LAMARCK & DARWIN

Y. DELAGE, Revue Scientifique - 17 Juillet 1909
Samedi 21 février 2009 — Dernier ajout mardi 13 février 2024

Discours prononcé, le 13 juin 1909, à la cérémonie d’inauguration du monument de Jean de Lamarck, au Muséum d’Histoire naturelle.

Discours prononcé, le 13 juin 1909, à la cérémonie d’inauguration du monument de Jean de Lamarck, au Muséum d’Histoire naturelle.

Lamarck ! Darwin !

De ces deux hommes, on a fait les deux termes d’une antithèse. On est pour celui-ci ou pour celui-là. Se prononcer pour le premier, c’est se déclarer contre le second. On les oppose l’un à l’autre, on les compare comme deux athlètes qui sont descendus dans l’arène aux Jeux Olympiques, et entre lesquels il faut choisir pour décerner la palme.

Il serait plus juste de voir en eux deux champions de la même cause, ayant combattu pour le triomphe de la même idée, ayant acquis les mêmes droits à notre reconnaissance.

Avant Lamarck, on croyait — conception enfantine — que chaque espèce devait son origine à un acte spécial d’un dieu créateur : on admettait cela sans discussion, sans même entrevoir la possibilité d’une explication plus scientifique. Dans le domaine de la Biologie, la pensée humaine se traînait dans une ornière profonde. Lamarck l’en dégage et lui donne son essor en proclamant que les espèces dérivent les unes des autres par les voies ordinaires de la génération, sans cesse modelées sous la pression des conditions ambiantes.

Cette idée lumineuse est, pour lui, si évidente, qu’il lui parait presque superflu de la démontrer. S’il cite des faits, c’est plutôt à titre d’exemples qu’à titre d’arguments : il ne croit pas utile de forger un système complet, inattaquable, tenant compte de toutes les circonstances, répondant à toutes les objections. Darwin n’a pas à créer l’idée transformiste ; mais il la travaille, la précise, lui fournit l’appui d’une documentation formidable, où ses observations personnelles tiennent la plus grande place ; il la fait presque sienne en découvrant la sélection, voie nouvelle par où les conditions ambiantes peuvent se frayer accès jusqu’aux espèces existantes, pour les façonner et les transformer en espèces nouvelles.

Sans lui, l’idée lamarckienne n’aurait sans doute aujourd’hui pour adeptes qu’une petite élite de penseurs. Grâce à lui, toutes les résistances ont été vaincues : il n’y a plus de réfractaires.

Le combat est terminé entre transformistes et non-transformistes. S’il y a encore lutte entre néo-lamarckiens et néo-darwiniens, que ces divergences secondaires ne nous fassent pas oublier la concordance fondamentale des idées.

Si Lamarck eût vécu ; il eût peut-être accepté l’explication darwinienne du transformisme, et cela n’eût en rien diminué la grandeur de son rôle. Au-dessus des débats entre transformistes, il y a l’idée transformiste elle-même.

Cette idée, c’est l’œuvre de Lamarck, et elle est si grande qu’elle éclipse tout le reste.

La solution lamarckienne du problème du transformisme ne contient pas toute la vérité. Il en est de même de la solution darwinienne. D’autres explications ont été proposées, d’autres le seront encore, qui auront leur jour de gloire et sans doute leur déclin. Mais, de chacune d’elles, une parcelle survivra, et de ces parcelles se constituera la vérité finale.

Qu’importent ces épisodes ?

Sur toutes ces fluctuations surnage, impérissable, la grande idée de Lamarck, et se dresse, immortelle,la grande figure de Darwin.

Cessons donc d’opposer l’un à l’autre ces deux génies !

Cessons de rapetisser ces deux colosses en les faisant passer sous la toise !

Lamarck n’est-il pas assez grand par lui-même, et faut-il, pour le grandir encore, humilier devant sa statue ceux dont les noms méritent de figurer auprès du sien dans l’histoire de la Biologie !

Laissons à chacun sa gloire !

Celle de Darwin est immense !

Mais, disons-le bien haut : jamais la pensée humaine ne s’est, par un plus sublime effort, affranchie des entraves de la routine et du préjugé, jamais elle ne s’est élevée plus haut dans les régions sereines du Vrai et du Beau, que le jour où le cerveau de La marck enfanta l’idée transformiste.

Y. DELAGE,

Membre de l’institut, Professeur à la Faculté des Sciences de l’Université de Paris

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