Histoire du journalisme médical (1679-1880).

Alexandre Laboulbène, la Revue Scientifique — 20 et 27 novembre 1880
Dimanche 29 septembre 2019

Cours d’histoire des sciences de la faculté de médecine de Paris.

Messieurs,

C’est avec plaisir que je me retrouve avec vous dans cet amphithéâtre. J’adresse mes remerciements aux chers auditeurs que j’y revois et qui m’ont été si fidèles. Je souhaite la bienvenue à ceux qui vont suivre ce cours pour la première fois.

Vous connaissez le programme de l’année. Il comprend une partie de la nosographie historique, pleine d’actualité, difficile, ardue, mais du plus haut intérêt : l’histoire des maladies parasitaires. Cette étude sera, je l’espère, aussi instructive que profitable. Mon but est d’arriver par l’exposé historique des maladies à vous fournir les meilleurs moyens de les combattre quand elles sont déclarées, et, mieux encore, de les prévenir par toutes les ressources d’une hygiène rigoureuse et appropriée.

Et cependant, je ne commencerai que dans la séance prochaine l’étude historique des maladies parasitaires. Aujourd’hui, je veux attirer votre attention sur un sujet qui m’a été demandé, sur l’histoire du moyen le plus utile et le plus rapide, sur l’instrument le plus merveilleux de vulgarisation et de controverse scientifique, devenu en quelque sorte une nécessité de notre existence. Un mot le désigne : le journal. Je vais essayer de vous exposer rapidement, dans cette première leçon, l’histoire du journalisme en général et du journalisme médical en particulier.

Il en est du journal et du journalisme comme de tant d’autres choses excellentes dont nous jouissons sans nous inquiéter d’où elles viennent et des efforts tentés pour les obtenir. Le messager est si bien reçu, son apparition est si habituelle, qu’il semble en avoir toujours été ainsi ; plusieurs seront surpris en apprenant que deux cents ans à peine nous séparent de la naissance du journalisme. Dès l’abord, semblable à un mince ruisseau, le journal a grandi à travers mille obstacles ; présentement, il s’étend au loin dans un lit large et profond, où il coule majestueusement et à pleins bords.

Au commencement du XVIIe siècle, le journal n’existait pas dans notre pays ; il faut arriver à 1631 pour constater l’établissement du journalisme dû à un homme de progrès, à un médecin, auquel la postérité sera toujours reconnaissante, à Théophraste Renaudot [1]. Ne croyez pas que ce soit sans efforts inouïs que Renaudot ait réussi dans sa tentative. Il a eu pour adversaire un des doyens de notre ancienne Faculté, il a lutté avec Guy Patin. L’histoire impassible et impartiale doit rendre à chacun sa part de travaux et de mérites ; il ne vous déplaira pas, messieurs, que le professeur d’histoire de la Faculté mette en présence les grandes figures de Renaudot et de Guy Patin, en les plaçant dans le milieu où elles ont rayonné.

I.

Théophraste Renaudot est né à Loudun en 1584. C’est à Paris qu’il commença à s’instruire sous un maître en chirurgie, se fermant dès l’abord les portes de l’ancienne Faculté qui n’aimait pas les chirurgiens, surtout ceux de robe longue. Il alla prendre le bonnet de docteur à Montpellier, dans le court espace de trois mois ; puis il voyagea pendant plusieurs années. De retour à Loudun, il pratiqua son art avec succès, sa réputation s’étendit au loin ; il paraît s’être rendu dans le Poitou en 1610 et s’être fait connaître de deux personnages importants : Armand de Richelieu, évêque de Luçon, et Joseph Leclerc du Tremblay ; le premier devenu, vous le savez, le puissant cardinal- ministre ; le second, son confident et son bras droit, celui que Gérôme a représenté dans un tableau remarquable : l’Éminence Grise.

Ardent, conscient de sa valeur et de sa force, Renaudot quitta son pays natal pour venir se fixer à Paris, en 1612. A cette époque, nul ne pouvait y exercer la médecine s’il n’était docteur de la Faculté, ou attaché à quelque personne royale. Renaudot, aidé par ses protecteurs, obtient le titre de médecin du roi et prête serment entre les mains de Douart, premier médecin de Louis XIII. Il surmonte les difficultés du début, il ouvre même une école pour vivre. Richelieu, qui connaissait les hommes, lui donna bientôt le brevet de « commissaire général des pauvres, tant valides qu’invalides, du royaume ».

Renaudot s’était installé en plein Paris, en pleine Cité, rue de la Calandre, près du Palais de Justice, et l’ancienne Faculté, ainsi que je vous l’ai exposé l’année dernière, était rue de la Bûcherie, sur la rive gauche de la Seine. La Faculté condamnait et repoussait l’emploi des remèdes fournis par la chimie, ou l’alchimie Alchimie , comme on disait encore. Renaudot prôna, célébra et prépara l’antimoine ; il l’employa hardiment ainsi que les médicaments chimiques. De plus, il établit « des consultations charitables ou gratuites » avec délivrance des médicaments, et la foule se dirigeait rue de la Calandre. Vous voyez déjà poindre d’orageux dissentiments et de sérieux conflits avec la Faculté, gardienne sévère et immuable des vieilles traditions.

Outre les consultations gratuites et la fourniture des drogues pour les malades, Renaudot, pour venir en aide aux travailleurs pauvres, fonda chez lui une sorte d’établissement de prêts sur gages. Les nécessiteux y affluèrent, recevant environ le tiers du prix d’estimation des objets, les dépôts devenant la propriété du prêteur s’ils n’étaient pas retirés au temps convenu. Ce système de prêts sur gages, nouveau en France, fonctionnait au nord de l’Italie et le peuple lombard l’appelait « Monte di Pieta ».

Enfin, messieurs, représentez-vous une époque où les moyens de publicité manquaient, où on ne connaissait les événements que par ouï-dire, où on était obligé de crier par les rues ce qu’on roulait annoncer au public. Pensez à ce qui résulterait demain de la disparition des affiches et des journaux. Renaudot était si frappé de cet état de choses qu’il établit, toujours chez lui, sous le nom de « bureau d’adresse ou rencontre », un office de publicité. Chacun pouvait se procurer l’adresse ou le renseignement dont il avait besoin ; les acheteurs et les vendeurs s’y rencontraient ; un registre renfermait ce dont les uns voulaient se défaire, ce que les autres voulaient acquérir. Les nouvellistes s’y donnaient rendez-vous. L’utilité du bureau d’adresse fut vite démontrée, les établissements se multiplièrent et le fondateur en fut nommé maître général.

De cette conception, Renaudot passa vite à une autre. Il était renseigné mieux que personne par les bureaux de publicité, il avait pour ami d’Hozier, le célèbre généalogiste, qui entretenait une correspondance spéciale et des plus étendues avec les provinces et l’étranger ; il possédait un fond inépuisable d’anecdotes dont il faisait part à ses nobles malades pour les distraire. Ses vives et intéressantes causeries ne tarissaient point la soif de nouvelles qu’éprouvaient les gens oisifs. Il écrivit ses anecdotes, il en fit faire des copies qu’il distribua dans le cours de ses visites.

Ces « nouvelles à la main » obtinrent une vogue considérable ; Renaudot, ne pouvant suffire aux demandes, pensa à les faire imprimer et à les vendre à tous, aux malades comme à ceux qui se portaient bien. Son puissant protecteur Richelieu, auquel il demanda l’autorisation nécessaire, comprit vite de quelle importance serait une feuille racontant les événements en quelque sorte sous la dictée du pouvoir, il donna l’autorisation. Le premier numéro du premier de nos journaux, suivant l’expression d’Eugène Hatin, parut le 30 mai 1631, sous le titre de Gazette.

