Notice sur la vie et les travaux de Léon Maquenne (1853 - 1925)

Gustave André, Membre de l’Académie des sciences, Déposée en la séance du 19 avril 1926.
Mercredi 16 mars 2011 — Dernier ajout mardi 27 décembre 2016

La vie du très regretté Confrère dont je voudrais retracer les traits principaux devrait servir de leçon à ceux qui prétendent que, pour se consacrer à la science pure, il faut disposer d’abord de grands moyens matériels si l’on veut faire de grandes choses. D’une origine très modeste, il a demandé à un travail opiniâtre la réalisation de ses rêves les plus chers. Sa seule ambition fut la recherche de la vérité, et sa seule satisfaction le sentiment du devoir accompli.

La juste récompense de ses efforts ne lui a d’ailleurs pas été ménagée : il s’est élevé aux plus hauts degrés de la hiérarchie scientifique.

Sans doute il fut admirablement servi par certains dons naturels, mais il ne s’est jamais reposé uniquement sur eux. Il les a cultivés ; son labeur s’étend sur une période qui n’a pas duré moins d’un demi- siècle.

Une habileté manuelle peu commune, un talent de parole exceptionnel joint à une netteté parfaite dans l’exposition des faits et à un sens critique très développé : telles ont été les qualités maitresses que Léon Maquenne a mises au service de la Science seule, ne recherchant ni les honneurs, ni les situations lucratives qui auraient pu le détourner de la tâche qu’il s’était imposée. Les regrets unanimes que sa mort presque subite a causés, regrets qui s’adressaient aussi bien au savant qu’à l’homme, toujours aimable, prêt à prodiguer aux autres les conseils de sa longue expérience, montrent en quelle profonde estime le tenaient ses confrères, ses amis et ses élèves.

Maquenne avait la passion de son métier j quoique peu expansif, il s’efforçait de communiquer cette passion à tous ceux qui l’approchaient.

Il n’est pas sans intérêt de chercher à quelle source il avait puisé cet amour du travail et de retrouver les noms de ceux qui guidèrent ses premiers pas et applaudirent à ses premiers succès. Il semble bien qu’il ait eu de lui même, au cours de ses études classiques, le gout des choses de la Science. Mais, ainsi qu’il le reconnaissait volontiers, les leçons de Decaisne, de Mascart, de Dehérain, de Comberousse, de Potier, de Rayet fortifièrent en lui ses premières résolutions. Le terrain était bien préparé j aussi la semence qu’y déposèrent de pareils Maîtres devait facilement germer.

On a parfois reproché à Maquenne d’avoir été avant tout un chimiste et de ne pas s’être consacré. de façon exclusive à l’étude des problèmes de la physiologie végétale dans un établissement tel que le Muséum d’Histoire Naturelle auquel il est resté attaché pendant de si nombreuses années.

Cette dualité du savant a-t-elle été préjudiciable à la Science ? certainement non. D’ailleurs, un pareil reproche serait mal fondé. En raisonnant ainsi, on semblerait ignorer qu’un physiologiste, c’est-à-dire un homme qui veut approfondir l’étude des questions touchant, de façon générale, à l’évolution des êtres vivants, se voit dans la nécessité absolue de faire uni appel constant à toute science qui, de près ou de loin, est susceptible de projeter un peu de lumière sur les énigmes encore indéchiffrables des phénomènes de la vie. Suivant la nature de ses études antérieures ou la tendance de son esprit, le physiologiste s’appuiera soit sur l’anatomie et l’histologie, soit sur la physique ou la chimie. A la lecture de ses travaux, il sera toujours facile de discerner à quelle branche du savoir humain il lui a semblé préférable de demander la solution des questions qu’il s’était posées. Qui donc pourrait soutenir, à l’époque présente ; que l’étude des rapports du végétal avec le milieu ambiant n’exige pas de vastes connaissances empruntées, suivant les nécessités du sujet, à la physique, à la géologie, à la botanique, aussi bien qu’à la chimie ? Il est hors de doute que la base sur laquelle s’est appuyé Maquenne, pour imaginer d’abord et réaliser ensuite ses conceptions sur la biologie des plantes, a été, avant tout, la chimie. Au reste il ne s’en est jamais défendu.

L’exemple venait de haut. Un de nos plus illustres Confrères, Boussingault, n’a-t-il pas fondé l’Agronomie sur la chimie, et montré les ressources inépuisables dont cette science dispose dans l’étude rationnelle de la nutrition en général.

En jetant un coup d’œil rapide sur la vie et les travaux de Léon Maquenne, on peut se rendre compte de la somme d’énergie qu’il a dépensée pour mener de front, et avec une égale maîtrise, les exigences du professorat et les devoirs de l’homme de Science. Les mêmes qualités de méthode, la même conscience se retrouvent chez l’éducateur et chez le savant.

Né à Paris le 2 Décembre 1853, Léon, Gervais, Marie Maquenne était le fils d’un ouvrier tourneur aux Établissements Cail, enlevé subitement par une mort prématurée. Sa mère, à l’aide des faibles ressources que lui procurait son métier d’ouvrière en dentelles, fut donc, de très bonne heure, obligée de subvenir seule aux besoins du ménage. Après avoir passé cinq années à l’école communale, Léon Maquenne entra, à l’âge de quatorze ans, au collège Chaptal à la suite d’un concours que devaient subir les candidats boursiers aux Écoles supérieures de la ville ; à ce concours, il fut classé le second. C’est à Chaptal qu’il reçut l’enseignement de Maîtres éminents dont les leçons et les exemples laissèrent une forte empreinte dans son esprit. Poursuivies jusque-là avec succès, ses études se trouvèrent brusquement interrompues par suite de la guerre franco-allemande de 1870. Peut-être n’auraient-elles été jamais reprises, car les économies de la mère de notre regretté Confrère étaient épuisées, si, par une heureuse fortune, un de ses Maîtres ne s’était intéressé à lui de façon particulière : Dehérain avait deviné que son élève avait l’étoffe d’un savant. Mais il lui fallut employer toute sa force de persuasion pour que la mère du jeune homme consentît à faire de nouveaux sacrifices. Dans un bel élan de son cœur, Dehérain promit alors de ne jamais l’abandonner. On sait avec quelle fidélité cette promesse fut tenue. Dehérain fut son premier et son meilleur guide ; il s’efforça dans la suite de mettre son influence au service de son élève, et, dans presque toutes les situations que Maquenne a occupées, on peut reconnaître la part qui revient à Dehérain. Celui-ci n’eut d’ailleurs jamais. à regretter la ligne de conduite qu’il avait adoptée ; Maquenne de son côté avait voué un culte véritable au Maître qui l’avait comblé d’attentions dès les bancs du Collège.

