Le Verrier (1811 - 1877)

Dimanche 28 novembre 2010 — Dernier ajout dimanche 29 juillet 2018
Le Verrier
Portait de Le Verrier en 1846, d’après le tableau de Daverdoing. Le portrait que nous publions ici est le seul qui ait été fait de Le Verrier. L’illustra astronome se refusait toujours à répondre aux sollicitations de ses amis quand ils lui demandaient d’aller chez un photographe.

L’illustre astronome que la France vient de perdre est mort le 23 septembre 1877, jour anniversaire du plus grand événement de sa vie. C’est en effet le 23 septembre 1846 que la planète Neptune, dont l’existence et la place dans le ciel avaient été révélées par lui, fut pour la première fois aperçue à l’Observatoire de Berlin.

Le Verrier est né à Saint-Lô (Manche), le 11 mars 1811. Nous ne croyons pouvoir mieux retracer le tableau de ses impérissables travaux qu’en publiant des extraits de quelques-uns des discours qui ont été prononcé sur sa tombe.

« Le Verrier, a dit M. Dumas, était fils de ses œuvres. Il avait connu toutes les luttes. Élève brillant de l’École polytechnique, il n’avait fait qu’apparaître dans les services publics. Voué de bonne heure au culte de la science pure, il fut bientôt rappelé à l’École comme répétiteur. L’héritage de Laplace était libre ; il en prit hardiment possession. Il mit en évidence les conditions de stabilité générale du système solaire par la discussion approfondie des lois qui président aux mouvements de Jupiter, de Saturne et d’Uranus, et chacun comprit, à ce début large et même hautain, si l’on remonte au temps et si l’on tient compte du milieu, qu’un grand astronome venait de se révéler. L’Académie des sciences s’empressa d’adopter Le Verrier.

« Presque aussitôt, il donnait au monde la démonstration la plus éclatante du pouvoir de la science. La dernière planète de notre système, Uranus, éprouvait dans sa marche des irrégularités que la théorie n’avait pas prévues et qu’elle ne parvenait pas à expliquer. Le système conçu par Newton, jusque-là victorieux de toutes les objections, allait-il se montrer impuissant et en défaut, aux dernières limites de notre système solaire ? Le Verrier ne le pensa point. Acceptant avec un ferme bon sens les lois de l’attraction comme vraies, il en poursuivit toutes les conséquences. C’est ainsi que, par une analyse admirable et convaincue, il découvrit dans l’espace une petite planète inconnue ; qu’il la pesa, comme s’il l’eût tenue dans ses mains ; qu’il marqua dans les cieux sa route et la position qu’elle devait occuper le 1er janvier 1847, comme s’il en eût lui-même dirigé le char. On sait comment cet astre fut trouvé par le télescope dans le firmament, à la place même que lui avait assignée l’analyse mathématique.

« L’émotion fut universelle. Mais Le Verrier ne grandit pas seul : ses confrères, ses émules, les savants de tous les pays grandirent avec lui. II faut le reconnaître et le proclamer à sa gloire, la confiance publique dans les forces de la science s’éleva dès ce moment à un niveau qu’elle n’avait peut-être jamais atteint. Le jeune astronome, qui par le seul effort de sa pensée découvrait une planète inconnue, la dernière du système, perdue dans l’immensité, à une distance du Soleil trente fois plus considérable que celle qui en sépare la Terre, devint tout à coup populaire. Par une exception sans exemple, mais que tout motivait, l’astre nouveau lui fut dédié, et si plus tard son nom, d’abord inscrit avec justice dans les confins de notre ciel, fut remplacé par celui de Neptune, ce fut pour obéir à d’antiques traditions….