Pour comprendre ce titre et pour connaître ce qui existait déjà hors de France, il est indispensable que je vous donne un aperçu de ce qui avait déjà été tenté dans l’antiquité, et jusqu’au XVIIe siècle, pour arriver à la publicité, c’est-à-dire pour porter les événements à la connaissance du public.

Je ne vous dirai rien des anciens dominateurs asiatiques, bien que Josèphe ait parlé d’historiographes chargés d’écrire jour par jour les événements publics. Les Grecs n’ont eu que des éphémérides, ébauche d’annales historiques. Les Romains étaient beaucoup plus avancés sous ce rapport.

Dès les premiers temps de Rome, suivant Victor Leclerc, le grand pontife, afin de conserver les souvenirs publics, écrivait sur une table blanchie, exposée dans sa maison, tous les événements de chaque année et le peuple pouvait la consulter. Ces tables ou tablettes portaient le nom des consuls ainsi que des autres magistrats et tout ce qui concernait le Sénat, les comices, les affaires militaires. On y trouvait enregistrés les triomphes, les statues érigées et de plus, les fléaux, les éclipses, etc. Rome n’eut pendant plusieurs siècles que les annales historiques des pontifes.

Plus tard, quand la domination romaine se fut étendue sur le monde presque tout entier, apparurent les Acta diurna, bien plus analogues aux journaux que les annales tabulaires. Les Acta renfermaient les moindres détails de nature à présenter quelque intérêt, et au dire de Suétone, la publication en serait devenue quotidienne sous la dictature de Jules César. Ces Acta diurna seu publica renfermaient les procès-verbaux des assemblées du Sénat et de plus, les cérémonies funèbres, les incendies, les exécutions, les longévités et fécondités extraordinaires, la description des fêtes du cirque, le succès ou la chute des acteurs. Tacite signale l’avidité avec laquelle on lisait les Acta diurna " pour y voir ce que n’avait point fait Thraséas » qui avait osé protester par son abstention contre les félicitations portées par le Sénat à Néron, sur la mort d’Agrippine. Toutefois, l’importance qu’aurait pu prendre cette apparence de journalisme à Home avait tout de suite été amoindrie. Tibère, Domitien, surveillaient les publications ; rien de contraire à leurs vues n’y pouvait paraître. D’autre part, les citoyens riches avaient des esclaves copiant les diurna ; Tacite nous apprend encore qu’on les envoyait dans les provinces et dans les armées. Cicéron parle de Chrestus dont la feuille copiée (compilatio) était célèbre et très répandue.

Quand Rome s’écroula, les Acta, embryons de nos journaux, disparurent. Le journal est un signe et un besoin de la vie civilisée. Les Barbares, après la conquête, en étaient juste au point où César nous représente les Gaules quand il y pénétra : « Les Gaulois, dit-il, étaient très avides de nouvelles ; ils couraient après les voyageurs et les forçaient à s’arrêter pour leur apprendre ce qu’ils savaient de nouveau. »

Le journal n’exista point au moyen âge ; le moine comme le bourgeois notaient silencieusement les événements du jour, et il faut descendre jusqu’au commencement du XVIIIe siècle pour trouver le journal imprimé. Toutefois, il a dû y avoir et il y a eu certainement dans beaucoup de pays, comme en France avec Renaudot, des lettres de nouvelles, des anecdotes manuscrites, des papiers-nouvelles, des nouvelles à la main.

La Gazette, le journal moderne, serait né à Venise sui vaut une tradition à peu près unanime. Ce point d’histoire est des plus intéressants, et il me parait aujourd’hui élucidé. Oui, si l’on veut parler des feuilles manuscrites ; non, s’il s’agit du journal imprimé.

Dans l’Encyclopédie méthodique, Voltaire, au mot gazette, s’exprime ainsi « GAZETTE, relation des affaires publiques. Ce fut au commencement du XVIIe siècle que cet usage utile fut inventé à Venise … On appela ces feuilles qu’on donnait une fois par semaine Gazettes du nom de Gazetta, petite monnaie revenant à un de nos demi-sous, qui avait cours alors à Venise, etc. » D’autres écrivains, Chalmers entre autres, placent la naissance du journal non pas au XVIIe, mais au XVIe siècle, en 1536. Enfin, la version la plus accréditée est que le gouvernement de Venise avait, du temps des guerres contre les Turcs, fait lire sur la place publique un résumé des nouvelles du théâtre de la guerre ; selon d’autres, placer dans certains endroits des bulletins écrits, Notizie scritte et on donnait une petite pièce de monnaie, appelée Gazetta, pour ass ister à la lecture, ou pour prendre connaissance des bulletins ou même pour les acheter.

Eugène Halin a obtenu sur ce sujet des renseignements précis de Valentinelli, conservateur de la bibliothèque Saint-Marc, et voici ce qui lui a été affirmé. Les documents à l’appui de la question à élucider faisant absolument défaut, on en est réduit à une Iradilion amplifiée et couverte de broderies poétiques. 1\ est certain toutefois que, dans un temps bien antérieur à la découverte de l’imprimerie, mais impossible à préciser, le Sénat de Venise faisait rédiger des notices sur les faits survenus dans la ville et dans l’État, lesquelles notices étaient transmises aux agents de la République vénitienne. On appela ces notices Foglietti, Fogli d’avvisi, petites feuilles, feuilles d’avis. Plus tard, à une époque qu’on ne saurait déterminer, il était pris des copies de ces feuilles à l’usage des particuliers, et cette diffusion eut lieu par un corps de copistes nommés Scrittori d’avvisi, Il est insoutenable que ces notices aient été livrées à la curiosité publique moyennant la rétribution d’une Gazetta ; cela est tout à fait en opposition avec la nature soupçonneuse du gouvernement vénitien, qui ne souffrait qu’à grand peine, et seulement pour les patriciens, la circulation de ces notices qu’il ne permit jamais d’imprimer.

La première pièce de monnaie, appelée Gazetta, a été frappée en 1536. Remarquez bien celle date, c’est celle de Chalmers, et l’origine de cette Gazetta valant deux sous vénitiens ou un sou de France a été confondue avec l’origine du journal. Ce qui est absolument sûr, c’est que le premier journal imprimé à Venise sous le nom de Gazette apparaît en 1760 quand notre Gazette de Renaudot comptait déjà près de cent trente ans d’existence.

Ce mot de Gazette se trouve du reste dans notre langue bien avant l’établissement du Journal, auquel le fondateur donna expressément le nom de Gazette « parce qu’il était, suivant son expression,. plus connu du vulgaire avec lequel il fallait parler ».

Si l’origine du journal non manuscrit n’est pas vénitienne, et je vous l’ai prouvé, voici, d’après Eugène Hatin, la date probable des premières feuilles périodiques. Anvers aurait imprimé le premier journal en 1605 ; puis il aurait apparu en Allemagne en 1612 ou 1615, en Angleterre en 1622, en Hollande en 1626, en France en 1631.

Revenons à Théophraste Renaudot.

Le novateur avait établi des consultations gratuites pour les malades, il avait fourni des secours aux travailleurs pauvres avec ses prêts sur gages, il avait fondé la Gazette imprimée. Serez-vous surpris que l’envie se soit attachée à Renaudot, que des attaques passionnées aient dénaturé ses intentions, sous l’influence d’idées contraires aux siennes ; que des ennemis se soient dressés pour amoindrir son mérite et renverser ce qu’il avait édifié ?

