Émile du Bois-Reymond (1818-1896)

Dr G. Weiss, Revue générale des sciences pures et appliquées — 30 janvier 1897
Mercredi 16 mars 2011

E. du Bois-Reymond, qui vient de mourir, était d’origine presque française. Son père, apprenti horloger à Neuchâtel, avait émigré à Berlin au commencement du siècle, et, grâce à son intelligence, s’était élevé au rang de professeur à l’École des Cadets, et finalement à celui de Conseiller intime des cantons suisses annexés à la Prusse en 1814. Sa mère était d’une famille française, émigrée lors de la révocation de l’Édit de Nantes.

Né à Berlin le 7 novembre 1818, du Bois-Reymond passa toute sa jeunesse dans cette ville ; il entra à l’Université vers Pâques 1837, et se fît inscrire pour l’étude de la Philosophie. Mais il raconte lui-même qu’il n’y prit aucun goût, et ayant, dans le courant de l’hiver suivant, assisté par hasard à une leçon de Mitscherlich sur la Chimie expérimentale, il fut si séduit par cette science qu’il se mit à suivre assidûment ces cours. En même temps, il étudia avec ardeur les Mathématiques et la Physique et se rendit à Bonn, où il fit entrer la Géologie dans le cercle de ses connaissances. De retour à Berlin, il se lia avec Hallmann, assistant à l’Institut anatomique de Jean Muller, qui le décida à étudier la Médecine. Bientôt, il connut Jean Muller lui-même, dont il devint le secrétaire en 1840, et lorsque, l’année suivante, Hallmann partit pour entrer chez Schwann, à Louvain, du Bois-Reymond le remplaça à l’Institut anatomique.

Matteucci venait de publier son « Essai sur les phénomènes électriques des animaux, 1840 ». Jean Muller chargea du Bois-Reymond de reprendre ces expériences et surtout de vérifier celles de Nobili sur le courant propre de la grenouille ; c’est ce qui décida de sa carrière.

Il publia d’abord très rapidement dans les Annales de Physique, LVIII, un court mémoire « Sur le courant de la grenouille et les poissons électriques », Ce travail ne fut pas remarqué, mais du Bois-Reymond s’était tellement passionné pour son sujet qu’il en rechercha l’histoire jusque dans les temps les plus reculés, si bien que sa thèse de doctorat, datée de 1843, a pour titre : Quæ apudveteris de piscibus electricis exstant argumenta. Cependant, les recherches de laboratoire ne languissaient pas, le jeune expérimentateur avait beaucoup à faire : méthodes, instruments, appareils de mesure, tout était à créer. Du Bois-Reymond le fit avec une ingéniosité et une science remarquable, et on lui doit une foule d’appareils qui ont trouvé leur application dans la Physiologie et dans les recherches de Physique : myographe à ressort, chariot d’induction, électrodes Impolarisables, rhéocorde, etc. Enfin, au bout d’un travail acharné de sept ans, parut le premier volume des « Recherches sur l’électricité animale ». En 1849, il publia le premier fascicule du tome II et la fin en 1860. Cette œuvre l’avait placé au premier rang parmi les physiologistes de sou époque ; aussi, dès 1851, n’ayant pas encore trente-trois ans, l’Académie des Sciences de Berlin lui ouvrait ses portes sur les sollicitations de A. de Humboldt et, de Jean Muller.

Dans l’introduction de son premier volume, du Bois-Reymond fait l’historique de toutes les recherches, hypothèses et théories sur l’électrophysiologie depuis 1743 et il montre comment l’obscurité qui régnait jusqu’à lui était due aux idées préconçues et au défaut de méthodes vraiment scientifiques.

Tout le reste est l’œuvre personnelle de du Bois-Reymond ; on y trouve, parmi les études les plus remarquables, les lois des courants musculaires et nerveux pendant le repos, les phénomènes électriques des muscles et des nerfs en action, l’oscillation négative, les actions électrotoniques des muscles et des nerfs. Cependant du Bois-Reymond était devenu « privat docent » ; il était entré en fonctions en 1846 ; mais, en réalité, trop occupé par ses recherches, il ne commença son enseignement à côté de Muller qu’en 1854. Dès l’année suivante, il fut promu professeur extraordinaire, et, à la mort de son maître, en 1858, lorsque la chaire fut scindée en Anatomie et Physiologie, il passa professeur ordinaire de Physiologie et directeur du Laboratoire de Physiologie de l’Université.

De l’avis de tous ceux qui ont entendu du Bois-Reymond, c’était un professeur merveilleux, enthousiaste de son sujet, parfait dans la forme, à la voix chaude et sonore ; aussi ses cours étaient-ils si fréquentés que, dans le grand amphithéâtre de l’Université de Berlin, de nombreux auditeurs, ne trouvant pas de place, restaient debout dans les couloirs et les intervalles des banquettes, et, malgré cette situation peu commode, ne sortaient pas avant la fin du cours.

Du reste, chez du Bois-Reymond, le savant était doublé d’un encyclopédiste de premier ordre et d’un orateur des plus remarquables, ainsi que le témoignent les nombreux discours prononcés par lui comme secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences, comme recteur de l’Université ou comme membre des Congrès de naturalistes. Ces discours sont réunis en deux volumes ; je regrette d’avoir à y signaler celui sur La guerre allemande,prononcé en 1870, et où du Bois-Reymond, reniant son origine, va jusqu’à regretter la consonance trop française de son nom ; je me considère comme très modéré en n’en disant que cela.

Parmi les nombreux services rendus à la science par l’éminent physiologiste, il faut encore citer la publication des Archives de Physiologie. A la mort de son maître, il avait, en commun accord avec Reichert, continué les Archives de Muller, pour l’Anatomie et la Physiologie, et lorsqu’en 1877 il y eut une publication spéciale pour chacune de ces sciences, il prit la direction des Archives de Physiologie, dont il parut un volume par au. Jusqu’à la fin, du Bois-Reymond continua son œuvre, perfectionnant ses méthodes, cherchant à consolider la base, vérifiant à nouveau les faits, et il ne considéra jamais comme terminée la tâche qui lui avait été confiée par son maître cinquante ans auparavant.

Enfin, il y a quelques mois, après avoir vu disparaitre les contemporains de sa jeunesse : Brücke, en 1892, Helmholtz, en 1895, Ludwig, l’année suivante, arrivé Iui-même à près de quatre-vingts ans, il sentit qu’une affection du cœur dont il souffrait faisait de rapides progrès, et il y succomba le 26 décembre 1896.

Dr G. Weiss, Professeur agrégé à la Faculté de 1Ilédecirle de Paris.

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