Les Scolotes

Rémy Saint-Loup, la Revue Scientifique - 16 Juin 1892
Lundi 5 décembre 2011 — Dernier ajout vendredi 11 mai 2018

La préhistoire, pour rassembler un certain nombre de documents et de vestiges du même ordre, admet une succession d’époques caractérisées, et distingue, par exemple, l’âge de la pierre et l’âge des métaux. Elle place ces âges au delà des temps de l’histoire, parce qu’elle ne peut, dans le classement des notions, tenir compte du synchronisme des faits. Cette nécessité pédagogique du classement en périodes étagées entraîne la dispersion d’une idée fausse, elle fait supposer une période historique universelle succédant pour l’humanité aux états primitifs sauvages tandis qu’en réalité le préhistorique persiste, en même temps, sur le globe.

L’âge de la pierre taillée ou plutôt l’usage de la pierre taillée n’est pas encore éteint de nos jours ; mais entre les peuples assez peu doués pour rester enfermés à ce niveau primitif et ceux qui acquirent un état de civilisation assez avancé pour faire naître l’inscription des actes humains, d’autres peuples ont existé qui présentaient des aptitudes intermédiaires. Ces sauvages ont été connus des premiers civilisés dès que ceux-ci ont regardé autour d’eux et se sont avancés dans des domaines nouveaux. Si nous suivons le groupe de civilisés détaché de l’Orient et qui envahit le bassin de la Méditerranée, nous rencontrons avec lui les sauvages de l’Europe, et l’histoire grecque enregistre assez de faits pour qu’il soit possible de connaître leurs mœurs et de deviner leur race.

Ces sauvages doivent occuper en ethnologie une place considérable ; ils représentent un état d’évolution qui pourrait être appelé l’âge du cuir, en raison de l’importance d’une industrie élémentaire qui est chez eux des plus caractéristiques ; ils semblent, d’autre part, établir un lien entre les sauvages Peaux-Rouges de l’Amérique et la race mongole, sous la forme ancestrale d’un groupe qui s’est fondu dans la masse Indo-germanique.

Aussi, loin qu’il soit possible de retrouver ces sauvages, ils sont désignés sous le nom de Scolotes. Scolote signifie « qui dépouille un ennemi, qui arrache la peau de l’ennemi ou de la victime tués ». En examinant les mœurs des peuples issus des Scolotes, on peut se convaincre de l’exactitude de cette interprétation ; on retrouve, en première ligne, l’habitude de scalper, celle d’utiliser, pour de nombreux usages, la dépouille des vaincus, de travailler le cuir, qu’il provienne d’animaux abattus ou d’hommes faits prisonniers ou tués dans les combats.

L’art de scalper ou d’écorcher n’était pas pratiqué sans méthode ; pour détacher d’un crâne le cuir chevelu, une incision circulaire passait au-dessus des oreilles, la peau était relevée, puis arrachée par secousses. Une fois la pièce bien mégissée, le Scolote la froisse, la tire entre les mains, puis, lorsqu’elle est parfaitement assouplie et blanchie, il la pend avec orgueil aux rênes de son cheval.

La peau du corps humain ne restait pas sans emploi ; après quelques préparatifs, elle servait à recouvrir les carquois ou à confectionner des harnachements et des selles pour les chevaux. Cette manière d’habiller les chevaux mérite d’être notée, comme nous le verrons plus loin.

Le crâne humain était aussi un objet précieux parmi ces sauvages. Une fois vidé et ornementé avec un luxe qui dépendait de l’importance du destinataire, le crâne se transformait en une élégante coupe à boire que les Grecs appelaient σκυϕoς ou σκυθoς. De ce nom à celui de σκυθνς, qui signifie Scythe, il n’y a pas loin, et l’on peut admettre que les Grecs désignaient sous le nom de Scythes quelques-uns des sauvages scolotes qu’ils avaient pu rencontrer dans leurs voyages d’exploration. La confection des vases à boire avait certainement attiré très vivement l’attention des explorateurs assez heureux pour ne pas servir eux-mêmes de matière première, et le nom des Scythes ne dut pas manquer de célébrité.

Les sauvages scolotes ont pu être rencontrés en bien des points du littoral nord de la Méditerranée. Habiles cavaliers, nomades errant de pâturages en pâturages, ils allaient avec leurs chariots des plaines de l’Allemagne aux montagnes de l’Oural, de la Russie du Nord aux bords de l’Adriatique, du Finistère au Thibet. Les chariots, leur maison avaient chez eux la même importance que chez les Peaux-Rouges nomades ; ils subsistent encore perfectionnés, modernisés, chez les bandes bohémiennes qui les ont donnés aux saltimbanques.

