Exposition universelle de 1900. (projets d’ensemble)

Jeudi 11 octobre 2012

Plusieurs centaines d’architectes, ingénieurs, maitres maçons et un certain nombre de simples toqués avaient manifesté l’intention de prendre part au concours ouvert pour le plan de l’Exposition de 1900. Sur les 664 inscrits, 108 seulement ont tenu parole au jour fixé. Cela formait encore un ensemble majestueux de châssis, chaque projet comportant sept ou huit dessins. C’est dans ce chaos que le jury spécial a eu à choisir les dix-huit lauréats auxquels ont été affectés les quatre séries de primes à décerner et qui variaient de 6,000 à 1,000 francs. Certes on ne lui reprochera pas d’avoir manqué d’éclectisme ; il a octroyé ses palmes aux plans les plus opposés, se bornant à exclure ceux qui étaient par trop rétrospectifs, ou par trop incohérents.

Quantité d’artistes, inspirés par le succès de la reconstitution du vieil Anvers, avaient projeté de nous exhumer en 1900 la France défunte dans tous ses détails. Assurément l’évocation du passé a son charme et l’histoire peinte et sculptée son attrait. Mais il est difficile d’en faire le motif principal d’une Exposition universelle dont la véritable raison d’être consiste à glorifier le présent, et à faire deviner l’avenir. S’il ne s’agissait que de déballer nos musées et d’assortir les collections de Cluny aux poupées de cire du musée Grévin, pas ne serait besoin de remuer tant de terre au Champ-de-Mars et de convier tous les peuples du monde à cette fête plutôt intime.

Le jury s’est montré sévère aussi pour les projets bizarres dont la malheureuse tour Eiffel faisait les principaux frais. Et Dieu sait pourtant si l’imagination s’était exercée autour d’elle ! Comme l’a écrit un de nos confrères, on avait fait du clou célèbre le support de sphères gigantesques, le piédestal de statues formidables. Elle était devenue éléphant, colonne triomphale ; elle empalait des groupes de sculpture, servait de pile de pont ; elle était entourée d’un lac où trempaient ses quatre pattes et où devaient se livrer des naumachies terribles ; enfin un amateur en faisait tout bonnement le support d’une gigantesque lunette.

Par contre, les juges furent cléments à ceux qui multiplièrent les dômes dans leurs projets. Un concurrent évincé résumait son dépit en ces mots : « L’école de l’œuf à la coque triomphe ! »

Ce mécontent se presse trop de conclure. L’administration, en allouant ses prix, ne s’engage aucunement à exécuter tout ou partie des travaux récompensés. Elle en achète simplement l’idée à leurs auteurs, se réservant le droit de glaner de-ci ou de-là, si bon lui semble.

Voici, sous ces réserves, les noms des lauréats :

  • Les trois primes de 6,000 francs ont été adjugées par ordre alphabétique à MM. Girault (n° 73) ; E. Hénard (n° 49) ; Paulin (n° 107).
  • Les quatre primes de 4,000 francs à MM. Cassien-Bernard et Cousin ; Gautier, Larche et Nachon ; Raulin.
  • Les cinq primes de 2,000 francs à MM. Blavette, Esquié, Sortais, Toudoire et Pradelle, Trochet et Rey.
  • Enfin les six primes de 1,000 francs sont allouées à MM. Bonnier, Hermant, Louvet, Masson-Détourbet, Mervès, Thomas.

Le projet de M. Girault a été très remarqué du public. Il interprète le programme qui, on le sait, permettait aux concurrents de faire table rase de tous les vestiges des Expositions antérieures, Trocadéro excepté, ou bien de les conserver s’il le jugeait préférable, en utilisant ces legs du siècle. M. Girault place la plupart de ses monuments en façade sur la Seine. Le coup d’œil du nouveau pont de l’Esplanade serait incomparable, avec cette succession de palais sur les deux rives du fleuve. Le Palais de l’Industrie est modifié par l’adjonction d’un vaste dôme avec une entrée monumentale sur le fleuve. La tour Eiffel n’est pas touchée, mais tout l’espace contenu entre ses quatre piliers et sa plate-forme est utilisé pour l’exposition horticole dont le palais se prolonge de chaque côté de la tour, parallèlement aux rives du quai. Cette construction, toute en fer et en verre, est très légère et n’enlève rien au caractère de la tour. On a remarqué aussi dans le projet de M. Girault la très belle colonne lumineuse qu’il érige près de la place de la Concorde, à l’entrée principale de l’Exposition.

M. Hënard, au contraire, n’hésite pas à sacrifier les édifices anciens ou à les transformer radicalement quand il ne les jette point par terre.

