Le difficile pour réussir dans la vie est de bien choisir le métier qui vous convient

Sciences et Voyages N°285 — 12 février 1925
Mercredi 28 décembre 2011 — Dernier ajout dimanche 24 mars 2024

Sciences et Voyages N°285 — 12 février 1925

« La chose la plus importante, c’est le choix d’un métier : le hasard en dispose » (Pascal). Cette pensée de l’illustre écrivain résume parfaitement dans sa brièveté cette question, si troublante pour l’adolescent ou l’adulte, du choix d’un métier approprié, non seulement à ses goûts, mais aussi à ses capacités. Quelques exemples nous montreront la gravité de cette situation.

D’une enquête faite à Barcelone, il résulte que, sur 100 enfants, le choix du métier est dû, dans 40 cas, à l’inclination propre de l’enfant, dans 20 aux conseils de la famille ou du maître, dans 20 également par tentation du métier qu’exerçait un ami ou un membre de la famille, dans 9 pour obtenir un gain immédiat ; dans 5 intervint le hasard ou l’irréflexion ; dans 4 l’intention de se servir du travail acquis pour un autre office, enfin dans 2 parce que le métier était considéré comme d’un bon avenir. Par conséquent, dans 47 % seulement des cas, le choix était dû à un motif professionnel.

Un auteur français, Mauvezin, spécialiste de ces questions, déclare que un quart des enfants demandent un métier qui leur convient ; la moitié, un qui ne leur convient pas, le dernier quart étant indécis sur le choix du métier.

Le Dr Legendre, s’étant demandé pourquoi des jeunes gens s’étaient orientés vers les études médicales, cite, parmi d’autres faits étonnants, ces deux exemples : un étudiant s’était décidé parce que, depuis toujours, son arrondissement natal avait été représenté au Parlement par un membre de sa famille ; un jeune homme belge était sur le point d’entrer au séminaire lorsqu’un étudiant en médecine l’arrête, l’entraîne à la brasserie, lui propose de l’accompagner à l’Université enlève son consentement et le fait inscrire à la Faculté ! Enfin, nous connaissons le cas d’une jeune fille qui fut sauvée, dans son jeune âge, du croup grâce à des soins éclairés ; par reconnaissance, son père décida que, plus tard, sa fille serait médecin et, vingt ans plus tard, la jeune fille réalisait le vœu de son père.

Or il n’est nullement indifférent de laisser le hasard présider au choix d’une carrière. Cette décision peut être funeste pour l’individu lui-même, pour les siens, pour la société en général. Ne se livrant pas à un travail qui convient à ses goûts réels ou à ses capacités tant physiques qu’intellectuelles, le travailleur voit peu à peu sa santé s’altérer, son ardeur au travail s’amoindrir, d’où diminution du rendement professionnel, frais occasionnés par les soins de maladie ou les pensions, danger d’accidents mortels.

Le problème à résoudre comprend deux côtés : la sélection et l’orientation professionnelle. Dans la sélection professionnelle, en présence d’un métier donné, il s’agit de trouver les ouvriers (ce terme étant pris dans son sens le plus large) qui lui conviennent le mieux (exemple d’un directeur d’usine demandant au spécialiste de lui désigner, parmi son personnel, ceux qui seront les plus aptes à remplir une besogne donnée). Pour l’orientation professionnelle, les termes du problème sont renversés : un jeune homme étant donné, quel métier lui conseiller ? Ici, le problème est double : il y a un côté purement négatif, écarter l’enfant des professions qui ne conviendraient pas à ses aptitudes ; et un autre positif, lui désigner le métier auquel il est apte.

Sélection professionnelle

The right man in the right place. Quelques exemples feront saisir l’implacable nécessité de cette formule.

Les compagnies d’assurances américaines, émues du nombre considérable d’accidents de tramway, qui grevaient lourdement leur budget, décidèrent de faire subir un examen aux conducteurs. Après élimination des sujets non compétents, le nombre des accidents diminua dans des proportions considérables.

Pendant la guerre, l’armée belge fit faire une statistique sur le nombre des accidents d’aviation ; il fut établi que sur 100 accidents mortels, 2 % étaient dus à la faute de l’observateur, 18% à une défectuosité de l’appareil, et 80% à la faute du pilote. Après examen des aviateurs et des candidats à ce poste, le nombre d’accidents imputables au pilote tomba à 20% ! Inutile d’insister sur les heureuses conséquences, tant au point de vue économie de vies humaines qu’à celui purement pécuniaire, de cette amélioration.

Le directeur d’une usine de billes déplorait le faible rendement de ses ouvrières. Un examen de celles-ci par un spécialiste montra que, malgré la simplicité apparente du triage des billes, cet emploi ne convenait pas à toutes ; après élimination des non-compétentes, le rendement s’accrut dans de fortes proportions.