Dans leurs territoires immenses, les hordes scolotes s’épanouissaient ; les tribus qui rencontraient un sol plus fertile, un site giboyeux, s’arrêtaient, et la grande caravane s’égrenait ainsi dans sa course, puis revenait diminuée ou plus nombreuse quelques années après. Mais si l’absence avait été longue, les frères n’étaient plus reconnus, la guerre pour la possession des pâturages ou des troupeaux s’allumait, et de nouveaux matériaux pouvaient être récoltés pour remplacer les harnachements usés ou les coupes fêlées.

Au commencement de notre ère, les Scythes ne sont plus, en effet, une seule cohue homogène. Les tribus détachées de la masse pendant les premières invasions sur le sol désert de l’Europe ne portent plus le nom de Scolotes, Les unes sont Daces, Saces ou Thraces ; les autres Gètes, Thyssagètes ou Massagètes ; d’autres portent le nom de Scythes ; mais il faut distinguer les Scythes nomades de ceux qui ont pris racine sur le littoral de la Caspienne, qui ont cultivé la terre, bâti des villes et choisi des rois.

Peu à peu, le champ libre aux nomades s’est rétréci, il est très vaste encore ; c’est en Europe la Russie du Sud, en Asie les déserts qui sont à l’est de l’Oural.

Dans cette Asie centrale se formeront les hordes tartares, qui plus tard reviendront envahir les terres d’Europe, et dont l’influence sur le type caspien sera gardée à travers les siècles.

Quand l’histoire grecque enregistre les actes des Scythes, elle ne comprend qu’une petite partie des populations sauvages qui s’étendaient encore sans contact avec le monde civilisé sur toutes les parties habitables de l’Europe ; elle ne peut deviner la parenté des Celtes et des Scythes, elle n’a pas eu l’audace de soupçonner que la ressemblance des mœurs des sauvages de Bretagne ou d’Espagne avec ceux des sauvages du Danube peut s’expliquer par la communauté d’origine. Elle ne sait rien des contrées scandinaves, ni de la souche de ces peuples du Nord qui, au Xe siècle, seront conduits par les Vikings, chantés par les Scaldes et laisseront comme monuments les Sagas islandais. Elle démêle seulement les origines scythiques, chez les peuples de noms différents, s’ils occupent les territoires voisins des fleuves du Pont.

Avant de présenter les arguments qui permettent de soutenir la thèse d’une occupation primitive de toute l’Europe par les hordes scolotes et d’admettre, par suite, toutes les races du littoral européen de la Méditerranée comme le résultat des combinaisons des races scolotes et des races coloniales grecques ou étrusques, il faut étudier les Scythes proprement dits qui sont, eux, le résultat indiscutable d’un pareil mélange.

Les Scythes font à Mars (Aρνς) des sacrifices de chevaux ; ils immolent d’autres animaux à Tabiti, à Papée, à Apia. Homère les appelait des Hippémologues et, avec un enthousiasme poétique que Strabon n’a su pardonner, les désignait comme les plus justes des hommes, occupés seulement à faire du fromage avec le lait de leurs juments (galactophages).

La fourberie des Scythes est légendaire ; elle appartient aussi à tel point aux descendants des Scolotes du Nord que leur histoire les montre comme les moins scrupuleux des diplomates. Il est cependant certain que les peuples sauvages ont souvent des idées de justice et de droiture qui n’appartiennent plus aux peuples commerçants. Strabon avoue, sans y prendre garde, que les Scythes ont appris l’astuce et la fourberie au contact des marchands grecs.

Fourbes ou honnêtes, les Scythes méritèrent vraiment l’épithète de galactophages ; l’industrie de la fabrication du fromage fut chez eux d’une grande importance, et ici l’utilisation du cuir reparait, car des sacs de cuir sont employés pour faire cailler le lait et d’autres pour le faire fermenter. A ces époques lointaines, comme de nos jours chez les habitants de l’Oural, le secret de la fabrication d’une boisson de lait fermenté était connu, et cette boisson était préparée et transportée dans des outres.

Chez les tribus sédentaires, la civilisation ne s’élevait pas toujours jusqu’à entraîner la construction des villes et l’établissement d’un gouvernement royal. Un campement ; limité par de fortes palissades faites de pieux reliés entre eux, marquait la place du stationnement de la tribu, et les archéologues ont pu retrouver de nos jours les restes de quelques-unes de ces murailles de bois.

Les groupes nomades passaient avec leurs chariots et souvent sans doute entraient en lutte avec les groupes parqués.