Fort de l’appui du pouvoir, ayant de son côté la faveur publique, Renaudot nous a fait part de ses tribulations dans sa Gazette. Les attaques auxquelles il était en butte l’émeuvent, l’irritent, mais ne l’effrayent pas. Il exprime dans un style imagé cette pensée magnifique : « Le journal tient de la nature des torrents, il se grossit par la résistance. » D’autre part, Richelieu, qui avait trop à combattre pour ne pas se servir du journal naissant, envoyait à la Gazette des articles entiers ; Louis XIII n’est pas resté étranger à la publication de plusieurs nouvelles.

La Gazette au début était de format in-lia, avec quatre colonnes sur une seule page. Elle avait pour titre unique le mot GAZETTE et, dès le sixième numéro, la date de publication et le bureau de rédaction sont indiqués à la fin en lettres italiques : Au bureau d’adresse, rue de la Calandre, sortant dit Marché-neuf, près le Palais à Paris.

Renaudot, pour avoir plus d’autorité comme directeur de la Gazette reçut Je brevet en titre d’historiographe de la couronne. J’ai cherché à la Bibliothèque nationale, dans le rare exemplaire du Recueil des Gazettes de 1681, le portrait, le seul qui nous reste peut-être, de Th. Renaudot. Il est représenté assis devant son bureau. Le front est vaste, plissé ; les yeux grands, largement fendus avec un regard vif, intelligent. Le visage est dépourvu de grâce, déparé par un nez court, largement épaté. Les cheveux sont rares, les poils de la barbe et de la moustache sont clairsemés et incultes. L’ensemble n’offre rien de prétentieux, il indique la bonté et on devine un esprit primesautier, actif et tenace.

Arrivé à l’apogée de sa renommée, Renaudot eut, par Richelieu, la concession d’un vaste terrain situé dans le faubourg Saint-Antoine, pour y construire une maison destinée à devenir un hôtel des consultations charitables. Cet hôtel, dans la pensée du ministre, pouvait devenir le siège d’une Université royale destinée à amoindrir la Faculté de médecine, si fière de ses prérogatives.

Mais bientôt après, Renaudot perd ses protecteurs, Richelieu et Louis XIII. Il avait lancé une épigramme contre Gu Palin qui relève le gant et il se trouve de plus en plus exposé aux coups de ses ennemis. Les accusations, les épithètes les plus dures lui sont prodiguées. Il attaque la Faculté qui répond par un factum « contre son calomniateur ». Il perd procès sur procès, la concession de terrain lui est retirée, il est condamné à cesser les consultations charitables, à fermer le bureau d’adresse ; la Gazette seule survit, grâce à la faveur de Mazarin. Renaudot accablé de tristesse, n’ayant que peu de fortune, mais adoré de ses deux fils Isaac et Eusèbe, qui ont tour à tour été repoussés des examens, puis admis au baccalauréat, à la licence et au doctorat, meurt le 25 octobre 1653.

II.

Voyons maintenant quel était l’adversaire de Renaudot, celui qui l’a renversé : le fougueux Guy-Patin.

Il nous apprend lui-mème qu’il était né un vendredi, dernier jour d’aoust 1601, près de Beauvais « à Hodenc-en-Bray ». Son père, François, « était bien fait, parlait d’or et n’était point vicieux » ; sa mère, Claire Manessier, était d’Amiens. Après avoir fait ses humanités à Beauvais, le jeune Guy-Patin, subissant l’attraction de Paris, s’y rendit pour étudier la philosophie. De retour dans sa patrie, il résiste à ses parents qui voulaient lui faire embrasser la carrière ecclésiastique ; puis, sur les conseils de Riolan, il étudie la médecine. Ses débuts furent brillants ; pendant son baccalauréat il fut fait archidiacre des Écoles, ensuite il fut coiffé du bonnet doctoral, le 17 décembre 1622. Dix ans plus tard, on le voit professeur de chirurgie à la Faculté, puis au Collège de France.

Il fut élu doyen de la Faculté de médecine en 1650 et 1651, et je vous affirme que nul n’a été plus que lui un doyen vigilant et très rigide observateur des statuts.

Guy-Patin est mort le 1er avril 1672. Il fut enterré à Saint-Germain-l’Auxerrois. Vous pourrez voir un beau portrait de lui dans l’antichambre qui précède la salle du Conseil. Ce portrait, d’Antoine Masson, date de 1670 ; il a été donné à la Faculté par Guy-Érasme Emmerez, filleul (filiolus) de Guy-Patin.

Le célèbre doyen est en petit costume noir, avec un large col blanc rabattu ; la tête est fine, le visage amaigri, allongé ; les yeux noirs et pénétrants, le nez droit, long, aquilin ; la bouche à lèvres minces, sarcastique ; le menton pointu ; les cheveux abondants, bouffants et grisonnants.

C’est bien ainsi qu’on devait se représenter, par la pensée, le satirique par excellence, le génie épistolaire fait homme, ce chroniqueur audacieux, tantôt sérieux, tantôt plaisant, flagellant les vices, les abus, les ridicules de son époque. L’historien n’est point un panégyriste, mais je ne puis oublier et ne point vous dire que Guy-Patin avait une érudition immense, une mémoire prodigieuse, que ses lettres écrites aux Belin, de Troyes ; à Charles Spon ; à Falconnet, de Lyon ; aux Salins, de Beaune ; et autres, il s’est montré tour à tour philosophe, poète, bibliographe consommé. Bayle a prétendu que Guy Patin avait été correcteur d’imprimerie dans sa jeunesse, et, en effet, ses jugements sur les livres sont d’une sûreté vraiment surprenante ; sa colère devient implacable contre les éditions mal imprimées et incorrectes.

Guy-Patin était très versé dans les sciences médicales, il affectionnait surtout les anciens : Hippocrate, Galien, et de plus Fernel, Duret, Bouillier, Baillou. Vous voyez le cas qu’il devait faire de quiconque délaissait les anciens, Hippocrate et Aristote, et par conséquent de Renaudot. Il regardait les apothicaires comme des « cuisiniers arabesques », la » gent stibiale » l’horripilait ; or Renaudot était chimiste et vantait l’antimoine. Guy-Patin, démophile à sa manière, détestait le pouvoir du ministre ; il était du « parti de l’aversion contre Richelieu », il ne tarit pas de mots à l’emporte-pièce « sur la race mazarinesque » et Renaudot avait Richelieu pour protecteur.

Par ces quelques oppositions de caractères et de vues, il vous est facile de juger que la lutte ’serait terrible entre ces deux hommes. Une épigramme, insérée par Renaudot dans la Gazette, avait commencé l’attaque. La pratique de Guy-Patin n’était point compliquée : il saignait beaucoup, nous pouvons dire très copieusement ; il purgeait avec des minoratifs, surtout le séné et employait volontiers « la ptisane à l’eau de son », Les trois mots, saignée, sené, son, commencent chacun par la lettre S, et les apothicaires ennemis de Guy-Patin l’avaient appelé en conséquence « le Docteur aux trois S ».

Voici l’épigramme que Renaudot fit circuler sous forme de « nouvelle à la main » :

Nos docteurs de la Faculté, Aux malades parfois s’ils rendent la Santé, Ont besoin de l’apothicaire ; Mais Patin plus adroit, de par la Charité, Avec trois S les enterre.

