Nicolas-Louis de La Caille (1713 — 1762)

Samedi 21 mars 2015

Éloge par Grandjean de Fouchy

Nicolas-Louis de La Caille, Professeur de Mathématiques au Collège Mazarin, des Académies Royales des Sciences de Paris, de Pétersbourg, de Bologne & de Gottingue naquit à Rumigny, près de Rosoy en Tiérache, le 15 mars 1713 de Nicolas-Louis de la Caille & de Barbe Rubuy, tous deux alliés à plusieurs familles anciennes & distinguées du Laonnois. Son père avait servi d’abord dans la compagnie des Gendarmes de la Garde, & fait ensuite plusieurs campagnes dans l’Artillerie ce fut dans une de ces dernières qu’il eut occasion d’être connu de M. le Duc de Bourbon père de M. le Prince de Condé ; ce Prince, qui avait pris beaucoup de goût pour lui, lui procura à la paix la place de Capitaine des chasses de Madame la Duchesse de Vendôme à Anet ; ce fut alors qu’une vie plus tranquille, soutenue d’un peu d’aisance, lui permit de se livrer au goût qu’il avait pour les Sciences & qu’ayant tourné ses vues de ce côte pour l’éducation de son fils, il le mit au Collège de Lisieux.

Le jeune la Caille répondit parfaitement aux désirs de son père ; mais il éprouva bientôt un cruel revers : il avait à peine dix-huit ans lorsque ce père si bien intentionné mourut, & le laissa sans fortune, il ne demeura cependant pas sans ressource ; la douceur de ton caractère, son assiduité au travail, la régularité de ses mœurs, & les progrès rapides qu’il avait faits dans ses études, lui avaient acquis l’estime & l’amitié de tous ses supérieurs ; sur le compte qu’ils en rendirent à M. le Duc, ce Prince se fit un plaisir de cultiver de si heureuses dispositions, & se chargea de pourvoir à tous ses besoins. Les Princes ne sont jamais plus véritablement l’image de la Divinité, que lorsqu’ils mettent leur gloire à favoriser le mérite & à protéger la vertu.

M. l’abbé la Caille continua donc les études dans le même Collège duquel il ne sortit pas même pour la Théologie, y ayant au Collège de Lisieux une Communauté particulière pour les jeunes Théologiens.

Ce fut alors qu’il commença à tourner ses vues du côté de l’Astronomie, la difficulté de s’instruire sans Maître, sans livres, sans instruments, le secret qu’exigeait cette espèce d’étude absolument étrangère à celles auxquelles le lieu qu’il habitait était consacré, en un mot, tous les obstacles qu’il rencontra ne purent refroidir son ardeur ni lui faire abandonner son projet, & je puis assurer qu’en 1736, il était déjà prodigieusement avancé ; car ayant su que je demeurais dans son voisinage, il me fit l’honneur de me venir demander mes conseils, je fus étonné de voir jusqu’où il avait pu aller seul & sans secours ; mais comme je devais incessamment partir pour un voyage de plusieurs mois, je ne pus que lui donner des conseils généraux, & je l’exhortai à s’adresser à feu M. Cassini.

Ce célèbre Astronome n’eut pas de peine à reconnaître les talents de M. l’abbé de la Caille, & pour être plus à portée de les cultiver, il le prit avec lui à l’Observatoire. Avec l’amour que le jeune homme avait pour l’Astronomie & les recours qu’il trouva dans cette excellente école il ne tarda pas a devenir un habile Astronome, & bientôt il fut en état de partager avec M. de Thuri le travail de la Méridienne qui, parlant par l’Observatoire, traverse du nord au sud tout le Royaume. Il fut occupé de cet ouvrage pendant près de trois années ; on ne saurait croire combien son exactitude dans les opérations & son infatigable assiduité au travail y procurèrent d’avantages, nos Histoires en ont fait mention, & il eût probablement continué de s’y livrer avec la même ardeur, si une circonstance trop honorable à fa mémoire pour être passée sous silence, ne l’en eût rappelé en 1738.

La Chaire de Mathématiques du Collège Mazarin se trouva vacante M. l’abbé de la Caille était alors jeune & sans aucun titre qui pût suppléer à l’âge : il était absent quand la chaire vaqua ; & quand il aurait été à Paris, ceux qui l’ont connu ne seront pas surpris lorsque j’avancerai qu’il ne l’aurait jamais demandée, mais sa réputation, déjà plus étendue qu’il ne pensait, sollicita pour lui & lui fit déférer cette place, autrefois occupée par le célèbre M. Varignon, dont il. se trouva en quelque sorte le successeur à l’age de vingt cinq ans.

