Le cyclone de Saint-Louis

A. Firmin, La Science Illustrée N°460 — 19 septembre 1896
Mercredi 22 octobre 2014

Certaines régions de l’Amérique, la Louisiane, la Floride notamment, sont spécialement visitées par des ouragans terriblement destructeurs. Parfois l’Europe paye son tribut à ces effrayantes perturbations météorologiques, mais les annales n’enregistrent rien de semblable ni de comparable en violence à celui qui, en mai dernier, li dévasté la ville de Saint-Louis dans le Missouri. La tourmente était d’une nature toute particulière. Après plusieurs jours d’une chaleur excessive, la température soudainement baissa. Vers cinq heures de l’après-midi le ciel avait une couleur de plomb en fusion, constellé çà et là de nuages verdâtres, des éclairs le sillonnèrent, la pluie tomba torrentiellement, une rafale, à laquelle rien ne pouvait résister, balaya les rues de la ville dans la direction de l’ouest à l’est. Elle avait plutôt le caractère d’un tornado que d’un cyclone ; sa marche allait du sud-ouest vers le nord-est. Dans l’espace de quinze à vingt minutes, la superbe ville de Saint-Louis fut transformée en un monceau d’horribles ruines ; 3,000 maisons, 12 églises et 25 écoles furent entièrement ou en grande partie détruites, environ 4,000 habitants trouvèrent la mort dans cette catastrophe, 700 autres furent grièvement blessés.

. On se rendra compte de la violence de la tempête à l’examen de nos illustrations. Une portion de l’orgueilleux pont de 680 mètres qui franchit le Mississippi fut arrachée. Il avait été construit dans les années 1863 à 1874. C’est un ouvrage d’art remarquable composé de trois arches reposant sur des piles en pierre, Sur une longueur de 17 mètres, la maçonnerie fut emportée, les rails du chemin de fer coupés net, les liernes du pont furent incurvées comme si c’eût été de minces fils. Au moment où la tempête sévissait, un train passait sur ce pont, il fut renversé et, hasard inexplicable et remarquable, il n’en résulta aucun dommage. L’estimation des dégâts matériels ne peut être qu’approximative ; les pertes sont évaluées à environ 250 millions de francs.

Nous avons précédemment parlé de cyclone et de tornado.

Par définition, le cyclone est une tempête tournante, c’est-à-dire une tempête qui balaye la terre ou la mer en tournant sur elle-même ; le tourbillon y ressemble, mais il n’est pas le caractère propre d’un orage, il n’en est que l’effet accidentel. La trombe, autre manifestation de phénomènes météorologiques, est une colonne qui se promène et ravage en cheminant. Le tornado est une espèce d’ouragan dont les directions sont tellement variables qu’il parait venir en même temps de tous les points de l’horizon.

La catastrophe de Saint-Louis a été l’objet de nombreuses discussions dans les cercles de météorologistes et parmi les amateurs. L’amateurisme est une maladie qui sévit dans toutes les branches de l’activité humaine. La météorologie, comme l’aérostation, a son cortège d’amateurs, d’empiriques, qui ont cherché à établir la genèse du sinistre. Peu de personnes ont commencé par étudier les districts dévastés pour déterminer et analyser le phénomène météorologique que les uns ont appelé un « cyclone régulier occidental », les autres un « coup de vent droit », L’œuvre de la tempête s’adapte-t-elle à l’une ou l’autre de ces théories ? C’est la question que s’est posée M. John.-C. Barrows, de Saint-Louis.

Les résultats des désastres offrent, sous de nombreux rapports, un aspect insolite et, pense-t-il, sans précédent dans les annales de la météorologie. Il y a d’abondantes indications que sur une superficie de terrain qui s’étend sur une largeur de 800 mètres et sur une longueur de 3,200 mètres, la destruction n’est pas originellement et principalement due à la force d’un ouragan. Les changements fréquents qui se sont produits dans l’espace de peu d’instants et en des points presque opposés dans la direction du vent ne semblent pas expliquer la plus sérieuse catégorie des dommages causés aux bâtiments.

M. Barrows ne tente pas d’apporter une explication nouvelle et scientifique du phénomène météorologique, qu’à défaut d’un terme propre existant il désigne sous le nom de « tempête pneumatique », où la raréfaction de l’air a joué un rôle.

De l’observation des faits, il arrive à la conclusion que ce n’était pas un cyclone ordinaire, ni un coup droit dans l’action du vent d’après l’explication orthodoxe de la méthode baconienne, et qu’il ne s’accorde avec aucune théorie préconçue.

Le premier objet qui attire l’attention par son caractère inusité, c’est l’aspect d’une petite maison à deux étages, en briques, dont les quatre murs extérieurs étaient renversés et écroulés en dehors de leurs fondations, tandis que les légères cloisons intérieures étaient encore debout, les planchers en parfaite bonne condition et la plupart des objets renfermés dans les chambres conservés intacts. Le toit, plat, a été déplacé latéralement de 0,30m à 0,60m, recouvrant encore ce qui restait debout de la maison. On s’interroge naturellement sur la manière dont une force aurait été ainsi appliquée pour abattre quatre murailles, soulever légèrement la toiture et la laisser retomber ensuite, sans déranger à peine le mobilier des appartements. La seule réponse plausible semble être que la force fut exercée de l’intérieur vers l’extérieur.

Fait non moins étrange à remarquer, la plupart des vitres et des châssis de fenêtres furent emportés vers l’extérieur, et les débris gisaient sur les trottoirs et dans les cours intérieures.

