Détermination de la taille d’après les os longs des membres

Étienne Rollet, La Revue Scientifique — 6 août 1892
Lundi 28 décembre 2015 — Dernier ajout dimanche 17 mars 2024

Étienne Rollet, La Revue Scientifique — 6 août 1892

Un os long des membres étant donné, peut-on déterminer la taille de l’individu auquel il a appartenu ? Tel est le problème que tout médecin, dans la pratique médico-judiciaire, peut être appelé à résoudre.

En anthropologie, si l’on examine les ossements des hommes préhistoriques, peut-on dire quelle était leur stature, et si la race à laquelle ils appartenaient était robuste et de haute taille ?

En médecine légale, dans la plupart des cas de dépeçage, l’identité du cadavre est la partie délicate de l’expertise. Il faut, avec des fragments, reconstituer la taille, dire le sexe, l’âge et, s’il est possible, fournir aussi des données parfois indispensables aux recherches de la justice. Avec un membre supérieur ou inférieur plus ou moins complet, on a souvent à trancher une question d’identité. Par suite de la putréfaction, et dans les cas d’exhumation, quand les parties molles sont désagrégées, les os désarticulés, quand le squelette ne forme plus un tout, il est néanmoins très important d’avoir la taille des individus.

Aussi depuis longtemps les médecins légistes ont-ils reconnu l’utilité d’une méthode qui donnerait le moyen de déterminer la taille d’une personne lorsqu’une portion du corps, telle qu’un os long, est seule mise à la disposition de l’expert.

Sue [1] semble, le premier en France, avoir pratiqué des mensurations des os longs dans le but de reconstituer la taille ; mais toutes ces mensurations ne concernent pas l’homme adulte, arrivé à la fin de la croissance, chez lequel seulement on peut obtenir des données précises.

Orfila [2] a établi deux tableaux indiquant les mesures des os longs prises sur des cadavres et des squelettes. Mais le procédé de mensuration était peu rigoureux, et les faits notés sont en petit nombre.

M. Topinard [3] a simplifié les tableaux d’Orfila, et, dans ses recherches pour la reconstitution de la taille, il emploie en même temps, sans tenir compte du sexe, les rapports moyens obtenus avec les moyennes des mesures prises sur des squelettes. Mais on sait combien il est difficile d’évaluer exactement la différence qui existe entre la taille d’un individu et celle de son squelette.

En Angleterre, M. Beddoë [4], d’après les mensurations d’Humphry [5] sur vingt-cinq sujets, a proposé le procédé suivant : « Prendre la longueur obtenue du fémur, la multiplier par 4, retrancher 1/11 du produit et ajouter 35 millimètres pour avoir la taille du vivant, - ou : ajouter 33 centimètres à trois fois la longueur du fémur, plus la moitié de ce qui, dans cette longueur, dépasse 48 centimètres chez l’homme ; 32 centimètres, plus la moitié de ce qui, dans cette longueur, dépasse 44 centimètres ou 44,5 chez la femme. »

En Allemagne, dans les différents ouvrages spéciaux, il n’existe que quelques mensurations, destinées plutôt à montrer les proportions de longueur des os aux différents âges de la vie (Langer [6], Told [7]).

La question en était là en 1888, lorsque parut notre travail sur ce sujet [8]. Après avoir noté, à Lyon, la taille, l’âge et le sexe de 100 sujets, 50 hommes et 50 femmes, nous avons mesuré les os longs des membres. Les mensurations ont été faites suivant les données que nous avons exposées précédemment.

Nous avions indiqué, d’après nos cent observations, cinq procédés pour arriver à la solution du problème. Les procédés à l’aide des moyennes des os ou du rapport moyen des os étaient basés sur les méthodes employées à ce moment. Nous y avons ajouté des tableaux synoptiques très simples à consulter et suffisamment exacts, et deux autres méthodes que nous avons appelées : procédé de choix et procédé rapide.

Dans le procédé de choix, nous avons distingué quatre groupes de tailles, et à l’aide d’un calcul élémentaire on détermine la taille au moyen d’une longueur d’os donnée.

À l’aide du procédé rapide, procédé des coefficients, et que le premier j’ai fait connaître, on arrive à des résultats très sûrs.