Guy-Patin blessé au vif ne pardonnera jamais au « Gazetier » ; toute sa verve, tout son entrain, il les apportera dans ses ripostes habiles, vigoureuses, acharnées ; il inspirera « les rabat-joie contre l’antimoine triomphant » ; sa colère sera aussi mordante que furibonde, et quelles épithètes « le Gazetier, le camus, le honteux trafiquant de toutes choses, l’infâme usurier, l’odieux charlatan, blatero, nebulo hebdomadarius ! »

En ce temps d’intrigues, de complots, de publicité restreinte, au XVIIe siècle enfin, la justice avait souvent de lentes allures, mais elle rendait des arrêts. Renaudot eut recours à elle, il assigna Guy-Patin en personne ; celui-ci ne resta pas en arrière et répondit par une assignation pareille devant la même juridiction. Nous dirions aujourd’hui : double procès en diffamation. Ce procès fut jugé le 14 août 1643 ; Richelieu étant mort au mois de décembre 1642, Renaudot n’avait plus son grand appui.

Les magistrats donnèrent raison au docteur de Paris qui soutint lui-même sa cause. Le contentement de Guy-Patin fut extrême et au sortir de l’audience il dit à son adversaire : « Monsieur Renaudot, vous avez gagné en perdant, vous étiez camus en entrant ici, vous en sortez avec un pied de nez ».

La Faculté avait institué comme Renaudot des consultations gratuites, données tous les samedis par les docteurs-régents de dix heures à midi, rue de la Bûcherie. Mais Renaudot ne se tenait pas pour battu ; il continuait à employer l’antimoine et il en vint à réclamer de la reine régente la confirmation de la cession des terrains du faubourg Saint-Antoine. Guy-Patin sût entraîner la Faculté pour assouvir sa haine contre « le Gazetier, courtier d’annonces et empoisonneur », et le prévôt de Paris, par arrêt au Châtelet le 9 décembre 1643, donna sentence « par la quelle deffences sont faites (à Renaudot) d’exercer la médecine, ny faire aucune conférence, consultation ny assemblée, dans le bureau d’adresse ou autre lieu ». Renaudot en appelle du jugement rendu ; en outre, il demande l’enregistrement des lettres-patentes qui lui donnaient le droit d’exercice sous Louis XIII L’effort était suprême, l’Université de Paris s’était jointe à la Faculté de médecine ; d’autre part, la faculté de Montpellier, chancelier, professeurs et docteurs-régents prêtaient leur concours à Renaudot. La cour « met l’appellation à néant… condamne l’appelant à l’amende et ès-dépens … lui fait très expresses inhibitions et deffences de plus vendre, ny prêter à l’avenir sur gages … » Le triomphe de Guy-Patin était complet.

Faut-il, messieurs, regarder Guy-Patin comme absolument injuste et trop agressif ? Était-il donc si rempli de colère et de fiel ? J’ai voulu avoir l’avis de notre bibliothécaire Achille Chéreau qui depuis longtemps vit, en quelque sorte, avec Guy-Patin et ses œuvres, et il n’a point cette opinion. Reportons-nous au temps où vivait le doyen pour apprécier sa pour suite contre Renaudot : l’ancienne Faculté, appuyée sur ses statuts, était immuable, toute atteinte aux dogmes antiques lui paraissait un crime. Guy-Patin repoussait, comme Riolan, l’immortelle découverte d’Harvey, parce que Galien avait déjà expliqué le cours du liquide sanguin, il combattait Pecquet. Il était bien du XVIIe siècle, car il dit froidement dans une de ses lettres au sujet des malheureux atteints de la rage ou hydrophobes : « Il faut les estouffer dans leur lit à force de couvertures … ou bien leur faire avaler une pilule de six grains d’opium tout pur afin qu’au bout de deux jours il n’en soit plus parlé, car au bout de trois heures ils sont morts, il ne reste plus qu’à les enterrer. » Combien, il devait être âpre et même cruel pour le « Gazetier » !

Écoutez le jugement de l’historien si intègre et si loyal de l’ancienne Faculté de médecine, de Jacques-Albert Hazon, dont nous possédons le beau portrait peint par Philippe de Champaigne. Il dit en parlant de Guy-Patin : Homme d’une rigide probité, censeur de son siècle, d’une grande littérature, célèbre parmi les savants de son temps. En effet, Guy-Patin avait l’ami lié vive et chaude ; il fut étroitement lié avec Pierre Gassendi et les personnages les plus érudits. Il aimait avec passion ses deux fils, mais il n’eut pas les joies paternelles de Renaudot son ennemi, car l’aîné de ses enfants, Robert Patin, succomba phtisique en 1670 et le second, Charles, le Carolus chéri, mourut exilé à Padoue.

Comme deux plantes vigoureuses et placées sur un étroit espace, Guy-Patin et Renaudot ont vécu l’un près de l’autre : le premier, arbre épineux et touffu dont le second devait suivre le troue et les branches pour arriver au jour. Les forts aiguillons ont déchiré l’écorce et pénétré le second eu pleine moelle : de ses trois rameaux, deux sont restés sous l’ombre, le troisième a dépassé le faîte et fourni en plein air feuilles, fleurs et fruits. Les rameaux qui n’ont repris vigueur que plus tard, ce sont les consultations charitables et les Monts-de-Piété ; celui qui a conquis sa place au grand soleil, c’est le Journalisme !

III.

On chercherait vainement dans la Gazette de Renaudot le moindre article médical, c’était d’abord, suivant les propres termes du fondateur, Il le journal des rois et des puissants de la terre » , La médecine eut un organe spécial, vingt-six ans après la mort de Renaudot et celui qui le fit paraître fut Nicolas Blégny. Il yi a entre le créateur du journalisme, en France, et le premier journalisme médical, la différence du diamant dont l’éclat incomparable est de premier ordre, avec le strass qui ne brille que par le nombre des facettes et dont la valeur est toujours inférieure.

Nicolas Blégny quitta Chaumont, sa ville natale, et vint jeune à Paris chercher fortune ; c’est à tort que Dezeimeris le fait Parisien. 11 crie bien haut qu’il est issu de très noble et très ancienne maison de Blégny ; son père était maître apothicaire et sa mère une simple bourgeoise. Vous verrez la Faculté lui donner son vrai titre. Le blason de Nicolas était fantastique ; mais, suivant la fine remarque d’Achille Chéreau, on peut facilement et à volonté composer cet écu de mauvais aloi, en employant la langue héraldique : au chef sans vergogne, au chevron d’ambition, au pal aiguisé d’astuce, à la bande batailleuse, fuselé d’intrigue, cousu de clinquant.

Nicolas loge, dès son arrivée, chez un sien frère concierge des Écoles de chirurgie ; puis il se fait compagnon chez un barbier. On le voit s’occuper en artiste de la construction des bandages ; il fonde un amphithéâtre de dissection, des bains et étuves ; il compose ou fait composer des livres qu’il signe de son nom ou d’un nom supposé. Il publie à tout propos des ouvrages et, chose digne d’être rapportée, la plupart sont bons. Blégny évite d’abord de se brouiller avec la Faculté, car il ne possédait pas le moindre parchemin universitaire ; plus tard, il la combat ouvertement par ses écrits et par ses actes, il dédie même un de ses livres (1 aux docteurs en médecine des Facultés provinciales et étrangères pratiquant à la cour de Paris », Avec Desnoues, son compère, il se procure le corps d’une petite fille de six ans enlevé au cimetière de Saint-Sulpice. Ce cadavre est repris par huissier, au nom de la Faculté ; Desnoues subit le fouet ; Blégny est condamné par contumace au bannissement. Mais il élude les sévérités de la justice ; la compagnie de Saint-Côme le repousse et c’est à Caen, en Normandie, qu’il prend le bonnet de docteur, le 8 octobre 1683. Son besoin d’inventions, son dédain pour la routine, ne lui laissent pas de repos ; il établit des infirmeries pour les pauvres honteux, une maison de santé pour pauvres et riches ; il appelle son laboratoire « des quatre nations » parce que les fenêtres s’ouvrent sur la place de ce nom ; il invente un almanach d’adresses comparable au Bottin de nos jours ; puis, à l’imitation de Bourdelot, il crée une « Académie des nouvelles découvertes en médecine » publiant des mémoires pour cahiers. Vous voyez enfin apparaître le Journal médical.

