Les Kalangs de Java

H. Meyners d’Estrey, la Revue Scientifique — 9 janvier 1892
Jeudi 1er décembre 2011

Sous le nom de Kalangs ou Wongkalangs, il existe à Java une classe d’individus qui habitent généralement ensemble dans une ou plusieurs dessas, ou se tiennent un peu à l’écart du reste de la population.

Peu d’Européens connaissent ce fait, et même ceux qui, par un long séjour dans l’intérieur de l’île et par une connaissance parfaite de la langue javanaise, peuvent être considérés comme étant bien au courant de ce qui se passe chez ce peuple, n’ont jamais entendu parler de ces individus.

Ceci est d’autant plus étrange qu’autrefois cette classe d’hommes était généralement connue sous le nom de Kalangs, Ainsi, Speelman parle déjà, à son départ de Java central, le 23 mars 1678, dans les instructions laissées pour son successeur, d’un certain Toamonggong Lamongan, l’un des deux principaux chefs des Kalangs, de Samarang et Damak.

Il existait aussi, au commencement de ce siècle, dans la résidence de Pekalongan, un district kalang, avec un chef indigène ayant le titre de Demang kalang. Ces Kalangs payaient à cette époque une contribution personnelle dont les autres Javanais étaient exempts.

Dans les anciennes archives de l’époque on trouve que la population de Demak était composée de Javanais et de Kaalangs, et que ces derniers se disaient être originaires de l’est de Java et issus d’une princesse et d’un chien. Ils payaient un impôt personnel et habitaient des nègreries séparées des autres.

Raffles aussi en parle dans son History of Java.

Dans le Dictionnaire géographique de Java, de Gericke et Roovda, on dit, au mot Kalang, que c’est une classe d’hommes demeurant aux environs de Sourakarta et qui, au dire des Javanais, descendaient de l’union d’une femme avec un chien.

Aujourd’hui, on les trouve encore dans la résidence de Pekalongan dans les dessas Kesitang-lor et Kihtangkidael, dans le district de Pekadjangan. Ils y comptent environ 500 âmes.

Dans la résidence de Tegul, on les rencontre près de la frontière de Pekalongan dans les dessas Kedawoang-Sirandou, Ambo, Kelang-Wetan, Kelang-Tengah, Kelang-Koulou, Kelang-Lorog, Srumpadan, Sikayou, Lawang, Bedgi-Legenouk, Ternou-Ireng, Kemokallan, Dawouhan et Botikan.

Dans le sud de Java, leur nombre doit être très considérable, surtout dans les districts d’Ambal et de Tjilatjap.

Parmi les Javanais, on rencontrait jadis des tribus qui parlaient la même langue, mais qui se distinguaient d’eux par des cérémonies particulières à l’occasion des mariages, des naissances et des décès. Outre les Kalangs, il y avait les Pinggir et les Gadjah-Mati. La Nawala-Pradala en parle assez pour éveiller la curiosité, mais pas assez pour la satisfaire.

Une chose est certaine, c’est que sous le règne de Pakou Bouweno II, l’enfant des Kalangs suivait l’état du père, tandis que chez les Penggirs et les Gadjah-Matis il suivait celui de la mère.

Les notes de Mounier, sur le code des Kalangs, répètent quelques-unes des traditions sur l’origine des Kalangs, que l’on trouve déjà dans l’History of Java de Raffles. Elles ne répandent pas beaucoup de lumière sur la question.

Les chefs indigènes sont honteux d’avoir ces sortes de gens parmi leurs sujets et cherchent à ne pas les connaître.

En leur qualité de chefs de la religion, ils déclarent volontiers que tous les Javanais sont mahométans, ce qui est inexact à l’égard des Kalangs,

Les Kalangs eux-mêmes ont honte de leurs coutumes ; ils osent à peine avouer qu’ils appartiennent à cette classe d’individus, et n’aiment pas qu’on les interroge au sujet de leurs cérémonies et de leurs usages.

Les Kalangs se disent mahométans, mais ils ont conservé en même temps leurs cérémonies à eux. Les Javanais les considèrent comme des parias.

Comme les Kalangs ne sont pas très communicatifs, nous sommes obligé de nous borner ici à répéter ce que les Javanais nous ont dit à leur sujet.

En premier lieu, il s’agit de leur origine d’un chien et d’une femme ; les renseignements à cet égard étant assez divergents, nous les donnerons plus loin.

