Le poisson aérien

Duponchel, La Revue Scientifique — 25 août 1883
Dimanche 5 mai 2013 — Dernier ajout lundi 4 mars 2024

La science vient de célébrer le centenaire de l’invention des frères Montgolfier. L’exposition spéciale organisée au Trocadéro n’a guère eu d’autre résultat que de constater une fois de plus combien cette découverte est loin d’avoir réalisé toutes les espérances qu’elle avait pu faire concevoir au début. Dans ce siècle qui a vu se développer les innombrables applications de la vapeur et de l’électricité, qui a vu naître la navigation à vapeur, les chemins de fer, la télégraphie, la photographie et tant d’autres merveilles industrielles, l’aérostation seule n’a fait que des progrès insignifiants. Après l’engouement peut-être irréfléchi des premiers jours, la découverte a en quelque sorte perdu tout caractère scientifique. Pendant plus d’un demi-siècle, en dehors de quelques expériences météorologiques, les ballons n’ont guère eu d’autre emploi que de servir aux amusements de la foule dans les fêtes publiques. Si de nos jours il a été fait quelques expériences plus sérieuses sur ce mode de locomotion, leur insuccès a été tellement complet, qu’il en a discrédité le principe lui-même. Aux yeux du vulgaire, le problème de la direction des ballons est rangé au nombre de ceux qui n’auront jamais de solution, et il faut un certain courage pour oser l’aborder. C’est donc avec plus d’appréhension que de satisfaction réelle que, pour ma part, au cours d’une étude purement théorique sur les conditions d’équilibre de l’atmosphère, j’ai été amené presque malgré moi à proposer un procédé pratique qui me parait cependant trop rationnel pour que je puisse hésiter à l’exposer sommairement dans cette revue.

I.

On s’est en général beaucoup trop préoccupé de vouloir assimiler la navigation aérienne à la navigation maritime, dont les conditions sont toutes différentes.

En fait, il est divers systèmes de locomotion utilisant la résistance d’un fluide, comme la navigation aérienne devra nécessairement utiliser la résistance de l’air. Ces modes de locomotion peuvent se rapporter à trois types principaux, qu’il est d’autant plus important de distinguer nettement, qu’on est souvent exposé à les confondre. Ces trois types sont : l’oiseau qui vole dans l’air, plus léger que lui ; le poisson qui nage dans l’eau d’une densité égale à la sienne ; le navire qui flotte à la séparation de deux fluides de densité très différente.

Ce dernier système est le seul que l’homme ait jusqu’ici su réaliser pratiquement ; mais il est, en fait, celui qui, par ses conditions particulières, présente les moindres analogies avec la navigation aérienne. On conçoit qu’un mobile puisse se mouvoir dans l’atmosphère, comme s’y meut l’oiseau, comme le poisson se meut dans l’eau, à la condition d’avoir un organisme moteur analogue à ceux de ces animaux ; mais on ne saurait pas plus établir de ressemblance entre la marche de ce mobile et celle du navire astreint à rester toujours dans le même plan horizontal, reposant sur une base fixe, ayant à la fois les avantages et les inconvénients de cette stabilité relative, qu’on ne saurait en trouver entre un corps à trois dimensions et une surface.

C’est donc bien plutôt à l’étude de l’organisme de l’oiseau ou du poisson qu’il paraitrait convenable d’emprunter nos procédés de navigation aérienne.

Ces procédés ne sont pas identiques dans les deux cas.

L’oiseau, toujours plus lourd que l’air, ne peut s’élever que par une action musculaire, énergique, de ses ailes ; mais il redescend aisément en vertu de son poids.

Le poisson, d’une densité moyennement égale à celle de l’eau, ne peut avoir sur elle qu’une assez faible action mécanique directe par ses nageoires ou sa queue. Son énergie musculaire parait surtout employée à contracter ou à dilater une partie de son organisme, et dans la plupart des espèces une vessie natatoire, qui le rend tour à tour plus lourd ou plus léger que le fluide ambiant, suivant qu’il veut s’abaisser ou s’élever.

Dans les deux cas, quelle que soit la nature de la force motrice dont disposent l’oiseau et le poisson, elle peut être considérée comme originairement verticale, agissant dans un sens ou dans l’autre, de haut en bas ou de bas en haut ; modifiée dans sa direction par des résistances inégales du fluide ambiant, qui lui font équilibre, et déterminent le mouvement dans le sens de la moindre de ces résistances.

La marche chez l’oiseau, comme chez le poisson, n’est jamais franchement horizontale, mais sinueuse, formée de lignes brisées alternativement ascendantes ou descendantes, sous un angle en général assez prononcé, reliées par des courbes aux points hauts et bas, correspondant aux changements de signe de la force verticale.