Mais ce n’est pas tout, loin de là : le thé, le chocolat, le café ont été van lés et propagés par Nicolas Blégny, Il fabrique des cafetières et chocolatières perfectionnées, des « cassolettes à lampes et à girandoles servant à parfumer et à désinfecter les chambres des appartements pour le plaisir et la santé ». Il confectionne des pharmacies portatives et redresse « les yeux bigles II avec des bésicles à ressort ; il fait connaître le secret de l’Anglais Talbot pour guérir les fièvres intermittentes par le quinquina, etc. Jugez par celle énumération restreinte et incomplète de l’activité dévorante de Blégny.

Les titres et emplois qu’il s’est procurés ne sont pas moins surprenants. En 1674, il est attaché à Marie-Thérèse ; il devient chirurgien ordinaire de la reine en 1678 ; chirurgien de Monsieur, frère de Louis XIV en 1680, avec des gages de 1700 livres ; chirurgien de la maison de Monsieur en 1685 ; chirurgien du roi en 1687. 11 était aidé puissamment par Daquin, le créateur de la fameuse Chambre royale dont je vous ai déjà expliqué le rôOle d’opposition contre la Faculté de Paris. Daquin se servait avec succès de B1égny, homme « bien fait, toujours proprement vêtu, parlant et écrivant aisément, studieux, inventif, laborieux », mais Daquin devait déchoir du faîte des grandeurs et aller mourir exilé à Vichy, Nicolas Blégny, heurtant trop fortement l’ancienne Faculté de Paris, sera écrasé par elle bien plus facilement que Renaudot ; sa plume sera brisée ; il sera par la suite jeté en prison.

La Faculté avait sévi contre ses propres membres qui avaient enfreint les statuts : elle vint facilement à bout du pseudo-chirurgien, qui, grâce aux protections de la cour, voulait rabaisser son autorité. Elle s’adressa à Monsieur, frère du roi, pour enlever à Blégny le privilège de publier une feuille périodique et ensuite au chancelier de France, « contre le nommé Blégny, ci-devant bedeau des maîtres-chirurgiens jurés et des sages-femmes de Paris … qui n’a pu autrefois estre reçu, .. en la communauté des maîtres-chirurgiens..i. pour son ignorance et pour ses mauvaises mœurs », Par arrêt du conseil privé du roi, rendu le 20 mars 1682, le privilège fut retiré à Nicolas Blégny, qui, dans le cours de cette vie si extraordinairement agitée, fut emprisonné au Fort-l’Évêque le 4 juin 1693, puis au château d’Angers ; il sortit de ce dernier au bout de huit ans et se retira dans la ville d’Avignon. C’est là qu’il termina sa vertigineuse existence en 1722, âgé de soixante-dix ans, non pas oublié, mais haï, abhorré de tous les médecins et chirurgiens gradés, de bonne roche.

Le premier cahier du Journal des découvertes en médecine a été publié à Paris, le 28 janvier 1679 ; il contient 30 pages, format in-8°. On y trouve le fameux fébrifuge anglais de Talbot, l’élixir de Babel, un mémoire sur les plaies ; le deuxième cahier, du 29 février , est de 48 pages. La première année du journal n’est pas signée ; dans la seconde (1680), l’auteur se fait connaître : Nicolas de Blégny, chirurgien du roi, maistre et juré à Paris, chez l’auteur, au milieu de la rue Guénégaud. Le titre de la feuille est changé, elle devint : le Temple d’Esculape, ou le Dépositaire des nouvelles découvertes qui se feront journellement dans toutes les parties de la médecine, in-8°. La troisième année s’appelle : le Journal des nouvelles découvertes concernant les sciences et les arts qui font partie de la médecine, Paris, 1681, format in-12. La dernière année (1684) fut publiée hors de France, à la suite des coups portés par la Faculté de médecine ; elle parut à Amsterdam, sous le pseudonyme de Gauthier, médecin de Niort, associé de Blégny, et sous le titre de : Mercure savant, format in-12.

Nous avons vu Nicolas Blégny de près, nous l’avons analysé pièce à pièce et les défauts nous ont apparu saillants ; mais de loin, l’inventeur et le chercheur, doué de qualités exceptionnelles, a été remarqué par des intelligences d’élite et apprécié par Hue, Lezot, Falconnet et par Théophile, Bonet, de Genève. Le journal de Blégny a même été traduit en latin et publié par Bonet sous le titre de : Zodiacus medico-qallicus, avec un long sous-titre, authore Nicolao de Blégny, Genève, 1682, format in-4°.

IV.

Tels sont, messieurs, le premier journaliste médical et le premier journal de médecine. Le second journaliste a été Jean-Paul de la Roque, originaire d’Albi, rédacteur du fameux Journal des savants, qui a commencé en 1665. De la Roque fit paraître : le journal de médecine et observations des plus fameux médecins, chirurgiens et naturalistes de l’Europe, tirées des journaux des pays étrangers et des mémoires particuliers envoyés à M. l’abbé de la Roque, Paris, 1683, in-12. Mais celle feuille n’eut pas le succès des Nouvelles découvertes de Blégny, et Claude Brunet reprit véritablement l’œuvre de maître Nicolas en continuant un Journal de médecine, édité en 1586, par Daniel Orthemels, un des prédécesseurs de nos libraires médicaux actuels : les Baillière, les Masson, Labbé-Asselin, Delahaye, Savy, etc. La librairie d’Orthemels était placée au bas de la rue de la Harpe. De plus, Claude Brunet rédigea pendant quinze ans (1695-1709) le Progrès de la médecine, etc., par cahiers mensuels, format in-12.

La mort de Claude Brunet porte un coup terrible au journalisme médical français ; il reste muet pendant près de cinquante ans dans notre pays.

Il me serait impossible, à moins d’y consacrer plusieurs leçons, de vous faire connaître tous les journaux de médecine français et étrangers qui ont paru successivement. Je puis vous donner leur nombre recueilli par l’infatigable Alexis Dureau, un des bibliothécaires de l’Académie de médecine.

Le nombre actuel des journaux médicaux à périodicité fixe, est pour : La France et ses colonies 147 Paris 95 Départements 52

Notre pays tient la tête, puis :

La Confédération germanique 133 Grande-Bretagne 69 Autriche 54 Italie 51 Espagne 28 Russie 26 Hollande 16 Suisse 10 Suède et Norwège 9 Danemark 5 Portugal 4 Principautés danubiennes 4 Turquie 2 Grèce 1 Nombre total pour l’Europe 585

Le nombre des journaux médicaux actuellement publiés est :

Amérique 183 Asie 15 Océanie 2

Le total des deux continents est de 785

Le nombre des journaux médicaux créés depuis 1679 dépasse 2500.

En présence de cette quantité considérable, je dois me borner il vous indiquer quelques prédécesseurs des journaux médicaux modernes, puis je jetterai un coup d’œil sur l’ensemble des publications périodiques actuelles.