À la formule compliquée de M. Beddoë et aux calculs relativement longs des anthropologistes français, nous opposions ce procédé rapide :

Il suffit, pour avoir la taille d’un individu, de multiplier la longueur d’un os long par un des nombres suivants :

Fémur Tibia Péroné Humérus Radius Cubitus
Homme 3,66 4,53 4,58 5,06 6,86 6,41
Femme 3,71 4,61 4,66 5,22 7,16 6,66

Nos méthodes ont fait l’objet de plusieurs mémoires postérieurs à une note présentée à l’Académie des sciences (1888) [9].

On trouvera la description ou l’application de notre méthode dans les diverses publications de MM. Tourdes [10], Debierre [11], Lacassagne [12], Poncet [13], etc.

Récemment, M. Manouvrier [14] a présenté un intéressant mémoire sur cette question de la détermination de la taille, d’après les grands os des membres. Cet auteur s’étant uniquement servi des chiffres que j’ai publiés, et préconisant deux de nos méthodes, tableaux synoptiques et procédé des coefficients qu’il a « remaniés », il me sera facile de répondre aux critiques faites à ces méthodes et d’en formuler à mon tour à l’égard des quelques modifications qu’il a cru devoir y apporter.

Les tableaux qu’il nous oppose comprennent certaines différences dans les tailles répondant à diverses longueurs d’os, nous en verrons l’application dans la suite.

Cet anthropologiste distingué préconise aussi notre méthode des coefficients ; mais au lieu de diviser, à notre exemple, les tailles en quatre groupes (procédé de choix) ou en un seul groupe (procédé rapide), il établit, d’après nos chiffres, cinq groupes de taille et, par conséquent, cinq coefficients pour chaque os (60 coefficients au lieu de 12).

Partant de ce fait que la taille peut diminuer chez le vieillard, l’auteur, dans son récent travail, au lieu d’utiliser nos cent observations, n’en a retenu que quarante-neuf ayant trait à des sujets âgés de moins de soixante ans. Une erreur typographique comme celle qui existe dans mes tableaux, au sujet de l’âge, pourrait à nouveau modifier les chiffres de M. Manouvrier.

Dans mon mémoire de 1888, j’ai donné un tableau montrant l’âge des sujets dont j’avais mesuré les os, et ayant éliminé les sujets atteints de cyphose sénile, lésion qui est la grande cause de la diminution de la taille chez les vieillards, je disais : « L’intervention des mesures prises sur des sujets âgés est d’une importance moindre qu’on ne pourrait le croire. » Ayant examiné les sujets dont il s’agit, j’avais reconnu que les individus âgés mis dans mes séries étaient pour la plupart de robustes vieillards décédés à l’hospice de la Charité. Or, comme j’ai pu jadis le constater dans ce service pendant mon internat, les individus admis là comme vieillards succombent à des affections foudroyantes ou aiguës, ils ne se cachectisent pas.

Au contraire, nous avons dans nos tableaux des individus adultes morts de tuberculose pulmonaire ou d’autres lésions chroniques, dont la taille me parait avoir pu varier davantage que chez les sujets d’âge avancé. Les médecins voient très fréquemment à l’hôpital des malades âgés de cinquante ans qui ressemblent à de véritables vieillards. Il est donc bien difficile parfois de dire à quel âge commence la vieillesse, témoin le sujet dont parle Tenon, qui, à quarante-cinq ans, avait perdu 10 centimètres de sa taille [15].

M. Manouvrier, en consultant simplement les âges des individus que j’ai inscrits dans mes tableaux, a donc utilisé des sujets qui sont des vieillards au point de vue de la taille, et laissé de côté des individus qui, certainement, avaient conservé leur taille maximum.

Du reste, j’ai indiqué que la période de trente-cinq à quarante-cinq ans est celle où la taille présente sa plus grande fixité, mais fixité encore relative. Nos quatorze sujets, âgés de trente-cinq à quarante-cinq ans, auraient dû seuls contribuer à de rigoureux calculs.