D’abord préparateur, à l’âge de 18 ans, du cours de chimie générale et de chimie agricole que professait son Maître à l’École de Grignon, puis, deux ans après, répétiteur de ce cours, Maquenne dût apprendre presque seul la pratique journalière du travail de laboratoire. Dehérain, en effet, ne demeurait à Grignon qu’un jour et demi par semaine, laissant toute initiative à son jeune préparateur. Fort heureusement si Maquenne avait déjà au plus haut point le goût de la recherche scientifique, le travail du verre lui était aussi familier que celui des métaux. On comprend que cette aptitude particulière lui ait rendu les plus grands services. Il économisait ainsi beaucoup de temps n’étant pas dans l’obligation de recourir, pour la construction d’appareils parfois compliqués, à l’intervention de spécialistes.

Tous ceux de ces appareils qui, dans le commerce, portent son nom sortaient d’abord de ses mains ; il ne s’agissait plus, pour un ouvrier adroit, que d’en faire une copie exact.

Toutefois le travail du laboratoire ne l’absorbait pas complètement ; il trouvait le temps de préparer tout seul son examen de licencié. Muni de ce diplôme, il se pose à lui-même le programme d’un sujet de Thèse en vue de l’obtention du titre de Docteur ès-Sciences.

En 1878, Dehérain se démit de ses fonctions de professeur de chimie à l’École Monge pour les offrir à Maquenne. Peu après celui-ci était nommé, d’abord préparateur, puis aide-naturaliste de la Chaire de physiologie végétale appliquée à l’agriculture nouvellement crée au Muséum, dont Dehérain fut le premier titulaire. À la même époque, après avoir conquis le titre de Docteur ès-sciences, il rentrait au collège Chaptal en qualité de professeur .Ce fut pour lui, pendant dix-sept ans, l’occasion de faire valoir, dans l’exposition de ses leçons, ses qualités exceptionnelles de clarté, jointes à celles d’un manipulateur hors ligne. Nombreux sont les élèves qui, après avoir suivi son enseignement, en appréciaient non seulement les bienfaits immédiats qu’ils en pouvaient retirer pour leurs examens, mais sentaient s’éveiller en eux la vocation scientifique. Il serait facile à cet égard de citer les noms de chimistes fort habiles dont il fut le premier éducateur.

Son remarquable talent de parole s’affirma davantage devant un auditoire plus élevé. Il remplit pendant une année les fonctions de Maître de Conférences de Chimie organique à la Sorbonne. Le succès qu’il obtint fut tel que, lorsque Friedel, le titulaire de la Chaire mourût, ses élèves signèrent une pétition pour que Maquenne remplaçat le Maître disparu. Malgré cette marque d’estime des plus flatteuses et le désir qu’il avait souvent manifesté de se consacrer à la chimie pure, Maquenne se sentait néanmoins attiré vers le laboratoire du Muséum, témoin de ses premiers travaux. Le culte qu’il professait pour son Maître lui faisait un devoir d’y rester désormais.

Peut-être, ainsi qu’en témoignent certains propos qu’il a tenus dans la suite, a-t-il regretté parfois cette décision. Maquenne aimait les auditoires nombreux ; il avait au plus haut point le goût de l’enseignement qu’il savait adapter aux besoins de ceux qui l’écoutaient.

Cependant un nouveau succès lui était réservé, auquel Dehérain ne fut pas étranger. La place de professeur de Physique végétale étant devenue vacante au Muséum par suite du décès de Georges Ville, Maquenne fut désigné pour le remplacer (1898). Il était dès lors son propre maître ; à partir de cette époque la valeur et le nombre de ses travaux ne le cèdent en rien à ceux qu’il avait déjà publiés.

Mais une épreuve cruelle l’attendait qui lui fut très sensible. Au mois de décembre 1902, il perdait son Maître vénéré pour lequel il avait toujours professé les plus vifs sentiments de respect et de gratitude et dont il se plaisait à reconnaître l’influence sur la direction de beaucoup de ses recherches.

Enfin, comme digne couronnement de sa carrière, il entre en 1904 dans notre Compagnie où il succède à Duclaux. En 1907, l’Académie d’Agriculture lui ouvre ses portes : il remplace le grand Berthelot.

Deux ans après, il était nommé professeur de Chimie générale à l’École Centrale, place qu’il occupa jusqu’en 1919. Il avait eu l’intention d’abandonner plus tôt cet enseignement en raison de la fatigue qu’il lui imposait. Mais il estima que les circonstances lui faisaient un devoir de demeurer à son poste jusqu’à la fin de la guerre.

Son succès comme professeur dans une École, dont l’auditoire ne passe pas pour être des plus faciles, fut très grand. C’est au cours des 53 leçons qu’il y donnait chaque année que. l’on pouvait apprécier en toute équité l’étendue de ses connaissances : le programme, très vaste, de son enseignement comprenait, en effet, la Chimie générale, la Chimie minérale et la Chimie organique. Pour rendre pleine justice à son talent d’éducateur, il convient d’ajouter que, s’il était servi par une grande facilité d’élocution et s’il possédait une intelligence remarquable des phénomènes de la Nature, il ne se reposait pas exclusivement sur ces dons précieux. Il préparait avec un soin minutieux chacune de ses leçons, il les exposait sans avoir recours à ses notes auxquelles il ne s’adressait que dans les cas, fort rares, où sa mémoire le trahissait.