Le Journal de médecine, chirurgie et pharmacie, etc., collection de 96 volumes in-12, mensuelle, parut de 1754 à 1794. Bernard, Bertrand, Grasse, Vandermonde, Augustin Roux, Dumangin, Bacher, en ont été les rédacteurs principaux. Après une interruption de sept années, le journal fut repris en 1801 par Corvisart, Leroux et Boyer (octobre 1801 à octobre 1817) ; il comprend 40 volumes in-8°. De 1816 à 1822 et sous le titre de Nouveau journal de médecine, Béclard, Chomel, Hippolyte Cloquet, Magendie, Orfila, Rostan, activèrent la publication de 15 volumes in-8°.

Ce journal célèbre renferme la plupart des observations et des mémoires de l’époque, la critique des livres parus, des biographies ; il est très remarquable.

Il y a parmi les journaux de médecine des publications importantes, mais dont l’existence devait être limitée à leurs fondateurs ; il en est de même pour les œuvres de controverse personnelle, faites pour propager des idées ou pour exposer une pratique spéciale. Ainsi Broussais, dans les Annales de la médecine physiologique ; Forget, dans les Transactions médicales ; Beau, dans le Journal de médecine ; Malgaigne, dans le Journal de chirurgie et dans la Revue médico-chirurgicale de Paris ; Stanislas Laugier, dans le Bulletin chirurgical ; Magendie, Breschel, Bazin, Gendrin, etc.

La patience la mieux éprouvée ne résisterait pas à l’énumération chronologique des journaux actuels ; je vais vous en donner un aperçu en les divisant par catégories. Que de personnes je vais avoir à citer devant vous ! Leurs noms appartiennent à l’histoire, et j’ai autant de bonheur à les prononcer qu’à serrer la main vaillante de ces journalistes éminents.

Une première catégorie comprend les publications qui ne paraissent qu’à intervalles assez longs, plusieurs fois dans une année, ou tous les mois, ce qui les distingue des antiques Almanachs ou des Annuaires modernes et ce qui leur donne le cachet du journal périodique. Les anciens Mercures, les Revues, les Annales, les Archives, tels ont été et tels sont encore leurs titres habituels.

Les Archives générales de médecine, fondées en 1823 [2] par Étienne Georget et Raige-Delorme, ont eu successivement pour rédacteurs Isidore Valleix et Eugène Follin. Actuellement, après une nombreuse collection de séries, elles prospèrent toujours entre les mains d’un élève et ami d’Armand Trousseau, du professeur de clinique médicale, Charles Lasègue. Son collaborateur, chirurgien de mérite, sera certainement et peut-être bientôt l’un de vos professeurs de pathologie externe : vous nommez tout bas Simon Duplay,

Les Archives de médecine contiennent une masse inépuisable de travaux originaux, conçus dans le sens large de l’École de Paris.

Beaucoup d’autres archives et revues, journaux mensuels ou deux et trois fois mensuels, viennent prendre place dans cette catégorie. Vous trouverez une suite d’instructions et de précieux renseignements dans :

Le Journal de l’anatomie et de la physiologie de l’homme et des animaux, par le professeur Charles Robin ; dans les Archives de physiologie normale et pathologique, d’Édouard Brown-Séquard, Charcot et Vulpian ; dans les Archives de tocologie du professeur Henri Depaul ; dans les Annales de gynécologie des professeurs Charles Pajot, Courty et Théophile Gallard, etc.

Parcourez aussi le Journal de médecine et de chirurgie pratiques, fondé en 1830 par Lucas-Championnière ; les Annales d’hygiène publique et de médecine légale, signées par Adelon, Devergie, Guérard, Orfila, Chevallier, Delpech, Tardieu, et auxquelles mon cher ami le professeur Paul Brouardel imprimera de plus en plus, soyez-en sûrs, une impulsion vraiment scientifique ; la Revue d’hygiène et de police sanitaire, d’Émile Vallin.

Et parmi les journaux plus spéciaux : les Annales médico-psychologiques, les Annales de dermatologie et de syphiligraphie de Doyon ; les Archives d’ophtalmologie ; les Annales d’oculistique, des maladies de l’oreille et du larynx, d’hydrologie ; les Annales médico-psychologiques, etc., etc.

La Revue mensuelle de médecine et de chirurgie, et la Revue trimestrielle des sciences médicales de France et de l’étranger, du professeur Georges Hayem, vous tiendront au courant de toutes les publications nouvelles.

Je ne fais que vous signaler le Recueil de mémoires de médecine, de chirurgie et de pharmacie militaire, rédigé sous la surveillance du Conseil de santé des armées, et les Archives de médecine navale, dirigées par Alfred Le Roy de Méricourt.

A l’étranger, les principales revues et archives sont les suivantes : Archiv für Anatomie und Physiologie ; Archiv für die gesammte Physiologie ; Deutsche Archie für klinische Medicin ; Archiv für experimentellen Pathologie und Pharmakalogie ; Archiv der Heilkunde ; Archiv für pathologische Anatomie ; etc. ; British and foreing medico-chirurgical Review ; the Dublin journal of medical science, devenu the Quarterly journal ; the Edinburgh medical and surgical journal ; the Practitionner ; the American journal ; Boston medical and surgical journal ; les revues et journaux médicaux de Cincinnati, Indiana, New-York, etc., etc. Enfin, les publications mensuelles belges, italiennes, espagnoles, portugaises, russes.

Une nouvelle division comprend les journaux paraissant plus d’une fois tous les mois, et environ tous les quinze jours.

Ici vient se placer le Bulletin général de thérapeutique médicale et chirurgicale, recueil bi-mensuel qui a rendu et rend tous les jours aux praticiens de grands services. Ce bulletin a été fondé par J.-E.-M. Miquel le 15 juillet 1831 ; il a été continué en 1838 par E. Debout, puis par Félix Bricheteau. Il est entre les mains des professeurs Apollinaire Bouchardat, Léon Le Fort qui a remplacé Ferdinand Dolbeau et de Carl Potain qui a succédé à Jules Béhier. Le secrétaire de la rédaction est le sympathique Georges Dujardin-Beaumetz,

Le Journal de thérapeutique a été publié par le regretté professeur Adolphe Gubler avec la collaboration d’Arthur Bordier et d’Ernest Labbée. La Revue de thérapeutique médico-chirurgicale d’Hamon de Fresnoy a fait suite au Journal des Connaissances médico-chirurgicales.

Le Journal d’hygiène et de climatologie de Pietra Santa s’occupe de toutes les questions relatives à la santé publique : il paraît quatre fois par mois.

L’Abeille médicale, revue des journaux et ouvrages de médecine, a été fondée par Comet, ancien rédacteur d’Hygie, puis elle a été rédigée par Comet et Antoine Bossu, enfin par ce dernier. Le journal, d’abord bi-mensuel, a paru ensuite trois fois par mois ; il est actuellement hebdomadaire, ce qui me fournit la transition naturelle aux publications de cet ordre.

Nous voici donc en présence des feuilles qui ne paraissent qu’une fois par semaine :

Le célèbre Journal hebdomadaire de médecine a succédé au Journal universel des sciences médicales. Fondé par J.-B. Regnault, élève de Vicq d’Azir (1816 à 1830) et comprenant 59 volumes. Le journal hebdomadaire a présenté quatre titres différents ; il a eu pour collaborateurs illustres : Andral, Blandin, notre cher ancien, Jean Bouillaud, Henri Roger, Littré, Bégin, Bérard aîné, Jolly, Mélier, Roche, Trousseau, Velpeau, Dubois d’Amiens, et enfin il s’est transformé en Presse médicale, ancien Journal hebdomadaire, ayant alors pour rédacteur Amédée Latour.