Conservant dans nos séries les sujets âgés chez lesquels la taille n’a pu diminuer que d’une quantité négligeable, nous avions en opposition des sujets jeunes encore, chez lesquels la taille a pu augmenter. Si la taille diminue faiblement chez le vieillard non cyphotique, elle peut augmenter jusqu’à l’âge de trente-cinq ans, comme je l’ai rappelé quand j’ai dressé mes tableaux. J’ai hésité alors à y faire figurer des sujets de vingt-quatre et vingt-cinq ans (acceptés cependant par notre contradicteur), dont la croissance n’était pas terminée, et j’y ai placé sans hésitation des vieillards bien conformés.

En tout cas, il nous semble qu’un procédé de reconstitution de la taille doit pouvoir s’appliquer à des sujets de tout âge, à croissance terminée. Mais M. Manouvrier, basant ses calculs sur 49 de nos 100 sujets, apporte naturellement une modification à nos chiffres ; dans la suite de son mémoire, du reste, il reconnaît que certains sujets peuvent être « de ceux dont la vieillesse n’a pas diminué sensiblement la taille ». C’est l’opinion que nous avions soutenue en faveur de notre statistique, et si la taille a pu diminuer chez quelques-uns de nos vieillards de 1, 2, 3 centimètres ; si elle a augmenté de 1, 2 centimètres chez nos jeunes gens, et si elle a pu parfois augmenter par nos mensurations dans la position couchée de 1, 2 centimètres, il s’établit une véritable compensation entre toutes nos unités, compensation d’autant plus complète que ces unités sont plus nombreuses.

Une autre objection nous a été faite par le même auteur, qui, ayant constaté que sur quatre femmes vivantes, la taille s’allongeait un peu dans le décubitus dorsal, conclut : « La taille du cadavre est certainement supérieure à celle du vivant ; il est plus que probable que la taille mesurée sur le cadavre doit être supérieure de 2 centimètres au moins à la taille mesurée sur le vivant. »

Cette simple hypothèse ne repose sur aucun fait observé par cet auteur, et elle l’entraine à des conclusions différentes des nôtres, aussi demande-t-elle à être vérifiée. Et, d’abord, occupons-nous des individus vivants.

La marche diminue la taille. M. Lévy, médecin principal de l’armée, a bien voulu me communiquer les mensurations suivantes et inédites, faites sur les coureurs de Paris-Belfort (1892). Cette diminution peut atteindre, comme on le voit, 4 centimètres. On sait que, depuis longtemps, les conscrits connaissent ce moyen de diminuer leur taille.

Sur quatre-vingt-six coureurs observés, on a noté à l’arrivée :

25 même taille, 34 taille diminuée de 1 centimètre et moins, 16 taille diminuée de 2 centimètres et moins, 10 taille diminuée de 3 et moins, 1 taille diminuée de 4 et moins.

La diminution moyenne de la taille a été de 9 millimètres.

La diminution de la taille a été aussi marquée chez les premiers arrivants que chez les derniers. La stature n’a pas influencé cette diminution : ainsi un sujet de 1,85 m avait la même taille à l’arrivée ; un coureur de 1,56 m avait perdu 25 millimètres ; grands et petits semblent avoir perdu également une certaine partie de leur taille.

La taille peut être modifiée dans d’autres circonstances : elle s’allonge un peu, en général, dans le décubitus dorsal ; c’est ce que nous avons cherché à établir. La statistique suivante prouve que la taille debout et la taille couchée présentent une différence.

Sur cent vingt sujets, mesurés au service anthropométrique de Lyon, nous avons trouvé que la taille couchée dépassait en moyenne de 16 millimètres la taille debout. La taille du matin est plus longue que celle du soir. La taille couchée est de 1, 2, 3 centimètres (et même 67 millimètres dans un cas) plus élevée que la taille debout. Mais nous avons des exemples dans lesquels il n’y a pas de différence, et un autre dans lequel l’individu couché perdait au contraire 2 centimètres.

Un individu, qui avait grandi de près de 3 centimètres par le décubitus dorsal, mis sur le plan incliné des orthopédistes avec légère extension mentonnière, a augmenté encore de 3 centimètres.