Malgré les charges que lui créaient ses nouvelles fonctions, son ardeur au travail du laboratoire ne se ralentissait pas. Alors même qu’il avait à faire face à ses nombreuses obligations pédagogiques, il réservait aux recherches la meilleure part de son temps. Tous les après-midi on le trouvait au Muséum à son poste d’homme de Science, toujours prêt à prodiguer les conseils de sa longue expérience à ceux qui venaient lui rendre visite.

Cependant, si, en dépit d’un labeur ininterrompu de plus de quarante années, son activité intellectuelle demeurait intacte, sa santé fléchissait peu à peu, sa démarche était pénible, sa respiration difficile. Aussi dût-il, en 1920, abandonner son enseignement au Muséum et confier à son fidèle assistant E. Demoussy les leçons qu’il y faisait chaque année, désireux de consacrer ses dernières forces à l’examen des problèmes qui lui tenaient le plus au cœur.

Un heureux évènement allait se produire dont ses amis escomptaient les bons effets. Son vieux laboratoire tombait en ruine ; sa reconstruction, longtemps différée, entrait enfin dans la voie de la réalisation. Au mois d’Août 1921, les ouvriers envahissaient le chantier et, chose remarquable pour notre époque, la nouvelle installation était à peu près terminée à l’automne de 1923. Mais, loin de le consoler des progrès de l’âge et des atteintes de la maladie, la vue de ce bâtiment tout neuf semblait au contraire l’attrister. On l’entendait souvent répéter qu’il ne se sentait plus désormais l’énergie nécessaire pour fonder au Muséum un centre d’études biochimiques, un de ses désirs les plus anciens et les plus chers.

Un repos bien mérité s’imposait ; sa santé, de plus en plus chancelante, lui interdisait de faire de trop longues stations au laboratoire ; car, non seulement il travaillait le dimanche, mais, de plus, il ignorait la période des vacances. Quelques mois avant sa mort, il dut espacer ses visites quotidiennes à la rue de Buffon où il ne faisait plus que de courtes apparitions, indifférent aux progrès de la nouvelle installation dont il avait cependant réglé tous les détails en mettant à profit sa connaissance parfaite des exigences d’un laboratoire moderne. Il demeura néanmoins, et, jusqu’à la fin, profondément attaché à ses obligations de professeur-administrateur du Muséum. Le 15 Janvier 1925, il voulut assister, malgré la fatigue qu’elle devait lui imposer, à la séance mensuelle du Conseil. Cette dernière sortie lui fut fatale ; quatre jours après il s’éteignit.

L’œuvre de Léon Maquenne est considérable. Elle s’adresse aux problèmes les plus divers que peuvent se poser le Chimiste et le Physiologiste.

Quelles sont les idées directrices qui, d’une manière générale, ont marqué l’origine de ses travaux ? Si on se bornait à en consulter la liste chronologie, on y trouverait un mélange de chimie pure et de physiologie végétale. Mais un examen attentif montre que, si l’on en excepte certains travaux de chimie pure, étrangers à la physiologie proprement dite — entrepris par lui, soit dans l’espoir de combler certaines lacunes sur des sujets d’actualité, soit pour satisfaire sa curiosité naturelle à la suite de quelque lecture — l’œuvre de Maquenne est d’une grande homogénéité. Ses travaux sur les matières sucrées et les hydrates de carbone auxquels il a consacré la majeure partie de son temps et qui ont projeté tant de lumières nouvelles sur ce point spécial de la biochimie, ne sont conçus le plus souvent que dans le but de résoudre un problème particulier de physiologie. La genèse de ces matières, les transformations multiples qu’elles subissent dans l’organisme végétal, les lois qui règlent leur déplacement, puis leur dépôt à titre définitif dans les organes de réserve, tels sont les sujets qui forment la trame principale de son œuvre : sujets de prédilection pour le développement desquels il écrivit un gros volume de 1000 pages (1900) intitulé « les Sucres et leurs principaux dérivés ». Cet ouvrage, d’une belle érudition, est le seul qui ait été publié en France sur la question. Il en faudrait tripler les dimensions à l’heure actuelle tant sont nombreux les travaux qui, depuis 25 ans, ont enrichi ce domaine si intéressant de la Chimie organique.

D’autre part, l’influence de Dehérain sur ses premiers travaux de physiologie est manifeste. Au reste, sa situation de préparateur à l’École de Grignon, qui le mettait en contact journalier avec la Nature, lui faisait un devoir de porter d’abord son attention sur le monde des plantes. C’est là vraisemblablement la raison pour laquelle, au début de sa carrière, il se propose, dans sa thèse pour le Doctorat ès-sciences, d’étudier un point très intéressant de Physique végétale relatif aux pouvoirs absorbants et diffusifs des feuilles. Il cherche à définir numériquement le rôle de la chaleur rayonnante dans les phénomènes de la végétation. Il admet, avec Wiesner, que l’évaporation de l’eau par les plantes est la conséquence d’un simple échauffement de leurs organes ; que l’absorption de la chaleur par les feuilles est attribuable à la fois à l’eau et à la chlorophylle qu’elles renferment, et qu’il s’agit d’un phénomène d’ordre purement physique.

L’influence des travaux antérieurs de son Maître est ici bien évidente : Dehérain, en effet, quelques années auparavant, avait fait connaître les résultats de ses recherches sur la transpiration des feuilles.

La collaboration de Maquenne avec Dehérain commence dès l’année 1879 par la publication d’un intéressant mémoire sur la décomposition du gaz carbonique par les feuilles éclairées à l’aide de lumières artificielles : if en ressort cette conclusion, que l’élévation de la température a pour effet d’accroître l’intensité des phénomènes respiratoires sans modifier sensiblement la fonction d’assimilation.