Dès qu’il en fut revêtu, il tourna toutes ses vues vers cet objet, dont il connaissait l’importance. Pour ménager autant qu’il était possible, le temps destiné à l’instruction de ses élèves, il composa des Leçons élémentaires de Mathématique, dont il fit imprimer la première partie en 1741 & les autres successivement : ces Leçons sont extrêmement abrégées, elles supposent les explications de vive voix, qui en devaient être comme l’âme : on pourrait les regarder comme des espèces de cahiers imprimés, dont il serait bien à souhaiter que l’usage s’introduisît dans toutes les Écoles, on y gagnerait un temps précieux, inutilement perdu à transcrire des leçons qu’on pourrait se procurer aisément par cette voie.

L’occupation que fournissait à M. l’abbé de fa Caille, son nouveau ministère, ne lui avait rien fait perdre de son goût pour l’Astronomie ; il s’était procuré au collège Mazarin même un observatoire solide & commode, & il l’avait garni d’excellents instruments : c’était là qu’il se délassait des travaux de sa place, par les observations les plus délicates & les plus assidues. Bientôt ces plaisirs devinrent des devoirs : l’Académie n’hésita pas à s’attacher un sujet qui promettait un avenir ai brillant ; & il y obtint le 3 Mai 1741 une place d’Adjoint-Astronome, de laquelle il passa peu d’années après à celle d’Associé.

Il ne tarda pas à faire voir combien il était digne du choix de l’Académie il donna dès la même année un Mémoire sur l’application du calcul des différences à la Trigonométrie sphérique. Roger Cotes, célèbre Géomètre anglais, avait donné sur cette matière en 1716 un Ouvrage, intitulé Æstimatio errorum in mixtâ Mathesi ; mais ce livre d’ailleurs assez rare, était très difficile à entendre. M. l’abbé de la Caille tira de cet ouvrage tout ce qui pouvait avoir rapport à l’Astronomie ; il l’éclaircit, il en rendit les formules plus générales & il eut l’art de les réduire aux simples analogies du calcul trigonométrique. Par ce moyen, si familier aux Astronomes on peut, en faisant successivement varier les angles & les côtés, reconnaître sûrement ce qu’on peut avoir à craindre de chaque erreur possible.

Les étoiles, dont le mouvement est très lent, servent pour ainsi dire aux Astronomes de points de reconnaissance, auxquels ils comparent les mouvements des Planètes & des Comètes : rien n’est donc plus important que de fixer exactement la position de ces points & d’en augmenter le nombre, ou, ce qui est la même chose, d’en construire un catalogue exact & complet : pour y parvenir, M. l’abbé de Caille imagina de partager toute l’étendue du ciel visible en bandes parallèles à l’Équateur, dont la largeur n’excède pas la largeur du champ d’une lunette de huit pieds. Il détermine avec tout le soin possible, par les règles ordinaires, la position de deux ou trois des plus belles étoiles comprises dans chaque bande. Cela fait, en fixant la lunette dans quelqu’endroit, de manière qu’une des étoiles du milieu.d’une bande parcoure un de ses fils, cette lunette devient un instrument suffisant pour déterminer la position de toutes les étoiles de cette bande, & il est évident qu’on ne peut, par ce moyen, omettre aucune des étoiles de cette bande, qui passent nécessairement toutes par l’ouverture de la lunette, & que la même opération, répétée autant de fois qu’il y a de bandes dans l’étendue du Ciel donnera, sans aucuns autres instruments qu’une lunette & une pendule un catalogue des étoiles visibles aussi exact & aussi complet qu’il soit possible de l’avoir. Nous verrons bientôt quel parti il a su tirer de cette méthode simple & si facile.

