Générateur à production de vapeur instantanée de MM. Serpollet frères

Edouard Hospitalier, La Nature N°794 — 18 Aout 1888
Vendredi 27 août 2010 — Dernier ajout samedi 25 novembre 2017

L’explosibilité d’un générateur de vapeur peut se mesurer par le rapport de sa capacité totale a sa puissance de vaporisation. Les anciens générateurs de vapeur, et certains générateurs actuels, sont encore établis dans des conditions telles qu’ils renferment quinze à vingt fois plus d’eau que celle qu’ils peuvent vaporiser en une heure. On obtient ainsi un grand volant de chaleur assurant une pression uniforme mais l’appareil de vaporisation est coûteux, lourd, encombrant, long à mettre en pression, et ne convient que pour des installations fixes marchant sans arrêt pendant de longues périodes de temps. De plus, cette réserve énorme d’eau chaude sous pression constitue une menace de danger permanente qui fait de l’explosion d’une chaudière à bouilleurs un véritable désastre.

Pour satisfaire aux exigences nouvelles créées par la navigation, la locomotion, les petites forces motrices et les applications qui demandent de la vapeur par intermittences, il a fallu modifier le type des chaudières à vapeur, augmenter la surface de chauffe, diminuer la réserve d’eau, et arriver peu à peu aux appareils dits inexplosibles, dont la chaudière Belleville constitue l’un des prototypes les plus caractéristiques.

En exagérant encore hors de toute proportion l’inexplosibilité, MM. Serpollet frères sont parvenus à réaliser un type de chaudière absolument inexplosible, et cette propriété résulte de ce fait que la chaudière ayant une capacité sensiblement nulle, l’explosibilité devient elle-même nulle, puisque le rapport de la capacité à la puissance de vaporisation devient lui-même nul.

Ce résultat est obtenu d’une façon très simple par MM. Serpollet, en prenant un tube d’acier cylindrique d’un diamètre convenable et d’une épaisseur suffisante. Ce tube est laminé à chaud à une température inférieure à celle de la soudure du métal, la dernière passe au laminoir étant donnée à froid. On obtient ainsi un tube aplati laissant à l’intérieur un vide qui apparaît, lorsqu’on fait une section transversale dans le tube (fig. 1, n° 2) comme une ligne noire de l’épaisseur d’un cheveu et dont la grandeur varie, par estimation, entre 0,1 et 0,5 millimètre. Cet élément est ensuite roulé en spirale, ou laissé droit, suivant l’application en vue, et disposé dans une chaudière appropriée (fig.1, n° 1) ; on adapte un raccord à chaque extrémité, l’un destiné à faire arriver l’eau qui doit être vaporisée, l’autre, à l’autre extrémité, par où s’échappe la vapeur.

Dans ces conditions, le tube étant porté à une haute température dans un foyer approprié, l’eau injectée par une pompe d’alimentation à une extrémité, se résout instantanément en vapeur dans, le tube, et s’échappe par l’autre extrémité, à une pression et à un état. de sécheresse dépendant des conditions dans lesquelles fonctionne l’appareil. L’idée ingénieuse, véritablement originale et nouvelle, réside tout entière dans cette heureuse disposition du tube aplati réalisant une véritable chaudière capillaire dans laquelle l’état sphéroïdal ne saurait se produire, à cause de l’écrasement de l’eau entre les parois du tube, écrasement qui s’oppose d’une façon absolue à la formation de gouttelettes. Il n’y a plus alors ni réserve d’eau chaude, ni tube de niveau d’eau, ni soupape de sûreté, ni aucun des nombreux appareils accessoires, qui compliquent toutes les chaudières et en augmentent considérablement le prix.

Il n’y a aucun robinet interposé entre la sortie de la chaudière et le moteur que la vapeur doit actionner. L’arrêt se fait tout simplement en supprimant l’arrivée de l’eau, c’est-à-dire en vidant la chaudière !

La régularité de production est assurée par le volant de chaleur constitué par le tube de fer dont l’épaisseur a été choisie intentionnellement très grande. C’est ce volant de chaleur qui remplace le, volant d’eau chaude des chaudières à bouilleurs.

Il est facile maintenant de concevoir, au point de vue général, l’ensemble du système constitué par une chaudière et son moteur.

Ce moteur actionne une petite pompe à course variable qui envoie l’eau dans la chaudière au fur et à mesure de la dépense. La mise en marche se fait à l’aide d’une pompe spéciale actionnée à la main,

Si la vitesse du moteur tend à s’accroître, un régulateur à force centrifuge disposé sur le moteur, ’réduit la course de la pompe ainsi que la quantité d’eau.injectée, ce qui diminue la production de vapeur et réduit, par suite, la vitesse. L’inverse se produit si la vitesse tend à diminuer. Pour arrêter, il suffit de détourner l’eau fournie par la pompe, à l’aide d’un robinet à trois voies, et de faire faire retour à cette eau à la bâche d’alimentation. La chaudière se vide en moins d’une seconde et le moteur s’arrête faute de vapeur pour l’actionner.