Cette origine joue un rôle important dans toutes leurs cérémonies, dont le but est d’invoquer les ancêtres. Ces cérémonies ont toujours lieu dans des maisons fermées, où non seulement les étrangers ne sont pas admis, mais où l’on n’admet que les plus anciens, les plus âgés d’entre eux.

Lorsqu’il s’agit d’un mariage, on convoque huit jours avant tous les parents, ce qu’ils appellent moanggah, et on leur demande tous leurs vêtements, ce qu’ils appellent ayap-ayap.

Ces vêtements sont mis, avec ceux des fiancés, dans une grande bassine en cuivre, sous le toit de la maison ; la maison même est bien balayée, et l’on jette des cendres par terre.

Tout cela doit se faire un vendredi, c’est-à-dire le jeudi soir très tard.

Ensuite tous les membres de la famille, aussi bien les femmes que les hommes, se réunissent toutes les nuits pendant huit jours et examinent tout le temps les cendres afin de voir si l’on y découvre les pattes d’un chien. Lorsque ceci est le cas, ils le considèrent comme un signe que les ancêtres autorisent le mariage.

On organise ensuite le slamettan, appelé slamettan sa yout, pour lequel on tue au moins cinquante petits poussins de la grandeur du poing. En même temps on tisse deux pièces d’étoffe pour les fiancés, dont la couleur principale est rouge, mélangée d’autres couleurs, surtout de blanc, de bleu foncé et de noir. Le dessin diffère pour chacun : celui de la fiancée s’appelle gedok telor mimi et est à petit carreaux ; celui du fiancé, gedok telor, est à larges rayures.

Ces pièces d’étoffe doivent être tissées dans un jour. Elles ne peuvent donc être très grandes.

Ensuite on retire les vêtements que l’on avait placés sous le toit, On s’en revêt et l’on tue un buffle en jouant du gamelan,

Les fiancés sont arrosés sur leurs têtes avec un gendie dans lequel ils boivent ensuite l’un après l’autre.

Le soir a fieu la rencontre des fiancés ; la fiancée est entourée d’un fil blanc de coton que le fiancé est obligé de couper avec son criss.

Ils assistent ensuite à la fête qui dure toute la nuit et se vêtissent le matin avec les deux pièces d’étoffe, qu’ils gardent comme des djimats.

Lorsqu’il s’agit d’un décès, on observe les cérémonies suivantes : après l’enterrement, on brûle les vieux vêtements du défunt, homme ou femme, ce qu’ils appellent lepassan ; trois jours plus tard, ils font un repas appelé sedekah droani ; sept jours après encore un, et mille jours après a lieu le sidekah entas-entas, où l’on prépare de minimes quantités de boubour (riz cuit) et où l’on brûle les habits neufs du défunt.

D’après quelques-uns, on brûle aussi Une image en bois, représentant le mort.

Tous les sept mois ils organisent Une fête, appelée Sidekah Galougan, Elle a lieu le vendredi ou le mardi, jours saints pour eux, le premier étant le jour de la mort de la femme, le second celui du chien dont ils descendent.

A cette occasion, tous les membres de la famille se réunissent et donnent de l’argent pour couvrir les frais de la fête, qui a lieu au domicile du plus âgé des parents.

Lorsque les mets sont prêts on les dépose par terre, devant la pièce où l’on couche, et on y joint les vêtements de toutes les personnes présentes.

Devant les mets on place un petit baquet de sable ou de cendres. Ensuite tout le monde sort et se met à courir autour de la maison, en frappant sur les murs et en criant : « Vous pouvez entrer, vos descendants ont préparé le repas. »

Au bout d’un instant, on rentre, afin d’examiner le sable ou les cendres et de voir si l’on y découvre des pas de chien. Dans ce cas, ils considèrent la fête comme approuvée par leurs ancêtres et commencent à manger. Tous les mets sont servis dans des feuilles de gempol, en souvenir du fait que leur ancêtre s’est nettoyé les mains avec ces feuilles, après avoir tué son père.

Les Javanais disent en outre des Kalangs que les pères déflorent leurs propres filles avant qu’elles se marient et que les fils vivent souvent avec leurs mères, Selon eux, cette cohabitation amènerait richesse et bonheur sur cette terre.

A Demak, ils ont une fêle annuelle, toujours à huis clos comme les autres fêtes, où ils marchent à quatre pattes, comme les chiens.

On dit aussi que beaucoup d’entre eux portent une queue, et l’on cite une personne de Tegal qui ne peut s’asseoir à cause de cet appendice. On en raconte autant d’un régent mort dans la résidence de Bagelen, à Tomenggeng-Avoung-Binang, qui était kalang.