La conclusion à tirer de ces faits, c’est qu’on ne peut déterminer la taille qu’a 2 centimètres près, sur le vivant, comme l’indiquent du reste les instructions anthropométriques de M. A. Bertillon [16]. Il en est de même sur le cadavre. Ayant moi-même mesuré plus de cent cadavres, j’ai remarqué que l’on trouve sur la personne morte des causes qui peuvent modifier la taille comme sur la personne vivante. Mais devons-nous, comme on l’a fait, conclure de l’homme vivant à l’individu mort, à propos des différences entre la taille debout et la taille couchée ? Nous ne le pensons pas ; car, comme nous l’avons constaté, si la taille s’allonge aussitôt après la mort par le décubitus dorsal, elle peut diminuer dans la suite.

Les cent sujets de mes tableaux ont été mesurés, en général, dans la semaine qui a suivi leur décès. C’étaient des sujets parfois congelés ou atteints de rigidité cadavérique très manifeste ou à pannicule adipeux plantaire et sincipital desséché, etc. Ces conditions m’ont fait admettre que la taille couchée de ces cadavres d’amphithéâtre avait diminué et, par conséquent, était sensiblement celle du cadavre mesuré debout.

Aussi, retrancher uniformément 2 centimètres de la taille indiquée par les calculs est un point que je ne puis pas admettre, tout au moins pour les cadavres que j’ai examinés et dont je viens de parler.

En tout cas, la pratique n’est pas en faveur de la modification proposée ; ainsi M. Manouvrier cite les deux cas du parricide Gonachon, décapité à Lyon, et de Gouffé, chez lesquels j’ai déterminé très exactement la taille d’après mes procédés ; il ajoute que l’opération aurait abouti à un chiffre qui aurait été trop faible de 2 centimètres, si j’avais fait la diminution dont il a parlé. Cet auteur reconnaît ainsi, sans y prendre garde, que suivre ses conseils serait s’éloigner de la vérité.

Passons à une autre critique :

J’ai dit, dans mon mémoire, que certains os préparés et ruginés, puis mesurés à nouveau huit ou dix mois après la première mensuration, avaient perdu parfois 2 millimètres de leur longueur, fait dû au dessèchement du cartilage articulaire. Nous avions alors en vue spécialement le fémur dont les condyles sont recouverts d’un cartilage assez épais, mais nous avions sciemment négligé cette correction, la jugeant inutile puisque cette diminution de longueur était minime, variable et n’intéressait que le fémur et à peine l’humérus.

Le savant anthropologiste, s’appuyant sur nos expériences et pour « éviter une autre cause d’erreur ", recommande d’ajouter à la longueur des os 2 millimètres, avant de chercher dans ses tableaux la taille correspondante : « Sans celte précaution, dit-il, on trouverait des tailles diminuées d’autant plus sensiblement qu’on opérerait sur des os plus courts. Avec le cubitus ou le radius, l’erreur commise pourrait dépasser 1 centimètre. Les os longs, mesurés par M. Bollet, étaient revêtus de leurs cartilages articulaires plus ou moins desséchés, ce qui augmentait leur longueur de 2 millimètres en moyenne. »

Notre contradicteur nous parle d’erreur, si nous ne faisons pas la correction qu’il propose en vue du dessèchement du cartilage articulaire ; mais faut-il rappeler qu’il n’existe pas de cartilage articulaire dans les points de repère adoptés pour le cubitus et le péroné ; qu’il n’en existe pas il la malléole tibiale, à l’apophyse styloïde du radius ; que le cartilage est nul à la partie inférieure de l’humérus ?

Bref, le cartilage existe au fémur, peu (au point de vue qui nous intéresse) au tibia et à l’humérus, et c’est s’appuyer sur une erreur anatomique que de proposer une correction de longueur pour tous les os. Pour moi je la juge inutile, même pour le fémur. Du reste, le même auteur ajoute plus loin, après avoir proposé cette correction de 2 millimètres : « Il ne faudrait pas parler d’erreur de 3 millimètres dans de semblables opérations, car la mesure directe de la taille n’est pas elle-même assez précise pour qu’on puisse savoir seulement si de telles différences de 3 millimètres sont en plus ou en moins. » C’est aussi notre avis.

J’arrive à une dernière critique, à laquelle je répondrai exactement par des faits :

« En dépit de la supériorité qualitative des matériaux recueillis par lui, M. Rollet, dit-il, a obtenu des résultats à peine meilleurs que ceux de M. Topinard. Il a fait ensuite un essai très insuffisant de ses tableaux et de ses rapports, en les soumettant à l’épreuve d’une expérience unique … » (Soc. d’anthropologie, p. 357.)