« Il semble que dès ce moment Le Verrier se soit dévoué à perfectionner, à compléter l’œuvre de Newton, en s’appuyant sur l’œuvre de Laplace. C’est ainsi que par un travail persévérant, poursuivi pendant trente années sous nos yeux et dont jamais rien n’a jamais pu le détourner, il nous a donné successivement le code définitif et complet des calculs astronomiques, les tables du mouvement apparent du Soleil, la théorie et les tables des planètes tant intérieures qu’extérieures, embrassant ainsi le système solaire dans son ensemble, écrivant le dernier mot de la dernière page de son œuvre immortelle à la dernière heure de sa vie et murmurant pieusement alors : Nunc dimittis servum luum, Domine.

« Le Verrier regardait en effet le ciel comme un domaine dont il aurait eu la garde et dont il aurait été appelé à proclamer l’ordre et la beauté, Intendant fidèle, il tenait à constater que tout y était à sa place, et il n’a cessé de vivre qu’après en avoir acquis la certitude. Le monument qu’il a élevé laisse de côté les altérations physiques des astres ; il ne s’occupe que des lois qui règlent leur marche dans l’espace. Il affirme la stabilité mécanique du système solaire, et, après avoir servi à diriger tous les calculs astronomiques de nos contemporains, il pourra pendant des siècles encore rendre le même office à leurs successeurs.

« Une puissance d’abstraction vraiment extraordinaire, une géométrie souple et pénétrante, aidée de toutes les ressources du calcul infinitésimal, lui ont permis de conduire à son terme cette œuvre immense qui semblait exiger l’effort d’une Académie tout entière : Il ne laisse pas d’autre héritage ; mais sa gloire n’est pas de celles qu’une nation méconnaisse et répudie.

« Le Verrier [1] a créé à l’Observatoire le service des avertissements aux ports, que bénit le marin, celui des dépêches agricoles qui couvrent maintenant toute la France, et qui resteront la base la plus certaine de l’étude, si pleine d’avenir et de résultats imprévus, des grands mouvements de notre atmosphère. Né au moment de l’apparition de la comète de 1811, il quitte la terre en s’ingéniant à fixer la route d’un astre nouveau, de ce Vulcain à peine entrevu, dont il a su cependant relier avec une sérieuse probabilité les fugitives reconnaissances. Nous pouvons dire combien sa peine a été vive de le manquer de quelques jours dans le ciel. La voix de son Bulletin international, qui nous a servi cette fois à porter partout la triste nouvelle, parlera longtemps encore, et voilà déjà que la parole du grand astronome est éteinte ; mais ses pensées, déposées dans le premier volume des Annales de l’Observatoire, qui résume si bien les plus hautes conceptions astronomiques, alimenteront pendant des siècles les méditations de ses successeurs.

« Les représentants de la ville de Paris savent avec quelle sûreté de vues il s’occupait pour eux, et dans ces derniers temps, de l’unification de l’heure dans la grande cité. La solution du problème se trouve réalisée.

« Les savants étrangers qui sont accourus pour lui rendre hommage et auxquels se sont joints les membres de la Commission du Mètre, qui étaient en ce moment réunis, savent aussi toute la sollicitude que Le Verrier apportait il cette œuvre d’intérêt général. Le savant directeur du Nautical Almanac, qui fut souvent son collaborateur, est venu partager notre deuil. Malgré son grand âge, l’astronome royal, l’illustre doyen des astronomes de notre siècle, celui devant les jugements duquel, s’inclinent tons les autres, n’a pas voulu que son cœur fût absent. « Je suis probablement, écrit-il, le plus vieil ami scientifique de Le Verrier. Son nom m’est connu depuis 1832 Je crois, alors qu’il se rendait compte de mes études des mouvements de la Terre et de Vénus. Par degrés je l’ai mieux connu, spécialement à la suite de son Mémoire de 1846 (Découverte de Neptune). J’ai appris à apprécier non-seulement sa haute valeur intellectuelle et aussi son grand caractère, et c’est une véritable satisfaction pour moi d’avoir possédé sa confiance. Un grand homme n’est plus. »