Il arrive quelquefois que des Kalangs, hommes ou femmes, épousent des Javanais ; mais on prétend que les mariages entre Javanais et femmes kalangs sont généralement malheureux.

Les Kalangs ont également des images de bois représentant un chien, et d’autres appelées goleh siljati, de la grandeur d’un pied environ, les représentant eux-mêmes. Ces dernières sont brûlées mille jours après leur mort.

En prêtant serment, d’une manière tout à fait différente des mahométans ou des autres Javanais, ils invoquent le golek siljati.

Les renseignements qui précèdent sont loin d’être complets, et laissent bien des lacunes à remplir au sujet de leurs croyances ou de leurs superstitions. Cependant, ils peuvent servir à d’autres, qui voudraient faire des recherches sur cette curieuse peuplade. Il faudrait pour cela se rendre dans les dessas habités par un grand nombre de Kalangs. Étant en majorité, ils sont moins honteux de leurs mœurs et de leurs coutumes.

Tout en vivant dans des dessas séparés, les Kalangs sont répandus dans toute l’île de Java. L’impôt personnel qu’ils payaient aux régents du temps de la Compagnie des Indes fait supposer qu’en leur qualité d’incroyants ils étaient soumis à un impôt dont les Javanais étaient exempts.

La question est de savoir si l’on a affaire ici à une tribu à part ou bien à une race étrangère qui s’est implantée à Java, ou bien encore à une secte religieuse qui n’a pas voulu se soumettre à l’islam.

Il faudrait savoir aussi si l’on n’a pas affaire à l’ancienne religion de Java, ayant l’arrivée des Hindous.

La tradition parle de leur arrivée par mer à une époque très reculée. Il serait utile de comparer leurs usages religieux avec ceux d’autres peuplades ; ainsi paraît-il que dans la presqu’île de Malacca, il existe des montagnards qui s’appellent Orang-Kalang.

Voici la tradition javanaise, au sujet de leur origine. Cette tradition, comme toutes les autres à Java, est un mythe, mais on pourrait peut-être y découvrir certaines vérités :

Un chariot appelé grobak ou pedati kalang, tiré par des bœufs, marchait sur la mer. En même temps un praho, appartenant à Dampou-Awang, venait de l’autre rive à Java porté par les nuages. Une discussion s’engagea ; le conducteur du chariot jeta le joug de ses bœufs au praho, qui dégringola dans la mer, et Dampou-Awang brisa le chariot d’un coup d’aviron. Les bœufs du chariot vinrent se coucher sur le rivage de la régence actuelle de Batang et s’y changèrent en promontoire, en prenant le nom de Oudjoung-Gounoung. Ce promontoire a, en effet, la forme de deux buffles couchés ; le chariot forme un récif de corail appelé karang.

Les restes du praho formaient la montagne connue aujourd’hui sous le nom de Gounoung-Rahou. Dampou-Awang débarqua près de ces montagnes, erra dans les forêts et vint à un hameau, au nord du Dieng, pommé Mendakoungan.

Là, il demanda à un nommé Kjahi Inowirio une noix de coco, dont il but le contenu, et la remplit ensuite de son urine. Survint une truie, connue sous le nom de Tjelleng mendaloungam, qui pouvait se métamorphoser en homme. Elle but le contenu de la noix de coco et devint enceinte.

Kjahi Inowirio, appelé ainsi parce qu’il n’avait qu’un œil, perdit quelque temps après son appétit, et vit sa gourmandise se personnifier et sortir de son corps, de la grandeur d’une noix de muscade.

— Mon père, lui dit-elle, comment se fait-il, je suis dans ton corps et je n’ai rien à manger ?

— Je n’ai pas d’appétit, reprit Inowirio ; si tu as envie de manger, prends ce que tu veux de mon jardin : le pi sang et l’ananas sont mûrs.

La gourmandise satisfit ses désirs en prenant la forme d’une souris ; après quoi elle voulut rentrer dans le corps d’Inowirio.

— Il vaut mieux que tu continues à manger des fruits, dit-il, car je ne veux rien prendre.

La souris prit donc la forme d’un chien, s’appela Blang-Wejoungyang et suivit Inowirio partout comme son maître.

Un jour Inowirio prit un cerf (kantjel) qu’il plaça sous une corbeille en disant à sa fille Embok-Trisna de le tuer lorsqu’elle voulut manger.

Dans la nuit, le chien s’approcha de la corbeille et demanda au cerf ce qu’il faisait là.