Mais, dans cet ordre d’idées, le premier travail important de Maquenne, qu’il exécuta partiellement avec son Maître, et sur lequel il devait revenir vingt ans plus tard, se rapporte à une étude de la respiration des feuilles à l’obscurité. Le sujet n’était pas nouveau, il avait déjà été abordé par de nombreux savants. Toutefois les résultats expérimentaux obtenus manquaient de netteté, quand ils n’étaient pas contradictoires ; on estimait que le rapport entre le gaz carbonique dégagé et l’oxygène absorbé était très variable et, le plus souvent, inférieur à l’unité : ce qui semblait signifier que l’acte respiratoire s’accompagne d’une fixation continue d’oxygène au cours de la végétation. L’erreur dans laquelle étaient tombés jusque-là les expérimentateurs est facile à saisir : il n’était tenu compte que des variations de composition de l’atmosphère extérieure entourant les organes ; on négligeait, involontairement, la composition de l’atmosphère intérieure de ceux-ci. Or les liquides dont est saturé le parenchyme des feuilles en particulier contiennent une proportion de gaz carbonique qui est le double de celle que peut dissoudre l’eau pure. Deux méthodes qui se contrôlaient l’une par l’autre et, par conséquent, permettaient de formuler une conclusion ferme, furent mises en œuvre. L’une, la méthode dite du vide, l’autre la méthode dite de compensation.

De toutes les conclusions qu’il était possible de tirer de ce grand travailla plus importante est celle-ci : le quotient respiratoire réel croit avec la température, et ce quotient est très fréquemment plus grand que l’unité. On comprend alors la raison pour laquelle l’analyse centésimale de tous les tissus végétaux accuse toujours un excès d’hydrogène par rapport aux éléments de l’eau. En somme, la respiration végétale n’est pas un phénomène d’oxydation pure. et simple ; c’est un phénomène de réduction avec perte d’oxygène.

Sur ce sujet de la respiration végétale Maquenne revenait quelques années après (1894) dans l’espoir d’établir la théorie elle-même de l’acte respiratoire. Il montre que la plante, dans les conditions naturelles, élabore constamment un principe oxydable que l’on peut accumuler, dans un organe tel que la feuille, en le maintenant pendant quelque temps dans une atmosphère privée d’oxygène, puis en le remettant ensuite en contact avec l’air. On remarque, à la suite d’une pareille opération, que la quantité de gaz carbonique émis par les feuilles qui ont séjourné, dans le vide d’abord, dans l’air ensuite, est toujours supérieure à celle que fournissent des feuilles semblables exposées simplement dans l’air. La respiration est donc bien le résultat d’une combustion lente de certains principes qu’élabore constamment le végétal, principes qui continuent à se former et à s’accumuler dans un organe soustrait à l’action de l’oxygène.

Cependant Maquenne cherchait à donner à ses travaux un degré de précision toujours plus grand. Aussi, malgré la netteté des conclusions qu’il avait formulées quant au mécanisme de la respiration, il ne se tenait pas encore pour satisfait. Avec la collaboration de son assistant dévoué E. Demoussy, il reprit, en 1912, l’étude du quotient respiratoire, non sans avoir au préalable établi avec une rigueur mathématique les causes d’erreur que comportait la solution complète de ce problème et le moyen de les éviter. A l’aide d’une méthode nouvelle, dite de déplacement, méthode à l’abri de toute critique puisque les feuilles respirent normalement dans un courant d’air, Maquenne démontre, en plein accord avec les résultats obtenus par lui antérieurement, que le quotient respiratoire est presque toujours supérieur à l’unité, et que les exceptions ne portent que sur quelque espèces à très faible intensité respiratoire ou sur des feuilles examinées à l’arrière saison. Ce quotient diminue avec l’âge, ainsi que chez la feuille conservée à l’obscurité, par suite d’un épuisement continu du milieu en principes combustibles, particulièrement rapide chez les plantes qui respirent activement, Cette substance combustible, de nature inconnue, se régénère aisément à,la lumière. Maquenne et Demoussy formulent alors la loi suivante : le quotient respiratoire est plus grand que l’unité pendant toute la durée d’une végétation active ; son décroissement, et surtout son abaissement au-dessous de l’unité, indiquent une dégénérescence. Un organe qui s’oxyde est atteint de de sénilité en raison de la disparition des matériaux combustibles.

Mais, il y a mieux encore. L’étude de la respiration conduisait, par voie de conséquence, Maquenne et Demoussy à fixer rigoureusement la valeur absolue du quotient d’assimilation. Celui-ci ne peut être estimé correctement par voie directe. L’observation qui a servi de point de départ est la suivante : chaque fois que le quotient respiratoire est supérieur à l’unité, on note un quotient chlorophyllien brut également supérieur à l’unité, mais s’en rapprochant davantage que le premier. L’inverse est également vrai dans le cas où le quotient respiratoire serait plus petit que l’unité. L’action lumineuse a donc pour effet d’atténuer l’influence de la respiration et de rapprocher de l’unité le quotient caractéristique des échanges gazeux à l’obscurité. Or cette influence ne peut être générale que si le quotient chlorophyllien réel possède lui-même une valeur bien déterminée. Un calcul très simple montre que ce quotient réel est toujours très voisin sinon même égal à l’unité.

La question de la fonction chlorophyllienne, sur laquelle se sont concentrés les efforts de tant de physiologistes, fut l’objet des préoccupations constantes de Maquenne jusqu’aux dernières heures de sa vie. Dans une conférences magistrale qu’il fit le 4 Avril 1924 à la Société Chimique de France, dont il avait été deux fois le Président, — et ce devait être la dernière fois qu’il prenait la parole en public — il expose des vues originales sur la nature des produits primordiaux qui prennent naissance au cours de l’assimilation. A cette occasion, il émet une hypothèse’ nouvelle, d’après laquelle le phénomène assimilateur ne se passerait qu’en un seul temps. Cette hypothèse, sans doute, manque encore de sanctions expérimentales, mais elle est plus vraisemblable que celles qui sont généralement admises.

