Comment nous sont parvenus les ouvrages scientifiques de l’antiquité

A. de Rochas, La Nature N°463 — 15 avril 1882
Samedi 4 octobre 2014 — Dernier ajout dimanche 5 octobre 2014

Plusieurs lecteurs de la Nature ont manifesté le désir de savoir où j’avais puisé les éléments des articles publiés dans cette revue sur les appareils de Héron, Je vais répondre à leur demande en exposant d’une façon sommaire l’histoire des ouvrages scientifiques de l’antiquité.

Les premiers écrits de cette nature sur lesquels il nous reste quelques notions un peu précises apparurent en Grèce, vers l’an 600 avant Jésus-Christ. A cette époque Thalès et Pythagore, tous deux nés dans les colonies grecques de l’Asie Mineure, fondèrent deux écoles, l’une à Milet, l’autre à Crotone. Tous deux paraissent avoir puisé leur instruction dans les temples de l’Égypte, mais nous ne savons rien de positif sur les mystères qui s’y enseignaient. Les philosophes de ces deux écoles composèrent de nombreux traités sur les sciences physiques : nous ne les connaissons que par des extraits plus ou moins altérés qui nous ont été conservés par des écrivains postérieurs au quatrième siècle avant notre ère.

C’est en effet dans le courant du quatrième siècle que parut Platon, le premier philosophe dont les écrits nous soient parvenus à peu près intacts. Les écrits d’Aristote son disciple ont eu la même fortune. Malheureusement ces deux grands génies se sont plutôt occupés de métaphysique que de physique et ils ont dédaigné de nous transmettre les faits d’observation sur lesquels ils appuyaient leurs théories brillantes mais prématurées sur les causes premières.

Il faut arriver au règne des Lagides pour trouver des documents positifs sur les sciences telles que nous les comprenons aujourd’hui.

On sait que Ptolémée Lagus, à qui échut l’Égypte dans le partage de l’empira d’Alexandre, fonda à Alexandrie un magnifique palais où il entretint à grands frais les savants les plus célèbres. Ce prince et ses successeurs firent copier pour leur bibliothèque, devenue si célèbre, tous les manuscrits qu’ils purent se procurer ; de plus ils achetèrent ou firent construire les appareils et instruments propres à enseigner la science ou à faire connaître les applications curieuses qu’avaient su en tirer les prêtres de l’Orient.

Parmi les savants qui se rattachent à cette époque, les plus célèbres sont Euclide. Archimède, Ératosthène, Hipparque, Ctésibius, Philon et Héron.

Ce dernier était, à proprement parler, un ingénieur, ce qu’on appelait alors un mécanopoios, c’est-à-dire un faiseur de mécaniques. Il a laissé des traités sur la mécanique, l’arpentage, les horloges hydrauliques, les automates et la pneumatique.

La pneumatique, dont j’ai tiré les différents articles publiés dans la Nature, s’occupe de l’équilibre des fluides. Après une Introduction où r auteur prouve la matérialité de l’air et cherche à expliquer son élasticité, il donne la théorie du siphon ; puis il décrit une série d’applications plus ou moins intéressantes.

L’école d’Alexandrie fut dispersée par les événements politiques dans le commencement du premier siècle avant notre ère. Elle se reforma plus tard, mais ne donna plus que quelques astronomes et mathématiciens, notamment Ptolémée. La physique fut abandonnée par les philosophes qui, reprenant les idées de Platon sur l’existence d’une foule d’êtres intermédiaires entre Dieu et l’homme, ne virent plus, dans les phénomènes de la nature, que des actes régis par les démons, et cherchèrent dès lors uniquement à les dominer par des incantations magiques. Ils finirent par être chassés de la ville après la mort de Julien l’Apostat ; ils se réfugièrent soit à Athènes soit à Constantinople.

La bibliothèque d’Alexandrie, brûlée une première fois lorsque César s’empara de la ville, fut reconstituée par la bibliothèque des rois de Pergame, presque aussi riche que celle des Ptolémées, qu’Antoine donna à Cléopâtre ; mais elle devint de nouveau la proie des flammes sous Théodose. Il ne devait en rester que bien peu de choses lorsque les Arabes s’emparèrent de la ville ; l’érudition moderne a du reste prouvé que la fameuse légende d’Omar était très probablement apocryphe.

