La corbeille de sylvies

Ferdinand Faideau, La Science Illustrée n° 280 — 8 avril 1893
Dimanche 12 octobre 2014 — Dernier ajout mardi 30 janvier 2018

Récréations botaniques

Les premiers rayons du soleil ont fondu les neiges de l’hiver ; voici les beaux jours et déjà les cloches de Pâques ont lancé dans l’air leurs joyeux carillons.

Les grandes courses dans les bois ont, à cette époque de l’année, un très grand charme ; d’abord parce que la température peu élevée dispose à la marche, puis parce que les fleurs, encore tares, sans avoir tout l’éclat, toute la richesse des productions de l’été, ont une grâce toute particulière.

Parmi ces fleurs de premier printemps, vous ne pouvez manquer de rencontrer la charmante sylvie ; elle est commune dans les bois de toute la France, où elle forme, par places, de véritables pelouses, et l’on ne peut faire quelques pas à Saint-Cloud, à Meudon, ou même au bois de Boulogne sans apercevoir ses blanches corolles, si serrées en certains points, qu’elles donnent l’illusion de la neige à laquelle nos yeux sont encore habitués.

Cette gracieuse plante appartient à la même famille que le bouton d’or, celle des Renonculacées, qui comprend un grand nombre de plantes dangereuses. La sylvie n’est heureusement pas dans ce cas ; malgré cela, il ne serait pas prudent de tenir dans la bouche, pendant trop longtemps, ses tiges qui laissent échapper un suc légèrement âcre.

C’est une anémone, l’anémone des bois (anemone nemorosa) ; on l’appelle aussi, dans certaines régions, fleur du vendredi saint, pour une raison analogue à celle qui a fait donner, dans l’Ouest, le nom fleurs de la Pentecôte, à certaines espèces d’iris très communes au bord de la mer.

La lige de la sylvie ne porte qu’une fleur, formée de six pétales blancs, souvent un peu violacés à l’extérieur. On ne distingue pas de calice, mais au-dessous de la fleur on trouve toujours trois feuilles finement découpées, formant une collerette (involucre), qui entourait la fleur dans son bouton.

En arrachant la plante avec précaution, on amène à l’air une sorte de racine assez grosse d’où partent des radicelles ; cette prétendue racine n’est autre chose qu’une tige souterraine ou rhizome, car à son extrémité se trouve un bourgeon qui passera l’hiver sur le sol, et, au printemps suivant, donnera une tige aérienne et sa fleur unique. (Voir la figure en haut et à gauche.)

On fait, avec les sylvies, de charmants bouquets dans lesquels on ne sait ce qu’on doit le plus admirer, ou des belles feuilles gracieusement découpées, et d’un vert superbe, ou des délicates corolles blanches tachetées de jaune en leur milieu, par les multiples étamines.

Mais un bouquet est bien vite fané, et si l’on tient à conserver longtemps un souvenir de cette première excursion du printemps, il faut opérer comme nous allons l’indiquer.

On arrache les anémones avec leur tige souterraine tout entière, ce qui ne présente aucune difficulté en tirant un peu obliquement sur la plante. Celles qui se casseraient au ras du sol pendant cette opération doivent être rejetées. On choisira les fleurs qui sont encore en bouton, et on joindra à ce gros bouquet un beau paquet de mousse bien fraiche, qu’on trouvera sans beaucoup chercher.

Au retour de l’excursion, on dispose les plantes dans une jardinière à bords peu élevés, de façon que les tiges souterraines soient toutes appliquées contre le fond, et comme les tiges un peu fanées par le voyage baissent tristement la tête, on les maintient avec la mousse et l’on arrose légèrement. Les arrosages sont renouvelés tous les deux ou trois jours, et, quand il fera un rayon de soleil et que le vent ne sera pas trop fort, on portera la jardinière sur une fenêtre.

Ces fleurs délicates pourront ainsi se conserver fraîches pendant un mois et plus ; rien ne leur manque, en effet : d’une part, on leur fournit l’humidité nécessaire, d’autre part elles mangent les réserves qu’elles avaient placées dans leur rhizome, en prévision d’un prochain hiver.

Cette charmante corbeille de sylvies sera un ornement tout aussi gracieux qu’une jardinière garnie de fleurs d’un grand prix achetées chez l’horticulteur. Elle présente même, sur cette dernière, plus d’un avantage ; d’abord elle ne coûte rien, ce qui, par le temps qui court, n’est pas à dédaigner ; puis son arrangement est notre œuvre, et les compliments qu’on en fera chatouilleront agréablement notre vanité ; enfin, sa confection nous aura procuré une longue promenade dans les bois, c’est-à-dire à la fois du plaisir et de la santé.

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