Dans ces dernières années, quelques hommes d’une valeur scientifique réelle, M. Cabinet entre autres, rebutés des difficultés que leur paraissait offrir l’aérostation, avaient émis l’avis qu’il faudrait s’essayer à reproduire de préférence le vol de l’oiseau qui s’élève et plane dans l’air, bien que plus lourd que lui.

Aucune tentative, aucune expérience, autres que celles de quelques jouets d’enfants, n’ont été faites jusqu’ici pour mettre en pratique les procédés de l’aviation, du plus lourd que l’air. Le principe n’en a pas moins été nettement posé bien des fois, comme devant servir de base aux recherches futures.

Rien ne parait en effet, de prime abord, plus naturel que de demander des enseignements à la nature elle-même ; de chercher à appliquer à la navigation aérienne les organes de l’oiseau qui vole dans l’air, plutôt que ceux du poisson qui nage dans l’eau ; mais tout en prenant de préférence la nature pour guide, nous ne saurions-nous dissimuler que nous ne pouvons guère espérer arriver à cette perfection de merveilleux organisme qui permet aux animaux d’utiliser avec une si faible déperdition l’action calorifique, source de l’énergie musculaire qu’ils portent en eux. Tandis que l’oiseau, par exemple, peut transformer en puissance motrice les 2/3 tout au moins de l’énergie du carbone qu’il consume dans son vol, nos meilleures machines à vapeur n’utilisent pas 2 % de l’énergie du combustible qu’elles consomment. Avec une telle infériorité d’utilisation de la force motrice, il serait d’autant plus téméraire de vouloir s’essayer à reproduire le vol de l’oiseau, que la nature elle-même n’a adapté ce mode de locomotion qu’à de très petites espèces animales. Il n’est aucun oiseau qui par son volume puisse se comparer aux gros animaux aquatiques ; poissons ou cétacés ; et, même parmi eux, ceux qui ont un poids quelque peu considérable, comme les autruches, ont des ailes qui leur servent de rames plutôt pour raser la surface du sol que pour s’élever réellement dans l’air.

S’il ne parait pas possible de reproduire l’oiseau par nos procédés industriels, rien ne serait, en revanche, plus simple que d’imiter le poisson, non seulement dans l’eau, mais dans tout autre fluide, à la condition que la densité de ce fluide soit moyennement égale à la sienne. La force motrice, fraction du poids du mobile, peut toujours être considérée comme proportionnelle à cette densité. Comme nous le verrons tout à l’heure, ces deux coefficients se retrouvent à la même puissance dans tous les termes des équations d’équilibre, et l’on peut multiplier ou diviser ces termes par un même nombre, sans modifier sensiblement les conditions d’équilibre, de mouvement et de vitesse. Si nous pouvions reproduire une baleine artificielle, qui, au lieu de la densité de l’eau, aurait celle de l’air, elle nagerait dans l’atmosphère, tout aussi bien que la baleine naturelle nage dans l’eau. Or rien ne parait plus facile que de reproduire dans un aérostat les formes générales de la baleine ou d’un poisson quelconque, et de lui donner les mêmes organes de locomotion, vessie natatoire, queue et nageoires.

Nous connaissons déjà le moyen d’imprimer à cet aérostat pisciforme la force ascensionnelle qui doit le soulever dans l’air. Reste à lui restituer à volonté la force inverse, le poids relatif, qui, arrivé à une certaine hauteur, lui permette de redescendre vers le sol.

Le principe de la navigation aérienne peut, en effet, se ramener à ces termes très simples : rendre à volonté l’aérostat plus lourd que l’air, de même qu’on l’a rendu plus léger ; sans rien perdre, bien entendu, de la réserve de gaz que contient l’appareil.

Tout est là ; et c’est faute de l’avoir bien compris, je crois, qu’on n’a pu jusqu’ici trouver la solution du problème.

Ce résultat serait sans doute très difficile à atteindre, si, comme pour l’aviation, on voulait l’obtenir par des moyens empruntés à la mécanique usuelle. Recourir à un moteur industriel pour comprimer ou dilater un aérostat, de manière à le rendre tour à tour plus lourd ou plus léger que l’air, ainsi que fait le poisson, par le jeu de sa vessie natatoire, serait certainement aussi malaisé, aussi impossible même, que d’imprimer aux ailes d’un oiseau artificiel une impulsion suffisante pour le soulever.

Mais fort heureusement nous trouvons, dans la pratique même de l’aérostation, des procédés tout particuliers, qui, convenablement compris, et mieux appliqués qu’ils ne l’ont été jusqu’ici, nous fourniront le moyen de réaliser à volonté cette variation de densité moyenne de l’aérostat.