Les bibliothèques formées par les empereurs soit à Rome soit à Constantinople furent également incendiées et dispersées il plusieurs reprises au milieu des troubles sans fin ’qui agitèrent le monde à l’époque de l’invasion des barbares.

Les débris des connaissances antiques commencèrent à être recueillis par les Arabes vers le neuvième siècle. Les califes fondèrent à Bagdad et en Espagne des bibliothèques comparables aux plus belles qui eussent existé où ils firent copier et traduire tout ce qu’ils avaient pu retrouver. C’est en Espagne que les autres contrées de l’Europe, et notamment l’Angleterre qui était alors à leur tête au point de vue intellectuel, envoyèrent s’instruire leurs savants quand elles voulurent secouer le joug de l’ignorance sous lequel elles étaient courbées depuis si longtemps. Les moines traduisirent alors de l’arabe en latin un grand nombre d’ouvrages anciens, notamment les traités de géométrie, de mathématiques, d’astronomie et d’optique.

Les croisades rétablirent les rapports entre l’Orient et l’Occident, rapports qui devinrent extrêmement fréquents au commencement du quinzième siècle à propos des projets de réunion des deux églises.

Il en résulta, en Italie, un véritable engouement pour les études grecques. On créa des chaires de littérature hellénique ; on rechercha avec une ardeur sans pareille tous les anciens manuscrits, et on les fit copier pour en enrichir les bibliothèques des papes, des rois, des grands seigneurs et des couvents, qui commençaient à se réformer.

La prise de Constantinople par les Turcs en 1453 ne fit qu’accélérer ce mouvement de renaissance en amenant à Venise et dans les villes voisines la plupart des savants qui avaient pu échapper au désastre. Beaucoup d’entre eux arrivèrent en Italie avec de précieux manuscrits et trouvèrent leurs moyens d’existence en les copiant et en vendant ces copies.

L’invention de l’imprimerie ne porta aucune atteinte à cette industrie ; car, pendant bien longtemps, on n’eut que des caractères latins. Elle fut même la cause de la perte d’un certain nombre d’ouvrages antiques et spécialement de traités scientifiques grecs, par suite du discrédit où ne tardèrent point à tomber les manuscrits. Ceux qui avaient été imprimés, étant désormais considérés comme sans valeur, servaient à faire les reliures et il arriva malheureusement quelquefois à d’ignorants propriétaires de condamner en bloc à des usages analogues tous ceux qu’ils possédaient.

Les imprimeurs ont du reste, de tout temps, mis leurs intérêts propres au-dessus de ceux de la science. Aussi se préoccupèrent-ils d’abord de publier, au lieu des textes grecs s’adressant seulement à quelques érudits, des traductions en langue latine, langue de l’enseignement dans toute l’Europe. Le seizième siècle suffit à cette œuvre et l’on vit alors se produire à des milliers d’exemplaires et se répandre dans le public tout ce qui nous était resté de l’époque alexandrine : Euclide eut plus de vingt éditions successives ; Archimède presque autant, Héron quatre ou cinq.

Les textes grecs et les traductions en langues vulgaires ne furent publiés que plus tard, quand ils l’ont été. Ainsi le texte des Pneumatiques de Héron, dont j’ai tiré les appareils publiés dans la Nature, n’a été publié qu’une fois en 1693, à I’Imprimerie Royale, dans le recueil intitulé Veteres mathematici ; il n’y en a pas eu encore de traduction française.

Ce petit livre a eu cependant sur la renaissance des études scientifiques en Europe une influence prépondérante ; c’est à lui qu’on doit le retour à la méthode expérimentale ; c’est en répétant les expériences qu’il décrit que les savants du dix-septième siècle ont été conduits aux découvertes qui sont la base d’une partie de la physique moderne : machine pneumatique, hémisphères de Magdebourg, tube de Toricelli, loi de Mariotte, etc.

Albert de Rochas d’Aiglun

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