La Gazette médicale de Paris continue la Gazette de santé, par J.-J. Gardane (56 années in-4°, 1er juillet 1773 à 1829). Paulet, Pinel, Marie de Saint-Ursin, De Montègre, Pillien et autres ont rédigé la Gazette de santé. Aucun d’eux n’a eu la personnalité puissante du rédacteur en chef de la Gazette médicale de Paris, depuis 1830. Esprit étendu, pénétrant, cherchant plutôt qu’évitant les controverses, ne redoutant pas d’être seul de son avis ; vous avez nommé un des plus vaillants athlètes du journalisme : Jules Guérin.

Je dois donner un souvenir à un ancien rédacteur de la Gazette médicale de Paris que l’Institut et l’Académie viennent de perdre, à Louis Peisse, de tant d’esprit et de tant de goût. Je vous recommande ses écrits sur la médecine et les médecins. Peisse a été véritablement un Aristarque médical.

La Gazette médicale est aujourd’hui sous l’habile direction de Félix de Ranse, mon compatriote et mon ami ; elle continue toujours la publication des comptes rendus et mémoires de la Société de biologie qui a eu pour présidents Pierre Rayer, Claude Bernard et Paul Bert.

La Revue médicale, historique et philosophique, fondée en 1820, a eu pour rédacteurs : V. Bally, Bellanger, F. Bérard, Bestrin, Bousquet, Delpech, Desportes, Double, Dunal, Esquirol, Gasc, Giraudy, Jadioux, Prunelle, Cayol, Récamier, Martinet et autres ; elle a été entre les mains de Sales Girons, elle est actuellement dans celles d’Édouard Fournié. Ses tendances ont toujours été spiritualistes et elle a reflété les doctrines de l’École de Montpellier.

La Revue scientifique de la France et de l’étranger, d’abord Revue des cours scientifiques (1863-1871), fondée par Odysse Barot, fait une large place aux sciences de l’enseignement médical et donne plusieurs cours de la Faculté. Elle a été sous la direction d’Émile Alglave, jusqu’en février 1880. Actuellement, elle a pour directeurs Antoine Breguet et Charles Richet.

Le Journal des Connaissances médicales pratiques, fondé en juillet 1833, a été rédigé par A. Tavernier, Beaude, Caron du Villars, Le Roy d’Étiolles, Tanchou, Vié, Beaugrand, Caffe. D’abord mensuel, il est aujourd’hui le Journal hebdomadaire des connaissances médicales pratiques et de pharmacologie de Victor Cornil et Louis-Victor Galippe.

Le Paris médical d’Auguste Fort est actuellement dans les mains de Jean-Eugène Bouchut.

J’arrive à la Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie et je ne puis en dire tout le bien que j’en pense. On l’a accusée d’avoir des « doctrines un peu flottantes ». Erreur, elle n’est liée à aucune opinion exclusive. Fondée depuis octobre 1853, elle suit le progrès sous toutes ses formes ; elle a été un instant le Bulletin de l’enseignement médical.

Son rédacteur en chef, d’abord attaché, avec Auguste Mercier, à l’Examinateur médical, puis à la Gazette médicale de Paris, donne à la Gazette hebdomadaire un reflet du Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, qu’il dirige avec tant de soin et d’éclat. C’est l’excellent Amédée Dechambre.

Et je dois dire que la Gazette hebdomadaire a été un nid d’aiglons à forte envergure. Elle a eu pour rédacteurs adjoints : Jules Gavarret, l’éminent et regretté Paul Broca, Aristide Verneuil, dont vous devez lire et relire la leçon sur les chirurgiens érudits, leçon qui est elle-même un modèle d’érudition ; Alfred Vulpian, notre savant doyen ; Jean-Martin Charcot, Germain Sée, Léon Le Fort, Sigismond Jaccoud. Si je vous cite ces noms, ce n’est pas seulement à cause du plaisir que j’ai à les prononcer, c’est pour qu’ils vous servent d’exemple, jeunes hommes d’avenir qui m’écoutez.

Beaucoup de feuilles étrangères ont le type hebdomadaire. Abordons les journaux qui paraissent plusieurs fois par semaine.

Un seul journal a paru tous les jours, c’est le Journal général des hôpitaux civils et militaires de Paris, des départements et de l’étranger (15 août 1828 au 24 août 1829, in-folio).

L’Expérience, journal de médecine et de chirurgie, a été publiée tous les cinq jours. Ses rédacteurs ont été Dezeimeris et Littré, puis Henron et Raciborski (1837 à 1844, in-8°),

La France médicale et pharmaceutique, fondée par Félix Roubaud en 1854, est entrée en 1874 dans une phase nouvelle, sous la direction de Léon-Eugène Bottentuit, qui s’est efforcé de donner la place la plus importante à la clinique, et je puis vous dire que la France médicale, aujourd’hui bi-hebdomadaire, sera au 1er janvier 1881 tri-hebdomadaire, avec réduction de son format de l’in-folio, à l’in-8°. Elle publie les comptes rendus de la Société clinique de Paris, fondée en 1877 par J.-B.-Philippe Barth et le professeur Michel Peter. Son feuilleton a souvent été rempli par les recherches historiques d’Auguste Corlieu.

Dans la catégorie très intéressante des journaux trois fois hebdomadaires viennent prendre place : la Gazette des hôpitaux et l’Union médicale.

La Lancette française, Gazette des hôpitaux civils et militaires, plus connue sous le nom de Gazette des hôpitaux, a eu pour fondateur, le 1er novembre 1828, un journaliste de forte trempe, François Fabre, l’auteur de la Némésis médicale et qui s’appelait lui-même « un Phocéen ». Le format a été tour à tour in-4°, puis in-folio, il est redevenu in-4°. On compte parmi les rédacteurs : Vidal de Cassis, Marchal de Calvi, Foucart, Jamain, Marcé, Armand Desprès, Eugène Bouchut, Hippolyte Brochin et Victor Révillout. Le Sourd père et son fils Ernest Le Sourd ont constamment reproduit dans leur journal si répandu les leçons des professeurs de la Faculté, de vos maîtres affectionnés : Alfred Richet, Léon Gosselin, Alfred Hardy, Photius Panas, Benjamin Ball, Jules Parrot, Alfred Fournier, etc. Vous y trouverez encore les leçons des médecins et chirurgiens des hôpitaux, tous nommés par le concours, tous si instruits et si dévoués. La Gazette des hôpitaux est des mieux informées, elle a souvent la primeur des nouvelles scientifiques.

L’Union médicale, journal des intérêts scientifiques et pratiques, moraux et professionnels diu corps médical, a paru en 1847. Les fondateurs sont Gustave Richelot père et Aubert Roche. Elle a successivement paru dans les formats in-folio et in-octavo.

Fidèle à son titre, l’Union médicale est un des organes les plus estimés du journalisme. Son rédacteur en chef qui a d’abord dirigé l’éphémère Gazette des médecins praticiens, qui s’est ensuite caché avec Marchal de Calvi, sous le pseudonyme de Lirac, puis de 1844 à 1846, sous celui de « Jean Raymond » dans la Gazette des hôpitaux, est l’aimable et spirituel « Simplice » de sa chère Union médicale. Vous avez tous apprécié le charme, la finesse et l’aménité de la critique de Jacques-Amédée Latour.

