Observations sur les froids d’hiver

H. Moulin, la Revue Scientifique —1893
Dimanche 11 décembre 2016 — Dernier ajout lundi 5 février 2018

Je vois signalé dans la Revue scientifique du 21 janvier 1893, comme une anomalie météorologique ce fait que les froids de fin décembre sont survenus avec un baromètre bas, tandis que la température s’était maintenue précédemment élevée avec baromètre très haut. Je sais, en effet, que l’on imprime couramment que le froid accompagne en hiver les hautes pressions : mais je me demande si cette loi météorologique est bien exacte. Il me semble, au contraire, qu’au moins dans nos régions, elle est très souvent contredite par les faits si on l’entend en ce sens que le thermomètre est bas en hiver là où le baromètre est élevé. Je serais bien plutôt porté à croire que la hauteur plus ou moins grande de la température se rattache, en hiver comme en été, à la place des zones anticycloniques d’une part, et du centre des bourrasques d’autre part, au regard du lieu donné. C’est ce qui est très bien établi dans une brochure de M. G. Raymond, reproduisant les théories de M. Teisserenc de Bort, (les Grands centres d action de l’atmosphère ; Gauthier-Villars, 1890). Il est certain que lorsque le baromètre est élevé sur l’Espagne, le régime des vents de sud-ouest maintient en France une température relativement douce. Mais alors même que la zone anticyclonique a son centre sur la France, si exceptionnellement il se produit alors un froid intense par rayonnement, comme en décembre 1879, il est bien plus fréquent que le calme de l’air ait comme conséquence la formation d’épais brouillards, tièdes s’ils succèdent à un régime doux, modérément froids s’ils reviennent après une période de vents polaires. En sorte qu’en ce dernier cas, la hausse barométrique sera accompagnée d’une hausse parallèle de la température. C’est ce qui se produit actuellement (20 janvier), du moins dans la région ouest (Poitiers). Le minimum de froid s’est produit le 18 au matin (-15,6°C), au début de la hausse barométrique. Depuis deux jours, le thermomètre est voisin de 0°C avec baromètre à 775 [1], et le dégel, très lent, est accompagné d’un épais brouillard.

Non seulement la présence de hautes pressions ne me semble pas entraîner nécessairement le froid hivernal, mais je croirais plus volontiers que le froid se rattache au voisinage de basses pressions plus encore qu’à la proximité de zones anticycloniques. Je n’avance ceci ni comme une pure conjecture ni comme une loi certaine ; mais depuis quatre ans que je fais à Poitiers des observations météorologiques, j’ai remarqué que, d’une part, les maxima barométriques étaient presque invariablement accompagnés d’une température douce, tandis que les froids les plus remarquables se produisaient sous l’influence de dépressions méditerranéennes, le froid diminuant en général lorsque le centre de la dépression, après avoir stationné vers la Provence, se déplaçait vers l’est.

Voici notamment la dernière période de froid, depuis le 25 décembre. J’ai noté le 31 décembre à la fois le minimum absolu de température du mois (- 8,5°C) et le minimum barométrique (750,7 mmHg). J’ajouterai que pendant cette journée il n’y a pas eu trace de nuages.

Cette situation n’était pas spéciale à Poitiers, puisque les chiffres de Paris sont analogues. Or, à cette date du 31 décembre, le minimum barométrique de toute l’Europe était vers la Gascogne, et le maximum sur la Laponie. Il est à remarquer, en outre, que les isobares étaient beaucoup plus rapprochées dans la région des hautes pressions, puisque la ligne 760 passait au sud de la Scandinavie. Il y avait ainsi sur l’Europe occidentale une vaste zone où la pression était basse, le ciel clair, l’air sec et froid.

Si je poursuis les observations de janvier, je note quatre minima de température très importants :

  • Le 2. -11,7°C : Baromètre en hausse rapide, dépression sur la Provence.
  • Le 13. -10,9°C : Baromètre modérément haut (766,7).
  • Le 16. -12,2°C : Baromètre en hausse rapide après tempête de neige. Minimum sur la Provence.
  • Le 18. -15,6°C : Mêmes conditions. - La hausse du baromètre étant cette fois définitive, le dégel survient.

De cette période, je rapprocherai les froids de janvier 1891 ; les dates mêmes coïncident. Je relève, en effet, deux minima marqués les 17 et 18 janvier, -8,3°C et -12,1°C, avec hausse barométrique après une tempête de neige qui, comme celle du 15 courant, accompagnait une dépression traversant l’est de la France du nord au sud.

Les conditions dans lesquelles était survenue l’invasion du froid, lors de l’hiver 1890-91, confirment de tous points les remarques que j’ai déjà faites. Le mois de novembre 1890 est caractéristique.

Baromètre moyen.
Température moyenne
Du 14 au 22 772,7 10,7°C
Le 25 755,7 5,1°C
Le 26 757,5 0,5°C
Le 27 758,5 -5,6°C
Le 28 757,6 -3,5°C
Le 29 761,7 -6,3°C

Et sans relever le détail du mois de décembre suivant, je rapprocherai les moyennes ci-dessous :

Baromètre
Thermomètre
Décembre 1890 760,3 -1,6°C
- 1891 767,7 +5,8°C

Notamment, dans ce dernier mois, le maximum thermométrique du mois, 15,0°C, s’est produit avec baromètre élevé 771,8 ; de même que le maximum de novembre 1891, 14,8°C, avec baromètre 768,2. Et, d’autre part, je noterai le minimum de février 1892, -4,5°C, qui a suivi une tempête de neige avec hausse momentanée du baromètre succédant à une baisse de 30mm.

Il me semble résulter de ces nombreux exemples que, du moins pour la France occidentale :

1° Les minima de température surviennent fréquemment après bourrasque, pendant la hausse barométrique.

2° Les minima de température se produisent souvent par un temps calme et brumeux, avec baromètre surélevé.

Et surtout la réciproque de cette dernière proposition me paraît fausse : l’excès de pression n’entraîne pas l’abaissement anormal de la température. Il peut arriver, et en effet il arrive assez fréquemment que l’air soit calme avec ciel clair, ce qui entraîne des froids par rayonnement ; mais, en ce cas, le baromètre est en général en baisse et intérieur à la normale ; une dépression s’approche de nos côtes et le froid précède un réchauffement brusque. Mais à l’exception du mois de février 1891 (Nébulosité 31 % et baromètre 773,2, froids d’ailleurs modérés), je n’ai pas noté, depuis quatre ans, un régime de temps clair et froid avec baromètre supérieur à 772 ou 774.

H. Moulin

[1mmHg bien sûr. 760 mmHg correspondent à la pression normale de 1013 hPa.(NDWM)

Revenir en haut