Les femmes scolotes ne prenaient part ni aux combats livrés à l’improviste, ni aux expéditions guerrières lointaines. Elles restaient au camp, chargées de la garde des prisonniers et de celle des enfants du sexe féminin.

Cet usage ne fut pas sans conséquences au point de vue ethnologique. Les femmes durent quelquefois s’armer pour défendre le camp en l’absence des hommes de leur tribu, et la défaite était suivie d’enlèvements. Les plus guerriers des Scythes avaient pris l’habitude de ne rentrer au camp que très rarement, et les femmes apprirent ainsi à s’attribuer assez d’indépendance pour fonder des races nouvelles n’ayant plus les caractères de la race scolote, Le fait a son importance à divers chefs : il nous éclaire d’abord sur l’uniformité des mœurs de cette époque et, par suite, sur l’unité ethnique des peuples de l’Europe, en permettant la comparaison avec des faits identiques qui ont été constatés chez les populations celtes de Bretagne. En Bretagne aussi, des sociétés de femmes sont devenues indépendantes et ont eu la prétention de conduire leurs destinées sans la direction de leurs premiers maîtres. D’autre part, la légende des Amazones devient moins merveilleuse ; on arrive à les considérer comme un campement de femmes scolotes qui, veuves ou se considérant comme telles, fondèrent avec d’autres guerriers scythes un peuple qui s’est appelé le peuple Sauromate.

Enfin, comme nous allons le constater, certaines légendes scythiques et grecques trouvent en même temps une explication, sans qu’il soit besoin d’attribuer aux dieux de l’Olympe ou aux sirènes une intervention miraculeuse.

Le premier contact des peuples de la préhistoire s’est fait avec l’humanité de l’histoire sur les côtes de la Caspienne, et le plus ancien souvenir- de cette rencontre est exprimé ainsi :

Hercule venant de Gadès arrive dans la terre d’Hylée. Dans cette terre d’Hylée coule le Borysthène et, au bord du fleuve, Hercule rencontre Echidna qui lui avait volé ses chevaux. Echidna est une sirène fille du fleuve ; elle retient le héros prisonnier et de leur union naissent trois fils : Agathyrse, Gélone et Scythès. Les deux premiers émigrent plus tard avec leur postérité ; Scythès reste dans la contrée et devient le père des Scythes royaux, de cette fraction de Scolotes demi-sang qui furent souvent en rapports avec les colons grecs. Dans une autre légende, c’est encore une fille de Borysthène qui fonde trois races. Jupiter est son époux, ses enfants sont les Cati ares ou sacrificateurs, les Traspies ou bergers (Scythes royaux), les Paralates ou habitants du rivage. Il est évident Que ces légendes rappellent un événement qui a eu pour résultat la fusion d’envahisseurs d’origine grecque, navigateurs venus de Phénicie ou de quelque autre point du littoral méditerranéen et d’un camp de femmes scolotes surprises pendant une expédition des maîtres. L’histoire donne d’ailleurs à une autre époque une relation précise d’un fait du même genre attestant les modifications imposées à la race scythique dans la région littorale.

C’est ainsi que l’on peut comprendre comment des différenciations s’établissent, comment les Thraces ont oublié leurs frères des steppes, comment ils ont perdu l’habitude de se tatouer, qui ne se trouve plus au temps de Strabon que chez quelques tribus Japodes, comment ils ont perdu l’usage d’être conduits dans leurs expéditions guerrières par les ’fameux Arimaspes.

A propos des Arimaspes, nous avons ici l’occasion de relever une erreur et de placer dans le domaine des faits acceptables cc qui semblait appartenir à la fantaisie. Les Arimaspes, par suite d’une erreur d’Hérodote ou de ses commentateurs, ont été cousidérés comme des êtres monstrueux, n’ayant comme les cyclopes Qu’un œil au milieu du front ; on arrivait à cette interprétation en traduisant αρi ;μα par un et σπoυ par œil. Si, au lieu de cette traduction bizarre, on admet celle de αρi, grand, et μασπoυ, bouclier, on comprendra que les Arimaspes étaient des chefs remarquables à leur grand bouclier, et Ils cessent immédiatement d’être fantastiques.