Et dans le Progrès médical (23 mai 1891), on lit : « Les doutes émis par M. Rollet m’obligent à dire que les résultats obtenus avec mes coefficients sont de beaucoup supérieurs à ceux que l’on obtient avec ses propres coefficients… Voilà ce que démontre clairement l’épreuve successive, non pas avec un ou deux cas isolés, mais bien avec quarante-neuf cas qui, sans avoir la célébrité du cas Gouffé, n’en ont pas moins, dans l’ensemble une valeur quarante-neuf fois plus grande. »

Nous avons tenu à reproduire ce passage assez sévère, on en conviendra, pour nos recherches, dans lesquelles cependant notre confrère a puisé à pleines mains et à son choix les résultats avec lesquels, par des remaniements, il est arrivé à ce qu’il qualifie de « méthode plus correcte ».

Dans le passage cité, le reproche qui nous est fait de n’avoir vérifié notre méthode que d’après un seul cas n’est nullement fondé. En effet, elle a d’abord été appliquée aux cent cadavres dont nous avons publié les mensurations, mais ce n’est pas tout. Dans notre note à l’Académie des sciences de 1888, nous avons écrit : « A l’aide de nos méthodes, on obtient des résultats très satisfaisants dans le plus grand nombre de cas, surtout si l’on a à sa disposition un fémur et un humérus de préférence aux autres os. Nous avons pu nous en assurer par de nombreux exemples. »

Je fais, dans cette note, allusion à tous les essais de mensuration faits sur des squelettes, sur des cadavres, sur des vivants. et qu’il convient d’ajouter aux cent cas de ma première série. Aussi je me crois autorisé à dire que j’ai vérifié ma méthode, non pas dans un seul cas ou dans quarante-neuf, mais bien dans plus de deux cents expériences très rigoureusement faites.

Ceci dit, il nous sera facile de montrer de quel côté est l’erreur en comparant notre méthode avec celle qu’on lui oppose. Notre contradicteur a publié les résultats qu’il a obtenus chez huit individus qu’il a choisis comme exemple. Nous les indiquons ici à côté des résultats fournis par nos procédés :

Taille mesurée D’après Manouvrier D’après Rollet
Géant Joachim 2,100 m 2,02 m 2,09 m
Mathelin, assassin 1,805 m 1,79 m 1,86 m
Sellier 1,734 m 1,64 m 1,65 m
Kaps 1,717 m 1,65 m 1,65 m
Rivière 1,683 m 1,1,64 m 1,64 m
Gamahut 1,652 m 1,63 m 1,63 m
Alorto 1,609 m 1,65 m 1,66 m
A. B 1,560 m 1,55 m 1,49 m

Par ces différents procédés, les erreurs dans la détermination de la taille sont assez marquées, et ayant relevé une inexactitude à propos de la taille indiquée pour Mathelin (1,805 m et non 1,800 m), je me demande si pareille faute n’a pas été commise dans la mensuration de ces os, qui ne sont pas de ceux que j’ai examinés.

J’ai calculé les tailles par les procédés que j’ai fait connaître avec des fémurs, des tibias, des humérus, des radius. Pour ces sujets comme pour tant d’autres, la taille est indiquée tantôt par un seul os, tantôt par le fémur et l’humérus ou le fémur et le tibia … Je crois toujours préférable d’utiliser le fémur et l’humérus ou le plus grand nombre d’os possible, quoique dans certains cas, celui de Mathelin, par exemple, l’humérus ait donné plus exactement la taille (1,80 m) que tous les os réunis (1,86 m).

Toutes les manières de déterminer la taille peuvent donner lieu à des erreurs, mais j’estime qu’avec la nôtre on les évite plus généralement et plus sûrement qu’avec celle de M. Manouvrier. Les prétendus perfectionnements qu’il a apportés à notre méthode l’ont conduit, comme on le voit dans le précédent tableau, à des écarts de près de 10 centimètres, écarts que nous n’avons pas atteints nous-même dans les cas qu’il a choisis. Nous n’avons jamais eu la prétention d’arriver par l’examen de nos cent sujets (50 hommes et 50 femmes) à une loi infaillible, et nous l’avons toujours fait remarquer ; aussi comment comprendre qu’on ait pu trouver cette loi absolue en partant des mêmes résultats que nous et en ne faisant entrer en ligne de compte que quarante-neuf de ces mêmes sujets (24 hommes et 25 femmes) ?

