L’Hydrocarburateur et le carburant national

R. Moleski, La Nature N°2845 - 15 novembre 1930
Lundi 2 mars 2009 — Dernier ajout vendredi 2 février 2018

Des raisons diverses et principalement d’ordre économique ont conduit dès la fin de la guerre à envisager la solution d’un carburant national qui, tout en nous libérant dans une certaine mesure du joug des pays étrangers producteurs de pétrole, offrirait l’avantage d’absorber une quantité importante d’alcools nationaux.

C’est ainsi qu’il y a quelques années une tentative fut faite par l’institution du Carburant National composé, en parties égales, d’essence et d’alcool absolu mélangés. ­ Malheureusement, les résultats ne confirmèrent pas les espoirs fondés à l’origine et l’on s’aperçut bien vite que ce mélange n’était vraiment utilisable qu’à la condition que l’alcool soit parfaitement et totalement déshydraté. Or la déshydratation de l’alcool est une opération industrielle qui coûte fort cher quand on la désire parfaite et on ne tarda pas à se trouver devant cette pénible alternative : ou bien le mélange des deux liquides serait homogène et d’un prix de revient très élevé, donc prohibitif du seul point de vue économique, ou bien le carburant serait livré à des conditions avantageuses, mais alors d’un rendement pratique nettement insuffisant ; donc incompatibilité entre les soucis légitimes de l’économique et les exigences minima de la technique automobile.

Cette difficulté à laquelle aucune solution n’était venue, depuis, apporter de remède a été résolue grâce à l’invention de l’hydrocarburateur ingénieusement réalisé par un industriel, M. Frank Lioud d’Annonay.

Le principe fondamental de l’hydrocarburateur dont nous donnons ci-dessous le schéma réside dans le fait qu’il permet l’emploi simultané comme carburant de deux liquides, dont l’un peut être de l’eau, par la présence de deux cuves à niveau constant alimentées par deux réservoirs différents et qu’il assure par la seule manœuvre de l’accélérateur la proportion convenable de ces deux liquides et de l’air.

Le départ et le ralenti sont assurés par un gicleur spécial alimenté exclusivement par l’essence. Le bouchon du gicleur (1, fig. 1) fait office de gicleur de ralenti ; il porte à cet effet deux calibrages situés dans une gorge circulaire (2). En outre, à la partie supérieure du bouchon est logé un calibrage d’air d’émulsion de 50 centièmes de mm.

Le bouchon du gicleur d’alcool est du même modèle, le calibrage est d’un numéro supérieur afin de pouvoir être utilisé à la place de l’autre pendant la période d’hiver, durant laquelle le ralenti doit être un peu plus fort.

Le gicleur d’essence (3) est vissé sur un porte-gicleur (4) ; sa forme conique assure une fermeture hermétique du canal par simple serrage du bouchon.

Grâce à son dispositif spécial, l’hydrocarburateur permet d’obtenir deux pulvérisations successives, la pulvérisation primaire s’effectuant dans la buse (1, fig. 2), la secondaire dans le diffuseur (2) et perpendiculairement à la primaire.

Il convient de remarquer que c’est la première fois, dans l’histoire des moteurs à explosion, qu’une solution est apportée au problème tant cherché d’une injection correcte d’eau dans la chambre de compression, l’eau étant ainsi amenée pulvérisée dans un milieu porté à une très haute température.

L’hydrocarburateur permet d’utiliser, comme carburant, les diverses combinaisons suivantes :

  1. Essence et eau (10 à 15 pour 100 d’eau de la consommation d’essence) ;
  2. Essence et alcool hydraté ;
  3. Benzol et eau ;
  4. Benzol et alcool hydraté ;

dont des essais ont été effectués pendant plusieurs années et sur des distances atteignant des milliers de kilomètres et contrôlés par le Conservatoire des Arts et Métiers, les Services techniques de l’Artillerie au Ministère de la Guerre et l’Office National des Recherches et Inventions ; enfin le carburateur permet de brûler tous les méthanols, ce qui ouvre des possibilités infinies.

De ces mélanges découlent des avantages notables d’ordre technique et d’ordre économique.

Du point de vue technique, l’injection d’eau a pour conséquence de supprimer l’effet détonant, l’auto-allu­mage, de permettre une augmentation de compression du moteur et d’obtenir une augmentation parallèle de puissance pouvant atteindre 40 pour 100. En outre, elle provoque un abaissement de la température des culasses et des pistons, donc une amélioration du refroidissement et la suppression des fâcheux effets de la calamine. Enfin, il a été constaté une absence absolue d’oxyde de carbone à la sortie du pot d’échappement.

Voici, à titre d’indication, les résultats obtenus au cours d’essais pratiqués entre Paris et Versailles : à une vitesse moyenne de 40 km à l’heure, une voiture équipée avec un carburateur ordinaire a consommé 9,5 litres aux 100 kilomètres ; la même voiture équipée avec un hydrocarbura­teur a consommé 8,2 litres et tandis que dans le premier cas la côte de Picardie était abordée à 58 km à l’heure et terminée à 30 km, elle était dans le second cas abordée à la même vitesse et terminée à 40 km. Dans le sens inverse les consommations furent respectivement de 7,6 litres et de 6,3 litres.

Dans le domaine économique, la diminution notable de consommation d’essence représente l’un des facteurs essentiels et l’alcool hydraté qui lui est adjoint étant d’un prix de revient inférieur vient ajouter à l’économie du système. Enfin, l’amélioration du refroidissement a pour conséquence d’entraîner une réduction notable de la consommation d’huile, dans une proportion variant entre 30 et 50 pour 100.

Mais ces avantages économiques ne sauraient être examinés du seul point de vue de l’hydrocarburateur et il convient d’envisager les répercussions que la généralisation de cette nouvelle formule de carburation entraînerait pour l’économie nationale.

En effet, l’application généralisée de cette formule aurait pour conséquence d’augmenter de 20 pour 100 la quantité d’alcool utilisable pour les usagers du carburant actuel dit national, puisque l’alcool absolu serait remplacé par un alcool à 80°. D’autre part, elle entraînerait un abaissement sensible du prix de l’alcool, conséquence de la suppression des deux opérations industrielles particulièrement onéreuses : la rectification et la déshydratation. Et si l’on songe que la consommation annuelle moyenne en France est approximativement de 15 millions d’hectolitres d’essence, la simple substitution des 20 pour 100 d’eau contenue dans l’alcool représenterait une économie supérieure à 300 millions de francs. Puis il conviendrait de tenir compte du bénéfice réalisé par le remplacement de millions d’hectolitres d’essence au moyen d’une quantité correspondante d’alcool et de benzol que nous produisons chez nous à des prix intéressants et on pourrait ainsi évaluer approximativement à 60 pour 100 la réduction des importations de pétrole et d’essence qui en résulterait.

En plus de l’attrait technique que présente l’hydrocarburateur, il semble donc qu’il puisse être considéré comme apportant une solution susceptible de se substituer à celle du carburant national, en même temps qu’une formule nouvelle de la carburation depuis si longtemps recherchée.

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