Cette succession de travaux remarquables sur la fonction respiratoire aurait suffi à établir sa réputation de physiologiste consommé. Mais Maquenne, en collaboration avec E. Demoussy, alla plus loin. Il chercha dans quelles conditions il fallait se placer pour que les végétaux supérieurs. fussent capables de résister à l’asphyxie. Ces auteurs démonbrèrent (1921) que si l’on expose à la lumière diffuse, dans des tubes vides d’air, certaines feuilles telles que celles de l’Aucuba ou du poirier, ces feuilles demeurent inaltérées durant plusieurs mois, car la fonction chlorophyllienne dégage de nouveau, pendant le jour, l’oxygène que la respiration a consommé pendant la nuit.

Ces feuilles, après une expérience aussi longue, restent bien vivantes puisqu’elles sont capables à la lumière solaire de décomposer le gaz carbonique, comme le feraient des feuilles fraîches.

Il est donc indispensable que la respiration normale s’accomplisse, c’est-à-dire ait lieu en présence d’oxygène libre, et cette nécessité est plus impérieuse pour l’organe que celle de la fonction d’assimilation. Mais si certaines feuilles peuvent continuer à vivre quand elles sont exposées à la lumière dans le vide, même pendant un temps très long, on ne saurait étendre cette faculté à toutes les feuilles : quelques unes, en effet, soumises à un pareil traitement, meurent après quelques jours ou quelques heures. La conséquence importante qui découle de ce fait est la suivante. Une feuille isolée ne conserve dans ces conditions son intégrité que si les matériaux gazeux ou solides qu’elle consomme pendant la nuit sont intégralement régénérés pendant le jour à la suite de l’exercice régulier de la fonction chlorophyllienne. Aucun élément inutilisable, tel que la cellulose, ne doit prendre naissance.

Il est intéressant de noter que l’examen microscopique de feuilles, ayant séjourné pendant plusieurs mois dans le vide, permet de constater l’intégrité de toutes les cellules vivantes, ainsi que notre Confrère M. Dangeard a bien voulu le vérifier.

Ces observations sur la résistance de certaines feuilles sont facilitées par suite de cette circonstance qu’un grand nombre de ces organes changent de teinte au moment de leur mort, qui, le plus souvent, se traduit par un noircissement. Maquenne et Demoussy avaient été conduits à rechercher le mécanisme de ce changement de teinte en étudiant l’influence des rayons ultra-violets sur les végétaux.

Maquenne s’était toujours beaucoup préoccupé de l’interprétation que l’on peut donner des phénomènes de la pression. osmotique, phénomènes qui, dans sa pensée, règlent l’uniformité de la concentration des sucs végétaux et grâce à l’exercice desquels il est possible d’expliquer l’ascension de l’eau à n’importe quelle hauteur. Il a montré que les pressions qui se développent, à partir du moment où la graine est mise au contact d’une quantité suffisante d’eau, sont considérables (15 à 16 atmosphères.) Ces pressions ne s’observent plus en présence d’antiseptiques puissants ; elles dépendent, par conséquent, de l’activité vitale de la graine, et la solubilisation diastasique des réserves doit en être considérée comme la cause. Le poids moléculaire moyen de l’ensemble des substances qui se solubilisent ainsi au cours d’une germination normale va sans cesse en diminuant, conformément à ce que l’on sait sur le travail intense des diastases.

En s’appuyant encore sur la connaissance des phénomènes osmotiques, et en utilisant cette remarque que les différents organes d’une plante sont en équilibre, Maquenne démontre que l’accumulation du sucre dans la racine de la betterave n’est qu’une conséquence du mouvement de l’eau à l’intérieur de la plante.

Ses travaux sur les débuts de la vie végétale sont d’ailleurs aussi dignes d’intérêt que ceux que nous venons de signaler. Il convient de mettre en première place ses recherches relatives à la longévité de la graine. Cette longévité est fort variable : c’est là un fait très anciennement connu. Chez les graines dans les réserves desquelles dominent les matières grasses facilement oxydables, et communiquant peu à peu au milieu une réaction acide, le pouvoir germinatif ne se conserve que pendant un petit nombre d’années. Mais toutes les graines renfermant normalement une certaine dose d’eau (8 à 15 %), dose qui varie continuellement avec l’état hygrométrique de l’air, Maquenne s’est demandé quelle était la nature de cette eau et quelle était son influence sur la durée de la faculté germinative. Il mit en évidence ce fait curieux : une graine desséchée dans un vide aussi parfait que possible, à une température de 45° incapable d’abolir son pouvoir germinatif, perd une quantité d’eau égale à celle qu’elle laisse échapper lorsqu’on la dessèche brutalement à 110°. Cette eau est donc une eau d’interposition qui n’entre dans la constitution d’aucun des principes immédiats formant les réserves : celles-ci demeurent inaltérées. Or cette eau d’interposition est essentiellement préjudiciable à la longévité de la graine, car elle entretient la vie, ralentie sans doute, de l’embryon qui consomme lentement les réserves qui l’entourent. Il était donc probable que l’élimination de cette eau, en supprimant tout échange respiratoire, devait faire passer la graine de l’état de vie ralentie à l’état de vie suspendue et favoriser sa longévité. C’est, en effet, ainsi que les choses ont lieu. Lorsque des graines, dont la longévité est réputée très courte, sont desséché es et conservées dans le vide, ces graines possèdent le pouvoir de germer au bout d’un temps infiniment plus long que des graines témoins non desséchées.

Après quinze ans, Maquenne revient de nouveau, avec son collaborateur E. Demoussy, sur les phénomènes de la germination, mais à un point de vue tout différent. Les auteurs se proposent cette fois d’étudier l’influence qu’exercent certaines matières minérales sur les débuts de l’acte germinatif. A cet égard règnait alors une grande obscurité, principalement en ce qui concerné la chaux. Cette base, d’après plusieurs physiologistes, était indispensable à la marche régulière du phénomène : d’autres, au contraire, niaient le fait en opérant dans des conditions qui, à leur insu, étaient défectueuses.

