Antoine Spring (1814 — 1872)

G. Dewalque, La Revue Scientifique de la France et de l’étranger — 23 mars 1872
Dimanche 18 janvier 2015 — Dernier ajout dimanche 11 février 2018

Nommé professeur ordinaire à l’université de Liège en 1839, A. Spring, âgé seulement de vingt-cinq ans, arrivait dans ce pays (en Belgique), dont il devait faire sa patrie d’adoption, avec une réputation scientifique établie. Aussi vit-il bientôt s’ouvrir pour lui les portes de l’Académie, dans laquelle il entra deux ans plus lard en qualité d’associé étranger. La loi qui lui conféra la grande naturalisation ayant fait disparaître l’obstacle qui l’empêchait d’être membre titulaire de ce corps savant, l’Académie s’empressa de lui conférer cette qualité en 1864 ; deux ans plus tard, il était nommé directeur de la classe des sciences pour 1868.

Durant trente ans, Spring s’est distingué par son assiduité aux séances et ses nombreuses contributions à nos recueils. Ardent au travail, avare de son temps, il a su trouver, malgré les devoirs de l’enseignement, et, plus tard, les exigences de la pratique médicale, le moyen de suivre les progrès de sciences variées, comme d’y concourir par des recherches originales. A l’Académie, il s’occupa non-seulement de biologie et de botanique, mais encore de paléontologie et de géologie. De nombreux rapports attestent à la fois son amour de la science, ses vastes connaissances et sa grande bienveillance pour les travaux d’autrui. En les lisant, on ne sait ce qu’on doit admirer le plus, la lucidité d’une exposition méthodique, la richesse d’une érudition variée, la sagacité du jugement ou la hauteur des vues.

L’étude des plantes, qui l’avait passionné dans sa jeunesse, resta toujours pour Spring un sujet de prédilection.

De 1835 à 1837, il avait été attaché, en qualité d’aide-naturaliste, au musée et au jardin botanique de Munich, sous la direction d’un savant illustre, M. de Martius, que nous avons compté parmi nos associés à l’Académie royale de Belgique et dont il nous a retracé la brillante carrière dans une notice savante, élégante et émue [1]. Il y commença l’étude des Lycopodiacées que son chef avait rapportées de ses longs voyages dans l’Amérique méridionale. Les recherches qu’il entreprit à celle occasion lui permirent de donner en 1838 un exposé de vues générales sur cette famille de plantes, aussi intéressante par la beauté de ses formes que par les particularités de son organisation ; il y établit le genre Selaginella, type bien caractérisé par ses oophoridies, et que l’on tend aujourd’hui à ériger en famille. Deux ans plus tard, il donnait la description détaillée des genres et des espèces américaines dans le premier volume de Flora brasiliensis, publié par Endlicher et de Martius.

Arrivé chez nous, il entreprit la révision complète des genres et des espèces de celle famille. La haute estime que ses travaux antérieurs lui avaient acquise dans le monde savant, lui valut la libre disposition des matériaux les plus complets. Un travail étendu, inséré dans les tomes XV et XXIV des Mémoires de l’Académie, fit connaître au public la monographie des Lycoopodiacées, œuvre magistrale, dans laquelle la classification, la synonymie, la morphologie et la distribution géographique de ces plantes sont traitées avec une sagacité et une précision admirables.

Quelques années plus tard, examinant des œufs qui avaient été soumis à l’incubation artificielle pour la démonstration du développement du poulet à son cours de physiologie, il en rencontra un qui renfermait des moisissures et dont le développement avait été promptement enrayé. Or, on sait qu’on attribue le développement de certaines maladies à l’infection déterminée par des organismes inférieurs parasitaires. La science possédait de nombreuses observations de végétaux développés sur l’homme ou les animaux vivants ; Spring lui-même en avait décrit un cas observé dans un pluvier. Mais on se demandait si le végétal parasite est la cause ou l’effet de la maladie ; si le germe peut se développer sur l’organisme animal en santé et le rendre malade, ou s’il ne se développe que sur des tissus déjà altérés par la maladie. Spring aperçut du premier coup d’œil le parti à tirer du fait accidentel qu’il venait d’observer, et entreprit une série d’expériences, à la suite desquelles il constata que ces petits champignons pouvaient être inoculés à l’œuf fécondé, vivant, dont ils arrêtent le développement.

