Cette mine lilliputienne est, sans contredit, la plus petite de France et le charbon en est extrait par le propriétaire lui-même, M. Ludovic Breton, ingénieur du tunnel sous-marin entre la France et l’Angleterre, qui s’en est rendu acquéreur il y a environ deux ans. Actuellement, l’exploitation marche bien et dans des conditions fort régulières ; après avoir ruiné deux générations d’actionnaires, elle risque fort d’enrichir celui qui se trouve à sa tête. L’extraction de la houille y a été faite il y a plus de deux siècles, et, chose curieuse, elle fut commencée par Jacques Desandrouin, le même qui devait, quelques, années plus tard, découvrir le charbon sur le territoire de Fresnes, dans le Nord, et donner naissance A la plus grande exploitation houillère du monde, celle de la Compagnie d’Anzin. Ce fut le 1er février 1720, sous Louis XV, que le Conseil d’État autorisa Desandrouin à construire des verreries dans le Boulonnais ; celui-ci, pour alimenter ses fabriques, acquit le droit d’exploiter la houille aux propriétaires des terrains, les ducs d’Aumont, de Crevant d’Humières et le comte de Bucamp. Il payait pour cela 2000 livres par fosse creusée ; après la loi de 1791, cette redevance revint à la nation.
En 1792, les charbons étrangers n’arrivant plus dans le nord de la France, on eut recours au charbon d’Hardinghen. Le gouvernement exploita les mines sous la conduite et la direction d’un nommé La Place, commissaire du gouvernement. Celui-ci fut autorisé à faire de l’extraction à outrance, et fit enlever tous les stocks de garantie autour des puits pour se procurer de la houille : ce fut un véritable gaspillage. Les fosses creusées portèrent des noms de circonstance : Fédération, Patriote, etc. Les charbons extraits servaient à l’approvisionnement des villes-frontières, Lille, Dunkerque, Saint-Omer, Boulogne et Calais. Sous la terreur, une société, qui n’avait d’autre droit que de prendre en creusant, fit creuser une fosse qui porta le nom de Sans-Culottes. Les mines occupaient alors plus de 500 ouvriers. Dans un Mémoire de cette époque, à une question posée on trouve la réponse suivante : "Il faudrait un volume pour décrire les travaux anciens qui ont été faits dans plus de cent fosses qui sont rebouchées. Les plus belles verreries de l’Europe sont établies au milieu des fosses actuelles. »
Un mois après la chute de Robespierre, les habitants du Boulonnais furent pris d’une sainte ardeur pour la recherche des mines dans leur district, comme le montre un document du 12 fructidor an II qui a pour titre : « Souscription patriotique pour la recherche des mines de houille dans le district de Boulogne, département du Pas-de-Calais. » Ce document eut l’honneur de paraître dans le premier numéro du Journal des mines, vendé miaire de l’an Ill, publié par l’agence des Mines de la République. Sous le Directoire, l’impulsion donnée à l’exploitation se continua : la première fosse creusée après le 27 octobre 1795 porte le beau nom de La Patrie. Pendant les premières années du Consulat, la méme activité exista encore ; mais, après la levée du camp de Boulogne et les années de guerre continuelles qui suivirent, la vie industrielle fut suspendue dans le Boulonnais comme dans toute la France. Sous la Restauration, l’exploitation reprit un peu et put fournir de quoi alimenter l’ancienne verrerie de Desandrouin qui existait toujours ; enfin, vers la fin de 1837, une Société qui avait pris le nom de Compagnie de Fiennes et d’Hardinghen acheta les mines d’Hardinghen et les droits à la concession éventuelle de Fiennes, en tout 3067 hectares pour le prix de 903 190 fr. 59.
Cette société succomba en 1870 sous le poids d’un passif s’élevant à 3 800 000 francs ; chaque actionnaire dut participer aux pertes et rapporter environ 5000 francs par action, ce qui prouve que les mines de charbon ne sont pas toujours des mines d’or. Celles-ci furent alors vendues au prix de 550 000 francs (22 juillet 1870). Elles furent exploitées jusqu’en 1885. A cette époque, un banquier de Calais, M. B…, se rendait adjudicataire, à Boulogne, le 16 décembre 1885, de la concession, des fosses, des maisons de mineurs, du chemin de fer, etc., pour la somme de 320 000 francs ; mais, quelque temps après, la crise tullière de Calais amenait des chutes retentissantes dans le commerce de cette ville ; le banquier, M. B…, fut entraîné dans la débâcle et les mines d’Hardinghen furent abandonnées. A cette époque, personne n’en voulait même pour rien elles avaient cependant produit : de 1700 à 1800, environ 100 000 tonnes ; de 1800 à 1839, 200 000 ; de 1839 à 1864, 433 000 ; de 1865 à 1880, 682 000 ; de 1881 à 1885, 295 000. Enfin, le 22 août 1888, les concessions, les fosses, le chemin de fer, etc., furent revendus à M. Ludovic Breton, frère du peintre Jules Breton, pour la somme dérisoire de 16 500 francs. Le 29 mars 1889, le nouveau propriétaire rétrocéda les maisons d’ouvriers, bâtiments et terrains à Mme Magnier et autres pour 7800 francs et entreprit l’exploitation seul. Les anciens exploitants avaient bien fouillé cette région, mais ils avaient oublié sur la concession d’Hardinghen un lambeau houiller de quelques hectares. M. Ludovic Breton, géologue distingué, habitant le pays et le connaissant bien, n’ignorait pas certainement cette particularité : c’est là qu’il a installé sa première et unique fosse qu’il a nommée La Glaneuse, nom assez original en la circonstance et indiquant bien qu’il n’entend ici que recueillir ce qui reste d’une récolte déjà faite. Cette exploitation, qui date du 22 août 1888, comprend deux puits : l’un pour l’extraction, l’autre pour l’aérage et la circulation des ouvriers. Le fonçage a été commencé le 4 septembre, et comme il n’y avait dans le pays que des manœuvres et des maçons, tous les boisages ont été supprimés et on a maçonné mètre par mètre, au fur et à mesure de l’approfondissement. Deux mois après l’ouverture des travaux, le puits d’extraction atteignait le terrain houiller à 54m,20 de profondeur et 6 mètres plus bas Une veine de houille de 0m,60 d’épaisseur. Un accrochage an niveau d’exploitation est maintenant ouvert à 42 mètres de profondeur. Le puits d’aérage est rectangulaire, le puits d’extraction est carré. Les dépenses sont aussi restreintes que possible. Les frais d’administration et de direction s’élèvent à 0,22 fr par jour, les indemnités d’occupation à 0,28fr, les frais d’extraction à 0,85fr ; le matériel roulant est loué à la Compagnie du chemin de fer sous-marin. Le charbon extrait est vendu soit en gros aux usines de la région, soit en détail dans les rues de Calais et communes environnantes. En résumé, M. Breton est entré en extraction n’ayant pas dépensé 5000 francs, ce qui représente à peine deux jours de perte de la Compagnie défunte. La production de 1889 a été de 1154 tonnes ; celle de 1890 parait devoir atteindre 5000 tonnes. L’étendue qui reste à exploiter est de 2 à 3 hectares seulement pour chaque veine et la valeur du charbon à extraire par la fosse le Glaneuse est de 2 à 3 millions de francs. Cette exploitation d’une mine de houille par le pro priétaire, mineur et ingénieur en même temps, est, croyons-nous, unique en son genre en France. Elle nous a paru intéressante à signaler.