— Inowirio veut que je devienne son gendre en épousant Trisna, lui répondit le cerf.

Le chien en fut étonné et trouva que Inowirio aurait bien pu le prendre pour gendre, lui qui le suivait déjà depuis si longtemps.

Le cerf proposa alors au chien de changer avec lui et de prendre sa place, disant que Inowirio, trouvant le chien dans la corbeille, le prendrait sans doute pour gendre.

Lorsque Trisna voulut abattre le lendemain le cerf, elle trouva à sa place le chien qu’elle chassa.

Arrivé dans la forêt, le chien rencontra la truie dont nous avons parlé plus haut.

— Ne me fais pas de mal, je suis enceinte, lui dit celle-ci.

— Bon, répondit le chien, mais à une condition ; si tu accouches d’un mâle, il sera mon domestique ; d’une femelle, elle sera ma femme.

Quelque temps après, la truie accoucha d’une femelle, laquelle, descendant de Dampon-Awang, eut une forme humaine et reçut plus tard le nom de Dewi-Rayvang-Oulan.

Elle habitait une hutte dans la forêt qui fut toujours gardée par le chien et elle passa sa vie à filer ; un jour son fuseau tomba et glissa sous le bale-bale.

— J’épouserai, dit-elle, celui qui ramassera mon fuseau ; si c’est une femme, elle sera ma sœur.

Le chien lui rapporta le fuseau.

La jeune fille, étonnée, déclara ne pas vouloir épouser un chien et ferma la nuit la porte de sa chambre. Mais le chien resta à la porte et pleura jusqu’à ce qu’enfin elle l’ouvrît et le laissât entrer.

Suivant quelques auteurs javanais, le chien prit alors la forme d’un homme.

La Poutri Ratjoung Woulan devint alors mère de deux fils jumeaux, Radhen Soudjalmo et Radhen Djotjolengkoro. Ces enfants, étant devenus grands, aimaient beaucoup la chasse et étaient toujours suivis par le chien, sans qu’ils sachent que c’était leur père.

Un jour ils chassaient une truie, leur grand’mère, et voulurent mettre le chien à sa poursuite. Mais celui-ci reconnaissant sa belle-mère refusa ; les fils, furieux, mirent leurs criss au clair. Le chien sauta sur eux et ils devinrent aveugles.

Le chien se retira alors dans une grotte des monts Waton-Karvung, à Kedoa, y mena une vie d’ermite et n’en sortit qu’une fois par an pour manger.

Ratjoung Woulan, en l’apprenant, se mit à fa recherche du chien son époux ; mais comme elle se dirigea vers l’ouest, vers les Preangers, elle ne le trouva point :

Les fils suivirent leur mère et errèrent pendant des années dans les montagnes, jusqu’à ce qu’enfin ils arrivèrent tous ensemble sur le rivage de l’océan Indien, sans se reconnaître. La mère eut pitié de ces deux aveugles, et offrit de les guérir et de leur rendre la vue, à la condition qu’ils l’épouseraient tous deux. Elle les guérit, en effet, et les épousa. Pendant fort longtemps ils vécurent ensemble dans la résidence de Bagelen et devinrent très riches. En dehors de leur mariage, les fils avaient quarante autres femmes, qui leur donnaient un grand nombre d’enfants.

Un jour Dewi Ratjoung Woulan découvrit sur la tête d’un de ses maris une cicatrice qui l’intrigua. Il raconta qu’étant jeune sa mère l’avait frappé avec une cuillère. Elle se rappela alors de ce fait et découvrit ainsi qu’elle avait épousé ses deux fils.

A partir de ce jour ils se séparèrent ; les fils allèrent vers l’ouest, emmenant leurs quarante femmes. Pendant leur pérégrination, ils laissèrent partout des femmes et des enfants, qui devinrent plus tard les fondateurs de la race des Kalangs.

La légende que nous venons de donner est tirée d’un ouvrage appelé Djoijolengkoro, dont il existe deux exemplaires à Banjoumas et à Bagelen (Java).

Il existe encore d’autres versions, entre autres celle-ci, que la femme n’avait qu’un fils qui tua le chien, et ne devint pas aveugle. La mère reproche à son fils d’avoir tué son père et le frappe avec une cuillère.

Depuis lors elle rencontra son fils sept fois sans le reconnaître, sept fois elle l’épousa, et le quitta chaque fois lorsqu’elle le reconnut. C’est ainsi que les enfants qu’elle eut de lui furent répandus partout, et le nombre sept devint sacré, comme on le voit encore aujourd’hui dans les fêtes des Kalangs.