Pour résoudre celte difficulté, dès qu’elle s’est présentée à mon esprit - et ce n’a pas été tout de suite, si simple qu’en paraisse le principe, - il m’a suffi de remonter à l’origine de l’invention des ballons, d’associer le principe trop négligé de la montgolfière à celui de l’aérostat proprement dit.

Admettons que l’on ait construit un ballon en forme de poisson, muni de nageoires ou ailes latérales, pour régler l’inclinaison de son mouvement ; d’une queue ou gouvernail pour diriger sa marche autour de la verticale ; et supposons qu’on l’ait rempli de gaz hydrogène en quantité suffisante pour équilibrer à la température de l’air ambiant une charge P ; n’est-il pas évident que, si nous lui ajoutons une charge supplémentaire p, et que, en même temps, par un moyen quelconque, nous réchauffions le gaz intérieur, il arrivera un moment où ce gaz dilaté faisant équilibre au poids P + 2 p, le ballon s’élèvera en vertu d’une force relative p, et prendra une marche ascendante qui, modifiée par la forme générale du corps du ballon et l’action des nageoires et du gouvernail convenablement orienté, se continuera tant que l’on maintiendra au gaz surchauffé l’excès de température qu’on lui aura donné ? Arrivé en une hauteur quelconque, si l’on interrompt le chauffage, le gaz du ballon, reprenant plus ou moins vite la température de l’air ambiant, pèsera sur lui du poids relatif p, qui lui permettra de prendre en descendant une marche inclinée analogue à celle qu’il avait eue en montant. Revenu au voisinage du sol, il suffira de rétablir le fonctionnement de la source de chaleur ; pour reproduire le même mouvement ondulé, qui se continuera dans des conditions identiques tant qu’on pourra disposer de celte source de chaleur.

Ce principe admis, - et je ne pense pas qu’il puisse être contesté, - la nature de la source de chaleur n’est pas moins nettement indiquée. Elle doit provenir de la combustion directe de la houille, agissant par l’intermédiaire de la vapeur d’eau. En somme, comme organe moteur, mobile avec l’aérostat, il nous suffira d’une chaudière injectant sa vapeur dans le ballon quand on voudra lui imprimer une force ascendante : le refroidissement seul déterminant une force inverse à la descente, sans machine d’aucune sorte, sans autre mécanisme que le renversement de l’obliquité du ballon, par un simple déplacement d’une partie de sa charge, pour l’adapter aux nouvelles conditions d’équilibre quand on voudra changer le sens vertical de la marche.

De quelque manière que la vapeur soit injectée, à l’état de mélange ou par l’intermédiaire de tubes réchauffeurs, elle agira surtout par voie de condensation, restituant au gaz la totalité de l’énergie motrice qu’elle aura perdue. L’eau, condensée dans le corps de l’aérostat ou dans les tubes de réchauffement, pourra toujours être ramenée intégralement dans la chaudière, sans déperdition. La même quantité pourra donc toujours resservir, constituant une fraction déterminée de la charge. La seule dépense effective, et, ce qui n’est pas moins important, la seule perte de charge que subira l’appareil, proviendra de la combustion de la houille ; et il est facile de prévoir que cette quantité sera très minime, puisque nous mettrons à profit, presque en totalité, sa puissance mécanique, dont les engins à vapeur n’utilisent pas 2 %.

Ce moyen d’augmenter à volonté la puissance ascensionnelle d’un aérostat par une injection de vapeur d’eau est tellement simple, tellement pratique, que, comme l’astronome Lalande, à propos de la montgolfière, je serais tenté de m’écrier : « Comment n’y a-t-on pas pensé plus tôt ? »

Le fait, si surprenant qu’il puisse paraître, n’en est pas moins certain ; car je n’ai pas vu qu’il en ait été fait mention dans aucun ouvrage d’aérostatique, et les hommes compétents que j’ai pu consulter m’ont avoué que pour leur part ils n’y avaient jamais songé.

Quoi qu’il en soit, ce procédé n’en résout pas moins la question de la navigation aérienne. Du moment où l’on peut à volonté rendre un aérostat plus léger ou plus lourd que l’air, lui permettre de s’élever ou de s’abaisser dans le sens vertical, la construction d’un appareil pisciforme se mouvant dans l’atmosphère comme le poisson se meut habituellement dans l’eau n’est plus qu’une affaire de détail pratique. D’autres pourront la traiter avec plus de compétence professionnelle que je ne pourrais le faire moi-même. Le principe théorique n’en restera pas moins nettement posé ; et pour le moment je ne prétends pas à autre chose.

II.