Il possédait en effet l’art précieux de simplifier les méthodes & de faciliter la solution des problèmes les plus difficiles.On a de lui un moyen si facile de déterminer la position de l’apogée du Soleil ou du point où il est le plus éloigné de la Terre, qu’on a lieu d’être étonné qu’il ne se soit pas présenté le premier. Il avait remarqué que le grand axe de l’ellipse était la seule ligne passant par le foyer qui partageât l’ellipse en deux également, & que les inégalités du mouvement de la planète forent de chaque coté. les mêmes avec des signes contraires, d’où il suit que cette ligne est la seule qui détermine deux points, tels que la planète mette autant de temps à aller d’un de ces points à l’autre qu’elle en met à retourner de ce second au premier ; il tire de là un moyen extrêmement facile d’avoir la position de l’apogée, en examinant, avec soin les deux points éloignés de six signes entre lesquels le mouvement du Soleil a été précisément égal de part & d’autre, & il fait voir par des raisonnements astronomiques & par des exemptes, que ce moyen est susceptible dans la pratique d’une précision au moins égale à celle des méthodes qui avaient paru jusqu’alors.

Un autre Ouvrage de M. l’abbé de la Caille, aussi utile qu’aucun de ceux dont nous venons de parler, est le Mémoire, ou pour parler plus juste, le Traité des Projections astronomiques, qu’il donna à l’Académie en 1744. On fait depuis longtemps de quel usage sont dans l’Astronomie ces représentations régulières de la sphère sur un plan, qu’on nomme projections ; on avait à la vérité des règles sûres pour les former mais ces règles changeaient suivant la différente position qu’on donnait à l’œil ; & lorsqu’on les voulait appliquer aux éclipses de Soleil & des étoiles par la Lune, on était obligé de négliger plusieurs éléments, dont le calcul aurait rendu la méthode impraticable si on y avait eu égard. M. l’abbé de la Caille rappelle toutes ces projections à une règle commune, susceptible de représenter tous les éléments avec la plus grande rigueur, & à laquelle le calcul s’applique avec une facilité merveilleuse. C’est gagner beaucoup en Astronomie que de diminuer la difficulté des calculs lorsqu’on ne peut en diminuer la quantité. Il applique ces mêmes règles, avec des exemples raisonnés, au calcul des éclipses de Soleil & de celles des Étoiles par la Lune, & enfin à la correction des Tables ; tous objets importants sur lesquels influe considérablement la facilité de sa méthode.

On avait depuis long-temps imaginé de calculer la route des Comètes, dans un orbe parabolique qui diffère effectivement très peu de l’orbe elliptique très allongé, dans lequel elles sont réellement leur cours, du moins pour la petite partie de ce cours qu’il nous est donné d’observer ce calcul était infiniment plus simple, que si l’on eût pris la véritable figure de l’orbite ; mais, malgré cette plus grande simplicité, il restait encore bien des difficultés à vaincre il donna, en 1746, une méthode si facile de calculer le cours d’une Comète, en appelant son orbite parabolique, qu’en employant un petit nombre d’observations & seulement six fausses portions, le calculateur le moins exercé, peut en moins d’une demi-heure en déterminer tous les éléments, & reconnaître si elle n’est pas une de celles qui ont été précédemment observées ; il y indique les attentions nécessaires dans le choix des observations, pour assurer le succès de cette recherche & pour ne rien laisser à désirer sur cette matière, il en donna l’année suivante un exemple très détaillé donner à une méthode utile un degré de facilité considérable dont elle ne jouissait pas c’est souvent rendre un aussi grand service, que d’en inventer une nouvelle.

Tant d’ouvrages & bien d’autres dont les bornes de cet éloge ne nous permettent pas de faire mention produits en si peu de temps suffisaient certainement pour mettre la gloire de M. l’abbé de La Caille en sûreté mais ce n’était pas la gloire qu’il cherchait, c’était le progrès de l’Astronomie ; l’envie d’y contribuer le porta à entreprendre un voyage au cap de Bonne espérance, dans la vue d’y vérifier, par des observations concertées avec les Astronomes de l’Europe plusieurs éléments importants, comme les parallaxes du Soleil, de la Lune & de quelques planètes, l’obliquité de l’Écliptique, etc. et de profiter de la situation de ce lieu placé à plus de 34 degrés de latitude méridionale, pour observer la position des étoiles du ciel austral, & compléter le catalogue auquel il travaillait depuis longtemps. Ce projet de voyage fut approuvé de l’Académie & adopté par le Ministère, & M. l’abbé de la Caille s’embarqua le 21 Novembre 1750, sur les vaisseaux de la Compagnie des Indes, pour se rendre au cap de Bonne-espérance, muni de tous les instruments nécessaires, des recommandations les plus pressantes & des ordres les plus précis du gouvernement Hollandais. Quelqu’intéressant que puisse être le récit de son voyage, nous ne répéterons point ici ce que nos Histoires en ont publié dans le temps mais ce que nous ne pouvons passer sous silence, c’est l’accueil qu’il reçut de M. Tulbagh commandant du Cap, qui se fit un devoir de lui procurer tout ce qui pouvait contribuer au succès de ses opérations, & les marques d’estime & d’amitié qu’il reçut de plusieurs autres officiers & habitants qui s’empressèrent non seulement de le favoriser, mais encore de le seconder dans l’occasion : l’Académie a cru, qu’au hasard même d’une redite, elle devait leur renouveler ici le témoignage public de sa reconnaissance.

