont pour objet de maintenir un certain équilibre [2] dans le niveau des fleuves ; voici quelques faits, qui montreront qu’ils sont le meilleur moyen, non-seulement de prévenir les sécheresses, mais encore de ramener les sources dans un pays entièrement privé d’eau.

À la suite de ses voyages, M. de Humboldt disait qu’en abattant les forêts gui couronnent les cimes des montagnes, on se prépare deux grandes disettes pour l’avenir, celle de l’eau et celle du combustible ; la vallée d’Aragua, dans l’Amérique du Sud, en est un exemple frappant. En 1555, lors du ’voyage d’Oviedo, cette vallée, renfermant un lac, était un endroit très fertile qui attirait de nombreux habitants ; le terrain venant à manquer, on abattit les forêts pour en défricher le sol ; mais bientôt les choses changèrent d’aspect ; le sol devint aride ; le niveau du lac baissa de plus de 2 mètres ; un fort bâti autrefois dans une île de ce lac se trouva en terre ferme et des ponts jetés sur le bras du lac pour conduire au fort étaient devenus inutiles. En 1810, lors de la guerre de l’Indépendance des colonies espagnoles, la vallée d’Aragua fut dépeuplée ; les plantations abandonnées furent bientôt envahies par les bois qui poussèrent avec vigueur dans ce territoire tropical. À partir de ce moment, les eaux revinrent dans le lac, l’eau non-seulement reprit son niveau primitif, mais encore s’éleva tellement qu’on craignit pour le pays une inondation générale. Le fort se retrouva dans son île ; les ponts redevinrent nécessaires ; des fermes bâties sur le terrain cédé par le lac, finirent par disparaître sous les eaux.

M. Boussingault cite d’autre faits non moins, significatifs ; on connaît certaines plaines cultivées autrefois par les Incas qui n’ont pas été déboisées et où le niveau des lacs environnants s’est conservé le même depuis le commencement du seizième siècle. Ce fait est constaté par une pièce historique authentique ; suivant cette pièce, il était alors dangereux de passer sur une route tracée par les Incas sur la rive d’un des lacs-de la contrée, lorsque le vent soufflait de ce lac, parce que les vagues grossies et soulevées par le vent, couvraient la route.

Des phénomènes de sécheresse analogues à ceux de la vallée d’Aragua, se sont produits à Marmato, dans la province de Popayam, où se trouvent de nombreux moulins à piler. Malgré la fréquence des pluies, l’eau baissait toujours et les moulins s’en ressentaient pour leur industrie. On mit alors, des entraves au déboisement, et les eaux coulèrent en abondance.

Les affreuses sécheresses qui désolent les îles du Cap Vert, doivent être attribuées aux mêmes causes ; à Madère même on a observé une altération dans le climat depuis la découverte de l’île par les Européens. La rivière de Soccoridos, qui pouvait autrefois porter des trains de flottaison, est aujourd’hui presque à sec. Le sol de Madère, étant poreux, le manque d’eau s’y fait sentir d’une façon beaucoup plus considérable. Mais on remarqua de bonne heure cet inconvénient, et l’on défendit sous les peines les plus sévères d’abattre les arbres dans le voisinage des sources et des fontaines ; malheureusement, ces défenses ne furent pas observées. Les feuilles des arbres jouissent de la propriété de favoriser le dépôt de la rosée, qui entretient le sol dans une constante humidité. De cette façon, les arbres deviennent des condensateurs entre l’air et la terre.

Dans l’Atlantique, non loin de la côte d’Afrique, se trouve l’Ascension, île qui n’a pris quelque valeur que depuis le séjour de Napoléon à Sainte-Hélène. Celle-ci servait autrefois de mouillage aux vaisseaux qui allaient au cap de Bonne-Espérance. Le gouvernement anglais supprima cette station ; mais, dans l’intérêt du commerce, il en établit une autre à l’Ascension. Malheureusement cette île n’avait pas d’eau potable, on savait qu’il y en avait eu autrefois, mais la source avait disparu. Le gouverneur eût l’idée de reboiser l’île ; bientôt on vit apparaître un mince filet d’eau, qui a toujours été en croissant ; maintenant son importance est telle, qu’il suffit aux besoins de la navigation. La connaissance de ce fait est due à un officier de marine, M. Vilmorin, qui a visité la source.

Quant à Sainte-Hélène, île renommée pour sa sécheresse et son aridité, la quantité de bois a considérablement augmenté, grâce à des plantations faites dans les dernières années ; et on a remarqué que depuis ce moment la quantité de pluie a augmenté dans la même proportion ; elle est le double de ce qu’elle était pendant le séjour de l’empereur Napoléon.

Ce n’est pas seulement dans les régions tropicales, comme celles dont il vient d’être question que les déboisements amènent le tarissement des sources ; notre pays nous en offre aussi des exemples frappants. M. Moll, dans ses leçons du conservatoire des Arts et Métiers, racontait, il y a quelque temps, que la vallée de Saint-Laurent-de-Cerdan, dans les Pyrénées, était autrefois entourée de bois et qu’elle était occupée par des moulins, des forges catalanes et des clouteries qui utilisaient la force motrice d’un cours d’eau traversant la vallées ; les propriétaires des bois émigrèrent et les bois furent coupés et brûlés. À partir de ce déboisement, on vit décroître le cours d’eau, à tel point que les usines et même les moulins disparurent. — Vers 1797, un des grands propriétaires du pays eut l’idée de le faire reboiser, et des châtaigniers furent plantés sur les pentes des montagnes. Les résultats furent si remarquables que beaucoup de propriétaires l’imitèrent, et en peu d’années cette vallée se retrouva couverte d’une végétation luxuriante. Peu à peu les anciennes usines reparurent et de nouvelles se fondèrent. En 1839, époque de la visite de M. Moll, le cours d’eau de Saint-Laurent-de-Cerdan était si important qu’on venait d’Espagne faire moudre du blé aux moulins qu’il faisait tourner.

On sait qu’autrefois la Provence était une contrée aussi florissante que fertile ; aujourd’hui son état de désolation est sans égal : « Dans une lieue carrée de plaine, dit M. Moll, un lapin aurait peine à trouver sa nourriture » — À quoi attribuer cette aridité, si ce n’est au déboisement ? — Au temps de François Ier, le connétable de Montmorency mit le sol à nu et ravagea le pays pour mettre l’armée de Charles-Quint, qui l’avait envahi hors d’état de s’y maintenir. L’ennemi fit retraite, mais aussi la Provence a été rendue incapable de produire pendant les trois siècles qui se sont écoulés depuis cet époque.

H. Lecouturier

[1Voir le Musée des Sciences, n° 12, page 93

[2Voir le Musée des Sciences, n° 11, page 86

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