La prévoyance du nénufar

Ferdinand Faideau, La Science Illustrée n° 298 — 12 août 1893
Lundi 13 octobre 2014 — Dernier ajout mardi 30 janvier 2018

Récréations botaniques

Voulez-vous, cher lecteur, que nous profitions de cette chaude journée du mois d’août pour faire une promenade à l’étang ? Il est en ce moment dans toute sa splendeur, et l’ardent soleil que nous venons d’affronter pour y parvenir nous fait trouver plus délicieuses encore l’ombre et la fraîcheur qui règnent sur ses bords.

Sautons dans la barque qu’un ami complaisant a cachée à notre intention, au milieu des roseaux et des massettes, et dirigeons-nous vers ces nénufars dont les énormes corolles égayent de taches blanches la surface de l’eau. Un long crochet, caché dans le fond de la barque, va nous permettre d’arracher une de ces plantes dont nous n’avons aperçu jusque-là - et de loin seulement - que les fleurs et les feuilles.

En fouillant la vase, le crochet vient d’éprouver une résistance, et en unissant nos efforts, nous amenons dam la barque, après un nettoyage préalable, une souche assez grosse, qu’un examen superficiel nous ferait prendre pour une racine ; mais qui est, en réalité, un rhizome, car elle porte les fleurs et les feuilles à l’extrémité de cordons ronds, mous, semblables comme aspect à des tubes de caoutchouc. Ces cordons, longs parfois de plusieurs mètres, s’allongent encore, si les pluies sont abondantes jusqu’à ce qu’ils aient amené à l’air les organes qui les terminent.

Les feuilles flottantes, épaisses, arrondies et légèrement en cœur à la base, ne sont pas les seules, et nous voyons, près de la souche, des rubans minces, translucides et légèrement ondulés qui sont des feuilles submergées. Nous avions déjà fait la même remarque, dans une excursion précédente, pour la sagittaire et la renoncule aquatique.

La fleur est digne de fixer notre attention. Ce lis des étangs, grand par rapport aux fleurs de nos climats, n’est qu’une fleurette si on le compare à celles de la Victoria regia, qui étalent sur les eaux de l’Amazone leur corolle d’un pied de diamètre.

La fleur de nénufar est formée d’un grand nombre de pièces disposées en spirale. Comme une fillette qui consulte la marguerite, détachons-les successivement en commençant par un sépale entièrement vert. Le suivant, vert aussi, a son sommet blanc, et en continuant, nous trouvons des pièces dans lesquelles le blanc domine de plus en plus, jusqu’à un pétale absolument blanc. Arrachons les pétales, en faisant toujours tourner la fleur dans le même sens ; ils sont de plus en plus petits et bientôt nous voyons que l’un d’eux porte à sa pointe une petite anthère bien formée ; dans le suivant, plus étroit, l’anthère est plus grosse et ses deux loges plus visibles ; nous arrivons enfin aux véritables étamines, nombreuses, entourant un gros ovaire à plusieurs loges, surmontées chacune d’un stigmate.

Nous connaissons maintenant la plante. Ses feuilles de deux formes nous montrent l’action qu’exerce sur les organes le milieu dans lequel ils vivent ; sa fleur avec ses sépales devenant peu à peu des pétales, et ses pétales. se transformant insensiblement en étamines, confirme la célèbre théorie du poète allemand Goethe, qui veut que toutes les parties de la fleur proviennent des feuilles par une métamorphose progressive.

Mais le nénufar peut nous fournir d’autres enseignements et, tout en ramant nous pouvons nous entretenir de ses mœurs, de ses habitudes, plus remarquables encore que sa structure.

Ses fleurs, formées depuis longtemps au sein des eaux, n’apparaissent que vers la fin de mai, quand les gelées matinales ne sont plus à craindre, et se flétrissent au commencement de l’automne.

Chaque soir, au moment où le soleil va disparaître, elles se ferment, rentrent dans l’eau pour échapper au froid de la nuit, et ne s’ouvrent que le lendemain matin vers sept heures.

Si le ciel se couvrait en ce moment, si un orage menaçait, si la pluie venait à tomber, vous les verriez fermer leurs pétales et disparaître. Se cacher dans l’eau de peur de la pluie, voilà qui vous rappelle un certain Gribouille dont la bêtise a fait la joie de notre enfance ! La fleur, pourtant, n’est pas si bête, elle s’enfonce dans l’eau et elle n’est pas mouillée.

Entendons-nous bien ; son enveloppe extérieure l’est, mais ses parties centrales ne le sont pas, ce qui est important pour elle.

Par quel mécanisme ? Il vous est facile de le voir, bien qu’en ce moment la pluie ne soit pas à craindre. Penchez-vous sur le bord du bateau et tirez sur le pédoncule de cette fleur largement épanouie de manière à la faire rentrer lentement sous l’eau. Voyez comme déjà les pétales se rapprochent, s’appliquent les uns contre les autres. Continuez le mouvement de descente ; la fleur forme maintenant une boule au sommet de laquelle de l’air est emprisonné, et plus vous l’enfoncerez, plus la pression de l’eau la maintiendra fermée.

Laissez-la remonter doucement, elle s’ouvre peu à peu, et vous ne voyez pas la moindre goutte d’eau briller sur les organes intérieurs.

Admirez maintenant la prévoyance de la fleur. Si elle restait à l’air - même fermée - sous la pluie, le poids des gouttes pourrait la faire ouvrir, les grains de pollen seraient en partie entraînés et ceux qui resteraient n’en vaudraient guère mieux ; gonflés par l’humidité, leurs enveloppes éclateraient, et ils seraient incapables de développer le tube pollinique qui doit, en traversant le stigmate, aller transformer l’ovule en graine.

Dans la même rubrique…

Mots-clés

Articles liés

Revenir en haut