Nous croyons devoir l’appeler ici la méthode qui nous a permis de déterminer d’une façon très simple et très exacte la taille de Gouffé dans l’expertise faite par M. Lacassagne.

Nous avions trouvé par nos mensurations : humérus, 356 millimètres ; fémur, 483 millimètres. Donc :

356 (humérus) X 5,06 (coefficient) = 1,801 483 (fémur) X 3,66 = 1,767 Moyenne : 1,784 m

A l’aide de tous les os, nous obtenions les mêmes chiffres.

Or la taille cherchée était de 1,78 m. Nous arrivions donc à une très grande précision. Par son procédé des coefficients, M. Manouvrier obtiendrait une taille de 1,742 m, et par ses tableaux de 1,730 m.

On voit que, par cette dernière méthode, on aurait probablement égaré la justice dans une affaire où la question de la taille était d’une importance de premier ordre.

Si nous passons à des exemples de femmes, si nous prenons dans notre tableau la femme n°1 à taille la plus petite, 1,40 m, et la femme n° 50 à taille la plus haute, 1,71 m, c’est-à-dire des cas difficiles, puisque la règle est d’autant moins sûre qu’on s’éloigne de la moyenne, nous arrivons avec nos procédés à des tailles de 1,44 m et 1,73 m ; M. Manouvrier donne des tailles de 1,47 m et 1,65 m. Nous avons pris ainsi les deux exemples extrêmes de nos tableaux, et on voit encore par là de quel côté est l’erreur.

« M. Rollet, dit-il, s’est prévalu bien à tort d’un exemple pour affirmer l’inutilité de nos réformes. »

Nous disons à notre tour que, l’exemple n’étant pas unique, mais s’étant répété et pouvant se répéter souvent, c’est à la méthode qui expose le moins à l’erreur, c’est-à-dire à la nôtre, qu’il faut donner la préférence [17].

Voici, en effet, un exemple tout récent de la précision donnée par notre méthode et de l’inexactitude à laquelle aboutissent les remaniements de notre contradicteur.

Il s’agit de Hartel, assassin décapité à Valence (juillet 1892). On se souvient sans doute que la question de sa taille avait donné lieu dans le procès à des investigations multiples.

Nous avons trouvé :

Fémur Tibia Péroné Humérus Radius Cubitus
466 mm 401 mm 393,5 mm 339,5 mm 255 mm 279,5 mm

La taille exacte était de 1,767 m. Notre procédé rapide donne 1,763 m, celui de M. Manouvrier 1,710 m. On voit que les cas malheureux ne sont pas rares avec ce dernier procédé.

Aussi considérons-nous les recherches de M. Rahon sur les ossements humains anciens et préhistoriques en vue de la reconstitution de la taille [18] comme pleines d’intérêt, mais très sujettes à la critique, puisqu’elles reposent sur un procédé unique qui n’amène que trop souvent des erreurs.

J’avais appliqué aussi ma méthode, dès le début, à la détermination de la taille des hommes préhistoriques (je continue à l’heure actuelle cette étude). La divergence la plus forte portait alors sur la taille de l’homme de Cro-Magnon. Cette taille était de 1,90 m d’après M. Topinard ; elle est d’après nous de 1,79 m :

Fémur … 490 X 3,66 (coefficient) = taille : 1,793 m

M. Manouvrier, la recherchant à son tour, arrive à une taille de 1,75 m. Nous nous plaisons à remarquer que le résultat obtenu par nous est intermédiaire à ceux de ces deux anthropologistes.

Je rappellerai, en terminant, que le Muséum de Lyon possède le squelette entier d’une femme trouvé à Solutré et qui appartient, croit-on, à la période paléolithique.