Le Bavad tanak Djawa fait également mention de l’origine des Kalangs. On y parle d’un prince de l’empire Giling-Wesi, nommé Watou Gounoung, qui avait deux femmes, dont l’une, Dewi Sinlo, lui donna vingt-sept enfants.

Un jour sa femme découvrit sur sa tête un endroit dénudé. Elle reconnut qu’elle avait épousé son fils.

Elle dit alors à son mari que, quoique étant connu comme un prince courageux, sa gloire serait incomplète tant qu’il n’aurait pas obtenu pour femme une widodari de Sourologo.

Elle savait qu’un mariage de ce genre amènerait la guerre et probablement la mort de son mari. Ce qu’elle avait prévu arriva. Watou Gounoung suivit son conseil, engagea la lutte avec Batoro Gourou, prince de Saeroboyo, et fut tué.

Ainsi que l’on vient de le voir, la tradition de l’origine des Kalangs, résultant d’une union qui n’est pas naturelle, est venue jusqu’à nous de plusieurs manières, mais tous les noms nous montrent qu’elle remonte à une antiquité très grande.

L’opinion que les Kalangs sont les autochtones de Java a été émise par M. A.-B. Meyer, de Dresde, qui prétend que ce sont les derniers représentants de la population primitive, qui ressemblait beaucoup aux négritos des Philippines, aux semongs de Malacca et aux habitants des îles Andamans. Il base son opinion sur la photographie d’un Kalang prise à Bintenzorg et sur le fait que les Kalangs de Java ont les cheveux crépus et la peau noire.

Cette opinion est controversée par M. G. Winter, qui déclare que le peuple actuel qui s’appelle Kalangs n’est pas d’une race bien caractérisée selon lui : les individus ne se distinguent pas comme type des autres Javanais, ni par la forme du visage, ni par la couleur, ni par la structure du corps, ni par leur langage.

Quelque difficile qu’il soit d’émettre un avis sur un sujet encore si peu connu, nous devons, cependant, donner le nôtre sur l’origine des Kalangs.

Dans les temps très reculés, avant l’arrivée des Bouddhistes, ils sont venus à Java, peut-être par Célèbes, s’y sont établis et sont restés fidèles à leur ancienne religion. Repoussés plus tard vers le sud de l’île, par les Sivaïtes et les Bouddhistes, ils s’y sont maintenus au milieu d’autres petits royaumes. Il ne faut pas oublier qu’à cette époque, qui se perd dans la nuit des temps, Java était composé de petites principautés qui se faisaient constamment la guerre et dont la puissance était égale à l’énergie de leurs princes respectifs.

Si quelquefois les Kalangs étaient soumis par un voisin, ils conservaient leurs coutumes et leur religion, et ne reconnaissaient le vainqueur que comme un suzerain dont ils s’affranchissaient un peu plus tard lorsqu’il était remplacé par un successeur plus faible. Si les conditions de paix qu’on leur imposait étaient trop lourdes, ils avaient tout Java pour se réfugier ailleurs.

C’est ainsi que les Kalangs sont restés indépendants au fond jusqu’à ce que sous un chef bien connu, appelé Boko , ils se soient rendus maîtres d’autres principautés et aient fondé un grand empire à Daha, en Kediri, dans le but de pousser leurs conquêtes vers le nord et vers l’est. Dans cette tentative, ils ont été arrêtés par une armée chinoise qui brisa leur puissance à la fin du XIIIe siècle.

Ensuite ils se sont retirés vers les forêts, en établissant partout des colonies et ne se soumettant jamais ni aux Bouddhistes ni aux Sivaïtes, mais conservant constamment leur indépendance et leurs usages religieux.

Plus tard, ils se sont entendus avec les princes mahométans de Mataram dont ils sont devenus tributaires. Ils ont probablement traité avec ces derniers comme un peuple, ont reconnu la suprématie de Mataram, se sont engagés à payer un impôt personnel, mais ont conservé leur culte à eux.

Dans le sud de Java, où l’on trouvera sans doute les centres des Kalangs les plus anciens, surtout à Bagelen et à Banjournas, ils sont restés le plus longtemps étrangers aux influences européennes, et il est probable que dans ces contrées on pourra obtenir sur eux les renseignements les plus nombreux, d’autant mieux que, dans ces parages, quelques chefs de villages javanais sont Kalangs.

H. Meyners d’Estrey

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