Les Arimaspes sont les capitaines des hordes scolotes du Nord ; il n’est pas inutile de tenir compte de cette résidence des tribus où se recrutent les chefs guerriers, pour chercher à comprendre les grandes lignes de l’invasion de ces sauvages en Europe. Viennent-ils de l’Asie du Sud, sont-ils une race tibétaine, autrefois détachée des habitants de l’Inde, viennent-ils de ces régions du cercle polaire où l’ancien et le nouveau continent forment une ceinture presque continue ? Nous préférons cette dernière hypothèse, qui établit un lien entre les Peaux-Rouges d’Amérique et les Scalpeurs d’Europe, qui nous fait envisager les peuples d’Europe modernes comme le mélange de deux courants humains, le courant des barbares du Nord et celui des civilisés de l’Orient. Nous admettrons que l’invasion scolote fut en germe dans les territoires compris de la Finlande à l’Oural, et descendit en éventail pour atteindre de l’angle oriental de l’Inde à l’angle occidental de l’Espagne.

Cette thèse peut se soutenir en tenant compte des faits historiques OU des légendes recueillies par la Grèce ancienne.

Lorsque les premiers habitants des rives du Pont prirent la fuite devant les caravanes scolotes, ce ne fut pas vers le centre de l’Europe qu’ils émigrèrent, mais bien vers l’Asie, vers les bords orientaux de la Caspienne ; les envahisseurs accouraient donc d’une région opposée, ils descendaient les vallées des grands fleuves de la Russie. Conduits par les chefs aux grands boucliers, les guerriers nomades s’étaient battus chemin faisant contre les Essédons, et ces Essédons sont, eux aussi, des hommes du Nord voisins des Hyperboréens. Plus tard, on retrouve en Europe une secte d’Essédons, qui sont des philosophes à mœurs scythiques, qui ont conservé l’usage de boire dans des crânes coupés, et qui ont gardé aussi les rites funéraires des Scolotes.

Les Scolotes témoignent d’ailleurs qu’ils sont familiarisés avec les températures rigoureuses. Ils savent vivre dans les contrées où les neiges persistent pendant huit mois de l’année ; ils emploient les fourrures pour se garantir et, plus tard, en Thrace, les chefs des guerriers auront conservé l’habitude de couvrir leur tête et leurs épaules d’une peau de renard. Les Scolotes n’hésitent pas à traverser la Caspienne prise par les glaces, si leurs expéditions sont dirigées vers les territoires qui s’étendent à la frontière des Indes.

Les peuplades du Sud, au contraire, ne s’avancent guère vers les régions dont le climat est rigoureux, car, disent-elles, du côté du Nord il tombe tant de plumes du ciel qu’il est impossible de passer outre.

Des vestiges d’une migration partant des régions hyperboréennes pour s’épanouir sur le littoral méditerranéen sont encore sensibles dans cette légende des Déliens, légende d’après laquelle des Hyperboréens portèrent des offrandes sacrées aux Scythes ; ceux-ci les auraient portées de main en main fort loin, jusqu’à la mer Adriatique. Ces mêmes offrandes sacrées restèrent longtemps en usage parmi les Thraces, et furent vouées au culte de Diane.

Dans un autre ordre d’idées, une observation vient s’ajouter aux arguments qui précèdent.

Les Scolotes utilisaient, soit pour les monter, soit pour les atteler à leurs chariots, des chevaux de petite taille, dont les descendants occupent encore aujourd’hui quelques stations échelonnées de l’Islande à l’Espagne, et qui, certainement, dans les temps anciens, étaient domptés aussi bien par les Scolotes caspiens que par les Celtibères. En Asie, en Perse, au contraire, les chevaux étalent de grande taille, et ces grands chevaux de l’Orient ne furent amenés en Europe que plus tard. De plus, si les cavaliers scolotes étaient venus de l’Asie du Sud, leurs montures eussent certainement été familiarisées avec la vue du chameau, et l’on sait que Xerxès dut faire placer à l’arrière-garde de son armée les Arabes montés sur des chameaux pour ne pas effrayer les chevaux de sa cavalerie. Or la cavalerie de Xerxès était formée en grande partie de tribus scythiques aventurières, rangées sous des noms différents, à une époque où l’unité scolote n’existait plus.

Quels territoires sont occupés par les Scythes au moment où l’histoire enregistre leur existence, au moment où leurs dispersions, leurs remous, leurs ségrégations en tribus dissidentes, leurs mélanges ethniques à la suite des enlèvements qu’ils pratiquèrent ou subirent, n’ont pas encore lmmobilisé les hordes scolotes. Ils occupent les vallées de trois fleuves, les plus grands de l’Europe, le Danube, le Dnieper et le Don. Par le Danube, ils ont occupé la Pannonie, cette terre d’Autriche-Hongrie d’où s’avança plus tard la foule des Huns qui marchèrent sur la Gaule. Par le Dnieper, ils ont tenu le territoire des Roxolans et de la Russie occidentale ; par le Don, ils on été maîtres du pays des Slaves, des chefs de guerre slaves qui, après des siècles, ont succédé aux chefs de guerre Arimaspes.

