Évaluation numérique des globules rouges du sang

G. Philippon, La Nature N°199 - 24 Mars 1877
Jeudi 13 janvier 2011 — Dernier ajout mercredi 12 janvier 2011

Il est essentiel, avant d’aborder la question intéressante de la mensuration numérique des globules rouges du sang [1], de se rappeler la composition pour ainsi dire anatomique du fluide nourricier.

Le sang est formé : 1° d’un liquide qu’on nomme quelquefois liquor ou plus souvent plasma, pouvant être considéré comme une solution d’albumine renfermant des sels, des graisses, des matières extractives et des gaz ; 2° d’une partie solide, le cruor, en suspension dans la première sous forme de globules [2].

Les globules que contient le sang sont ou rouges ou blancs. Les premiers se nomment hématies, et ce sont ceux qui nous intéressent le plus pour la question présente ; les globules blancs se nomment leucocytes. Les globules rouges forment la plus grande masse du cruor, et bien que leur proportion relative soit très variable, il y a environ 300 globules rouges pour 1 blanc.

Les globules rouges sont des disques microscopiques, presque circulaires, excavés sur leurs deux faces, plus épais sur leurs bords qui sont arrondis ; leur diamètre est de 1/150 de millimètre et leur épaisseur de 1/600.

L’énumération de ces éléments peut présenter un grand intérêt pour l’étude clinique de certaines maladies. L’anémie qui se traduit chez l’homme, par un affaissement général de ses forces physiques et de son énergie morale elle-même, n’est qu’une diminution dans le nombre des globules rouges.

Avant que MM. Hayem et Nachet aient, en 1875, fait connaître leur méthode, le procédé le plus usité était celui de  Vierordt, modifié par Potain et pins récemment par M. Malassez.

« Il consiste à diluer une quantité déterminée de sang, dans une quantité également déterminée d’eau distillée ; à recueillir une portion du mélange dans un tube capillaire, puis compter à l’aide d’un micromètre gradué, ou bien directement sons le microscope, le contenu d’une portion de ce tube » (fig 2).

Sans parler de la difficulté des opérations successives que nécessite la méthode précédente, nous indiquerons seulement la source principale d’erreurs : la capillarité dans les tubes fins.

Voici maintenant l’exposé rapide du procédé Hayem et Nachet.

Comme dans toutes les observations portant sur le sang, il faut mêler à ce fluide quelque liqueur n’ayant aucune action chimique et qu’on nomme un sérum.

L’addition de ce liquide auxiliaire est indispensable, parce que les éléments solides en suspension dans le plasma sont en trop grande quantité, et sous le microscope ils ne seraient pas distincts les uns des autres.

Les histologistes ont imaginé un grand nombre de sérums artificiels auxquels M. Hayem préfère les sérosités naturelles ; il emploie soit le liquide contenu dans la cavité amniotique de la vache, ou mieux encore, la sérosité des épanchements hydropiques chez l’homme.

Pour effectuer le mélange de sang et de sérum, on se sert de deux pipettes graduées ; de l’une pour prendre le sang, de l’autre pour prendre le sérum. Les deux liquides sont successivement déposés dans une petite éprouvette, et le mélange s’effectue à l’aide d’un agitateur ayant la forme d’une palette ; les doigts impriment à celui-ci un mouvement rapide de va-et-vient et bientôt les globules du sang sont disséminés dans toute la masse liquide d’une manière très uniforme.

La deuxième opération est destinée à circonscrire une partie déterminée du mélange sans que les manœuvres qu’elle exige altèrent l’égale répartition des éléments solides.

Ce but est atteint grâce à l’appareil suivant :

Sur une petite plaque de verre, porte-objet, bien plane, est collée une lamelle également de verre, mince et perforée à son centre ; cette dernière a été rodée avec de l’émeri fin sur un plan métallique, de façon à n’offrir qu’une épaisseur déterminée (en surveillant l’opération à l’aide d’un sphéromètre, on obtient cette épaisseur avec une exactitude absolue). On a donc ainsi une cavité dont la profondeur est mathématiquement connue, 1/5 de millimètre, par exemple. Le fond de cette cavité est la partie du porte-objet située au-dessous du trou de la lamelle supérieure ; sa paroi est formée de la paroi du trou lui-même (fig. 1).

La goutte du mélange séro-sanguin est déposée au centre de cette cellule, immédiatement recouverte d’une lamelle de verre très plane, reposant sur les bords de la cavité. On obtient ainsi une tranche liquide à surfaces parallèles horizontales et dont l’épaisseur est connue.

La goutte du liquide à examiner doit être placée avec soin au milieu de la cellule, et il ne faut pas la prendre assez volumineuse pour qu’elle remplisse la cavité tout entière, afin d’éviter le soulèvement de la petite lamelle par le liquide. Du reste, la goutte s’aplatira sans que la dissémination régulière des globules sont altérée.

Il faut enfin bien fermer la cellule et assurer la fixité de l’opercule, afin d’empêcher l’évaporation de la goutte et le glissement de la lamelle. Il suffit pour cela de placer aux angles de la lamelle un peu de salive liquide suffisamment visqueux pour déterminer son adhérence au verre sous-jacent.

Et maintenant la dernière observation est bien simple à concevoir, si la lentille oculaire du microscope employée est quadrillé et si l’on connaît la mesure de l’un des carrés.

La glace de l’oculaire quadrillée, employée par MM. Hayem et Nachet, portait un carré dont le côté avait la valeur de 1/5 de millimètre ; ( ce grand carré était divisé en 16 carrés égaux et au milieu de chacun d’eux on a tracé des lignes réciproquement perpendiculaires , n’arrivant pas jusqu’aux bords. Cette dispos ilion rend facile et rapide la numération des globules » (fig. 3).

On peut, en effet, savoir le nombre de globules sanguins contenus dans une surface de 1/5 de millimètre ; donc leur nombre dans un cube ayant 1/5 de millimètre de côté doit, en multipliant par 125 le dernier résultat, avoir le nombre de ces corpuscules dans 1 millimètre cube du mélange séro-sanguin.

Or, on sait les quantités relatives de sérum et de sang mêlés, puisque chacun des liquides composant le mélange a été mesuré dans une pipette graduée ; un calcul simple peut donc amener à l’évaluation du nombre des globules que contiendrait 1 millimètre cube de sang pur.

Il est évident qu’il faut non seulement répéter la mensuration numérique des globules en plusieurs points de la préparation, mais encore refaire plusieurs fois l’opération tout entière, si l’on a souci d’arriver à une moyenne vraie.

Les observateurs, dont nous venons de décrire la méthode ingénieuse, ont évalué à 5 millions le nombre de globules rouges dans 1 millimètre cube, et, par conséquent, à 5000 milliards celui que contient 1 litre de sang normal.

Si, quittant le domaine de la stricte pratique, nous nous demandons quelle est la somme totale de ces éléments dans notre système vasculaire tout entier, comme l’on évalue à 5 ou 6 litres la masse sanguine en circulation, on arriverait au nombre de 25000 milliards ; ce chiffre dépasse absolument les bornes de notre imagination ; aussi n’est-il donné que pour frapper seulement l’esprit, en démontrant une fois de plus combien les méthodes scientifiques peuvent résoudre de problèmes paraissant inabordables à priori, et faire jaillir la vérité, dans sa forme la plus simple.

G. Philippon

[1Voy. 3e année, 1875, 1er semestre, p. 278.

[2Le sang contient en outre, des granulations, de la matière colorante dite pigment, des vibrions, etc., etc. (Voy. pour cette question les traités spéciaux de physiologie).

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