Gaston Bonnier (1853-30 décembre 1922)

L. Blaringhem, La Revue Scientifique — 15 Janvier 1923
Lundi 24 janvier 2011 — Dernier ajout mercredi 20 février 2019

Après Giard, Houssay, Matruchot, l’Ecole normale et l’Université de Paris perdent un des maîtres qui a le plus contribué à faire naître, à développer et à orienter les vocations biologistes. M. Gaston Bonnier attirait les jeunes par sa bonté souriante, par sa conversation vive et imagée qui ouvrait de larges horizons, par son intelligence pénétrante qui dégageait les difficultés et suggérait les solutions. D’une activité inlassable, il nous laisse un ensemble d’œuvres qui resteront des modèles de clarté et d’exposition [1].

Nul n’a mieux fait pour rendre l’étude des plantes facile et attrayante ; ses Flores ont eu et conserveront le plus légitime succès. Conçues par un artiste aimant la vie et épris de la beauté des formes, elles sont débarrassées des mots barbares ou poncifs que plusieurs générations de savants avaient accumulés ; aux descriptions fastidieuses, rarement correctes, toujours obscures, Gaston Bonnier substitue de charmants petits croquis, avec tant de bonheur et de vérité, que le procédé fut de suite adopté en France et à l’étranger, rarement avec un pareil succès. Les débutants. et même les profanes se sont familiarisés avec les difficultés des diagnoses, et les maîtres y ont trouvé un soulagement précieux pour la mémoire. La Flore du Nord de la France et de la Belgique (1887) avec 2282 figures, la Nouvelle Flore des environs de Paris (1887) avec 3145 figures, préparent l’édition des Tableaux synoptiques des plantes vasculaires de la France, de la Suisse et de la Belgique (1894), Illustrés par 5338 croquis et une carte, le tout composé avec le plus grand soin, perfectionné dans les détails avec la collaboration affectueuse de Georges de Layens. Cette œuvre passionna le maître ; il la complète au fur et à mesure des progrès de la phototypie par l’Album de la Nouvelle Flore (1901 » et par la Flore complète illustrée en cou leur, magnifique édition in-quarto où toutes les espèces de France et un grand nombre de sous-espèces sont reproduites à moitié de leur grandeur naturelle.

La description des plantes ne fut qu’une des formes de son activité. Physiologiste habile, il perfectionna la mesure des échanges gazeux, précisa les phénomènes de la respiration et de l’assimilation chlorophyllienne, étudia la vie ralentie, la reviviscence, la chaleur végétale. Dans toutes ces branches, il fut un guide pour de nombreux élèves, dont je ne citerai que quelques noms parmi les savants étrangers (E.-C. Teodoresco, W. Lubimenko, O. Prianichnikoro) et un collaborateur pour les botanistes les plus renommés (E. Warning, Kolderup, Rosenwinge, J. Eriksson, H. de Vries, E. de Janczewski, Angel Gallardo, etc.). La tératologie, l’anatomie lui fournissent des démonstrations évidentes que la fonction et l’adaptation au milieu modèlent l’organisme.

La Revue Scientifique publia ses leçons magistrales : les fleurs et les insectes (1881), la respiration des tissus vivants (1885), la biologie végétale (1887), l’anatomie expérimentale (1893), autant d’étapes qu’il résume, avec les preuves accumulées par trente années de travail dans un chef-d’œuvre, le Monde végétal (1910), à la portée de tous les lecteurs.

Il y présente, dans un cadre historique et logique, le problème de la sexualité des végétaux, le rôle de la fleur, ses recherches originales sur les nectaires (Thèse, 1879), et en dégage les notions de genre, d’espèce, de famille. Il expose la conception de la sexualité des Cryptogames, met en valeur les différences et les analogies, traits fondamentaux de son enseignement à la Sorbonne. Ses recherches sur la synthèse des Lichens (1889), celles qu’il a inspirées sur le polymorphisme des Champignons font partie du bel ensemble dont il veut montrer l’évolution graduée. La notion expérimentale de l’espèce lui est familière ; de Vries lui fit connaître (1899) avant leur publication les lois de la mutation, la redécouverte des règles de Mendel ; Bonnier montre l’intérêt des études de la génétique, l’opposition, peut-être superficielle, de la mutation et de l’adaptation ; il introduit enfin le lecteur dans le domaine où il est un chef incontesté, le transformisme expérimental.

Un voyage d’études en Suède (1878), des séjours prolongés et répétés chaque année en haute montagne, dans les Alpes et les Pyrénées, lui fournissent les matériaux de toutes les études anatomiques, physiologiques, biogénétiques d’une longue carrière. Il découvre les lois de l’organisation en l’examinant sous ses différentes formes, en divers climats, aux altitudes extrêmes ; les travaux de laboratoire, à l’École Normale, à Fontainebleau, lui donnent la certitude expérimentale ; armé pour la réalisation, il s’efforce de créer des plantes alpines avec les plantes de la plaine, de transformer les rares espèces des Pyrénées en banales espèces de la forêt de Fontainebleau. L’observation constante des formes vivantes, leur élude sur place et dans leurs stations naturelles, l’analyse des rapports des fleurs avec les insectes, des appareils végétatifs avec le milieu ambiant, voilà le secret de la belle unité de l’œuvre de Gaston Bonnier, la raison profonde de son enthousiasme d’artiste et d’initiateur, la source féconde et renouvelée de son enseignement.

L. Blaringhem

[1Élève et agrégé préparateur des Sciences naturelles à l’École Normale (1873-77), répétiteur à l’institut agronomique (1877), maitre de conférences de botanique à l’École Normale (1879), il succède à Duchartre dans la chaire de Botanique de la Sorbonne (1887). Deux ans après il fonde le laboratoire de Biologie végétale de Fontainebleau. Membre élu de la Société de Biologie, de I’Académie des Sciences, de l’Académie d’Agriculture, il exposa ses travaux originaux dans plusieurs centaines de Mémoires présentés à ces compagnies, développés dans les Annales des Sciences naturelles, dans la Revue générale de Botanique, qu’il fonda en 1889. Son Cours de Botanique (1901-1908), rédigé avec M. Leclerc du Sablon, donne une abondante biographie de ses propres travaux et de ceux de ses élèves.

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