Sans m’arrêter aux transformations successives qu’a subies ma pensée avant d’arriver à la forme éminemment simple qu’elle a prise aujourd’hui, j’essayerai d’en rendre compte par une description sommaire des dispositions principales de l’appareil que je propose.

Le principe sera celui de la pisciviation, la construction d’un poisson artificiel, destiné à se mouvoir dans l’air, comme se meut dans l’eau le poisson muni d’une vessie natatoire.

L’appareil comprendra un ballon ascenseur en partie rempli d’hydrogène, une ou plusieurs cavités intérieures servant de vessie, deux nageoires latérales et au besoin des nageoires dorsales assurant la stabilité de l’ensemble, une queue ou gouvernail et une chaudière motrice.

Le corps principal sera constitué par le ballon central, pisciforme, assez semblable d’aspect extérieur à celui qui a été construit par M. Dupuy de Lôme et au type généralement admis aujourd’hui dans l’établissement militaire de Meudon.

La section de l’aérostat sera circulaire ; sa forme à peu près invariable ; les changements de densité étant rachetés par les vessies natatoires constituées à chaque extrémité du ballon, si mieux on n’aime les mettre à sa partie inférieure, ce qui serait peut-être préférable au point de vue de la stabilité, - par le jeu d’une membrane intérieure qui, suivant les pressions qu’elle recevra dans un sens ou dans l’autre, augmentera ou diminuera la capacité occupée par le gaz ascensionnel.

L’enveloppe générale sera en tissu ordinaire de soie et de caoutchouc, dont la forme ovoïde sera maintenue par des sangles élastiques et une membrane intérieure en osier. Il me paraîtrait utile, pour faciliter les manœuvres, de ménager dans l’axe vertical du ballon une colonne métallique creuse, évasée à ses deux extrémités, assez large pour recevoir un escalier hélicoïdal établissant une communication entre les plate-formes correspondant à ces évasements ; celle du haut étant réservée aux voyageurs, celle du bas à l’équipage, aux approvisionnements et à la chaudière.

L’axe de l’escalier central serait formé par un tuyau métallique pouvant servir de cheminée au foyer de la chaudière, portant en outre les anneaux d’attache d’une ou deux nacelles, dans lesquelles pourraient se placer les voyageurs et l’équipage, dans des conditions de stabilité horizontale plus commodes que ne le seraient les parties fixes du ballon fortement inclinées dans sa marche.

L’axe transversal du ballon serait également formé par une tige métallique débordant des deux parts et portant à ses extrémités les pivots sur lesquels pourraient basculer les vergues extérieures des nageoires. Ces nageoires seraient formées par une simple toile tendue à volonté, fixée d’une part à l’équateur horizontal du ballon par des cordes à anneau, de l’autre ’aux vergues horizontales. Un mouvement de bascule des plus simples pourrait, au besoin, donner une inclinaison aux nageoires dont les extrémités se recourberaient en surfaces gauches symétriques ; mais, le plus souvent, ces nageoires devront rester fixes, tendues parallèlement à l’axe, n’ayant d’autre effet que d’augmenter la résistance verticale de l’air dans des conditions analogues à celles de la quille des navires par rapport à la résistance de l’eau.

Le ballon central ainsi constitué reposera sur un patin de bois ou de métal, horizontal ou légèrement recourbé au repos, solidement relié à l’axe central. Ce patin sera renforcé par des fers à nervures s’arc-boutant par le bas en pieds verticaux, d’une hauteur suffisante pour porter l’appareil au repos. La queue ou gouvernail sera formée d’un cadre métallique revêtu de toile. Elle sera mobile. autour d’un pivot fixé sur le patin.

Les approvisionnements et la chaudière seront posés sur un chariot, à l’état de charge mobile, que l’on pourra faire courir sur des rails, suivant que l’inclinaison de la marche l’exigera.

Quel que soit le mode préféré pour l’emploi de la vapeur, par mélange ou par tubes réchauffeurs, le principe de la marche restera le même. Elle sera déterminée par l’action d’une force verticale p, agissant de bas en haut ou de haut en bas, équilibrée pour deux résistances inégales, déterminées par la pression de l’air sur les différentes parties du ballon.

Négligeant toute action ou inclinaison particulière qu’on pourrait donner, au besoin, aux nageoires ou quilles latérales, je considérerai l’aérostat comme exerçant par sa propre masse deux poussées différentes, dont l’une à l’avant sera proportionnelle au maître couple vertical, l’autre en dessous, au maître couple horizontal, nageoires compris.