« Les puissantes facilités de Le Verrier pour les calculs de la Mécanique céleste se sont révélées chez lui de bonne heure [2] . Sorti de l’École polytechnique dans un bon rang, il y rentrait bientôt comme répétiteur, et commençait aussitôt cette magnifique suite de travaux qui devaient embrasser successivement la révision de toutes les théories planétaires de notre système, lui procurer chemin faisant de si éclatants triomphes, et enfin, lui assurer toute sa vie une supériorité incontestée parmi les plus grands astronomes de son temps. Ses débuts marquent bien la hardiesse naturelle de son caractère et le sentiment précoce qu’il avait de sa force. Il s’attaque en effet, pour premier travail, à l’une des questions difficiles de la Mécanique céleste, celle qui concerne la stabilité du système solaire, Newton, après avoir posé la grande loi de gravitation qui régit les mouvements planétaires, s’était demandé si ce principe même ne deviendrait pas, à la longue, une cause fatale de perturbations. Le grand géomètre pensait que les attractions des diverses planètes les unes sur les autres pourraient altérer graduellement la forme et la grandeur des orbites, et amener finalement la destruction du système planétaire. Vous savez comment celle grande question philosophique, qui intéresse l’avenir même de notre Terre, fut l’objet de longs ct admirables travaux de la part des géomètres qui formèrent la postérité de l’immortel Anglais. Laplace, Lagrange, Poisson furent ceux qui obtinrent les plus beaux résultats. Ces résultats montraient que nous devons être rassurés sur l’avenir qui est réservé au système dont nous faisons partie, mais il restait encore des doutes à lever, et d’importants perfectionnements à apporter à la théorie.

« Telle fut la question que notre jeune géomètre attaqua résolument. Il la reprit tout entière, combla d’importantes lacunes, et poussa surtout les calculs beaucoup plus loin qu’on ne l’avait fait avant lui. Ses conclusions affirment encore d’une manière plus générale et plus complète la stabilité du système du monde ; mais il faut bien remarquer, Messieurs, que cette théorie ne considère que les seules actions de la gravité. Pour résoudre d’une manière complète et définitive cette grande question de Philosophie naturelle, il faudrait considérer l’ensemble de toutes les forces (elles sont loin de nous être toutes connues) qui interviennent dans la question. Je pense qu’on serait alors conduit à modifier beaucoup ces conclusions.

« Quoi qu’il en soit, ce remarquable début mit le jeune géomètre en évidence, et lui valut de hautes bienveillances scientifiques. Celle d’Arago fut pour lui la plus glorieuse et la plus utile. Avec cette générosité qui était un des traits naturels de son caractère, le grand astronome physicien voulut assurer le développement complet d’un talent qui s’annonçait d’une manière si éclatante, et, pour lui fournir une occasion de se signaler par un travail aussi utile que difficile, il lui proposa de perfectionner la théorie de Mercure, réputée alors une des plus obscures et des plus épineuses du système.

« La théorie de Mercure fut reprise et grandement perfectionnée. Après la théorie, notre confrère publia la table de la planète. Mais ce travail, malgré tout, le talent déployé par l’auteur, n’était pas complètement satisfaisant au point de vue de l’accord de la théorie avec l’observation. Le Verrier le reprit beaucoup plus tard. Conduit alors à auggmenter de deux tiers de minute environ le mouvement séculaire du périhélie de la planète, il put alors représenter les observations d’une manière tout à fait satisfaisante.

« Les tables de Mercure ainsi corrigées parurent en 1859.

« Peu de temps après ce premier travail sur Mercure, nous trouvons Le Verrier occupé d’un sujet qui fixait alors l’attention des astronomes ; je veux parler de la théorie des comètes. Il donna une théorie de la comète de 1770 et un premier travail sur celle de 1845. De si importants travaux, se succédant avec cette rapidité, annonçaient un talent tout à fait supérieur ; aussi la mort du comte Cassini laissant une vacance dans la section d’astronomie, Le Verrier y fut élu. Cette élection date du 19 janvier 1846.

« Nous touchons ici au souvenir d’une grande gloire nationale et à l’époque la plus brillante de carrière scientifique de Le Verrier.