Maquenne et son collaborateur montrent que la chaux était bien en réalité cette matière étrangère indispensable. Mais pour faire cette démonstration, et mettre la graine à l’abri de toute substance parasite, il faut employer, non pas une eau distillée quelconque connservée comme il est l’usage dans des flacons de verre, mais une eau qui a été distillée dans des appareils de quartz. incapables de céder. au liquide traces de corps étrangers. En effet, l’eau distillée du commerce, et celle que l’on prépare soi-même dans les ustensiles habituels des laboratoires, contient toujours des traces de chaux. Si donc on fait germer les lots égaux de graines aussi semblables que possible, d’une part dans l’eau distillée ordinaire, et, d’autre part, dans de l’eau distillée très pure, on obtient invariablement ce même résultat : au bout de temps égaux, les racines des graines ayant germé dans ce dernier liquide sont incomparablement moins longues que les racines des graines qui ont germé dans l’eau distillée ordinaire.

L’influence bienfaisante de la chaux se fait sentir en présence de traces de cette base de l’ordre du cent millième. Ainsi se trouve résolu, en utilisant une méthode de travail impeccable, ce problème demeuré jusqu’ici sans réponse. L’efficacité remarquable dans l’exercice du phénomène germinatif de traces de chaux venant de l’extérieur paraît assez surprenante si l’on songe que les cendres de toutes les grain"es, bien que pauvres en cette base le plus : souvent, en contiennent cependant toujours des quantités dosables.

Le calcium, d’ailleurs, possède une autre propriété très précieuse ; il se comporte comme un antitoxique vis à vis de certains métaux : potassium, magnésium, cuivre, ammonium. Inversement, ces mêmes métaux diminuent l’action bienfaisante du calcium .

Poursuivant leurs expériences sur le rôle des infiniment petits minéraux, Maquenne et Demoussy, à l’aide d’une réaction fort sensible qui permet de reconnaître des traces infinitésimales de cuivre, montrent que ce métal, dont les effets nuisibles avaient été maintes fois reconnus, mais dont la toxicité semble avoir été exagérée, est présent partout, non seulement dans tous les sols, mais dans toutes les plantes. De plus, le cuivre se conduit comme un antitoxique vis à vis des sels ferreux, dont on connait depuis longtemps les effets essentiellement nocifs sur la végétation. L’addition d’une trace de cuivre suffit pour favoriser le développement des plantes par suite d’une réaction secondaire, d’ordre catalytique, qui, s’accomplissant au sein du liquide, produit une peroxydation du fer, lequel passe à l’état ferrique, inoffensif.

Un semblable effet éveille avec raison l’idée d’une véritable action diastasique.

De tous les travaux de chimie organique proprement dite que nous devons à Maquenne, deux surtout méritent une attention particulière en raison des contributions qu’ils ont apportées à la connaissance intime de certains phénomènes de biologie végétale. L’un des plus remarquables, mais non le premier en date, qu’il exécuta seul ou avec la collaboration de M. Eug. Roux, est relatif à la constitution de l’amidon. Peu de substances ont été objet d’un nombre de recherches aussi grand étant donnée l’ubiquité de cette matière dans le règne végétal et le rôle de premier plan qu’elle joue dans l’alimentation. L’amidon était regardé comme formé de deux substances : l’une soluble, amylose ou granulose, l’autre, insoluble, l’amylocellulose. Si on abandonne à lui-même un empois transparent, il se produit peu à peu dans la masse un précipité amorphe. Ce retour vers l’état insoluble d’une matière dissoute au moment de la préparation reçut de Maquenne le nom de rétrogradation. Cette matière n’est que partiellement attaquée par l’amylase, propriété qui avait été mise antérieurement sur le compte de I’amylocellulose. Elle forme, en réalité, une fraction très notable de la masse totale, paraît identique à la granulose des anciens auteurs et préexiste dans le grain d’amidon naturel où elle entre dans la proportion de 80 % environ. Elle devient bleue au contact de l’iode et se saccharifie sans production de dextrines. A côté de l’amylose se rencontre un principe mucilagineux, l’amylopectine, dans la proportion de 20 %, principe qui se gonfle, sans se dissoudre, dans l’eau bouillante et que saccharifie l’amylase.

L’empois d’amidon peut donc être regardé comme une solution d’amylose épaissie par l’amylopectine.

Des points de détail ont, dans la suite, modifié ces notions fondamentales ; tous les amidons n’ont évidemment pas la même constitution. Mais la configuration de cet hydrate de carbone est, à n’en pas douter, celle que lui assignent toutes les propriétés si bien mises en relief dans ce beau travail.

Le second travail, antérieur de plus de quinze années au précédent, et qui semblait au début n’avoir que des relations un peu éloignées avec les choses de la physiologie, se rapporte à la préparation en quantités importantes d’une matière sucrée, l’inosite, rencontrée d’abord dans le règne animal, puis ensuite chez nombre de végétaux. Jusque-là sa fonction chimique était ignorée, et l’on ne savait quelle place il convenait de lui attribuer dans la série des corps ternaires.

L’inosite possède la formule du glucose, mais elle n’est pas réductrice. On l’avait rapprochée provisoirement de la mannite. Maquenne se demande quelle peut être la constitution de ce corps singulier, sans action sur la lumière polarisée, non dédoublable par les moisissures en produits actifs. L’inosite, en somme, se comporte comme une substance inactive par nature, possédant, par conséquent, une structure symétrique. Maquenne démontre que l’inosite est un alcool hexavalent, qui, soumis à l’action réductrice de l’acide iodhydrique, fournit le phénol triodé symétrique. Les oxydants énergiques transforment l’inosite en oxybenzines ou oxyquinones, elle se révèle donc comme un produit d’addition de la benzine que l’on doit écrire C6H6(OH)6, formule, en effet, qui rend compte de toutes ses propriétés.