Chacun connaît la triste histoire de Crainquebille, le marchand de quatre-saisons qui fut jeté en prison parce que l’agent 64 croyait entendre chacun l’insulter du rituel : « Mort aux vaches ! ». Une telle aventure ne se produirait certes pas à Stuttgart, en Allemagne, où l’on fait subir aux candidats au poste de sergent de ville cet examen : raconter le plus exactement et le plus complètement possible un fait auquel ils ont assisté.

Décrivons maintenant l’examen institué pour la sélection professionnelle.

Examen médical :

Il comprend un examen anthropométrique (poids, périmètre thoracique … ), une étude de l’appareil respiratoire : auscultation, examen aux rayons X, prise de la capacité pulmonaire, ou quantité d’air maximum que l’on peut chasser, en un expiration, de la poitrine ; de la tenue respiratoire, ou temps maximum pendant lequel, après une forte expiration, on peut rester sans respirer ; un examen de l’appareil circulatoire (prise du pouls et de la tension artérielle, au repos et après un effort) ; un examen de l’oreille (l’audition est-elle fine ?) ; un de l’œil, de toute importance : dans certaines professions, le port de verres correcteurs d’une anomalie visuelle, comme myopie, astigmatisme, ne peut être admis : conducteurs de locomotive, industries où se dégage de la buée ; dans telles autres, où il faut constamment reconnaître des signaux lumineux, la confusion de couleurs, comme le rouge et le vert (daltonisme), peut avoir des conséquences terribles : pilotes de navires, conducteurs de locomotive ; certains métiers demandent une vision aussi bonne en plein jour que sous un faible éclairage, ce qui peut manquer à certains individus : gardes de nuit, agents de police ; d’autres, enfin, réclament une appréciation parfaite du relief, de la distance des objets aviateurs, architectes. Accessoirement, on étudiera le nez (acuité olfactive nécessaire à un parfumeur ) , le goût (alimentation), la présence de certaines tares pouvant gêner l’accomplissement de tel métier (mains moites chez un futur électricien pouvant favoriser son électrocution, hernie pour un manœuvre).

Examen mental :

Cet examen se rapprochant beaucoup de celui employé pour l’orientation professionnelle, il serait oiseux de le détailler ici. Naturellement, les épreuves imposées au sujet seront, non plus celles adaptées à un enfant, mais à un adulte ou un homme.

Rappelons seulement qu’il existe toujours des « impondérables », des facteurs moraux qui se « sentent » plutôt qu’ils ne se mesurent. Un individu peut avoir toutes les qualités pour être vendeur dans un grand magasin ; mais s’il est d’un physique pénible, d’un caractère désagréable, il ne plaira point à la clientèle. Autre exemple : de deux jeunes filles aspirant au poste de sténo-dactylo, l’une satisfait pleinement à l’examen préalable ; l’autre échoue piteusement ; et pourtant c’est la seconde qui fera une bonne employée ; n’étant pas frivole comme sa concurrente, ne délaissant pas son travail pour la danse ou le cinéma, elle compense, par son travail acharné et son application à bien faire, les lacunes qui l’avaient fait échouer et, somme toute, son rendement est satisfaisant.

Un dernier exemple : quelles peuvent être les qualités requises pour faire un bon conducteur d’auto ? Il faut surtout une vue parfaite, permettant de distinguer facilement des objets peu éclairés et de ne pas être ébloui par le passage brusque de l’obscurité dans la lumière, et vice versa ; au point de vue intellectuel, sont requises : « lucidité, rapidité de décision, précision, vitesse de réaction » (Piéron). Voici, en effet, une femme qui s’arrête tout à coup, au beau milieu de la route, à 50 mètres de l’auto lancée à toute vitesse. Instantanément, le conducteur devra prendre une décision : freiner, passer devant ou derrière, et, aussitôt, la mettre à exécution.

Orientation professionnelle

Celle-ci doit jouer au moment du choix d’une carrière, lorsque le jeune homme de treize à quinze ans, ses études terminées, hésite sur la décision à prendre.

D’abord, intervient un facteur purement social. Il serait fou d’orienter une jeune homme vers une profession, en eût-il toutes les capacités requises, si celle-ci est encombrée à l’extrême et si on n’y prévoit d’ici très longtemps des places libres. Ceci tombe sous le sens.

Nous ne reviendrons pas sur l’examen médical précédemment détaillé et décrirons maintenant l’examen psychologique, qui est basé sur la méthode des tests.

Qu’est-ce qu’un test ? Ce sont des épreuves qui veulent déterminer le caractère intellectuel ou physique d’un individu donné, pour savoir s’il est apte à telle ou telle profession, dans l’avenir. On veut connaître, non pas son degré d’instruction, mais l’intelligence générale de l’enfant, celle qui lui permettra de s’adapter au milieu où il se trouvera (Binet).