« Le succès obtenu sur Mercure encourageait notre auteur à aborder une théorie plus difficile encore. Il s’agissait de la planète Uranus, cette belle découverte d’Herschel, planète qui est située aux extrémités de notre système, et dont la théorie était alors absolument impuissante à représenter les mouvements, sur la vive recommandation d’Arago, Le Verrier put disposer d’observations inédites de la planète faites à Paris, que le directeur de l’Observatoire lui confia. Ajoutons que, par ses conseils, son appui, le rôle qu’il joua dans la grande découverte qui va nous-occuper, Arago mérite une part dans notre reconnaissance.

« Le Verrier aborda donc la théorie d’Uranus. Devenu maître par ses grands travaux antérieurs, notre géomètre pousse ce nouveau travail avec une sûreté, une sagacité, une puissance de calcul, une célérité incomparables. Il semble avoir le pressentiment secret qu’un grand résultat va être atteint, qu’un autre court la même carrière, et qu’il faut se hâter.

« Dès les premiers pas, Le Verrier reconnaît l’accord impossible entre la théorie et les observations, en ne tenant compte que des perturbations des planètes voisines connues, Saturne et Jupiter, et la recherche des éléments du corps troublant inconnu est aussitôt entreprise. Alors l’Académie voit se succéder coup sur coup une série de Mémoires où les éléments de l’astre nouveau sont successivement abordés et fixés. Ici, que dirai-je qui ne soit connu du monde entier ? Vous savez comment Le Verrier eut alors un bonheur qui ne fut jamais mieux mérité ; vous savez comment la recherche de l’astre signalé ainsi par la théorie exigeait une carte très détaillée de la région où il devait se montrer ; vous savez que cette carte n’existait pas en France, mais que, par une fortune singulière, elle venait d’être construite à Berlin, en sorte que M. Gall, au reçu de la lettre de Le Verrier, put faire immédiatement la recherche et constata en effet la planète en un point du ciel à moins d’un degré de celui assigné par la théorie pour le 1er janvier suivant. Le lendemain, le mouvement propre était constaté et la découverte définitivement acquise.

« Qui ne connaît l’explosion d’admiration universelle qui éclata alors ? Le nom de Le Verrier était dans toutes les bouches, car cette découverte, magnifique triomphe de la théorie pour les astronomes, paraissait incompréhensible et absolument merveilleuse aux personnes étrangères aux calculs astronomiques.

« La découverte de Neptune, quelque brillante qu’elle fût, n’était qu’un incident dans l’œuvre de Le Verrier. J’ai dit qu’il avait de bonne heure formé la ferme résolution de refaire toute la théorie de notre système planétaire. Avec sa vie, nous voyons se dérouler l’exécution de ce plan immense. Vénus, la Terre (c’est-à-dire la théorie des mouvements apparents du Soleil), Mars, sont successivement abordés.

« Mais la santé de Le Verrier déclinait rapidement pendant ces dernières années, et l’œuvre pouvait être compromise ; il restait la théorie et les Tables des planètes supérieures. Heureusement la force morale chez Le Verrier a su maîtriser ce corps qui l’abandonnait et le forcer à servir l’esprit jusqu’au but qu’il s’était proposé….

« Oublions que plusieurs d’entre nous, a ajouté M. Janssen, ont été mêlés avec notre confrère aux luttes et aux compétitions de la vie ; devançons les sentiments de la postérité qui s’ouvre en ce moment pour Le Verrier, et au dernier adieu que nous lui donnons, mêlons d’un cœur sincère les hommages et les regrets qu’on doit à tous ceux qui ont illustré leur pays. »

MM. Yvon Villarceau, Faye et Bertrand se sont encore fait entendre sur la tombe de Le Verrier. Nous regrettons que l’espace nous fasse défaut pour reproduire leurs paroles.

[1Extrait du discours de M. Tresca

[2Extrait du discours de M. Janssen

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