Telles sont les conditions dans lesquelles j’ai étudié la marche théorique de l’appareil, et, sans reproduire ici les détails de calcul, je me bornerai à poser les deux formules fondamentales ci-après :

[1] $$$ tan \beta = \frac{RS}{R'A sin^2(\alpha + \beta)}$$$

[2]$$$ V^2 = \frac{p \cdot sin \beta}{RS}$$$

En appelant :

A la surface du maître couple horizontal, nageoires comprises ;

S la section du maître couple vertical ;

R R’ deux coefficients empiriques qui, déduits de la discussion des coefficients analogues appliqués à la navigation maritime, me paraissent pouvoir être établis à

R = 0,013 δ R = 0,015

R’ = 10 R ;

δ étant la densité d’une couche aérienne quelconque, par rapport à la densité de l’air à la surface du sol prise pour unité ;

V la vitesse de translation suivant le plan incliné de la. marche ;

V’ cette même vitesse comptée horizontalement ;

α l’angle du plan incliné de la marche réelle de l’aérostat ;

β l’angle d’inclinaison du grand axe de l’aérostat ;

p la force motrice verticale ; la première formule nous donnera la valeur de β correspondant à toute valeur particulière de α β étant d’ailleurs astreint à rester plus petit que α.

Dans le cas particulier où je me suis placé, en admettant que l’aérostat ait une longueur quadruple de sa hauteur, les deux nageoires latérales étant égales chacune au maître couple vertical S si l’équation [1] nous donnerait α = 26°, comme la moindre inclinaison sous laquelle pourrait s’élever ou s’abaisser un aérostat du type adopté, quelle que fût d’ailleurs sa force verticale d’impulsion.

La valeur correspondante de β serait inférieure à 9°. Portée dans l’équation [2], celte valeur nous donnerait pour la, vitesse de déplacement V un chiffre très faible.

Quelque avantage que l’on puisse trouver à s’écarter le moins possible de l’horizontal, à aller au plus loin avec une même hauteur d’ascension de l’aérostat, il sera cependant avantageux, on le conçoit, d’augmenter dans une certaine limite la vitesse V.

Après une discussion analytique qu’il est inutile de reproduire ici, j’ai été amené à conclure que, en pratique, l’inclinaison de tang α = 0,70 correspondrait à

α = 35° β = 25° sin β = 0,42

serait la plus favorable à la marche.

III.

Pour faciliter la comparaison en ce qui concerne les conditions de marche d’aérostats de diamètre différent, j’ai cru devoir réunir les éléments du calcul dans deux tableaux distincts.

Le premier tableau indique les accroissements de volume et de puissance ascensionnelle d’un mètre cube de gaz hydrogène pris à zéro et surchauffé dans une enveloppe extensible par une injection de vapeur d’eau à des températures croissantes.

Dans le second tableau sont énumérées les dimensions respectives d’aérostats de diamètre différent et les vitesses respectives qu’ils acquerraient par un surchauffement de 40° par rapport à la température de l’air ambiant supposée à zéro au point de départ, l’aérostat se mouvant uniformément sous une inclinaison de 35°, les ailes inclinées à 25° avec une dérive de 10°.

Je ne crois pas indispensable de reproduire ici ces deux tableaux ; je me bornerai à en résumer les chiffres principaux ci-après :

Diamètre verticalVolume d’hydrogèneForce ascensionnellePoids ascensionnelVitesse
V V’
m kg kg m/s m/s
5 138 20 179 5,2 4,5
8 610 95 867 7,8 6,4
10 1376 201 1864 9,2 7,5
12 2170 321 2949 9,6 7,9
14 3667 513 4671 10,4 8,5
16 4800 710 6704 10,8 8,9
24 17360 2560 17660 13,8 11,0

Le volume d’hydrogène à zéro ne représente que les trois cinquièmes de la capacité totale du ballon. La force ascensionnelle p est comptée à moitié seulement du surcroît de poids d’air déplacé par le fait du surchauffement à 40°. Le poids ascensionnel ou charge totale que le ballon peut enlever est égal au poids de l’air déplacé à 0° augmenté de p.

A raison du mode particulier adopté pour sa construction, comportant des éléments métalliques, l’aérostat devrait avoir des dimensions assez grandes, Le diamètre vertical de 12 mètres, correspondant à une capacité totale de 3600 mètres cubes et à un volume d’hydrogène de 2170 mètres cubes, serait probablement un minimum au-dessous duquel il ne serait pas convenable de descendre. La vitesse horizontale serait de 7,9m. Elle atteindrait 11 mètres pour un aérostat de 24 mètres représentant un volume de 30 000 mètres cubes environ, capacité qu’il ne paraîtrait pas impossible d’atteindre dans les conditions de fabrication des aérostats. Le ballon captif de l’Exposition avait 25 000 mètres cubes, et M. Giffard ne considérait pas comme impossible de doubler ce chiffre.