Pour déterminer un test, on soumet à une épreuve donnée le plus grand nombre possible d’enfants normaux et, d’après la moyenne obtenue, on peut ensuite, en l’appliquant à un enfant inconnu, déterminer ses aptitudes. Ainsi, le fait de distinguer le matin du soir est un test de six ans, parce que 50% des bambins de cet âge y répondent sans erreur, tandis qu’à cinq ans ce nombre n’est qu’une minorité et à sept ans presque l’unanimité (Borremans).

À côté des tests d’âge, se placent les tests d’aptitude : nous voulons savoir quelle est la vitesse d’écriture pour un âge donné. Prenons 100 enfants de onze ans par exemple. Faisons-leur écrire le plus vite possible pendant une minute une phrase donnée, et comptons ensuite le nombre de lettres écrites pendant ce laps de temps. Le chiffre minimum est de 45 lettres, le chiffre maximum de 165 ; la rapidité moyenne est donc d’environ 100, correspondant au cinquantième enfant, si les 100 enfants étaient rangés par ordre de mérite.

Quelques exemples de tests feront mieux saisir cette méthode.

1° Pour éprouver l’ingéniosité : comment feriez-vous pour rapporter d’une rivière 7 L d’eau avec deux récipients, un de 3 L et un de 5 L ? - Remplir celui de 5 ; verser dans celui de 3 jusqu’à remplissage, il reste 5 - 3 : 2L ; vider le récipient de 3 L et y verser ces 2 L et remplir complètement celui de 5 L ; 5 + 2 = 7.

2° Problèmes d’absurdité : trouver le non-sens d’une phrase. Ex. : hier, la police a retrouvé le corps d’une jeune fille coupée en 18 morceaux. On craint un suicide. — Il y a eu hier un accident de chemin de fer, mais ce n’est pas grave ; 47 personnes seulement ont été tuées. — Il est regrettable que le soleil soit caché la nuit, car c’est justement à ce moment qu’il serait le plus utile. — Les personnes qui se lavent sont sales, car si elles n’étaient pas sales, elles n’auraient pas besoin de se laver etc.

3° Présenter à l’enfant des images, dont une représente le début d’une anecdote et l’autre la fin (on voit, par exemple, sur la première, un enfant qui va frapper un chien, et sur l’autre, le garçon, sa culotte déchirée, en train de pleurer) et l’enfant doit reconstituer ce qui s’est passé (ici, il doit trouver que le garçon a frappé le chien et qu’il a été mordu).

4° Jugement du sens moral : faire classer par ordre de gravité des actes de mensonge, de cruauté, de vol (ex. : voler un crayon dans .la classe, à un camarade ; le ramasser dans la rue ; ouvrir le pupitre d’un camarade pour le lui prendre, etc … ) ; ou bien, faire l’épreuve du partage : donner à l’enfant des pastilles de chocolat à partager entre lui et ses camarades, en nombre tel que ou il en manque ou il en ait de trop ; on verra si le sujet, dans le premier cas, en donnera des siennes et, dans le second, s’il gardera pour lui l’excédent.

Comme application pratique d’un test, voici comment sont systématiquement examinés tous les petits strasbourgeois de quatorze ans. On pratique d’abord une sélection d’après les goûts de l’enfant, ses connaissances scolaires et extra-scolaires, ses aptitudes … Alors, le directeur du cabinet d’orientation professionnelle l’examine. Voici un aspirant au poste d’employé de bureau : a) dans une suite de mots composés les uns à la suite des autres, dans n’importe quel ordre, on lui demande de barrer tous les a. On juge si son pouvoir d’attention est durable ou fugace ; b) calcul : on lui fait exécuter une dizaine d’opérations, qu’il doit réussir dans le minimum de temps ; c) épreuve du bottin : chercher l’adresse de monsieur X ; le nom et l’adresse de monsieur Z dans la liste des professions ; trouver le nom allemand d’une rue. Certains enfants font ces épreuves en 44 secondes, d’autres demandent 6 minutes, certains enfin abandonnent ; d) orthographe ; e) mémoire des noms.

L’expérience a confirmé la valeur de ces tests : lorsque l’Amérique entra en guerre, les bureaux militaires, devant ces centaines de mille de civils mobilisés, durent choisir ceux qui feraient de bons officiers et sous-officiers et pouvoir les nommer après un court stage spécial, sans leur avoir fait perdre leur temps (time is money) par un service de simple soldat. On examina près de 2 millions d’hommes par la méthode des tests ; on leur posa une liste uniforme de questions avec, en face de chacune, une série de réponses, bonnes et fausses ; le sujet n’avait qu’à souligner celle qui lui convenait. Chaque réponse correcte équivalait à un point et, pour être nommé à telle fonction, il fallait réunir un nombre donné de points.

On voit donc l’importance du choix d’un « bon métier », Il est de toute importance d’orienter un individu vers la carrière qui lui convient et de le détourner de celle à laquelle il serait inapte. Santé, fortune, bonheur, telles seront les récompenses de celui qui, assez tôt, aura su, suivant l’expression anglaise, frapper sur le juste clou.

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