M. l’abbé de la Caille trouva au cap de Bonne-espérance comme il l’avait bien prévu, un climat dans lequel on jouit pendant des intervalles de temps très considérables, d’une sérénité d’air capable d’inviter à observer, des Astronomes moins zélés que lui ; mais il éprouva bientôt un inconvénient qu’on n’aurait pas aisément deviné, ce ciel si serein ne l’est, du moins quant aux observations, qu’en apparence, & dès que le vent de sud-est tourne, ce qui arrive pendant près de la moitié de l’année, les astres éprouvent une augmentation de diamètre : & un sautillement qui, joints à l’incommodité causée par la violence du vent, ne permettent presque pas de déterminer leur position. L’adresse de M. l’abbé de la Caille, & pour tout dire aussi l’habitude extrême d’observer qu’il avait acquise, lui donnèrent bientôt le moyen de surmonter cette difficulté, des lunettes plus courtes rendirent le sautillement moins sensible, & la manière de les mettre à l’abri du vent, acheva de faire disparaître un inconvénient qui aurait pu faire perdre à un Astronome moins intelligent, la plus grande partie du fruit de son voyage ; il s’appliqua donc sans relâche à déterminer la position des étoiles du ciel austral, & on ne l’accusera certainement pas d’y avoir perdu son temps, quand on saura que, dans deux années de temps, il en avait déterminé plus de neuf mille huit cents, dont il a déposé le catalogue dans la bibliothèque de l’Académie : richesse immense pour l’Astronomie, & qui passe de bien loin tout ce qui avait été fait sur cette matière ; il s’en fallait bien que toutes ces étoiles fussent comprises dans le petit nombre de constellations australes qu’on connaissait ; M. l’abbé de la Caille était en droit de les rassembler sous des figures qui pussent être un monument de son voyage & de ses travaux, son extrême modestie ne lui permit pas d’user de ce droit ; il avait consacré son voyage à l’utilité des Sciences, il leur consacra de même les nouvelles constellations qui ne portent d’autres figures & d’autres noms que ceux des instruments des Sciences & des Beaux-Arts ; un oubli de lui-même si rare & si modeste, mérite bien d’avoir place dans cet éloge, & de former un monument à sa gloire. Jamais les hommes n’ont plus de droit d’y prétendre, que lorsqu’ils négligent de s’assurer eux-mêmes celle qui est due à leurs services.

Pendant ce même temps les observations nécessaires à déterminer les parallaxes, & dont les Astronomes d’Europe faisaient les correspondantes, n’étaient pas oubliées ; mais M. l’abbé de la Caille voyant que tous les travaux qui avaient fait le principal objet de son voyage, n’avaient pas, grâces à son activité, rempli le temps qui devait s’écouler jusqu’à l’arrivée du vaisseau sur lequel il comptait repasser en Europe, il employa ce temps qui lui restait, à un ouvrage qui seul aurait pu servir de motif à son voyage, ce fut à mesurer un degré du méridien à la latitude du Cap ; on en avait mesuré sous l’Équateur, sous le Cercle polaire, en France & en plusieurs autres endroits de l’Europe ; mais on n’avait aucun degré mesuré dans la partie australe du globe terrestre, & cette mesure est devenue d’autant plus importante, qu’elle semble indiquer que les parallèles de cette partie n’ont pas des rayons égaux à ceux des parallèles de latitude semblable du côté du nord : paradoxe bien singulier, mais qui mérite d’autant plus d’être éclairci, que le petit nombre de triangles qui ont été employés à cette mesure ; l’exactitude de M. l’abbé de la Caille & l’habitude qu’il avait acquise de ces sortes d’opérations, ne permettent guère de soupçonner une erreur sensible dans ses déterminations ; ce fut à une occupation si digne de lui qu’il employa le temps qui s’écoula depuis la fin de ses observations, jusqu’à l’arrivée du vaisseau.

