Le grand orgue du palais de cristal à Londres

La Nature N°513 — 31 mars 1883
Dimanche 3 août 2014 — Dernier ajout vendredi 29 décembre 2023

Les grandes orgues modernes dont nous donnons aujourd’hui un des plus beaux spécimens, sont sans contredit l’exemple le plus frappant qu’on puisse citer pour mettre en relief les résultats d’une heureuse alliance entre l’Art et la Science, ces deux grandes manifestations du progrès intellectuel moderne. Un chiffre brutal en dira plus que les plus belles phrases. Dans l’orgue que nous signalons aujourd’hui, l’artiste dispose de quatre mille quatre cents notes distinctes par leur hauteur ou par leur timbre, qu’il peut faire résonner successivement ou simultanément, en nombre variable à l’infini, avec force ou avec douceur, etc., à sa seule volonté, et sans plus de fatigue que pour un harmonium de salon.

Ces quatre mille quatre cents notes sont fournies par un nombre égal de tuyaux en bois ou en métal dont le plus petit a 18 millimètres de longueur et 6 millimètres de diamètre, tandis que le plus grand n’a pas moins de 32 pieds (9m60) de hauteur. Ces tuyaux se divisent suivant la nature des sons à produire, en tuyaux à embouchure de flûte et en tuyaux à anche.

Les anches sont très rarement employées pour les tuyaux qui dépassent une hauteur de 16 pieds : les notes graves sont donc exclusivement fournies par des tuyaux à embouchure de flûte. Il suffit de modifier la forme de ces tuyaux, leur nature, etc., pour obtenir les nombreuses variétés de timbre qui permettent de varier les effets à l’infini.

On sait que pour faire résonner ces tuyaux, il faut les faire traverser par un courant d’air de volume et de pression convenable ; c’est ce qu’on nomme donner du vent. Le rôle de l’organiste consiste à distribuer le vent aux tuyaux : il a à cet effet à sa disposition quatre claviers distincts superposés, disposés l’un au-dessus de l’autre en retrait comme les marches d’un escalier, et un pédalier, consacré plus spécialement aux grands tuyaux d’accompagnement. Les quatre claviers et le pédalier constituent en réalité cinq instruments distincts, dont on peut jouer séparément, ou en les couplant, à la volonté de l’artiste. Le vent est fourni par une série de grands soufflets, mis en mouvement par des moteurs hydrauliques, et vient s’emmagasiner dans de véritables réservoirs qui servent à la distribution du vent et surtout à maintenir une pression régulière, condition essentielle pour un bon fonctionnement du système.

Chaque touche du clavier commande plusieurs jeux de tuyaux : ainsi, par exemple, le premier clavier qu’on désigne sous le nom de grand orgue porte cinquante-huit touches et chacune de ces touches commande un tuyau dans dix-neuf jeux différents. Si, comme cela existe dans les petites orgues, l’abaissement de la touche actionnait directement les dix-neuf tuyaux, on serait conduit à une disposition fort complexe de leviers, tringles, renvois de mouvement, etc. Le travail mécanique nécessaire à la mise en action de tous ces leviers rendrait le jeu de l’orgue très fatigant et, au bout de quelques minutes, l’organiste serait épuisé par cette gymnastique d’un nouveau genre. Cette difficulté mécanique a été très heureusement vaincue par l’emploi de leviers pneumatiques, véritables relais grâce auxquels l’effort du doigt de l’artiste ouvre seulement le passage à l’air comprimé qui agira à son tour pour commander directement les soupapes des tuyaux, et ne demandera pas plus d’effort que la touche d’un piano ordinaire. Les leviers pneumatiques sont adaptés à tous les daviers et au pédalier : les grandes dimensions de l’orgue imposent leur emploi parce que bon nombre de tuyaux se trouvent à une grande distance des claviers : les tuyaux de transmission ont quelquefois 20, 25 et jusqu’à près de 30 mètres de développement. Malgré la distance, l’action des leviers pneumatiques est si rapide que les passages les plus difficiles et les plus délicats sont fidèlement rendus, le tuyau résonne à l’instant même où la clef est abaissée.

La manœuvre des registres permet de faire parler à volonté une, deux, trois… séries de tuyaux, simultanément ou successivement ; d’autres registres permettent d’accoupler les claviers et de les rendre solidaires, pour pouvoir jouer plusieurs orgues à la fois à l’aide d’un seul clavier. D’autres registres commandent les forte et les piano en graduant le vent fournis aux différents jeux ; on modère aussi la puissance générale de l’orgue en ouvrant plus ou moins de grands volets qui ferment les boites-dans lesquelles sont renfermés les tuyaux et, par suite, assourdissent plus ou moins le son,

Cet orgue plusieurs fois remanié et perfectionné a été muni récemment de trois octaves de carillons ; commandés par des leviers pneumatiques et renfermés aussi dans des caisses à volets pour en graduer les effets.

L’orgue proprement dit a 12 mètres de hauteur et 8 mètres de large, sans compter la partie inférieure occupée par les soufflets et les pistons hydrauliques qui les actionnent. La figure qui accompagne cette description rapide, et que nous reproduisons d’après notre confrère de Londres The Engineer, peut donner une idée de son importance, bien qu’on ait dû supprimer bon nombre de tuyaux pour rendre visibles les grands tuyaux du fond, ainsi que les claviers pour montrer la commande des leviers pneumatiques.

Les proportions de cet orgue immense et magnifique sont bien en rapport avec celles de l’immense vaisseau qu’il remplit d’harmonie ; plus d’une fois il a vibré sous la main de nos artistes, aussi considérions-nous comme un devoir de présenter à nos lecteurs un instrument qui a contribué pour une certaine part à leur succès et popularisé en Angleterre le génie de notre art musical.

Dr Z…

Revenir en haut