Il supprime le Palais de l’Industrie et trace dans la prolongation de l’avenue des Invalides une large voie qui vient se jeter dans l’avenue des Champs-Élysées. De chaque côté de cette nouvelle avenue, avec façade sur les Champs-Élysées, il élève deux palais, l’un du côté de l’avenue d’Antin, consacré aux beaux-arts, et qui, après la clôture de l’Exposition, servirait aux Salons annuels de peinture, et l’autre affecté aux sciences et aux lettres. Il jette sur la Seine un pont triomphal, au milieu duquel se dresse la statue de la France : sur chaque berge, l’eau tombe en cascade du pont. Le palais de l’Électricité se trouve à l’esplanade des Invalides, et devant Je quai d’Orsay est installée une exposition flottante. M. Hénard assure les communications entre l’Esplanade et le Champ-de-Mars par l’établissement, sur la berge, d’un train continu portant une plate-forme mobile et constituant un moyen de transport permanent à grand débit. La vitesse est calculée de façon qu’on puisse y monter quand il est en marche. Au Champ-de-Mars, M. Hénard démolit la galerie de 30 mètres et le dôme central ; il modifie l’aspect de la galerie des Machines en élevant au centre une coupole de 100 mètres de diamètre. Quant à la tour Eiffel, elle est rendue quasi méconnaissable par l’adjonction d’un grand beffroi à son troisième étage. Non loin de là se dresserait le palais des Illusions composé d’une grande salle hexagonale à parois réfléchissantes, multipliant les effets d’éclairage. Ce palais serait entouré de cinq panoramas-dioramas, représentant les phénomènes les plus curieux ou les sites les plus pittoresques du globe, tandis que dans le sous-sol seraient reconstituées exactement les grottes les plus célèbres.

M. Paulin, qui clôt la première série des lauréats, a donné ses meilleurs soins à l’exposition coloniale du Trocadéro et à une ville flottante, chinoise et japonaise, le long du quai Debilly. Il est de ceux qui se sont efforcés de conserver le plus possible des choses existantes en les transformant.

Le projet Cassien-Bernard est un des plus hardis. On trouvera peut-être excessive son idée de nacelle glissant sur les câbles d’acier et conduisant les voyageurs de la première plate-forme de la tour Eiffel, par-dessus la Seine au Trocadéro, mais son palais de cristal pour l’électricité, son pont monumental et surtout sa reconstitution sur le cours la Reine des fêtes populaires, depuis le XIIIe siècle jusqu’à nos jours, séduiront beaucoup Je monde. C’est lui aussi qui propose de restituer le boulevard du Crime et son enfilade de théâtres comme spécimen du vieux Paris.

M. Gautier est aussi un intrépide démolisseur. Il anéantit le palais de l’Industrie, bâtit des arènes immenses devant les Invalides, et à la place du dôme central construit le palais du Siècle haut de 240 mètres et comprenant douze étages. Au premier seraient reconstitués des cafés, des restaurants célèbres. Le deuxième serait affecté à des salles de conférences, à des réunions de Congrès. Les dix autres étages correspondraient aux dix décades du siècle. Enfoncés les Américains !

MM. Larche et Wachon suppriment la tour Eiffel et la remplacent par un monument commémoratif du XXe siècle. Le clou de leur projet est, sur le pont de l’esplanade des Invalides, un palais aérien sphérique consacré à l’électricité et soutenu par quatre immenses fermes.

Les plans de M. Blavette ne visent point à la singularité, mais paraissent d’une exécution sensiblement plus facile que ceux de la plupart des autres concurrents, bien qu’il supprime, lui aussi, la tour Eiffel. Signalons son palais principal du Champ-de-Mars avec façade sur la Seine, et la forme particulière de son pont sur la Seine qui donnera l’impression de la carène d’un grand navire ancré dans le fleuve.

MM. Trochet et Rey, qui avaient concouru sous le pseudonyme collectif de Bouboule, ont également consacré leurs plus grands soins au dessin du fameux pont.

MM. Toudoire et Pradelle démolissent le palais de l’Industrie, créent une grande avenue des Invalides aux Champs-Élysées et l’ornent d’un vaste palais polygonal. Ce sont eux qui transforment en bassins pour exposition fluviale les jardins du Trocadéro.

MM. Thomas et de Tavernier réunissent par des terrasses le palais des Beaux-Arts et des Arts-Libéraux, surmontent d’un monument le pont de l’Esplanade, modifient le palais de l’Industrie et suppriment la galerie des Machines. Enfin, M. Hermant fait sur le même pont des Invalides son palais principal et agrémente son plan d’un projet de grotte lumineuse très curieux.

On ne peut méconnaitre que tous les travaux primés se distinguent au moins par d’excellents détails. Il y a dans tous quelque chose à prendre, et en définitive l’administration parait sage qui s’est réservé la faculté de butiner à son aise parmi tant d’œuvres consciencieuses.

Espérons qu’elle ne faillira pas à la seconde partie de sa tâche, et qu’elle saura maintenant coordonner ces éléments pour la plus grande joie de nos yeux et le plus grand honneur de la France.

Guy Tomel

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