Pour utiliser le mieux possible le combustible dépensé, on devrait naturellement s’élever à la plus grande hauteur qu’on pourrait atteindre sans danger. Admettons que ce soit 4200 mètres ; la force motrice dépendant du surchauffement devant rester constante, la vitesse croîtrait en raison inverse de la densité à mesure qu’on s’élèverait dans des régions soumises à une moindre pression.

L’augmentation serait de 22 % à l’altitude extrême, soit en moyenne un accroissement de 11 % dans la vitesse V’, qui serait respectivement portée de 7,9 m et 11 mètres à 8,8 m et 12,2 m pour des aérostats de 12 et de 24 mètres de hauteur verticale.

L’espace parcouru en distance horizontale par chaque bond de l’aérostat serait de 12 kilomètres ; la dépense en combustible calculée pour une production de vapeur de 165 et 1320 kilogrammes serait égale à 21 ou 168 kilogrammes de houille, soit une consommation de 1,75 kg à 14 kilogrammes par kilomètre de parcours.

Ce mode de locomotion faisant passer rapidement les voyageurs dans des régions d’altitude et de température très différentes ne laisserait pas que d’être très gênant. On m’objectera d’ailleurs qu’il ne parait pas présenter d’analogie frappante avec la locomotion des oiseaux et des poissons que nous ne voyons pas se mouvoir sous des angles de marche aussi prononcés. En fait cependant, sous ce dernier rapport, la différence est plus apparente que réelle. Elle provient surtout de ce que, maîtres de changer à volonté le sens de’ leur force motrice, ayant tout avantage à le faire fréquemment pour ne pas fatiguer trop longtemps les mêmes muscles, ces animaux : se meuvent très probablement par courtes ondulations, dont la ligne sinueuse peut paraître parfois se rapprocher plus ou moins de l’horizontale dans son ensemble, mais n’en reste pas moins composée d’une série de lignes brisées, de sens opposé, dont l’inclinaison ne doit pas s’écarter beaucoup des indications de la théorie.

On aurait très certainement avantage à se rapprocher de ce mode de mouvement dans la marche des aérostats, ce qui serait à peu près impossible avec le système de chauffage par mélange de vapeur tel que je l’ai admis jusqu’ici. Surchauffer le ballon et le laisser refroidir de lui-même à de fréquents intervalles serait une double opération qui occasionnerait très certainement une grande déperdition de combustible pour une force motrice très minime. Le même résultat pourra être atteint par des procédés beaucoup plus rapides et plus économiques en substituant l’action du gaz surchauffé à celle du mélange de vapeur. A cet effet, on devrait disposer dans l’intérieur de l’aérostat, de chaque côté de sa colonne centrale, dans le plan longitudinal, une double série de tubes creux : verticaux s’embranchant sur deux tuyaux principaux formant les côtés d’un triangle ou trapèze isocèle dont la base serait formée par l’axe creux de la cheminée centrale, dans laquelle ces tuyaux pourraient à volonté se dégager par une simple manœuvre du robinet. Lorsqu’on voudrait donner au ballon un mouvement ascensionnel, on n’aurait qu’à mettre les deux extrémités du réseau des tubes intérieurs en communication avec le haut et le bas de la chaudière. Le courant de vapeur, s’établissant de lui-même, réchaufferait très rapidement le gaz intérieur, et l’aérostat prendrait une marche ascendante qu’il conserverait plus ou moins longtemps en vertu de la puissance motrice qui lui aurait été imprimée.

Lorsqu’on voudrait redescendre, il faudrait accélérer le refroidissement du gaz, et ce résultat me paraîtrait pouvoir être obtenu en injectant dans les tubes un vigoureux courant d’air, qui pourrait être dérivé du mouvement même de l’aérostat par l’action d’une sorte de trompe, dont l’embouchure évasée en entonnoir serait opposée au sens de la marche. L’air refoulé dans la branche inférieure des tubes serait expulsé à travers la branche supérieure dans la cheminée centrale.

Cette disposition, très simple en théorie, n’aurait d’autre inconvénient que d’exiger une nouvelle charge métallique et, par suite, un aérostat de plus grandes dimensions. Essayons de nous rendre compte de ses effets en l’appliquant à un aérostat de 12 mètres de hauteur, bien que cette dimension soit peut-être trop faible pour la nouvelle sujétion de poids que nous venons de nous imposer.

La température de surchauffement paraissant pouvoir être portée à 50° sans altérer l’étoffe du ballon [1], la dilatation produirait une augmentation de volume de 22 %. La force motrice pour un cube initial de 2170 mètres cubes d’hydrogène serait égale à

p = 0,11 X 2170 X 1,20 kg = 308 kilogrammes.