Dans un autre endroit s’élevait une maison à toiture inclinée dont les façades étaient parfaitement en place, mais le pignon avait été arraché depuis le plafond du second étage jusqu’au faîtage, découvrant une étroite mansarde. Qu’est-ce qui avait fait explosion dans celle-ci pour démolir ainsi la maçonnerie ? Les fenêtres des étages inférieurs étaient, pour la plupart, brisées, et les éclats de verre jonchaient le trottoir. Tout à côté se trouvait une maison semblable, pignon intacte, mais une portion du toit avait été emportée. L’observateur, pensant que ces résultats pouvaient être attribués au vide partiel que le déplacement du couple du tourbillon crée toujours sur son passage, et qu’il se trouvait précisément, au moment de l’observation, dans l’axe du chemin suivi par le cyclone, il se transporta plus loin, latéralement, à angle droit de la route suivie. C’était la même apparence, la force qui avait fait écrouler les murs semblait avoir émané de l’intérieur. Une construction massive à cinq étages, abritant une fabrique de malles, avait une façade presque entièrement arrachée. Les ruines s’amoncelaient sur le sol, laissant une déchirure qui montrait intacts les planchers et le toit et, ce qui est plus bizarre encore, des piles de malles légères vides, entassées aux différents étages près du mur disparu. Sept de ces objets étaient tombés en dehors sans que leur chute fût causée par le vent, d’après l’opinion du propriétaire. La pression venant de l’intérieur avait, selon toute évidence, agit pour abattre cette muraille, et une fois l’équilibre de pression rétabli, les objets les plus légers ne furent pas dérangés. Si elle avait été renversée par le vent pénétrant par les baies vitrées, les piles de malles auraient été saccagées.

Des hangars contenant des marchandises, des magasins remplis de matériel ont eu leurs parois arrachées depuis le second étage et leurs toitures enlevées ; çà et là de légers articles de fabrication, même des lits de plume, restèrent entièrement exposés, mais non renversés : Est-il vrai de dire que plus un bâtiment présentait d’ouvertures, moins il courait de chances d’être détruit ? L’observation inspirée par cette assertion montrait que tel était bien le cas, sauf pour les quartiers situés en dehors de la zone décrite ; là, c’était le contraire qui était vrai et les dégâts semblaient avoir été produits par la pression latérale d’un ouragan.

Il semble qu’une multitude de toitures furent soulevées, qu’un grand nombre de fenêtres ou à leur défaut, de murs furent refoulés vers l’extérieur par une pression interne soudainement exercée. On remarqua plusieurs maisons dans lesquelles le lattis et le plâtre des plafonds de l’étage supérieur étaient réduits en miettes, les toits et les murs restant en place dans leur intégralité. Cela était produit par l’air emprisonné des mansardes cherchant à s’échapper. Sur tout le parcours du territoire ravagé, les toits sans larmiers ou saillies ne paraissent pas s’être mieux comportés que ceux qui ne donnaient pas une telle prise au vent. Dans ce district, il y a apparemment autant de murailles écroulées, orientées vers l’est que l’ers l’ouest, vers le nord que vers le sud.

Quelques parois s’abîmèrent vers l’intérieur mais ce fut sous l’encombrement d’autres murs venant les rapper, ou même sous la chute des arbres et des potences télégraphiques ; les toits aussi entraînaient les portions élevées de certains murs à tomber vers l’intérieur. Mais ces cas constituent des exceptions et non la règle générale. Aux premiers instants de manifestation du phénomène, la force originelle et la plus puissante de destruction semble s’être exercée de l’intérieur des immeubles vers l’extérieur.

Plusieurs écrivains ont prétendu que la torsion des troncs d’arbres du parc de La Fayette était attribuable à un cyclone ordinaire. Qu’il y eût là formation d.’une multiplicité de tornados, aucun doute n’est possible, mais quiconque a vu la trace laissée par le passage d’un cyclone dans une forêt ne la mettra pas en comparaison avec l’état chaotique des arbres du parc. Le déplacement de l’axe d’un cyclone laisse toujours après lui une voie étroite et bien définie caractère faisant absolument défaut dans le cas présent.

Il n’est pas possible que la pression atmosphérique régnant sur une superficie enclose dans une circonférence d’environ’ 800 mètres et se mouvant rapidement vers l’est se soit si promptement et si grandement réduite. pour en donner une explication satisfaisante. Le directeur de l’usine - à gaz a déclaré avoir remarqué tout d’abord un léger tressautement de la cloche du grand gazomètre, elle oscilla ensuite un peu, puis’ elle fut frappée par le vent qui arracha le polygone de poutrelles formant la couronne de liaison des colonnes de guidonnage entourant le réservoir. Celles-ci s’abattirent vers l’extérieur à la façon de rayons autour d’un moyeu d’une roue. La cloche d’un gazomètre monte ou descend conformément aux changements de la pression atmosphérique. Si, suivant l’observation du directeur de l’usine, elle s’est soudainement soulevée cela ne peut s’expliquer que par une raréfaction subite et énorme de l’air atmosphérique et si, au lieu de flotter librement dans l’eau du réservoir, elle avait été fixée par son bord inférieur, elle se serait crevée -absolument comme l’ont fait les maisons.

La destruction effectuée sur ce que l’on peut dénommer le territoire du vide s’expliquerait donc par une réduction soudaine et subite de la pression atmosphérique.

La trace de la tempête était plus large à la place où les résultats apparents d’une dépression sont remarquables. Un madrier de sapin fut projeté dans une poutrelle en fer du pont et y resta implantée, comme un témoin de l’incroyable violence du vent.

On ne songe pas sans un secret effroi à l’éventualité de la destruction d’une ville entière par la diminution subite de la pression atmosphérique.

A. Firmin

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