Ce navire arriva effectivement, mais il apporta à M. l’abbé de la Caille, des ordres de paner dans les îles de France & de Bourbon pour en déterminer la situation ; il savait, & l’on ignorait encore en France, que la position de ces îles avait été fixée avec la plus grande exactitude par les observations que M. d’Après y avait faites ; il n’hésita cependant pas un moment à obéir aux ordres qui lui avaient été adressés montrant par cet exemple avec combien d’exactitude on doit exécuter ceux qu’on reçoit du Souverain qui souvent peuvent avoir des motifs secrets, très différents de ceux qui paraissent, & qu’on ne doit jamais essayer de pénétrer ; ce voyage retarda de plus de deux ans, le retour de M. l’abbé de la Caille, & nous ne le vîmes reparaître à nos Assemblées qu’au mois de Juin 1754, rapportant de son expédition, non les dépouilles de l’Orient, mais, s’il m’est permis d’employer cette expression, celles du ciel Austral, avant lui presque inconnu aux Astronomes, & que la finesse & l’infatigable assiduité de ses observations venaient de soumettre aux lois de l’Astronomie.

Aussitôt après son retour, M. l’abbé de la Caille se hâta de rendre compte à l’Académie de son voyage, dont elle a publie la relation en 1751 ; mais comme il n’avait, à proprement parler, qu’effleuré dans cette relation plusieurs des objets de ses recherches il se réserva à les approfondir dans différents Mémoires qu’il lût par la suite.

De ce nombre sont les observations sur les Nébuleuse australes qu’il distingue en trois espèces la première qui contient celles qui ne sont composées que d’un amas de lumière diffuse, blanchâtre & semblable à une Comète faible sans queue ; la seconde composée d’étoiles assez voisines pour être confondues ensemble à la vue simple, mais qui paraissent séparées, dès qu’elles sont vues à la lunette ; la troisième enfin qui contient des étoiles véritables mais entourées de cette nébulosité qui constitue feule la première espèce.

Ses recherches sur les réfractions Astronomiques ne sont ni moins ingénieuses, ni moins intéressantes ; il avait remarque pendant son séjour au Cap, que plusieurs étoiles qui passaient proche de son zénith, ne s’élevaient à Paris que de peu de degrés, & que d’autres au contraire très voisines du zénith à Paris, paraissaient au Cap très proches de l’horizon ; il est certain qu’en faisant abstraction de la réfraction, les hauteurs des mêmes étoiles observées dans les deux endroits devaient n’avoir d’autre différence de hauteur que celle de la latitude, & que celle qui s’y trouvait de plus, était égale à la somme de la réfraction au Cap & à Paris : il ne s’agissait donc plus que de partager cette somme pour avoir la réfraction absolue à la hauteur où l’étoile avait été observée dans chaque endroit ; M. l’abbé de la Caille enseigne dans son Mémoire à faire ce partage il avait trouvé de plus que les différentes densités de l’air faisaient varier sensiblement la réfraction, c’en fut assez pour l’engager à construire une table de réfractions, composée de deux parties ; la première exprime la réfraction moyenne, due à chaque degré, & la seconde indique pour chaque ligne de la variation du baromètre, & pour chaque degré du thermomètre, ce qu’on doit ajouter ou retrancher à la réfraction moyenne pour avoir la véritable ; il finit ce Mémoire par examiner sur ce principe toutes les tables de réfraction déjà connues, dont il fait une espèce de critique : jamais peut-être n’avait-on porté l’exactitude si loin sur cette matière.

La comparaison de ses observations pour les parallaxes du Soleil, de la Lune, de Mars & de Vénus avec celles qu’avaient faites, de concert avec lui, les Astronomes de l’Europe, & dont il a rendu compte dans plusieurs Mémoires, est un modèle achevé des discussions astronomiques de cette espèce : on ne croirait qu’à peine qu’on pût atteindre à une si grande précision ni évaluer avec autant d’art les petites erreurs dont les Observations ont pu être susceptibles & que la finesse de ses recherches lui fait comme deviner ; & pour laisser aux Astronomes le moyen d’en tirer toute l’utilité possible, il a donné tout au long les calculs sur lesquels ses déterminations sont sondées : il en résulte qu’en prenant un milieu entre toutes, parallaxe horizontale du Soleil est de 9« 1/2, celle de la Lune, dans ses moyennes distances, de 56’ 56 » ; celle de Mars, en opposition, de 26«  ; & celle de Vénus de 38 ». Ces déterminations si importantes pour l’Astronomie, sont un des fruits du Voyage de M. l’abbé de Caille.