Si nous reportons cette quantité dans la formule

$$$ V^2 = \frac{p \cdot sin \beta_1}{RS}$$$

dans laquelle sin β1 = 0,42 : R S = 1,47, nous en déduirons

V2=88, V=9,4 m, V’=7,7 m.

La vitesse en transport horizontal ne serait pas très différente de celle que nous avons obtenue par la méthode précédente. En revanche, la quantité de chaleur employée serait beaucoup moindre, réduite de 165 à 47 kilogrammes de vapeur d’eau, soit l’équivalent de 7 kilogrammes de houille au lieu de 21. La puissance ascensionnelle perçue par l’aérostat égale à 47 X 615 X 421, soit environ douze millions de kilogrammètres, serait encore supérieure à celle qui serait nécessaire pour élever la charge totale de 2949 kilogrammes à une altitude de 4300 mètres. En fait, bien entendu, une partie de cette énergie sera perdue par le frottement de marche et le refroidissement du ballon, au contact de l’air extérieur. Cette perte ne saurait être cependant de plus de moitié. Le ballon pourra donc s’élever avec une impulsion suffisante à une altitude de 2100 mètres correspondant pour les deux branches de l’ondulation à un parcours horizontal de 6 kilomètres avec une dépense en combustible qui n’irait guère à plus d’un kilogramme par kilomètre de parcours.

IV.

Je ne crois pas nécessaire d’entrer dans des détails techniques plus circonstanciés sur le mode de construction de l’aérostat pisciforme. Ce n’est plus là qu’une question de pratique professionnelle qui ne saurait laisser subsister le moindre doute pour ceux qui ont lu le dernier mémoire de M. Tissandier ou visité comme moi le bel établissement militaire de Meudon, et entendu les explications verbales de son habile directeur.

Il reste donc acquis de l’exposé qui précède que le problème de la navigation aérienne peut être considéré comme théoriquement résolu. On ne saurait, en effet, rien désirer de plus simple, de plus maniable, qu’un aérostat qui, dépourvu de tout appareil mécanique, autre qu’une chaudière, pourra se manœuvrer, s’élever ou s’abaisser à volonté par un simple jeu de robinet.

La certitude d’obtenir comme résultat, avec un aérostat d’une capacité de 2 à 3000 mètres cubes de gaz hydrogène, une vitesse horizontale de 7 à 8 mètres à la seconde, si avantageuse que soit en fait cette première solution, restera peut-être bien en dessous des vagues espérances que pouvait faire naître la navigation aérienne, de celle que j’avais conçue moi-même, je dois l’avouer, en augurant de la vitesse de mon poisson artificiel, d’après celle que les poissons naturels, beaucoup plus petits, peuvent prendre dans l’eau. Cette vitesse, indépendante de la densité du fluide, en admettant, ce qui est probable, que la force motrice constitue toujours une même fraction de volume du mobile, doit au contraire croître avec ce volume. L’expression de la formule théorique indique que cet accroissement doit être proportionnel à la racine carrée du rayon module.

Nous avons vu que la force motrice totale 2 p résultant de la latation de l’aérostat représentait 22 % de son poids. On ne saurait raisonnablement supposer que la contractilité de la vessie natatoire ou de tout autre organe analogue, dans le poisson naturel, puisse être supérieure à cette fraction. Nous sommes donc amenés à conclure que notre appareil de 12 mètres de hauteur et 48 mètres de longueur, marchant sous un angle convenable d’inclinaison, devrait avoir une vitesse au moins égale à celle d’un poisson naturel qui aurait 48 mètres de longueur. Je ne sais s’il a été fait quelque observation qui nous permettrait d’apprécier quelle peut être au juste la vitesse de la baleine, qui du reste ne parait avoir qu’un organe contractile assez incomplet et qu’on ne saurait citer comme un type d’animal bon nageur. Mais ce que nous savons, c’est que, non seulement le requin, mais le marsouin qui n’a pas 2 mètres de long accompagnent assez facilement des bateaux à vapeur doués d’une vitesse de 25 kilomètres à l’heure. Sur de telles bases, un poisson artificiel semblable, de 50 mètres de long, devrait acquérir une vitesse cinq fois plus grande, soit 125 kilomètres à l’heure. Si je ne suis arrivé qu’à un chiffre cinq fois plus faible, je ne saurais l’attribuer à l’expression de ma formule théorique qui mécaniquement est indiscutable. La différence doit provenir soit de ce que mon hypothèse sur le mode de locomotion des poissons par pression verticale n’est pas rigoureusement exacte, soit que les coefficients empiriques de résistance à l’air ont été pris beaucoup trop forts.