Tout cela est d’une merveilleuse simplicité et fait l’étonnement et l’admiration des visiteurs, même les plus sceptiques.

Le tube de la chaudière dite de 1 cheval, pèse 55 kilogrammes. Il est constitué par un tube de fer de 2 mètres de longueur et de 10,5 centimètres de hauteur une fois aplati, ce qui donne une surface de chauffe de 48 décimètres carrés et une puissance de vaporisation de 20 kilogrammes de vapeur d’eau par heure. La consommation de charbon ne dépasse pas 4 kilogrammes par heure, ce qui est relativement peu pour une chaudière d’aussi faible puissance.

La figure 2 représente le premier modèle de tricycle construit par MM. Serpollet, comme application locomobile de leur chaudière. Nous avons vu fonctionner cet appareil et nous allons donner ici quelques renseignements précis à son sujet.

Le poids total de l’appareil en charge est de 185 kilogrammes et 250 kilogrammes avec le voyageur. La chaudière est disposée à l’arrière, le moteur, sous le siège qui renferme lui-même la provision d’eau et de charbon. Dans ce moteur, la pompe d’alimentation est à course constante, mais le levier de direction peut, en tournant sur son axe, agir sur un robinet. à trois voies, diviser l’eau pompée en deux parties, l’une qui fait retour au réservoir d’eau, l’autre qui est envoyée à la chaudière.

En faisant varier la position de ce robinet, on modifie ainsi la puissance de la machine et on règle la vitesse.

L’arrêt s’obtient sur un parcours de moins de 2 mètres, grâce à l’action combinée d’un frein et à la suppression complète d’arrivée d’eau dans la chaudière. La mise en marche s’effectue à l’aide d’une petite pompe à main spéciale que le conducteur du tricycle manœuvre un instant de la main gauche, au moment même de cette mise en marche.

Dans des expériences faites le 25 juillet devant les membres de la Société des ingénieurs civils, le tricycle a traversé les rues de Girardon et de Norvins, à Montmartre, rues dans lesquelles les rampes atteignent 15 centimètres par mètre, avec une vitesse de 3 mètres par seconde.

La figure 3 représente les dispositions du premier modèle de chaudière fixe, les légendes suffisent à faire comprendre les dispositions principales de ces générateurs dont on peut modifier les formes à volonté suivant les applications en vue.

MM. Serpollet étudient des dispositions spéciales pour l’application à un quadricycle, à un torpilleur, à un poêle, à une locomotive et à une chaudière fixe de dix chevaux avec éléments rectilignes.

L’inexplosibilité de leur chaudière a été mise en évidence dans une expérience faite devant MM. les ingénieurs des mines, dans laquelle un manomètre, gradué jusqu’à une pression de 200 kilogrammes par centimètre carré, a été forcé bien au delà des limites de sa graduation ; et dont l’aiguille, venant buter contre l’intérieur de la boîte, a été tordue par ce déplacement. La chaudière avait ainsi atteint une pression qu’il est impossible de fixer, sans avoir subir aucune avarie.

Les incrustations de cette chaudière ne sont pas à craindre, car grâce à la grande vitesse de la vapeur qui circule dans le tube, les matières en dissolution dans l’eau sont pulvérisées et entraînées mécaniquement hors du générateur et viennent, au contraire, lubrifier et polir les organes du moteur.

L’invention de MM. Serpollet est encore trop nouvelle pour qu’on en puisse prévoir toutes les applications, mais leur appareil constitue dès à présent le générateur tout indiqué pour la production des petites forces motrices, en attendant que des études nouvelles rendent le système économiquement applicable aux appareils de grande puissance.

L’application la plus directe et la plus immédiate nous semble être celle de l’éclairage électrique des restaurants ; à l’aide d’un élément à vaporisation instantanée disposé dans les fourneaux qui, par destination, doivent rester allumés toute la journée, et pourront ainsi fournir par surcroît la force motrice nécessaire à la mise en marche d’une petite dynamo chargeant des accumulateurs.

En attendant que nous ayons à décrire une installation réalisant cette application intéressante parmi tant d’autres, nous ne saurions trop féliciter MM. Serpollet dont l’invention remarquable ouvre un champ d’exploitation nouveau aux applications de la vapeur [1].

Edouard Hospitalier

[1Le générateur de vapeur instantanée de MM. Serpollet a été présenté à la Société des Ingénieurs civils dans la séance du 20 juillet. Cette communication a vivement excité l’étonnement des assistants et a valu aux inventeurs les plus chaleureuses félicitations.

Revenir en haut