Peu après, Maquenne retirait de la pinite, ou sucre de pin, un prinncipe chez lequel on retrouve toutes les propriétés de I’inosite ; mais ce principe est fortement dextrogyre. Or, à la même époque, Ch. Tanret découvrait dans l’écorce de Québracho une substance lévogyre dont le pouvoir rotatoire était égal et de signe contraire de celui du corps précédent. Ces deux dernières inosites, actives, susceptibles de se combiner, fournissent une inosite racémique, c’est-à-dire inactive par compensation. Il en résultait que l’inosite, matière sucrée dérivée de la série aromatique, existe sous quatre formes isomériques, comme l’acide tartrique lui-même.

Ce travail exécuté dans le laboratoire de Dehérain, entre les années 1885 et 1887, fut très remarqué. Il valut à son auteur le prix Jecker (1888). Voici les conclusions du rapport élogieux que Ch. Friedel écrivait à cette occasion. « Guidé par des idées très nettes sur les fonctions et la constitution des corps complexes sur lesquelles il opère, M. Maquenne a, ainsi que nous venons de le montrer, fait faire plusieurs pas importants à l’histoire des matières sucrées. Nous pouvons compter sur son zèle, sa pénétration, son habileté expérimentale pour nous fournir d’autres résultats d’une importance analogue. »

Ce n’est pas sans quelques regrets que Dehérain avait vu son élève délaisser les recherches physiologiques pour se consacrer à la chimie pure. Maquenne aimait à raconter que son Maître lui avait amicalement reproché cette désertion, au moins apparente. Mais Dehérain avait trop de bonté et de générosité pour que ce reproche fut pris en mauvaise part. En présence des éloges les plus flatteurs que ce travail sur l’inosite avait valu à son auteur, Dehérain fut le premier à applaudir au succès de son élève, dont il s’abstint désormais de contrecarrer les projets.

Et, d’ailleurs, les plus intéressantes recherches dans le domaine de la biochimie auxquelles Maquenne se consacra dans la suite sont celles qui ont occupé les dernières années de sa vie.

Son travail sur la perséite (1888), sucre non réducteur extrait des feuilles du Laurus persea, n’est pas moins remarquable que le précédent. Regardée d’abord comme un isomère de la mannite, la perséite dérive, d’après Maquenne, d’un carbure à sept atomes de carbone ; elle représente un alcool heptatomique, premier exemple d’un alcool dont la valence est supérieure à 6. L’hydrocarbure que l’on en isole par réduction, l’heptine, possède une formule cyclique comparable à celle des terpènes. Puisque les agents réducteurs changent la perséite en un carbure aromatique, voisin du térébenthène, on peut en conclure qu’il existe entre ces corps une relation telle que le phénomène assimilateur, qui donne naissance d’abord à des hydrates de carbone, est susceptible, par une suite de réactions relativement peu compliquées, d’engendrer des essences et des résines qui représentent leurs produits d’oxydation immédiate.

Il faudrait, en dehors de ces travaux de premier ordre, qui éclairent d’un jour nouveau les problèmes de la physiologie végétale, citer tout un ensemble de recherches sur les matières sucrées les plus variées : pinite, isodulcite, synthèse de l’érythrite gauche qui, par son union avec l’érythrite droite, découverte par notre Confrère M. G. Bertrand, donne l’érythrite racémique, identique à celle de Griner.

Ce commerce continuel avec les matières sucrées devait forcément conduire Maquenne à modifier et à perfectionner leur dosage. C’est ainsi qu’il étudia à fond l’action du saccharose sur .la liqueur cupropotassique ; qu’il compara l’action du saccharose avec celle du sucre interverti sur la même liqueur. Grâce à la sensibilité des procédés qu’il avait imaginés, il entreprit le dosage des sucres réducteurs en présence d’un excès de saccharose.

Maquenne avait au plus haut point l’intelligence des phénomènes chimiques. A maintes reprises, il s’écarta de ses recherches habituelles pour aborder quelque sujet nouveau. C’est ainsi que, entre les années 1881 et 1883, il fut amené, en collaboration avec son Maître, à étudier l’action de l’effluve électrique sur la vapeur d’eau et à mettre en évidence la formation de petites quantités de gaz tonnant. En présence de l’azote, la vapeur d’eau se décompose sous pression réduite : l’oxygène se fixe sur l’azote avec production d’acide nitrique. Lorsque l’eau contient en dissolution des substances hydrocarbonées telles que dextrine, glucose, l’azote est absorbé en quantité notable, et les produits qui prennent alors naissance fournissent un dégagement d’ammoniaque lorsqu’on les chauffe avec de la chaux sodée.

Ces faits doivent être rapprochés de ceux que Berthelot avait obbservés sous l’influence des décharges obscures à faible tension. Maquenne montre ensuite que l’effluve, agissant sous pression réduite sur divers composés organiques volatils, donne lieu à des réactions analogues à celles que produit la chaleur seule. Il en est de même lorsgue, dans des conditions identiques, on fait agir l’effluve sur un . mélange d’oxyde de carbone et de vapeur d’eau : il y a formation de gaz carbonique ; à une température de 250°, l’oxyde de carbone décompose complètement la vapeur d’eau.

Mais le travail le plus important que Maquenne exécuta dans le domaine de la chimie minérale, et le plus riche aussi en conséquences pratiques, fut consacré à l’examen de quelques propriétés des métaux alcaline-terreux (1892). Ces métaux se combinent directement à l’azote et au carbone. Les azotures de calcium, de’ baryum, de strontium se forment toutes les fois qu’on chauffe ces métaux, soit à l’état libre, soit sous forme d’amalgame, dans une atmosphère d’azote. L’eau décompose ces azotures en libérant de l’ammoniaque.