Un autre fruit du même voyage, dont l’utilité est encore plus immédiate, est l’ouvrage qu’il a donné sur la manière de trouver les longitudes en mer, par le moyen de la Lune : le mouvement de cette Planète est si prompt que deux Observateurs, placés sous des méridiens différents, ne la voient pas au même point du ciel, la Lune ayant avancé depuis son passage par le méridien du premier endroit, jusqu’à ce qu’elle soit arrivée au second ; mais quoique cette différence soit sensible, elle n’est pas néanmoins fort grande ; elle n’est guère en nombres ronds que de 2 minutes par degré de longitude, quantité dont la plus grande partie pourroit être absorbée, tant par les erreurs qu’on commettrait en observant le lieu de la Lune, que par celles des Tables. M.l’abbé de la Caille, qui, pendant toute la traversée, avait employé cette méthode, & presque toujours avec succès, donna à son retour un Mémoire sur ce sujet, dans lequel il examine les différentes manières d’observer en mer le lieu de la Lune, ou, pour parler plus juste, de le déduire des observations, & le degré de précision dont chacune de ces méthodes est susceptible ; il y ajoute même en faveur de ceux auxquels la Trigonométrie sphérique ne serait pas familière, une manière de déduire, par une opération graphique le lieu de la Lune des observations, sans avoir à craindre d’erreur considérable, & il résulte de tout cet ouvrage, qu’avec le degré de perfection auquel a été portée, de nos de jours, la théorie de la Lune, un observateur exercé à ce genre d’opération peut obtenir la Longitude en mer à vingt-cinq ou trente lieues marines près, avantage très grand pour la navigation, & qui peut augmenter encore à mesure que les méthodes se perfectionneront.

Au milieu de toutes ces occupations M. l’abbé de la Caille n’avait pas perdu de vue ses recherches sur la théorie du Soleil ; il savait que cette théorie était d’autant plus importante, que les lieux apparents des planètes sont toujours affectés de l’inégalité qu’y apporte le mouvement de la Terre ; il avait donné avant son départ deux Mémoires sur ce sujet, il fit enfin paraître en 1757 un Ouvrage intitulé Astronimiœ fundamenta. Ce Livre, fruit de plus de dix années d’observations & de calculs, a pour but de déterminer avec la plus grande précision les lieux du Soleil & la position des plus belles étoiles du ciel, & principalement de celles qui, étant plus voisines de l’écliptique, sont par cela même plus propres à y rapporter les mouvements des corps célestes : il y donne toutes les Tables nécessaires pour dépouiller les mouvements des Astres de toutes les inégalités qui leur sont étrangères, il y rapporte ses observations du Soleil & des principales étoiles, toujours comparées à la claire de la Lyre & à Sirius ; & les précautions qu’il a prises pour en assurer l’exactitude, il les avait poussées jusqu’au point de ne conclure presque jamais les passages par le méridien que de douze ou quatorze hauteurs correspondantes, prises devant & après ce passage, travail capable seul d’effrayer ceux qui n’ont jamais éprouvé ce que l’amour des Sciences peut faire entreprendre. Ce sont ces observations si délicates qui servent de fondement à la détermination des éléments de la théorie du Soleil ; & il termine cet Ouvrage par les observations de la distance du Soleil au zénith, faites au cap de Bonne-espérance & à l’île de France, & par une Table de cent cinquante ascensions droites du Soleil, déduites de ses observations.

Cet Ouvrage ne précéda que d’un an la publication de ses Tables du Soleil ; il en avait posé, pour ainsi dire, les fondements dans l’ouvrage précédent : il emploie dans celui-ci ces éléments avec la plus grande attention car il y pousse le calcul jusqu’aux dixièmes de secondes, exactitude qui, jusqu’alors avait été inutile, à cause de l’imperfection des Tables, & qui ne cesse de l’être que par la précision de celles-ci. Il en a extrêmement facilité le calcul en multipliant les époques & les Tables des moyens mouvements, et en construisant les Tables d’équation de 10 minutes en 10 minutes ; il y a joint des tables de tous tes petits dérangements que les action de Jupiter, de Vénus & de la Lune peuvent produite dans le mouvement du Soleil ; enfin, il y a augmente de trois chiffres les logarithmes de la distance du Soleil à la Terre. Cet Ouvrage, fait avec tant de soin & de travail, mérite d’autant plus d’éloges qu’il devient pour l’avenir une base certaine de tous les calculs, & un témoignage authentique de ce que l’Astronomie doit aux travaux de M. l’abbé de la Caille & à ceux de l’Académie.