Voici les résultats de mes mensurations en ce qui la concerne :

Fémur : 415 X 3,11 (coefficient) = 1,539 m Humerus : 299 X 5,22 = 1,560 m Moyenne : 1,550 m

Son squelette mesure 1,52 m. En ajoutant à cette taille du squelette 3 centimètres pour les parties molles détruites, comme on le fait généralement, nous obtenons bien la taille de 1,55 m qui devait être, d’après notre calcul, celle du vivant.

En définitive, dans son mémoire, notre savant contradicteur s’est borné à remanier des chiffres qu’il nous a empruntés, et il n’est pas ainsi arrivé à une loi scientifique.

Ce qui manque encore dans l’étude de cette intéressante question de la taille, il ne faut pas l’oublier, ce sont les faits, les observations, les mensurations nouvelles, c’est-à-dire la possibilité d’éviter l’erreur en faisant porter le calcul sur un plus grand nombre d’unités comparables. Ces mensurations qu’il aurait pu faire et qui se seraient ajoutées aux nôtres et les auraient complétées, M. Manouvrier n’en produit aucune dans son mémoire, auquel on pourra reprocher d’être trop exclusivement théorique.

Quoi qu’il en soit, nous sommes reconnaissant au professeur de l’École d’anthropologie de Paris, qui, en utilisant nos recherches, a de nouveau appelé l’attention sur une question intéressant l’anthropologie et la médecine légale.

ÉTIENNE ROLLET.

[1Sur les proportions du squelette de l’homme (mémoire présenté à l’Académie des sciences, 1755).

[2Traité de médecine légale, t. 1er, p. 105, 1848, et Traités de Devergie, Briand et Chaude ; Dictionnaires de Littré et Robin, de MM. Duval et Lereboullet,

[3Éléments d’anthropologie générale, 1885.

[4Sur la taille des anciennes races d’Angleterre, estimée d’après les os longs (Anthropological Institute, fév. 1888), et Topinard, Formule de la reconstitution de la taille (Revue d’anthropologie, 1888, p. 470).

[5A treatise on the Human Skeleton ; Cambridge, 1858.

[6Wochenschrift, 1880-1881.

[7Médecine légale de Maschka ; Tübingen, 1882.

[8De la mensuration des os longs des membres dans ses rapports avec l’anthropologie, la clinique et la médecine judiciaire.- In-8° de 128 pages ; Lyon, Storck, 1888.

[9Soc. d’anthrop. de Lyon, 1889 ; Archives de l’anthrop. crimin.,1889 ; Internationalen Monatschrift für Anat. Phys., 1889.

[10Dictionnaire encyclop, des sciences méd., art. IDENTITÉ, 1889.

[11Traité d’anatomie, t. 1er ; Paris, 1890.

[12L’Affaire Gouffé, p. 30 et suiv. ; Paris, 1891. - De l’identité établie par l’étude du squelette (thèse de M. Tourtarel ; Lyon, 1892). - Vade-mecum du médecin-expert, par M. Lacassagne, 1892.

[13Traité de chirurgie, t. III ; Paris, 1891.

[14De la détermination de la taille d’après les grands os des membres (Soc. d’anthrop. de Paris, 2e série, t. IV, p. 347-402).

[15Notes manuscrites, relatives à la stature de l’homme, recueillies par Villermé (Annales d’hygiène, 1833).

[16Consulter les différents mémoires de A. Bertillon et De la reconstitution du signalement anthropométrique au moyen des vêtements, par M. Georges Bertillon ; Lyon, Storck, 1892.

[17Dans un important mémoire, M. Bertaux, sur 17 mensurations faites à l’aide du fémur, montre que la méthode de M. Manouvrier donne 17 erreurs ainsi réparties : erreurs de 3 centimètres et moins, 4 ; de 8 centimètres et moins, 6 ; de plus de 8 centimètres, 7. En se servant de l’humérus, l’auteur, sur 19 mensurations, trouve 1 résultat parfait ; erreurs de 3 centimètres et moins, 8 ; plusieurs erreurs dépassent 8 centimètres, et l’une d’elles atteint 20 centimètres ! Malheureusement les tailles des cadavres n’ont pas été relevées par la même personne et sont très contestables. (L’Humérus et le Fémur, thèse ; Lille, 1891.)

[18Thèse de doctorat, Paris, 7 juillet 1892.

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