C’est dans ces journaux paraissant de deux jours l’un, presque quotidiens, que nous trouvons une frappante analogie avec les feuilles du vieux temps, rappelant la nouvelle du jour et les Zeitung, les Zeitschrift, les Tidschrift, les Times étrangers. Aussi comme on l’attend, ce journal, comme on déchire sa bande, comme on déploie son papier fraîchement imprimé ! Vous connaissez, messieurs, cette odeur spéciale et qui plaît tant, ou vous la connaîtrez tous, car vous aurez, chers élèves, une thèse au moins à composer, à soutenir, et des épreuves à corriger. Il vous faudra tôt ou tard vous guider dans des escaliers étroits, au fond de longs couloirs et alors vous vous trouverez en présence des imprimeurs devant leurs casiers ; vous apprécierez ces protes si dévoués et si intelligents. Puissiez-vous y voir encore : Nicolas, de l’Union médicale, le gréco-latiniste et polyglotte Joseph Boulmier, de la Gazette des hôpitaux, Schmidt de la Gazette médicale et de la Société de biologie, qui vous remettront les feuilles humides tirées à la brosse. Votre manuscrit sera transformé dans de nouvelles pages que vous parcourrez avidement.

Pensez aux médecins des campagnes, auxquels appartiennent ce qui nous manque dans nos cités, les grands aspects des monts, les senteurs des bois, les prés verdoyants, et aux médecins militaires dans la caserne ou sous la tente ; pensez encore à nos chers confrères de la marine, à leur bord. Comme ils prennent d’une main amie ce journal qui leur arrive et qui les relie avec Paris absent !

Le temps me presse et je ne puis vous parler des journaux de nos départements. Sachez qu’ils vous seront utiles et que vous ne devez point les négliger. Les Facultés de Montpellier et de Nancy, celles plus nouvelles de Lyon, Lille, Bordeaux, et les Écoles secondaires ont toutes des feuilles médicales estimées. Je regrette de ne pouvoir vous en donner une idée plus complète. Mais ici, je puis dire comme le grand poète dans Hernani :

J’en passe et des meilleurs …

V.

Je veux enfin vous parler d’une dernière catégorie et ce n’est pas la moins curieuse. Elle comprend les journaux hebdomadaires ! ou non, qui, par leurs allures, leurs tendances, la vivacité de leur critique, se rapprochent de la presse politique. Ce sont les pionniers scientifiques, les éclaireurs de l’avant-garde. Ils ont la sève exubérante, l’active jeunesse. Point de question brûlante qu’ils n’abordent avec prédilection, de sujet scabreux qu’ils ne dissèquent jusqu’à l’os, de fruit vert qu’ils n’ouvrent pour en connaître la saveur. Gare à leurs piqûres, elles pénètrent dans le derme, je puis en parler, je les ai ressenties ; mais soyez sans crainte, elles ne sont jamais envenimées.

Ces journalistes on t eu pour prédécesseurs Broussais, Magendie, Beau, Malgaigne et le Moniteur des hôpitaux, journal de la médecine et de la chirurgie pratiques fondé en 1852 (in-4°) par Henri de Castelnau. Vous y trouverez les comptes rendus des cours de Claude Bernard, rédigés par un de mes prédécesseurs dans cette chaire, mon regretté ami Paul Lorain.

La Tribune médicale, fondée par Marchal de Calvi, prospère entre les mains de Vincent Laborde et de sa jeune phalange, d’Odilon Lannelongue, de Jean-Baptiste Duguet, etc.

Le Progrès médical de Désiré Bourneville peut clore celle liste abrégée. C’est aux nouveaux, aux ardents que s’adresse surtout le Progrès médical, rapportant toutes les séances des jeunes sociétés, discutant très vivement les questions du jour. Et qui donc pourrait s’en plaindre ? Et qui donc, parmi nous, voudrait l’empêcher ; qui chercherait à entraver aujourd’hui l’expression de la pensée humaine ? Personne, je l’espère. Ne redoutez pas les audaces extrêmes du langage scientifique : ce qui est violent ne dure pas, la compensation s’établit ; après l’excès, il reste souvent un coin du voile déchiré, derrière la vivacité regrettable de la forme est un fond de justice. Faut-il cependant encourager la polémique violente ? Je ne le pense pas et voici ce qui m’est arrivé à cet égard, il y a plus de quinze ans. Me trouvant en Allemagne, au delà de Berlin ; à Stettin en Poméranie, dans un congrès de médecins et de « Naturforschers », après des discussions où les personnalités avaient été mises en jeu et les attaques passionnées, j’exprimai le désir formel que la polémique perdît ce caractère irritant, inutilement agressif. Ce que j’avais dit à Stettin m’est revenu par Londres ; mes paroles avaient trouvé un écho et un journal The Entomologist’s Monthly Magazine les prit pour épigraphe. Vous éprouverez l’étonnement mêlé de satisfaction que j’ai éprouvé en les lisant pour la première fois : « J’engage les auteurs à éviter dans leurs écrits toute personnalité, toute allusion dépassant les limites de la discussion la plus sincère et la plus courtoise. - Laboulbene. » Elles sont toujours les mêmes sur chaque numéro des seize volumes parus. J’ai donc le droit de vous redire ici : Liberté entière de discussion, mais sincère et courtoise, ayant alors pour seules limites le respect des autres et de soi-même.

Oui, la presse, qui, comme le torrent, grossit par la résistance, doit avoir un libre cours, et dans sa marche toujours progressive, elle abordera des terres inconnues, elle découvrira de nouveaux horizons. Ne craignez pas qu’elle n’envisage parfois qu’un côté restreint des choses médicales, elle arrivera à les embrasser tout entières et à les connaître. Dans sa recherche de l’utile, elle approchera de plus en plus du vrai, de la vérité. Et à ce sujet, laissez-moi vous retracer la comparaison d’un profond penseur qui s’exprime à peu près en ces termes :

La vérité, dit-il, me représente le poteau indicateur des routes, placé au milieu du carrefour d’une grande forêt. Si vous demandez à un voyageur, qui passe venant du sud, ce qu’indique le poteau, il vous répondra que c’est le nord, car il a souvent parcouru la route en vérifiant l’inscription et il ne s’est jamais trompé. Un autre, arrivant en sens inverse, vous dira que le poteau indique sûrement le midi, car il l’a toujours consulté et il ne s’est point égaré dans sa route. Et ainsi pour ceux qui traversent la forêt allant vers l’orient et vers le couchant. Ces gens-là connaissent-ils toutes les indications que comprend le poteau ? Non, car il ne faut point se borner à regarder une des faces, il faut en faire le tour, Mais, ajoute le penseur, combien peu qui puissent ou qui sachent faire le tour du poteau de la vérité !

Ce que ne peuvent quelques hommes isolés, l’ensemble des écrivains doit l’accomplir. Chaque journal, suivant ses tendances, considère une des faces du poteau, tous les journaux réunis arriveront à posséder l’ensemble. C’est dans la presse médicale que nos lointains successeurs verront à quel point notre époque s’est approchée de la vérité et quel chemin nous avons parcouru pour faire le tour du poteau,

Aussi, messieurs, aimez, encouragez celle presse médicale. Pensez, méditez, écrivez ; quand vous aurez observé un fait nouveau, quand vous serez en possession d’une idée neuve, soyez journalistes, ne fût-ce qu’une fois, ne fût-ce qu’un jour. Et, après avoir appris, par cette ébauche historique, l’origine de la Gazette, ainsi que celle de nos journaux scientifiques, leur indispensable utilité, leur grand rôle dans la société moderne, répétez avec moi : Honneur au journalisme médical !

Alexandre Laboulbène

[2La Reuve porte l’année 1323 qui ne peut être qu’une erreur.

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