La célèbre Comète de 1759 était un phénomène trop intéressant pour que M. l’abbé de la Caille pût négliger de l’observer ; il l’observa en effet avec son exactitude ordinaire, & donna à l’Académie non seulement ses observations, mais encore les éléments de la théorie de cette Comète qui en résultaient : il observa de même les deux qui parurent en 1760, dont il détermina aussi l’orbite & les éléments ; mais il ajouta à la théorie de celle qui parut au mois de Janvier 1760 un morceau trop intéressant pour être passé sous silence. La vitesse apparente de cette Comète avait été si grande que le 8 Janvier, jour auquel elle fut aperçue, elle parcourut en 24 heures environ 40 degrés à l’occasion de cette prodigieuse vitesse, qui avait persuadé à beaucoup de personnes que la Comète avait passé bien plus près de la Terre que la Lune, il fit voir dans son premier Mémoire qu’une Comète rétrograde pouvait encore avoir un mouvement apparent plus rapide, en supposant seulement qu’elle passât à peu près à la distance de la Lune à la Terre ; qu’il était possible, en ce cas, qu’elle parût aller aussi vîte dans le ciel qu’un homme qui irait à très grand pas sur le Pont neuf paraîtrait aller à un spectateur placé sur le pont-royal, espèce de paradoxe astronomique, que les démonstrations de M. l’abbé de la Caille prouvent cependant avec la plus grande certitude.

On n’imaginerait pas aifément qu’avec la multitude d’ouvrages sortis de fa plume, il trouvât encore le moyen de travailler à ceux des autres, c’est cependant ce qu’il a fait plusieurs fois. Le P. Feuillée avait été-envoyé en 1724 aux Canaries pour déterminer plus précisément la position du premier méridien à l’égard de celui de Paris, & il avait déposé à l’Académie la relation de son voyage, qui était un assez gros in-folio mais ce Père n’avait corrigé ses observations que d’après les éléments connus de son temps. M.l’abbé de la Caille en a refait tous les calculs d’après les éléments connus aujourd’hui ; il a supprimé tout ce qui n’intéressait ni la Géographie ni l’Astronomie, & a donné tout l’essentiel de ce voyage en un seul Mémoire, auquel il a joint une Carte de ces îles.

L’Académie possédait encore un trésor de cette espèce dans les Journaux du voyage de M. de Chazelles dans le Levant, où il avait été envoyé par ordre du Roi. Comme il était mort sans avoir pu mettre en ordre tous ses papiers, ils étaient demeurés en quelque sorte inutiles M. l’abbé de la Caille entreprit de les débrouiller ; il en fit un extrait fidèle, auquel il joignit la notice de quelques autres Ouvrages du même Académicien, que l’Académie avait en manuscrit : cet extrait & cette notice sont imprimés dans ce Volume.

Ce même Volume contiendra encore l’histoire d’un pareil travail de M. l’abbé de la Caille : M. le Duc de Laval trouva à Cassel le Recueil manuscrit des Observations de Guillaume Landgrave de Hesse ; le zèle qu’il avait pour l’avancement des Sciences l’engagea à remettre ce précieux dépôt à l’Académie : ce fut encore un Surcroît d’occupations pour M. l’abbé de la Caille, qui les examina toutes & en donna la notice la plus détaillée. La notice d’un Ouvrage de cette espèce est presque aussi utile que l’Ouvrage même, quand il est dans un dépôt où l’on peut le consulter à toute heure.