Ils sont courageux et aventureux, ils jettent leurs excursions dans les steppes des Kirghis asiatiques, ils ont pu, sans plus de difficultés, envahir la vallée du Rhin et celle du Rhône, et essaimer leurs tribus sur les territoires de la Gaule et du nord de l’Espagne. Des sources du Danube au golfe de Gascogne, ils ont moins de chemin à parcourir que de Vienne à l’Oural, et leur race ne craint pas les distances. En terre de France, ils se sont appelés Celtes ; en terre d’Espagne, Ibères.

Peut-on trouver des indices positifs prouvant la parenté réelle des Scolotes et des Celtes ? Oui, certes ; mais comme tous les arguments que l’on peut fournil’ en ethnologie ancienne, les preuves sont sujettes à controverses ; il suffit qu’elles restent admissibles jusqu’au moment où un système d’hypothèses mieux fondées les remplacera.

Les Scolotes sont un peuple de cavaliers ; ils appellent leur cheval κελνς. C’est par opposition au cheval des Grecs (iππoς), un cheval de selle, un cheval revêtu d’une dépouille, d’une pièce de cuir faite de la peau des animaux ou de l’homme. C’est de ce même κελνς que les Celtes ou cavaliers ont pris leur nom, et ce nom trouve ainsi un lien avec celui de Scolote, lien qui cesse d’être apparent si l’on emploie la dénomination de Scythe. Il existe encore dans la langue française un mot qui rappelle les deux titres ethniques, c’est le mot « squelette », qui signifie dépouille.

Trouvons-nous chez les Celtes quelque chose des mœurs scolotes ? Les uns comme les autres ont le tempérament nomade. Les Celtes s’avancent en Espagne, ils courent sur les bords de l’Adriatique et s’aventurent assez dans la vallée du Danube pour que l’on ne puisse décider si les peuplades riveraines dérivent des Scolotes de France ou des Scolotes de Russie. Strabon dit que de son temps on trouve des tribus celtiques mélangées aux populations thraces. Comme les sauvages de Scythie, comme aussi les Peaux-Rouges de l’Amérique, les sauvages d’une terre qui n’est pas encore la Gaule coupent la tête de leurs ennemis pour la pendre en trophée aux rênes de leurs chevaux. Les uns comme les autres défendent avec un orgueilleux courage leur indépendance et leur liberté ethniques. Mais sur la terre de France, ils deviennent pasteurs et agriculteurs, et les nomades seuls peuvent échapper quand les armées romaines viennent imposer la civilisation et le joug. Les nomades s’enfuient devant la masse envahissante ; ils vont en Pannonie où étaient les Scolotes du Danube. Après des siècles, quand ils reviennent sous la conduite d’Attila, leurs frères captifs ne les reconnurent pas. Ils ont été traqués au nom de la civilisation, comme les Peaux-Rouges ont été traqués dans les temps modernes par les envahisseurs du continent américain. La grande loi était la même aux époques reculées : le peuple le plus fort s’arrogeait le droit de conduire les destinées humaines, le droit de porter par la violence les bienfaits d’une organisation sociale nouvelle chez des peuples qui ne demandaient que leur liberté primitive.

Si le pouvoir romain a pu mettre la grille sur les Scolotes de Celtique, il n’a pas ancré avec une égale puissance son influence sur tout le territoire ; la presqu’île bretonne est restée longtemps celte. Les Scolotes de la Caspienne ont été réduits, eux aussi, mais la législation ne leur vint pas de l’étranger ; les Slaves sont leurs maîtres. Cosaques de la Caspienne, montagnards de l’Oural sont leurs descendants les plus indépendants. D’autres fragments de peuples, descendants isolés des hordes sauvages, restent encore errants sur les terres où leurs ancêtres chevauchaient en troupes victorieuses et libres ; on les appelle les bohémiens ; mais ceux-là semblent avoir enlevé dans l’Orient les femmes dont ils ont fait leurs épouses.

SI les anciens maîtres de l’Europe et d’une partie de l’Asie sont depuis longtemps anéantis, leur sang est resté dans la substance des populations modernes ; il est dans les veines des peuples slaves et dans celui des peuples gaulois. L’influence orientale a touché directement les races du Caucase ; elle a atteint les races gauloises par l’intermédiaire grec et latin, et la ségrégation ethnique sur des portions différentes du continent a produit la variété d’aspects des peuples. N’importe, il fut un temps où les cavaliers scolotes de la petite Russie et ceux de la Celtique confondaient leurs troupes sur les bords du haut Danube.

Rémy Saint-Loup

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