Ces essais d’inoculation l’amenèrent à constater d’autres faits relatifs à l’histoire naturelle des champignons, et dont la nouveauté comme l’importance méritent une mention toute spéciale.

Celle classe de végétaux renferme, comme on sait, de nombreux organismes assez variés, depuis les gros champignons que chacun a vus dans nos bois, jusqu’à d’imperceptibles moisissures. Les botanistes y avaient donc constaté un nombre considérable de formes ou espèces, qu’ils répartissaient en genres, réunis eux-mêmes en quatre familles ou ordres. Chacune de ces espèces était considérée comme un type distinct, n’ayant pas plus de rapport de filiation avec un autre qu’un ail avec un poireau, un lis ou un narcisse. Aujourd’hui, toute celle doctrine semble devoir être abandonnée pour une autre, suivant laquelle un même type peut se développer sous des formes très-diverses, suivant les circonstances où il est placé.

Avec la réserve qui m’est imposée dans une question étrangère à mes études habituelles, je crois pouvoir revendiquer pour mon maître l’honneur d’avoir ouvert la voie que d’autres ont ensuite parcourue avec un succès que nul n’était mieux à même d’obtenir, si la direction de ses travaux ne l’avait empêché de se livrer aux longues recherches que ce sujet nécessite. En effet, ses observations l’ont amené à conclure que la mutabilité de ces formes est telle, qu’elles peuvent varier, non-seulement dans les limites du genre, mais encore dans celles de la famille et même de l’ordre.

En 1860, il nous présenta son Mémoire sur les mouvements du cœur, spécialement sur le mécanisme des valvules auriculo-ventriculaires. Malgré son importance pour l’étude des maladies du cœur, ce sujet reste encore obscur sur bien des points : Spring s’efforça de l’éclairer par de nouvelles expériences et par une discussion où brille son érudition. Il insiste sur une dilatation active des ventricules, présystole, accompagnée de la contraction des oreillettes, d’un retrait rapide de la pointe du cœur, et d’un ton présystolique, qui, se continuant dans le ton systolique, qu’accompagnent la contraction des ventricules et le choc de la pointe du cœur, constitue ce qu’on appelle le premier bruit.

En 1838, Spring avait publié une dissertation remarquable sur la signification à attacher aux mots, genre, espèce et variété et sur la cause qui produit les variétés. Appelé en 1868 à présider la classe des sciences de l’Académie, il choisit, pour sujet du discours que l’usage impose au directeur lors de la séance publique, l’étude de la périodicité physiologique. Les variations périodiques qui s’observent dans l’activité des diverses fonctions de l’organisme se prêtent naturellement à une exposition détaillée et intéressante ; mais ne croyez pas que Spring envisage ce sujet comme une froide statistique du mouvement organique : quand il touche à une question, c’est toujours de haut qu’il l’envisage. Si, dès les premiers mots, il nous montre le champ de la science tellement agrandi que la spécialité nous est imposée comme condition du progrès, c’est pour faire ressortir aussitôt la merveilleuse unité de la science et l’utilité des corps savants, foyers où toutes les spécialités se réunissent, se contrôlent et se fortifient, signalent les analogies et établissent les identités. L’exposition de son sujet ne se bornera donc point à nous offrir le tableau animé des variations de l’activité du sang, des nerfs, ou des autres tissus : elle doit servir à nous faire monter plus haut.

