Le docteur Morvan est mort il y a quelques jours. Bien en que son nom n’ait guère franchi les confins du monde médical, il nous semblerait injuste qu’il ne figurât pas dans cette Revue, où tout savant a droit à sa part d’honneur. Praticien exerçant modestement son art dans un canton du Finistère, à Lannilis, Morvan eut le bonheur d’illustrer son nom par une découverte clinique insigne. Depuis quinze ans, la pathologie nerveuse compte parmi ses types cliniques les mieux définis la maladie de Morvan. Étudiée par les neuropathologistes les plus considérés, cette affection, si elle a perdu le caractère d’entité morbide spéciale qu’on lui attribua pendant les quelques années qui suivirent sa description, n’en reste pas moins un syndrome remarquable dans certaines altérations limitées aux nerfs périphériques on bien dérivant d’une origine médullaire. — Ce fut en 1883 que Morvan décrivit une maladie caractérisée par l’apparition successive de panaris multiples, entraînant la nécrose des phalanges, des déformations définitives des extrémités digitales, s’accompagnant d’atrophie musculaire de la main et du membre supérieur, de troubles de la sensibilité tactile et thermique. Ces panaris sont indolores. La sensibilité à la douleur a disparu si complètement qu’on peut les opérer sans provoquer de souffrance. Au départ, ce fut là le trait le plus saillant de cette affection, que Morvan dénomma « parésie analgésique à panaris ».
Les années suivantes, les signes cliniques de cette maladie furent complétés tant par Morvan lui-même que par d’autres observateurs. Puis les constatations anatomo-pathologiques montrèrent des lésions des nerfs périphériques et des altérations de la moelle, là où précédemment, Morvan, par la seule perspicacité de son jugement, en avait indiqué le siège. Mais on entra alors dans une période de discussion sur l’individualité propre de la maladie. On vit que la paréso-analgésie des extrémités supérieures avec panaris existait dans certaines maladies de la moelle, dans la syringomyélie (cavité creusée dans la substance de la moelle). Les travaux cliniques et anatomiqnes ultérieurs et surtout ceux de Joffroy et Achard ont définitivement établi la réalité d’une forme de la syringomyélle où se présente le syndrome de Morvan. Ces dernières années encore, Zambaco a avancé que la maladie de Morvan était une variété de lèpre nerveuse : hypothèse que confirment un cas de Pitres avec présence des bacilles de la lèpre dans un nodule névritique et l’endémicité de la maladie de Morvan en certaines contrées de la Bretagne.
Ces diverses constatations n’enlèvent rien au mérite de Morvan, ni à l’importance de sa découverte. Les faits observés par lui sont d’une rigoureuse exactitude. Et, s’il ne semble pas qu’il y ait une véritable maladie de Morvan, au sens spécifique du mot, il y a certainement un ensemble de symptômes, un syndrome de Morvan, unanimement admis et reconnu comme l’effet de lésions nerveuses de nature variée. Les descriptions du médecin de Lannilis, en perpétuant son nom, subsisteront inattaquables dans leur vérité d’observation.
Dr A. Létienne