Nous avons dit dans l’Éloge de M. Bouguer, que son Traité d’Optique sur la gradation de la lumière n’avait été donné à l’impression que très peu de jours avant sa mort, M. l’abbé de la Caille, qui avait toujours été uni avec lui des liens de l’estime & de l’amitié, prit de cet ouvrage, demeuré posthume, le foin le plus assidu & c’est à ce soin que le Public en doit la publication : il a encore depuis donné une seconde édition abrégée du Traité de Navigation du même auteur, dans laquelle il avait rangé les Tables de sinus & de logarithmes dans une forme si commode, que le public Mathématicien a désiré de les avoir séparées & qu’on en a tiré beaucoup d’exemplaires à part. Il avait offert de seconder M. de l’Isle dans le travail du Dépôt de la Marine, & cela dans la seule vue d’être utile sans demander aucune récompense ce zèle si désintéressé lui attira de M. de Machault, alors Ministre de la Marine, la lettre la plus flatteuse & la plus honorable.

Tous ces travaux ne prenaient rien sur son activité dès que le bien de l’Astronomie ou celui de l’Académie exigeaient qu’il quittât ce cabinet dans lequel il était si utilement occupé. Lorsque l’Académie jugea à propos en 1756 de faire mesurer la base de M. picard, il fut un de ceux qui prirent le plus de part à cette laborieuse opération : les observations n’étaient jamais interrompues & indépendamment de celles qu’il communiquait régulièrement tous les ans à l’Académie, en faisant encore d’autres relatives à son Catalogue d’étoiles ; il dormait à peine trois ou quatre heures certaines nuits. il a avoué à ses amis qu’une nuit du dernier hiver il avait été trois heures de suite couché sur le dos pour observer des étoiles proche du zénith, & qu’il s’aperçut seulement en se relevant qu’il avait été saisi par le froid.

À la fin, son tempérament, quoique robuste, succomba sous tant de fatigues ; il fut attaqué le vendredi 15 Mars dernier(1732) d’une fièvre maligne, de laquelle il mourut le 21, après avoir donné toutes les marques de la piété sincère et solide qui avait toute sa vie servi de règle à sa conduite.

Il était d’une taille au-dessus de la médiocre, sérieux et froid avec ceux qu’il ne connaissait pas, mais se laissant aller avec ses amis à une gaieté douce & tranquille, qui peignait toute la sérénité de son âme : ami de la vérité presque jusqu’à l’imprudence, il osait la dire en face, même au hasard de déplaire, quoique sans aucun dessein de choquer. On peut bien juger qu’avec ce caractère il était incapable d’aucun subterfuge ; il était extrêmement égal & modéré dans toute sa conduite & du désintéressement le plus parfait : il n’a jamais sollicité aucune grâce ni fait un pas vers la fortune, il fallait, pour ainsi dire qu’elle vînt elle-même le chercher ; aussi n’a-t-il pas eu souvent lieu de se louer de ses saveurs ; mais son extrême modestie & la modération de ses désirs lui tenaient lieu d’opulence, & il est peut être plus aisé d’être heureux en retranchant les désirs inutiles qu’en travaillant à se mettre en état de les satisfaire. Son esprit était de la plus grande netteté, on aurait dit lorsqu’il parlait, que les idées les plus abstraites venaient se ranger elles mêmes dans son discours suivant l’ordre le plus méthodique. Le même ordre & la même clarté se trouvent dans ses Écrits ; il y joignait la pureté du style mais sans aucun ornement, & on n’y remarque aucune pensée brillante & recherchée ; ce n’est pas qu’il n’eût été à portée d’y en répandre, il avait une connaissance assez étendue des Belles Lettres, & la fidélité de sa mémoire était telle qu’il n’avait presque rien oublié de ce qu’il avait lu ou entendu, mais il ne profitait pas de cet avantage pour orner ses ouvrages : content d’exposer nettement ses pensées, il songeait rarement à les embellir. Jamais homme ne fut plus fidèle ni plus exact à tous ses devoirs ; deux violents accès de goutte qu’il eut en 1760 ne purent l’empêcher de faire ses leçons au Collège Mazarin : personne n’était plus assidu que lui à nos Assemblées, ni plus exact à s’acquitter de tous les devoirs qu’impose la qualité d’Académicien. Il était Diacre, & la même piété qui l’avait appelé à l’état ecclésiastique, l’avait empêché de recevoir l’ordre de Prêtrise dès qu’il s’était vu lié à des ronchons qui auraient pu faire obstacle à celles qu’aurait exigé de lui ce ministère. En un mot, on peut dire qu’il a vécu aussi rempli de vertus que de savoir, & qu’il ne lui a manqué aucune des qualités qui caractérisent le parfait honnête homme, le digne ecclésiastique, le grand Astronome & l’excellent Académicien.

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