Les forces physico-chimiques qui régissent le monde inanimé suffisent-elles à l’explication des phénomènes de la vie ? L’ancienne science avait répondu négativement. Les progrès immenses que la physique et la chimie ont faits dans ce siècle ont permis d’asseoir la physiologie sur la base solide de l’expérience et de l’observation, et aujourd’hui la science moderne est généralement entraînée à résoudre autrement la question que je viens de poser. Un savant éminent, le président actuel de l’Académie, a suscité naguère, au sein de cette compagnie, une discussion sur ce sujet, discussion à laquelle les journaux scientifiques ont donné un grand retentissement [2]. Spring s’est abstenu d’intervenir dans le débat, Jugeant peut-être qu’il ne pouvait aboutir ; mais on connaîtra facilement son opinion en consultant le discours où il nous montre l’indépendance et la spontanéité des fonctions, caractérisées surtout par une périodicité spéciale qui échappe à toute explication physico-chimique. Pour Spring, l’espèce organique est une idée réalisée dans l’espace et dans le temps ; en physiologie, elle est caractérisée par la forme et le rythme, comme en pathologie elle se manifeste par la force médicatrice de l’organisme.

Je passe à regret sur diverses notices biologiques bien dignes d’attention, pour arriver à un autre ordre de faits.

Parmi les questions que leur importance place en ce moment au premier rang dans les préoccupations du monde savant, il faut citer particulièrement celle de l’ancienneté de l’homme. L’Académie et l’Université s’honorent d’avoir compté dans leur sein un savant dont les recherches sont aujourd’hui justement appréciées ; néanmoins la méfiance, pour ne pas dire plus, qui avait accueilli les idées de Schmerling, n’avait fait que croître après sa mort, et cette question était bien discréditée lorsque Spring, qui avait su apprécier l’importance du problème et la valeur des travaux de ses devanciers, commença ses recherches sur la caverne de Chauvaux, entre Namur et Dinant. Lorsqu’il se décida, eu 1853, à la suite de nouvelles explorations, à publier sa note sur les ossements humains qu’il avait trouvés dans celle caverne, Boucher de Perthes essayait en vain de rappeler sur ce sujet l’attention du monde savant. La note sur Chauvaux eut plus de succès ; mais aussi elle présente une importance toute particulière, car elle s’occupe, pour la première fois, de l’homme, non antédiluvien, mais anté-historique, et elle accorde à l’action de l’homme une large part dans l’accumulation des ossements qu’on rencontre dans ces souterrains, et dont la présence n’avait encore été attribuée qu’à des animaux carnassiers ou à l’action des eaux diluviennes. Cette exploration a été le précurseur de découvertes analogues sur différents points de l’Europe, et l’autorité qu’elle en a reçue assigne à son auteur une place distinguée parmi les savants qui se sont occupés de cette question.

Onze ans plus tard, dans son discours sur les hommes d’Engis et les hommes de Chauvaux, il apporte de nouvelles preuves à l’appui de son opinion ; il discute, avec une sagacité remarquable et une érudition consommée, les caractères de ces races anciennes et leurs rapports avec les races actuelles ; puis il cherche à établir une chronologie dans ce qu’on a appelé l’âge de la pierre. La première période, pré-glaciaire, se rapporterait à l’homme tertiaire, qui aurait été réellement le contemporain de I’Elephas meridionalis ; la seconde, post-glaciaire, comprend, entre autres, l’homme d’Engis, contemporain du mammouth ; la troisième, diluviale, de l’homme de Chauvaux, possède surtout le renne et quelques espèces en voie de se retirer vers le Nord ou dans les hautes montagnes ; enfin la quatrième, mixte ou celto-germanique, nous offre les armes et les ustensiles de pierre mêlés à des armes et à des ustensiles de bronze et de fer.

G. Dewalque, Professeur à l’Université de Liège.

[1Voyez le premier volume de cette année, page 52, 15 juillet 1871.

[2Voyez dans le même volume page 742, 3 février 1872 et notre premier volume (2e série) pages 49 et 241, 15 juillet et 9 septembre 1871.

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