Au point de vue du mode de locomotion, j’ai sans doute trop généralisé, en admettant que le poisson ne se mouvait qu’en vertu de la variation de sa densité. En fait, sans doute, sa queue et peut-être parfois les nageoires peuvent être considérés comme des organes propulseurs ; mais l’origine de la force motrice que ces organes mettent en jeu n’en est pas moins celle que j’ai indiquée. La force motrice dont je puis disposer pour le poisson artificiel est colossale ; c’est là le point essentiel. Nous avons vu que, avec le mode de locomotion proposé, pour un ballon de dimension, en somme assez petite, d’une capacité de 2170 mètres cubes d’hydrogène, cette force pouvait produire un effort de traction de plus de quinze chevaux dans le sens de la marche. Mais si ce mode de locomotion par plan incliné a le mérite d’être le plus simple, rien n’implique la nécessité de l’admettre d’une manière exclusive. On pourrait parfaitement par un nouveau perfectionnement utiliser la force motrice à la mise en jeu d’organes de propulsion mieux appropriés à la marche horizontale. Sans vouloir entrer à ce sujet dans des détails trop étendus, on peut déjà concevoir qu’on pourrait régler l’entrée et la sortie de l’air dans les vessies natatoires de manière à déterminer un courant assez énergique pour mettre en jeu une hélice caudale qui aiderait à la marche horizontale.

Je ne crois pourtant pas qu’on doive uniquement attribuer l’infériorité des vitesses théoriques que m’indique le calcul à la défectuosité du mode de locomotion que j’ai proposé. Je serais assez porté à penser qu’elle peut provenir pour une assez forte part de l’exagération que j’ai commise dans les déterminations du coefficient de résistance à la marche de l’air ambiant, en assimilant l’aérostat à un de nos anciens vaisseaux de guerre, plutôt qu’à un bateau à vapeur moderne, pour lequel la résistance est quatre à cinq fois moindre. J’ai peut-être commis une autre inexactitude, en assimilant la résistance d’un corps en fuseau, entièrement plongé dans un fluide, à celle d’un corps flottant seulement à la surface de ce fluide. Dans ce dernier cas, le fluide rejeté contre les parois extérieures du navire, relevées verticalement, peut être une cause particulière de résistance qui ne se produit pas pour un corps immergé.

Mais si je ne puis garantir la complète vérification des chiffre s de vitesse déduits de mes formules, je ne crois pas qu’on puisse se refuser à les considérer comme des minima qui seront très probablement bientôt dépassés dans la pratique.

Telles qu’elles sont du reste, sans répondre entièrement tout ce que peut espérer l’imagination du vulgaire, ces vitesses n’en sont pas moins comparables à celles des trains ordinaires de chemins de fer, au moins égales à celle de nos bateaux à vapeur les plus rapides. Cela me paraîtrait déjà, comme résultat d’une première application, une solution assez avantageuse du problème de la navigation aérienne, pour que je puisse hésiter à la produire, sans trop m’inquiéter de l’accueil qui pourra lui être fait. A cet égard le passé m’a appris à ne plus me faire d’illusions. Quand je vois le peu de chemin parcouru pendant vingt ans par l’idée si simple, si pratique, si féconde, de l’alluvion artificielle, je ne saurais me flatter que celle du poisson aérien aura un succès beaucoup plus immédiat, sans vouloir établir aucune comparaison entre les deux choses, au point de vue de leur utilité réellement pratique.

Quelle que soit, du reste, ma confiance personnelle dans les nouveaux principes d’aérostation que je viens d’exposer, elle ne saurait aller jusqu’à demander qu’on passe immédiatement à leur réalisation pratique sans expériences préalables. Ces expériences seraient d’ailleurs des plus simples. Il suffirait de constater par des essais en petit jusqu’à quelle limite on peut sans danger surchauffer par de la vapeur d’eau le gaz d’un aérostat et jusqu’à quel point on peut élever par ce procédé une surcharge de poids ascendant qui agirait d’elle-même en sens inverse à la descente. On pourrait opérer de prime abord sur des aérostats de faible dimension, qui, convenablement lestés et orientés, seraient livrés à eux-mêmes. C’est seulement lorsqu’on aurait ainsi vérifié l’amplitude de l’oscillation parcourue qu’on pourrait, avec toute certitude de succès, confectionner un aérostat de dimensions suffisantes pour emporter avec lui sa chaudière motrice, monté par des aéronautes exercés qui ne tarderaient pas à acquérir l’habitude nécessaire pour le diriger et le faire évoluer à volonté dans l’atmosphère.

Duponchel

[1M. le capitaine Renard, directeur de l’établissement des aérostats militaires de Meudon, a plusieurs fois constaté de pareilles différences de température entre le gaz intérieur d’un ballon et l’air ambiant.

Revenir en haut