Un carbure de formule MC2 prend naissance lorsqu’on soumet à température élevée un mélange du métal alcalino-terreux, ou de son amalgame, avec du charbon en poudre. Au contact de l’eau ces carbures dégagent de l’acétylène. De plus, l’action simultanée de l’azote et du carbone engendre des cyanures .. La préparation désormais facile de l’acétylène, terme initial de la série des carbures, était donc réalisée. Maquenne propose, pour obtenir la matière première de cette préparation, de chauffer ensemble du carbonate de baryum, du magnésium et du charbon.

Peu après, notre éminent et regretté Confrère Henri Moissan unissait directement le carbone avec un métal alcalino-terreux en réduisant au four électrique la chaux par le charbon. Tel a été le point de départ de l’industrie du carbure de calcium et, ultérieurement, de celle de la cyanamide calcique.

On s’étonnera peut-être que Maquenne n’ait pas abordé — sinon accidentellement — l’étude du réservoir auquel les plantes empruntent leurs éléments minéraux constitutifs, c’est-à-dire le sol. A part une ébauche, publiée en 1884 en collaboration avec Dehérain sur la réduction des nitrates au sein de la terre arable, il laissa toujours de côté de pareils sujets. Maquenne s’était trop familiarisé avec les transformations qui se succèdent rapidement, telles que celles dont les végétaux sont le théâtre, et dont les diverses phases se modifient de jour en jour, pour porter son attention vers ces phénomènes infiniment plus lents qui se produisent dans l’intimité du sol. Il n’avait pas eu la tentation de sonder quelques uns des problèmes qui se rattachent à l’étude des micro-organismes qui peuplent les sols par myriades, et dont l’activité incessante possède une répercussion si marquée sur la fertilité des terres arables. Mais convient-il d’adresser un reproche, même léger, à l’homme dont la vie a été si bien remplie ?

Telle a été l’œuvre de Léon Maquenne. A ses talents de professeur et d’expérimentateur, il a su joindre de belles qualités d’érudition. Il avait grand soin de se tenir, grâce à ses nombreuses lectures, au courant des découvertes, qui, depuis trente ans, ont si complètement changé l’aspect de la Science. Peu de questions touchant la Philosophie naturelle lui étaient étrangères. Il aimait d’ailleurs à s’éclairer auprès de ses interlocuteurs dont il suivait avec une attention soutenue les raisonnements. Fort de son autorité, mais avec une parfaite courtoisie, il discutait la valeur de leurs arguments, redressait ce qu’il croyait être leurs erreurs, et leur ouvrait bien souvent des horizons nouveaux.

Maquenne avait une forte culture littéraire. Si sa parole était d’une remarquable correction, sa façon d’écrire ne l’était pas moins.

Au contraire de beaucoup d’auteurs qui se croient obligés d’être prolixes dans leurs développements, mais chez lesquels la longueur et l’obscurité des phrases masquent le plus souvent l’indigence de la pensée, Maquenne était bref, sans sécheresse ; il exposait sans détours inutiles les résultats de ses expériences, les raisons pour lesquelles il les avait entreprises et les conclusions qu’elles lui semblaient devoir comporter.

L’avenir seul nous dira si ces conclusions n’admettent aucune réserve j mais, du moins à l’heure présente, toutes celles qu’il a tirées de ses travaux portant sur les point les plus variés de la chimie et de la physiologie végétale demeurent entières telles qu’il les a formulées.

Soucieux de la bonne tenue de la langue française, et blâmant avec raison les incorrections trop fréquentes dont sont émaillées les Notes qui figurent dans la correspondance de notre Académie, Maquenne avait, en 1918, rédigé et soumis à l’approbation de plusieurs de ses Confrères une protestation contre l’emploi abusif dans le langage scientifique moderne de certains termes d’origine étrangère dont l’utilité était problématique ou la formation vicieuse.

Sa notoriété eut été plus grande encore et sa valeur scientifique plus appréciée s’il lui avait été donné, surtout dans ces dernières années, de prendre plus souvent contact avec la jeune génération. Il faut en accuser l’insuffisance de place dont il disposait dans son vieux laboratoire et la pauvreté des moyens mis à sa disposition. C’est peut être là qu’il faut chercher la cause pour laquelle son influence sur les progrès de la physiologie végétale ne fut pas celle que méritaient ses remarquables travaux. On ne saurait trop regretter que, dans notre pays, un nombre infime de jeunes savants, munis cependant d’une instruction générale étendue, se consacrent à l’étude si pleine de promesses de la biologie des plantes et de ses applications à l’agriculture, alors que les richesses du sol de la France demeurent encore imparfaitement exploitées.

Souhaitons que l’exemple donné par Maquenne d’un labeur ininterrompu de cinquante années ne reste pas stérile.

Qu’il me soit permis, en terminant, de faire un retour vers les heures passées.

Je ne puis sans un sentiment de profonde reconnaissance, mêlée de tristesse, me souvenir des relations si cordiales que j’ai entretenues pendant près de quarante ans avec les deux Maîtres qui ont successivement occupé le laboratoire du Muséum. Ce fut d’abord avec Dehérain dont la parole chaude et pleine de bonté inspirait, dès les premiers mots, confiance au visiteur. L’accueil de Maquenne était plus réservé peut être. Mais, au cours de la conversation, lorsque celle-ci venait à tomber sur un de ses sujets préférés, son visage s’illuminait. Maquenne aimait la controverse : il défendait ses idées sans aigreur comme il attaquait celles des autres avec bienveillance.

Il employait pour convaincre son adversaire de solides arguments empruntés aux faits qu’il avait observés ou à la lecture de quelque mémoire qui l’avait frappe. Bien rares sont les cas où ces conversations ne comportaient pas un précieux enseignement.

Je ne puis que déplorer la perte d’un ami dont la vie toute de travail et de réflexion doit être citée comme un modèle admirable de fidélité à la Science. Puissent ceux qui ont le désir sincère de se consacrer à la recherche de la Vérité rencontrer sur leur chemin un conseiller aussi sûr, un critique aussi averti, un homme, en un mot, qui a été l’une des belles figures de la Science française contemporaine.

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